République du Djéguéme

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République du Djéguéme
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Localisation sur une carte du Sénégal
(Abbé Boilat, 1853).

La république du Djéguéme (ou Diéghem, Dieguem, Djegueme, Dyegueme, Gyegem, Jegem, Ndégèm, Ndhiaeghem, Ndiéghem, N'Diéghem, Njegem) est un petit État sérère de l'Afrique de l'Ouest précoloniale, situé à l'ouest de l'actuel Sénégal, dans l'arrière-pays de M'bour et Joal-Fadiouth, entre Fissel et Thiadiaye (région de Thiès).

Il s'est distingué des entités territoriales voisines, plus puissantes, par plusieurs spécificités. En particulier, son organisation n'étant pas fondée sur un État hiérarchisé, le Diéghem est connu sous l'appellation « république du Ndiéghem », notamment depuis que l'abbé Boilat lui a consacré une étude en 1853.

Le terme « Dieghem » (Jegem, ou l'une de ses variantes) reste employé — notamment par les médias — pour désigner le territoire autour de Thiadiaye, bien qu'il n'ait plus de statut spécifique.

Histoire[modifier | modifier le code]

Tombe de chef cérère (phot. Fortier, vers 1904).

De nombreux vestiges témoignent de l'occupation très ancienne de ce territoire, en particulier les tumuli de sable pré-sérères, qui ressemblent aux tombes ancestrales (lomb) encore construites par les Sérères. Pour le seul secteur de Tattaguine, du Diéghem et de l'ouest du Sine, 41 sites et 251 tumuli ont été comptabilisés[1].

Croyances[modifier | modifier le code]

Avant la colonisation, la population du Diéghem partageait les croyances religieuses sérères.

Beaucoup sont convertis au catholicisme par des missionnaires très actifs. Ainsi le père Riehl, futur évêque, qui se trouve alors à la mission de Ngazobil, fait une tournée dans le Ndiéghem à la fin de l'année 1875[2]. À partir de 1877, il se rend à Ndiandia — un village du Diéghem où de jeunes réfugiés du Saloum furent baptisés — deux fois par semaine et y installe un catéchiste[3]. L'année 1896, considérée comme un succès par les missionnaires, est marquée par le baptême de trois « anciens », dont Siga Diaga, un centenaire, grand chasseur du Dieghem[4].

Cependant, même si 15 % des Sérères du Sénégal ont adopté la foi catholique au XXe siècle, la plupart restent fidèles à leurs croyances traditionnelles[5].

Population et langue[modifier | modifier le code]

Dans le Dieguem. Cérères (phot. Fortier, vers 1904).

Un recensement, effectué en 1891 dans le cercle de Dakar-Thiès, comptabilise 5 706 personnes dans le Diegem. Un recensement des Provinces sérères du cercle de Thiès, datant probablement de 1895, avance le chiffre de 4 212 et le détaille par village[6].

On y parle le ndiéghem[7], une variété dialectale de la langue sérère.

En 1865, Faidherbe, auteur de plusieurs travaux sur les langues au Sénégal, publie une étude sur le kéguem, « parlé dans le Ndjiéguem, dans le Sine, dans le Saloum et d'une partie du Baol[8]. » En 1944, Léopold Sédar Senghor, alors professeur au lycée Marcelin-Berthelot, consacre à son tour une étude à cette langue[9].

Organisation politique[modifier | modifier le code]

Né en 1814 à Saint-Louis, d'un père français et d'une signare, formé en France, l'abbé Boilat se présente comme le premier à parler « de cette intéressante portion du peuple sérère qui s'honore de porter le nom de république de Ndiéghem, du nom de la forêt qu'elle habite », soulignant son esprit d'indépendance et de liberté et célébrant son courage. Contrairement aux pratiques en usage dans la région, elle-même victime des razzias du damel du Cayor et des exactions des guerriers Tiédos, la petite république est la seule à considérer l'esclavage comme un crime. En outre « ils ne veulent ni rois ni empereurs, seulement ils veulent se gouverner eux-mêmes par leurs vieillards, sans jamais consentir à se soumettre à aucune puissance étrangère[10]. »

L'originalité du régime politique du Diéghem est souvent soulignée et le terme « république » volontiers repris, quoique récusé dès 1909 par Léon d'Anfreville de la Salle, médecin-inspecteur au Sénégal :

« On ne donnait alors sans doute pas à ce mot, du moins sur la côte d'Afrique, le sens qu'il possède aujourd'hui. La république None qui s'étendait du cap Rouge au cap Naze, pas plus que celle, toute voisine, de N'dieghem, ou celle un [peu] plus éloignée des Lébous de Dakar, n'était une véritable république[11]. »

L'usage du terme vise principalement à distinguer le Diéghem des États voisins, fortement marqués par une structure sociale hiérarchisée[12], notamment les royaumes wolofs, en lui reconnaissant une « forte autonomie locale[13] », allant jusqu'à parler de « territoire autonome et anarchique[14] ». Cette « anarchie » sérère est considérée par Jean-Marc Gastellu comme découlant d'un phénomène premier, l'égalitarisme économique. Selon lui, l'autonomie politique des Sérères reposait sur une organisation économique à visage « égalitariste[15] ». En 1917, le Sénégalais Djiguy Kante observe déjà que les territoires longtemps décentralisés, tels le Jegem, ont davantage résisté à la pénétration de l'islam que le royaume du Sine où un pouvoir politique centralisé avait été instauré[16].

Lors de la colonisation, le Dieghem est intégré au Baol, mais cette intégration à l'intérieur d'une monarchie wolof ne fut, selon Made B. Diouf, qu'un « placage », la population conservant l'autonomie des anciennes structures liées à la terre, malgré la disparition des frontières politico-géographiques[17].

Culture[modifier | modifier le code]

La poterie, très présente chez les Sérères du Sénégal, a fait l'objet d'investigations au Ndiéghem[18] ; les productions céramiques sont reconnaissables à plusieurs caractéristiques. Par exemple, les potières y appliquent de la peinture rouge et blanche entre les motifs décoratifs exécutés au peigne (une boulette d'argile plantée de quatre épines[19]).

La forge au Cayor (wolof), au Sine et au Jegem a fait l'objet de travaux de recherche au début des années 1980. Les observations recueillies reflètent là encore les spécificités du Jegem. En effet, la forge sérère du Jegem n'a pas du tout les mêmes implications familiales que chez les Wolof. Elle ne concerne que le forgeron lui-même et une infime partie de l'un des deux lignages auxquels il appartient[20].

Iconographie coloniale[modifier | modifier le code]

Cérères du Dieguem – très farouches (phot. Fortier, vers 1904).

À l'occasion d'un voyage en 1904, le photographe François-Edmond Fortier consacre plusieurs cartes postales au Dieguem, dont deux intitulées « Cérères du Dieguem – très farouches », l'une sous-titrée « L'interprète du photographe leur présente pour les empêcher de fuir [des] feuilles de tabac dont ils sont très amateurs[21] », une autre « L'interprète du photographe a réussi à retenir deux femmes qui voulaient s'enfuir à son approche[22] ».

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Charles Becker, Vestiges historiques, témoins matériels du passé dans les pays sereer, Dakar, CNRS-ORSTOM, (lire en ligne), p. 3
  2. de Benoist 2008, p. 178.
  3. de Benoist 2008, p. 190-191.
  4. de Benoist 2008, p. 243.
  5. Gerti Hesseling (trad. du néerlandais de Belgique par Catherine Miginiac), Histoire politique du Sénégal : institutions, droit et société, Paris/Leiden, Karthala, , 437 p. (ISBN 2-86537-118-2, lire en ligne), p. 49
  6. Charles Becker, Victor Martin, Jean Schmitz, Monique Chastanet, Jean-François Maurel et Saliou Mbaye, Les premiers recensements au Sénégal et l’évolution démographique. Présentation de documents, Dakar, ORSTOM, (lire en ligne), p. 93
  7. Sidy Sissoko, Contribution à l'étude du changement culturel en milieu urbain sénégambien : 1860-1992. Étude de cas chez les Noon de la ville de Thiès (mémoire de DEA), Dakar, Université Cheikh Anta Diop, 1991-1992 (lire en ligne), p. 18
  8. Louis Faidherbe, « Étude sur la langue kéguem ou sérère-sine », dans Annuaire du Sénégal et dépendances pour l’année 1865, Saint-Louis, Imprimerie du Gouvernement, (lire en ligne), p. 173-242
  9. Léopold Sédar Senghor, « L'harmonie vocalique en sérère (dialecte du Dyéguème)  », Journal de la Société des Africanistes, t. XIV,‎ , p. 17-23 (lire en ligne)
  10. David Boilat, « République de Ndiéghem, Troisième République du Sénégal  », Esquisses sénégalaises, Paris, P. Bertrand,‎ , p. 89-91 (lire en ligne)
  11. Léon d'Anfreville de la Salle, Notre vieux Sénégal : son histoire, son état actuel, ce qu'il peut devenir, Paris, A. Challamel, (lire en ligne), p. 197
  12. Pathé Diagne, « Pouvoir politique traditionnel en Afrique occidentale. Essais sur les institutions politiques précoloniales », Présence Africaine, Paris,‎ , p. 21 et suiv. (lire en ligne)
  13. Jean-Marc Gastellu, L'égalitarisme économique des Serer du Sénégal, Paris, ORSTOM, , 808 p. (ISBN 2-7099-0591-4, lire en ligne), p. 301
  14. Diouf 1983, p. 25.
  15. Diouf 1983, p. 248.
  16. Diouf 1983, p. 250.
  17. Diouf 1983, p. 255.
  18. Moustapha Sall, La poterie en pays Sérère (Sénégal). Étude ethnographique des procédés de façonnage et des modes de distribution céramique au Mbadane, Dieghem et au Sine, Tervuren, Musée royal de l'Afrique centrale, coll. « Documents du Projet Céramiques et Sociétés » (no 4),
  19. Moustapha Sall, « Ethnicité, identité ethnique et travail de la poterie chez les Sereer du Sénégal », Nyame Akuma, no 52,‎ , p. 61 (lire en ligne)
  20. Diouf 1983, p. 29.
  21. (en) Anxo Fernández-Ocampo et Michaela Wolf, « Fig. 3.2 « Serer women from Dieguem » », dans Framing the Interpreter: Towards a visual perspective, Routledge, (ISBN 9781317598251)
  22. Daniela Moreau (trad. du portugais), Fortier, photographe de Conakry à Tombouctou : images de l'Afrique de l'Ouest en 1906, Milan, 5 continents, , 383 p. (ISBN 978-88-7439-809-6), p. 70-71

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Joseph Roger de Benoist, Histoire de l'Église catholique au Sénégal : du milieu du XVe siècle à l'aube du troisième millénaire, Paris, Karthala, , 581 p. (ISBN 978-2-84586-885-4 et 2-84586-885-5, lire en ligne)
  • David Boilat, « République de Ndiéghem, Troisième République du Sénégal », Esquisses sénégalaises, Paris, P. Bertrand,‎ , p. 89-91 (lire en ligne)
  • Pathé Diagne, « Pouvoir politique traditionnel en Afrique occidentale. Essais sur les institutions politiques précoloniales », Présence Africaine, Paris,‎ (lire en ligne)
  • Made B. Diouf, Forgerons Wolof du Kajoor : forgerons Serer du Siin et du Jegem : de l'époque précoloniale à nos jours (thèse de 3e cycle), Paris, ORSTOM, (lire en ligne)
  • Jean-Marc Gastellu, L'égalitarisme économique des Serer du Sénégal, Paris, ORSTOM, , 808 p. (ISBN 2-7099-0591-4, lire en ligne), p. 301
  • Victor Martin et Charles Becker, « Pays du Jegem  », Bulletin de l'IFAN, série B, vol. 41, no 1 « Lieux de culte et emplacements célèbres dans les pays sereer (Sénégal)  »,‎ , p. 162-166 (lire en ligne)
  • Achille Meissas et al., « Dieghem  », dans Dictionnaire de géographie ancienne et moderne contenant tout ce qu'il est important de connaître en géographie physique, politique, commerciale et industrielle, Paris, Hachette, (lire en ligne), p. 256
  • Adama Ndiaye, Le Bawol Occidental : Mbadaan, Sandok, Jegem, Joobas, du milieu du XIXe siècle à 1907 (mémoire de maîtrise), Dakar, Université Cheikh Anta Diop, , 90 p.
  • Roger Pasquier, Le Sénégal au milieu du XIXe siècle. La crise économique et sociale, t. 1, Université Paris Sorbonne (Paris IV), , 491 p. (lire en ligne)
  • Émile Pinet-Laprade, « Notice sur les Sérères  », dans Annuaire du Sénégal et dépendances pour l'année 1865, Saint-Louis, Imprimerie du Gouvernement, , p. 129-171
  • Jean-Baptiste Piolet (dir.), Les missions catholiques françaises au XIXe siècle, vol. 5, Paris, A. Colin, (lire en ligne), p. 132-134
  • Moustapha Sall, La poterie en pays Sérère (Sénégal). Étude ethnographique des procédés de façonnage et des modes de distribution céramique au Mbadane, Dieghem et au Sine, Tervuren, Musée royal de l'Afrique centrale, coll. « Documents du Projet Céramiques et Sociétés » (no 4),
  • Léopold Sédar Senghor, « L'harmonie vocalique en sérère (dialecte du Dyéguème) », Journal de la Société des Africanistes, t. XIV,‎ , p. 17-23 (lire en ligne)
  • Abdoulaye Sène, Le Jegem de la pénétration coloniale à 1920 : les mutations d’une société face au pouvoir colonial (maîtrise d’histoire), Université Cheikh Anta Diop, , 130 p.

Articles connexes[modifier | modifier le code]