Réacteur à neutrons rapides

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Un réacteur à neutrons rapides (RNR, en anglais, Fast-neutron reactor) est un réacteur nucléaire qui utilise des neutrons rapides (dont l'énergie cinétique est supérieure à 0.907 MeV), par opposition aux neutrons thermiques (énergie inférieure à 0.025eV). Contrairement aux réacteurs nucléaires "classiques" à neutrons thermiques, leur cœur n'est donc pas modéré.

Jusqu'à présent, tous les réacteurs rapides commerciaux en démantèlement, construits ou en projet sont refroidis au sodium, mais d'autres technologies de réacteurs rapides ont été étudiées. Les réacteurs à neutrons rapides sont à nouveau à l'étude depuis l'an 2001 dans le cadre du Forum International Génération IV.
À ce jour, il y a 2 réacteurs à neutrons rapides alimentant un réseau électrique : le réacteur russe Beloyarsk-3 BN-600 et le réacteur à neutrons rapides expérimental chinois près de Pékin, ainsi que 2 autres réacteurs en construction : Beloyarsk-4 (BN-800) en Russie et Kalpakkam (PFBR) en Inde[1].

Conception

Stratégies d'utilisation des neutrons rapides

Les neutrons émis lors de la fission d'un actinide ont initialement une vitesse élevée qui limite la probabilité qu'ils interagissent avec la matière fissile et conduisent à une réaction en chaîne[2].

Une première solution est de les ralentir par un modérateur (eau, graphite, ou eau lourde) qui leur fait perdre leur énergie par chocs successifs. Ils sont alors appelés neutrons thermiques [2], « permettant une réaction en chaîne efficace et donc un meilleur rendement du réacteur pour l’uranium 235 dont la probabilité de fission par neutrons thermiques est élevée »[2]. C'est cette solution qui est utilisée dans les réacteurs actuels (type REP, REB,...).

L'autre solution est de choisir délibérément de ne pas mettre de modérateur. On a alors des neutrons rapides dont l'énergie cinétique est élevée. Ces neutrons rapides ont l'avantage de faire fissionner tous les noyaux lourds et non les seuls matériaux fissiles. L'utilisation de neutrons rapides limite également les captures stériles (c'est-à-dire les captures ne donnant pas lieu à une nouvelle fission), ce qui tend à améliorer l'efficacité du réacteur.
En revanche, le taux de fuite des neutrons hors du cœur (neutrons qui sont donc perdus pour le réacteur) est plus élevé, et la probabilité de fission par neutrons rapides plus faible que dans un réacteur à neutrons thermiques. Il est donc nécessaire d'avoir un cœur plus enrichi en matériau fissile. Par ailleurs, des matériaux fertiles peuvent être disposés en périphérie du cœur (on parle de couverture fertile) de manière à utiliser les neutrons de fuite. C'est le principe de la surgénération : récupérer les neutrons sortants pour transmuter un matériau a priori inutilisable (fertile mais non fissile) en matériau fissile. Les RNR correspondent à trois des six types de réacteurs nucléaires de génération IV.

Architecture

Les réacteurs à métal liquide peuvent être de type piscine ou de type boucle. L'architecture piscine permet de maintenir en permanence le caloporteur du circuit primaire au sein de la cuve principale (Les pompes primaires et les échangeurs intermédiaires sont plongés dans la cuve principale), alors que les réacteurs à boucles utilisent des pompes primaires et des tuyauteries à l'extérieur de la cuve et des échangeurs externes.

En 2007, tous les RNR en fonctionnement sont conçus avec un circuit de refroidissement par du sodium liquide. C'est la filière des réacteurs nucléaires à neutrons rapides et à caloporteur sodium. Bien qu'inflammable au contact de l'air, corrosif[3] et réagissant violemment au contact de l'eau, le sodium est privilégié pour les raisons suivantes :

  • à la différence de l'eau, il freine peu les neutrons et les capture peu. La masse atomique du sodium est de 23,
    • supérieure à celle de l'oxygène du combustible oxyde (=16) et de l'eau,
    • très supérieure à celle de l' hydrogène de l'eau (=1)
  • capacité calorifique massique importante 1 230 J/kg/K contre 4 180 J/kg/K pour l'eau
  • conductivité thermique élevée = 141 W/m/K contre 0,6 W/m/K pour l'eau
  • point de fusion bas (97,80°C).

D'autres caloporteurs métalliques sont étudiés, par exemple l'alliage Pb-Bi ou le plomb.

Risque Sodium dans les neutrons rapides à caloporteur sodium (RNR-Na)

Dans les réacteurs rapides RNR-Na, le sodium liquide peut s'enflammer au contact de l'air, désagréger le béton et engendrer une explosion au contact de l'eau. C'est ce qui s'est produit lors de l'accident qui est survenu dans le réacteur de Monju (Japon) en décembre 1995 (La Gazette Nucléaire n°157/158, mai 1997).

Pour éviter le risque de réaction sodium / eau, on adopte plusieurs précautions :

  • Adjonction d'un circuit de refroidissement supplémentaire, appelé circuit secondaire ou intermédiaire, destiné à éliminer la possibilité de contact entre le sodium primaire, radioactif, et l'eau du circuit eau/vapeur.
  • Mesures en sortie des générateurs de vapeur d'éventuelles traces de dihydrogène dans le sodium, produit par la réaction entre le sodium et l'eau qui aurait traversé les tubes du générateur de vapeur.

Pour limiter les conséquences d'inflammation au contact de l'air :

  • Surveillance systématique des risques de fissures sur les canalisations du circuit secondaire.
  • Détection de présence de sodium fuyard au contact des tuyauteries.

Aspects économiques

La filière s'est développée à l'origine dans le but de réduire le coût de production du combustible utilisé dans les centrales, en évitant l'étape de l'enrichissement de l'uranium, et parce qu'on craignait dans les années 60, une pénurie des réserves d'uranium. La justification économique du réacteur à neutrons rapides vient surtout de sa capacité à générer du plutonium en plus de l'énergie produite, ce plutonium pouvant ensuite être en partie recyclé dans du combustible MOX.

Cependant la rentabilité de la filière MOX issue de la surgénération a, par exemple, été contestée par l'académie des sciences des États-Unis. Elle a en effet estimé, en 1995[4], que celle-ci n'était pas rentable au prix du marché de l'uranium. Depuis 2001 la surgénération a d'ailleurs été arrêtée aux États-Unis[5],[6]. La filière MOX issue du retraitement du combustible usagé des centrales classiques est par contre en développement dans le même pays puisqu'un centre de production doit ouvrir en 2016 à Savannah River[7]. Une commission d'enquête du parlement français, sur les coûts du nucléaire a conclu en 2014, qu'elle avait une grande difficulté à évaluer l'intérêt économique du Mox par rapport au simple stockage des déchets, mais que dans le meilleur des cas « il ne revenait pas plus cher de stocker directement le combustible usé que de le retraiter »[8], la filière MOX impliquant des risques supérieurs[9].

En France, le réacteur à neutrons rapides a été conçu dans l'optique de développer une filière MOX, pour alimenter, d'une part certains réacteurs de la filière REP française qui ont été adaptés afin de pouvoir utiliser ce type de combustible (22 réacteurs sur 58 réacteurs en 2013)[10], ainsi que les centrales les plus récentes comme l'EPR qui par conception pourra aussi fonctionner potentiellement uniquement avec du combustible MOX[11]. Cependant, à ce jour et à titre de comparaison, le coût estimé du kWh qui sera produit par l'EPR est plus élevé que le prix d'achat actuel du kWh issu des parcs éoliens terrestres[12],[13].
La cour des comptes française, dans un rapport de 1997, évaluait que Superphénix avait coûté pour sa construction 9,1 milliard d'euros, soit 7,7 milliard d'euros de plus que ce qu'il avait rapporté lors de son fonctionnement de 1986 à 1996[14]. Par ailleurs, une thèse de 1998 estimait son fonctionnement comme structurellement déficitaire[15].

Les opposants aux surgénérateurs soulignent qu'il faut environ 20-30 ans pour arriver à doubler la quantité de plutonium initialement apportée à un réacteur à neutrons rapides (temps de doublement[16]). Compte tenu de la décroissance des réserves d'uranium à partir de 2025, en l'état actuel des gisements connus[17], il faudrait remplacer progressivement le parc de réacteurs à eau pressurisée par un parc de surgénérateurs, pour disposer d'assez de combustible plutonium. En effet, seulement 10 tonnes de plutonium sont produites chaque année par les centrales françaises de la filière traditionnelle[18]. La rentabilité à long terme apparait incertaine, en particulier à cause d'une technicité importante liée à la gestion de risques plus significatifs, que pour la filière traditionnelle. Ainsi, à titre d'exemple, le démantèlement de Superphénix est prévu à ce jour pour durer 31 ans[19].

Expérimentations mondiales

Au 31 décembre 2010, il n'existe, d'après l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qu'un seul réacteur à neutrons rapides qui soit connecté au réseau électrique : le réacteur russe BN-600 de 560 MW situé à la centrale nucléaire de Beloïarsk. Un autre réacteur à neutrons rapides est en arrêt à long terme depuis décembre 1995 : le réacteur Monju de la centrale nucléaire de Tsuruga au Japon. Les 7 autres réacteurs rapides construits aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et au Kazakhstan sont tous définitivement à l'arrêt[20].

Fin 2010, deux réacteurs à neutrons rapides sont en construction dans le monde :

Deux autres réacteurs à neutrons rapides de type BN-800 sont planifiés en Chine dans la ville de Sanming[20].

Ce type de réacteur nucléaire fait partie des filières examinées par le Forum international Generation IV dans le but de concevoir les réacteurs nucléaires futurs.

Russie

En Russie, le réacteur de 600 MWe BN-600 fonctionne depuis 1980 à la centrale nucléaire de Beloïarsk (Russie). Le réacteur BN-800 reprenant la même technologie, mais de puissance supérieure est en construction sur le même site[2].

  • BOR 60, refroidi au sodium, dont la durée de fonctionnement doit être prolongée jusqu’en 2015[2]
  • BN-600, RNR à caloporteur sodium de puissance (600 MWe), en fonctionnement à la centrale nucléaire de Beloïarsk (depuis 1980)
  • BN-800, RNR à caloporteur sodium de puissance (800 MWe), en construction sur le site de la centrale nucléaire de Beloïarsk (prévu pour 2014)[2]
  • BN-1200, projet d'un RNR à caloporteur sodium de grande puissance[2]
  • BREST, projet d'un RNR à caloporteur plomb de grande puissance

France

Superphénix

La France a construit plusieurs réacteurs à neutrons rapides dans la filière des réacteur rapide à caloporteur sodium :

  • Rapsodie, réacteur expérimental, en phase de démantèlement
  • Phénix, réacteur de démonstration. La production d'électricité a été arrêtée en septembre 2009, il a ensuite servi de laboratoire expérimental d'avril 2009 à janvier 2010, jusqu'à son arrêt définitif le 1er février 2010.
  • Superphénix, réacteur tête de série, arrêté définitivement en 1996 à la suite de divers incidents comme fuite de sodium liquide et d'une décision politique, en démantèlement.
  • EFR, projet européen de réacteur rapide à caloporteur sodium de type Superphénix.

ASTRID est le projet français actuel de nouveau prototype de réacteur rapide à caloporteur sodium de 4ème génération. Ce projet d'une puissance de 600 MWe et dont la mise en service pourrait débuter en 2020, est piloté par le CEA.

Japon

Allemagne

En Allemagne, un RNR fut construit en 1973 à Kalkar en Basse-Rhénanie. Après de nombreuses protestations, il ne fut pas mis en service comme prévu en 1987.

Italie

  • PEC, à Brasimone, abandonné en cours de construction (1990).

États-Unis

Kazakhstan

Bâtiment réacteur du BN-350
Unité de dessalement associée

Le réacteur BN-350 est situé à Aktaou (auparavant Shevchenko de 1964 à 1992), Kazakhstan, sur les rives de la mer Caspienne. Ce réacteur rapide surrégénérateur est mis en service en 1973 et arrêté en 1999. En plus de produire de l'électricité pour la ville voisine (150 MW), il produisait du plutonium (surgénération du combustible) et de l'eau potable par dessalement (120 000 m³/jour).

Inde

Royaume-Uni

Le site de Dounreay à l'extrême nord de l'Écosse a abrité deux prototypes de réacteurs à neutrons rapides :

  • DFR (Dounreay Fast Reactor) qui a divergé juste après en 1959. D'une puissance électrique de 14 MWe, ce réacteur a cessé de fonctionner en 1977. Il était refroidi par un alliage de sodium et de potassium liquide.
  • PFR (Prototype Fast Reactor) qui a divergé près de 20 ans plus tard en 1974 et fonctionné jusqu'en 1994. Ce réacteur était refroidi au sodium liquide et alimenté en combustible MOX

Le site de Dounreay appartient depuis 2004 au NDA. Son démantèlement est opéré par Dounreay Site Restauration Limited sous le contrôle de l'autorité de l'énergie atomique du Royaume-Uni (UKAEA). Son démantèlement fait partie de la priorité numéro deux du NDA, après le site de Sellafield.

Sur ce site se trouve également le DMTR (Dounreay Materials Test Reactor), un réacteur du type DIDO, qui a divergé pour la première fois en 1958. Son objectif premier était de faire des tests de comportement des matériaux sous haut flux d'irradiation neutronique. Il a été arrêté en 1969.

Chine

Le prototype chinois de 20 MWe été couplé au réseau le 21 juillet 2011.

  • Le CEFR (China Experimental Fast Reactor) prototype chinois de RNR construit par les russes OKBM Afrikantov, OKB Gidopress, Nikiet et l'institut Kurchatov a effectué sa première divergence le 21 juillet 2010[24]. Ce premier réacteur expérimental chinois à neutrons rapides de quatrième génération d’une puissance électrique de 20 MWe (65 MW thermiques) a été couplé au réseau le 21 juillet 2011[25], [26]

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. {WNA Nuclear Database
  2. a b c d e f et g Assemblée nationale & Sénat, OPECST, Rapport sur l'évaluation du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2010-2012 (19 janvier 2011), rapporteurs : Christian Bataille et Claude Birraux, PDF, 347 pages Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Opecst » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  3. [1]
  4. Institute for Energy and Environmental Research: le Plutonium
  5. "Nuklear Forum 2001"
  6. "Journal, La Recherche 2002"
  7. "Le Figaro 2011, La Filière Mox"
  8. [PDF] "Commission enquête, Assemblée nationale, juin 2014, pages:152/495"
  9. "Commission enquête, Assemblée nationale, juin 2014, p:154/495"
  10. "Journal le Monde, 30-05-2013"
  11. "Site du Sénat: Epr"
  12. "Energeia: Coût éolien terrestre versus EPR"
  13. "Commission enquête, Assemblée nationale, Juin 2014, p:41/495"
  14. "Enerzine, surégénération"
  15. "Superphenix en chiffres, thèse In2P3"
  16. "Introduction au génie nucléaire, p 222"
  17. "Site Futura24 : plutonium et pénurie d'uranium"
  18. "Sfe :Un combustible nucléaire redécouvert : le thorium"
  19. "Edf: la déconstruction de Superphenix"
  20. a b et c (en) Nuclear power reactor in the World, AIEA Reference Data Series n°2, 2011 Edition
  21. H. Hayafune, M. Konomura, Y. Tsujita, T. Nakamura, T. Iitsuka, N. Sawa, « Status of development of an integrated IHX/Pump Component », Proceedings of GLOBAL 2005 in Tsukuba, Japan, Oct 9-13, 2005
  22. A creditable performance at Kalpakkam - 19/10/2005
  23. Nuclear Power in India - WNA August 2011
  24. Criticality for China’s first fast reactor - Nuclear Engineering du 21 juillet 2010
  25. La Chine met en service un réacteur de quatrième génération - Le Point du 22 juillet 2011
  26. Le premier réacteur expérimental à neutrons rapides de la Chine commence à produire de l'énergie - Chine Nouvelle (Xinhua) du 21 juillet 2011