Agathe Habyarimana

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Agathe Habyarimana
Fonctions
Première dame du Rwanda

(20 ans, 8 mois et 5 jours)
Président Juvénal Habyarimana
Prédécesseur Vérédiana Mukagatare
Successeur Serafina Bizimungu
Biographie
Nom de naissance Agathe Kanziga
Date de naissance (81 ans)
Lieu de naissance Gisenyi (Rwanda)
Nationalité Rwandaise
Père Gervais Magera
Mère Joséphine Nyiranshakiye
Conjoint Juvénal Habyarimana
Religion Catholicisme
Résidence Évry-Courcouronnes (France)

Agathe Habyarimana, née Agathe Kanziga, le à Gisenyi (province de l'Ouest, Rwanda), est une personnalité politique rwandaise, veuve de Juvénal Habyarimana, président de la République du Rwanda du au , et de ce fait Première dame du pays. Après l'assassinat de son mari, elle est exfiltrée en France mais elle est accusée par le nouveau pouvoir rwandais de complicité de génocide et poursuivie par ce pays. La France refuse de l’extrader vers le Rwanda, tout en la déboutant de sa demande d’asile.

Biographie[modifier | modifier le code]

Famille[modifier | modifier le code]

Agathe Kanziga est née le à Giciye dans l'ancienne province de Gisenyi, au nord-ouest du Rwanda[1]. Sa famille descend de l’un des clans hutu du nord du Rwanda, considéré comme une haute lignée parmi les hutus, les Abahinza. Le 17 août 1963, elle épouse Juvénal Habyarimana, un militaire de carrière qui prend le pouvoir le 5 juillet 1973 par un coup d'État militaire.

Au début des années 1990, l'Akazu (« petite maison », en kinyarwanda) est un cercle politique et financier composé d'extrémistes hutu, parmi lesquels son frère aîné Protais Zigiranyirazo, qui se constitue autour d'elle[2],[3],[4]. Elle est souvent considérée comme la véritable patronne de l'Akazu[5], accusation qu'elle nie[6].

Exfiltration en France[modifier | modifier le code]

Au lendemain de l'attentat du contre son mari, les extrémistes liés à Agathe Habyarimana prennent le pouvoir, éliminent l'opposition hutue et déclenchent le génocide perpétré contre les Tutsis[7].

Agathe Habyarimana contacte l’ambassade de France, pour être évacuée, craignant un assaut du Front patriotique rwandais (FPR). Selon le rapport de la Commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda, à titre d'exception, François Mitterrand accorde son exfiltration ainsi que celle de douze membres de sa famille le 9 avril 1994 vers Bangui, en Centrafrique[3]. Après quelques mois à Paris, Agathe Habyarimana retourne en Afrique. Elle séjourne en RDC, au Kenya, puis revient en France en 1998 où elle réside toujours[3],[6] sans être en situation régulière[8]. Sa demande d'asile, déposée en [9], est rejetée par l'OFPRA le [9]. Après treize ans de séjour en France, son recours est rejeté, après une audience le [10], le par la Commission des recours des réfugiés (CRR), qui souligne notamment son rôle présumé dans le génocide des Tutsi en 1994 (pour la CRR, il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle aurait participé « en tant qu'instigatrice ou complice » au « crime de génocide », selon les termes de la décision[11]) et l'a en conséquence exclue du bénéfice de la convention de Genève et de la protection subsidiaire. La CRR juge également que ses déclarations, « non crédibles, […] doivent être regardées comme traduisant sa volonté d'occulter les activités qui ont en réalité été les siennes durant la période de préparation, de planification et d'exécution du génocide ». Le , le Conseil d'État rejette son pourvoi en cassation[12]. Elle pourrait désormais être expulsée, bien que cela soit peu probable[13],[14].

En 1998, elle s'installe définitivement à Évry-Courcouronnes dans l'Essonne, où elle vit sans statut légal[15].

Accusation de complicité de génocide[modifier | modifier le code]

Accusée d’avoir contribué à la planification du génocide contre les Tutsis[16], une information judiciaire est ouverte contre Agathe Habyarimana en pour « complicité de génocide et de crime contre l'humanité »[17], à la suite d'une plainte déposée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda[18],[19],[20].

En octobre 2009, le Rwanda émet un mandat d'arrêt international pour « génocide » et « crimes contre l'humanité » à son encontre. Elle est interpellée le en Essonne sur la base de ce mandat d'arrêt international[21],[22]. La demande d'extradition est rejetée le 28 septembre 2011 par la cour d'appel de Paris[23],[18].

En mai 2011, la préfecture de l'Essonne rejette une nouvelle demande de permis de séjour en raison d'une « menace à l'ordre public » que constituerait la présence d'Agathe Habyarimana. Ce rejet est annulé par le tribunal administratif de Versailles en octobre 2011. La préfecture fait appel devant la Cour administrative d'appel mais la décision est confirmée en novembre 2012[24]. La préfecture de l'Essonne fait alors appel devant le Conseil d'État, qui soutient la préfecture dans son refus de délivrer un permis de séjour le 4 juin 2013[25],[19]. Agathe Habyarimana saisit alors la Cour européenne des droits de l'Homme en décembre 2013[26],[25].

Le 21 décembre 2018, les juges d'instruction Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux rendent une ordonnance de non-lieu concernant l'attentat du 6 avril 1994[27],[28], comme l'avait requis le Parquet le 10 octobre 2018 [29] « en l’absence de charges suffisantes » [30]. Agathe Kanziga annonce vouloir faire appel par la voix de son avocat, Philippe Meilhac[31],[28]. En juillet 2020, la cour d'appel de Paris confirme la décision des juges antiterroristes qui avaient ordonné en décembre 2018 d'abandonner les poursuites contre neuf membres ou anciens membres de l'entourage du président rwandais Paul Kagamé[32].

En août 2021, la cour d'appel de Paris juge « irrecevable » la demande de non-lieu d’Agathe Habyarimana, soupçonnée d’être impliquée dans le génocide commis contre les Tutsis au Rwanda[33],[25].

Le 15 février 2022, la Cour de cassation valide l'ordonnance de non-lieu de 2018 et rejette ainsi les pourvois déposés par les familles de victimes de l'attentat[34]. Le même jour, la juge d'instruction chargée de l'enquête pour « complicité de génocide et de crimes contre l'humanité » visant Agathe Habyarimana met un terme aux investigations contre elle, prélude à un possible non-lieu, aucune mise en examen n'ayant été prononcée[35].

En mars 2024, à l'approche des commémorations des 30 ans du génocide contre les Tutsis, le procureur de la République antiterroriste Jean-François Ricard affirme que la justice française poursuit ses investigations[36].

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. André Guichaoua, « 3. Une transition politique obligée », dans Rwanda : de la guerre au génocide, La Découverte, coll. « Cahiers libres », , 83–126 p. (ISBN 978-2-7071-5370-8, lire en ligne)
  2. Pierre Lepidi, « Agathe Habyarimana, poursuivie pour « complicité de génocide » au Rwanda, 30 ans d’exil et de soupçons sans justice », sur Le Monde,
  3. a b et c « L’exfiltration d’Agathe Habyarimana, figure du génocide : une priorité pour François Mitterrand », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. Pierre Lepidi et Piotr Smolar, « Avant le génocide des Tutsi au Rwanda, la France a reçu des alertes claires et régulières », sur Le Monde, (consulté le ).
  5. Christophe Ayad, « La veuve, la France et le génocide », sur Libération,  : « Pour tous les spécialistes et historiens du Rwanda, cette femme était l'âme damnée de l'Akazu ».
  6. a et b Jean-Marie Montali, « Rwanda : "Kagame a préparé et exécuté le génocide" », sur Le Figaro,  : « Depuis l'attaque .du FPR en 1990, on a sali la famille du président et inventé ce mouvement Akazu. Ce mot était inventé par nos détracteurs. »
  7. Laurent Larcher, « L’énigme Agathe H., accusée de génocide au Rwanda et installée en France », sur La Croix, (consulté le )
  8. Radio France internationale, Demande d'asile à nouveau rejetée, 15 février 2007, [1] : « En situation illégale sur le territoire français depuis 1998 » ; Christophe Ayad, Libération, jeudi 15 février 2007, Pas d'asile pour Agathe Habyarimana : « La veuve du président Habyarimana, qui vit en France depuis 1994 sans aucun papier ni statut [...] ».
  9. a et b Radio France internationale, 11 janvier 2007, Agathe Habyarimana déboutée du droit d’asile,[2].
  10. Christophe Ayad, « Procès improvisé de la veuve Habyarimana », Libération, 26 janvier 2007
  11. (en) Commission des Recours des Réfugiés (CRR), « CRR, 15 février 2007, 564776, Mme Agathe Kanziga veuve Habyarimana », sur Refworld (consulté le ) : « Ces éléments [...] constituent également des raisons sérieuses de penser que Mme Agathe KANZIGA veuve HABYARIMANA a participé en tant qu'instigatrice ou complice à la commission du crime de génocide, entendu au sens des stipulations de l'article 1er, F, a) de la convention de Genève comme la réalisation d'un crime contre l'humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes tels la convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui punit au même titre que le génocide, la complicité de génocide ; il y a lieu dès lors d'exclure Mme Agathe KANZIGA veuve HABYARIMANA du bénéfice des dispositions protectrices de la convention de Genève par l'application de l'article 1er, F, a) de ladite convention [...] »
  12. CE, 10e et 9e sous-sections réunies, 16 octobre 2009, n° 311793
  13. Christophe Ayad, Libération, jeudi 15 février 2007, Pas d'asile pour Agathe Habyarimana : « La veuve du président Habyarimana [...] a l'intention de se pourvoir devant le Conseil d'État [...]. Mais un tel recours n'est pas suspensif d'une éventuelle expulsion. Il n'y a toutefois presque aucune chance que l'encombrante hôte soit contrainte de quitter la France. [...] Paris ne peut pas l'expédier dans un pays, où la peine de mort est toujours en vigueur et où un jugement équitable n'est pas garanti. »
  14. La veuve Habyarimana cherche toujours asile, Bakchich, 23 septembre 2009
  15. Mehdi Ba, « Agathe Habyarimana, la "veuve noire" du Rwanda », sur Jeune Afrique, (consulté le )
  16. Falila Gbadamassi, « Kigali accuse Agathe Habyarimana de génocide », sur Afrik, (consulté le )
  17. RTL info, mercredi 16 mai 2007, La veuve Habyarimana visée par une information judiciaire en France : « le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) [...] avait déposé [mi-février] une plainte avec constitution de partie civile contre Mme Habyarimana ».
  18. a et b « Agathe Kanziga Habyarimana », sur trialinternational.org, (consulté le )
  19. a et b « Agathe Kanziga Habyarimana », sur collectifpartiescivilesrwanda.fr (consulté le )
  20. Texte intégral de la plainte
  21. « Rwanda: la veuve Habyarimana arrêtée », AFP, 2 mars 2010.
  22. « Rejet de la demande d'extradition de la veuve de Juvénal Habyarimana », Le Monde,
  23. « Agathe Kanziga ne sera pas extradée », sur collectifpartiescivilesrwanda.fr, (consulté le )
  24. « La justice française ordonne au préfet d'accorder un titre de séjour à Agathe Habyarimana », Le Monde,
  25. a b et c Raphaël Doridant et François Graner, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Agone, , 6 mars 2020 (ISBN 9782748903935), p. 291-293
  26. AFP, « Refus de titre de séjour: Agathe Habyarimana attaque la France devant la CEDH », sur lepoint.fr, Le Point, (consulté le )
  27. « France-Rwanda : la justice française clôt par un non-lieu l’instruction sur l’attentat du 6 avril 1994 », sur jeuneafrique.com, (consulté le )
  28. a et b « Les juges d’instruction ordonnent un non-lieu dans l’enquête sur l’attentat qui déclencha le génocide au Rwanda », sur Le Monde, (consulté le )
  29. « Attentat du 6 avril 1994 au Rwanda : le Parquet de Paris requiert un non-lieu », sur jeuneafrique.com, (consulté le )
  30. « Rwanda : attentat du 6 avril 1994 à Kigali, le non-lieu de la justice française », sur la-croix.com, (consulté le )
  31. « Attentat du 6 avril 1994: non-lieu confirmé », sur collectifpartiescivilesrwanda.fr, (consulté le )
  32. Laurent Larcher, « Non lieu confirmé dans l’affaire de l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda », sur La Croix,
  33. « Rwanda : la demande de non-lieu d’Agathe Habyarimana jugée « irrecevable » », sur Jeune Afrique, (consulté le )
  34. « Rwanda : la justice française clôt l’enquête sur l’attentat contre le président Habyarimana en 1994 », sur France 24, (consulté le )
  35. « Génocide au Rwanda : la justice française clôt deux dossiers sensibles », sur lefigaro.fr, (consulté le )
  36. Timothée Boutry, « Trente ans après le génocide au Rwanda, la justice est toujours saisie sur le rôle de la France », sur leparisien.fr, (consulté le )

Liens externes[modifier | modifier le code]