Union réelle
Une union réelle est, en droit international public, l’union de deux États consistant non seulement dans l'unité du chef d'État, mais aussi dans l'existence d'organes communs[1].
Définition
[modifier | modifier le code]D’éminents auteurs, tel Georg Jellinek, n’ont vu dans l’union réelle qu’une variété de confédération d’États[2],[3]. Une union réelle se rapproche, en effet et à bien des égards, d’une confédération d’États[4]. D’une part, la création d’une union réelle résulte, comme celle d’une confédération d’États, d’un traité — ou de lois concordantes transposant un accord[5] — et non, contrairement à l’État fédéral, d’une constitution[3]. D’autre part, une union réelle, comme une confédération d’États, n’est pas un État, contrairement à un État fédéral[4], de sorte que les États membres d’une union réelle, comme les États confédérés, conservent leur souveraineté, contrairement aux États fédérés[6].
Mais l’union réelle se distingue de la confédération d’États : alors que celle-ci dispose d’au moins un organe propre, l’union réelle se caractérise par le fait que certains organes sont communs à ses États membres[3].[pas clair]
La distinction de l’union réelle et de l’union personnelle est plus délicate à établir. Deux définitions de l’union personnelle et de l’union réelle ont été proposées. Selon la première, il y a union réelle — et non plus union personnelle — dès lors que les États ainsi unis ont choisi d’avoir un chef d’État commun, c’est-à-dire dès lors que l’unité de chef d’État résulte d’un accord de volonté, tel un traité. Selon la seconde définition, il y a union réelle — et non plus union personnelle — lorsque les États ainsi unis ont, en sus d’un chef d’État commun, au moins un autre organe commun chargé de gérer des affaires communes[5]. Celles-ci comprennent, d’ordinaire, les affaires étrangères[5].
Exemples historiques
[modifier | modifier le code]Pologne-Lituanie (-)
[modifier | modifier le code]La Pologne-Lituanie ou république des Deux Nations, union réelle du royaume de Pologne et du grand-duché de Lituanie, est remarquable par sa durée, soit plus de 220 ans. Créée par le traité d’union signé à Lublin le [7],[8],[9], elle s’est maintenue jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Les deux États avaient en commun leur chef d’État et une diète[9]. Le chef d’État commun portait le titre de « roi de Pologne et grand-duc de Lituanie » et était élu par l’assemblée électorale de la noblesse des deux pays[7]. La diète bicamérale commune était composée d’un sénat et d’une chambre des députés et, à partir de , une session sur trois se tenait à Grodno, alors en Lituanie[7].
À la suite de Stanisław Kutrzeba[10], la majorité des auteurs considèrent que l’union réelle a pris fin avec l’entrée en vigueur de la constitution du qui lui aurait substitué un État unitaire[9]. Cette interprétation reste néanmoins discutée[10] et, pour certains auteurs, l’union réelle se serait maintenue jusqu’à l’abdication de Stanislas II Auguste, le , à la suite du troisième partage de la Pologne.
Saxe-Varsovie (-)
[modifier | modifier le code]Le duché de Varsovie, État créé en par le traité de Tilsit, est considéré comme ayant été en union réelle avec le royaume de Saxe[11].
Suède-Norvège (-)
[modifier | modifier le code]La Suède-Norvège, union réelle des royaumes de Suède et de Norvège, de à [12],[13].
Les deux États avaient en commun leur chef d’État et un ministère[14]. Le chef d’État commun portait le titre de « roi de Suède et de Norvège »[14]. Le ministère commun était celui des affaires étrangères[14].
Autriche-Hongrie (-)
[modifier | modifier le code]L’Autriche-Hongrie de à [15],[16],[17].
Les deux États avaient en commun leur chef d’État, trois ministères et un organe de contrôle[14]. Le chef d’État commun portait le titre d’« empereur d’Autriche et roi de Hongrie »[14]. Les trois ministères communs étaient celui des affaires étrangères, celui de la guerre et celui des finances communes[14]. L’organe de contrôle commun, dit Délégations, était composé de délégués des parlements respectifs des deux pays[14].
L’union réelle était complétée, jusqu’en , d’une union douanière[14].
Danemark-Islande (-)
[modifier | modifier le code]De à [18], le Royaume de Danemark et le Royaume d'Islande (devenu indépendant du Danemark en 1918, puis une république en 1944) avaient en commun leur chef d’État ainsi qu’une délégation spéciale composée de représentants des deux pays et chargées des affaires d’intérêt commun[19].
Emplois minoritaires
[modifier | modifier le code]Quelques auteurs ont employé l’expression « union réelle » pour souligner la prépondérance d’un État fédéré au sein d’un État fédéral. Par exemple, Robert Redslob a considéré que l’Empire allemand était en union réelle avec le royaume de Prusse[20]. Pour cet auteur, il en était ainsi parce qu’en vertu de la Constitution de l’Empire allemand du , le roi de Prusse était, de plein droit, président de la Fédération, avec le titre d'Empereur allemand[20].
Quelques autres auteurs ont employé l’expression « union réelle » pour qualifier la relation d’un État à son parti unique lorsqu’une personne exerçant une fonction au sein de ce parti unique exerce de plein droit la fonction étatique correspondante[21].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Informations lexicographiques et étymologiques de « union » (sens B, 1) dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 6 novembre 2016].
- Le Fur 1896, n. 1, p. 312.
- Le Fur 1896, n. 3, p. 323.
- Le Fur 1896, n. 3, p. 322.
- Chevallier 1931, p. 246.
- Le Fur 1896, n. 3, p. 322-323.
- Bardach 1994, p. 75.
- Commission polonaise des travaux préparatoires au Congrès de la Paix 1939, p. 185.
- Commission polonaise des travaux préparatoires au Congrès de la Paix 1939, p. 189.
- Bardach 1994, p. 79.
- Comité international des sciences historiques 1980, p. 251.
- Foignet 1926, p. 78.
- Le Fur 1896, n. 1, p. 312-313.
- Anzilotti 1929, p. 195.
- Foignet 1926, p. 77-78.
- Le Fur 1896, p. 312.
- Meriboute 1984, § 9.
- Meriboute 1984, § 7 et n. 12.
- Anzilotti 1929, p. 196.
- Redslob 1921, p. 30.
- Pelloux 1938.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- [Anzilotti 1929] Dionisio Anzilotti (trad. en français par Gilbert Gidel d’après la 3e édition italienne, revue et mise à jour par l’auteur), Cours de droit international, vol. 1er : Introduction. Théories générales, Paris, Sirey, , 1re éd., 1 vol., XII-534, in-8o (24 cm) (OCLC 489975546, BNF 31725309, SUDOC 021061203, lire en ligne [fac-similé]).
- [Bardach 1994] Juliusz Bardach, « Le principe fédéraliste et le principe unitaire dans la législation de la Diète polono-lituanienne de Quatre Ans (-) », Acta Poloniae Historica, t. 70, , p. 75-86 (lire en ligne [fac-similé], consulté le ) : L’article a été réédité dans Parlements, États et représentation, vol. 15, , p. 37-46 (DOI 10.1080/02606755.1995.9626968, (en) résumé).
- [Bérenger 2011] Jean Bérenger, L’Empire austro-hongrois : -, Paris, A. Colin, coll. « U / Histoire », , 2e éd. (1re éd. L’Autriche-Hongrie : -, Paris, A. Colin, coll. « Cursus / Histoire », ), 1 vol., 239, 24 cm (ISBN 978-2-200-24888-8, OCLC 758292900, BNF 42584214, SUDOC 152850244, présentation en ligne, lire en ligne), chap. 5 (« Vers le compromis austro-hongrois (-) »), sect. [5.4] (« Le compris austro-hongrois de »).
- [Chevallier 1931] Jean-Jacques Chevallier, « Avant la Conférence impériale de », Revue de droit international, t. VII, , p. 147-251 (lire en ligne [fac-similé], consulté le ).
- [Comité international des sciences historiques 1980] Comité international des sciences historiques, Rapports, t. I : Grands thèmes et méthodologie (actes du XVe Congrès international des sciences historiques, tenu à Bucarest du au ), Bucarest, Académie de la République socialiste de Roumanie (publié avec le concours de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), , 1 vol., 714-[1], 25 cm (OCLC 489677667, BNF 56309575, SUDOC 009439986, lire en ligne).
- [Commission polonaise des travaux préparatoires au Congrès de la Paix 1939] Commission polonaise des travaux préparatoires au Congrès de la Paix, « Les confins orientaux de la Pologne : mémoire sur la Lithuanie et la Ruthénie Blanche », Revue de droit international, t. XXIV, , p. 184-199 (lire en ligne [fac-similé], consulté le ).
- [Foignet 1895] René Foignet, Manuel élémentaire de droit constitutionnel à l’usage des étudiants en droit de première année, suivi d’un résumé en tableaux synoptiques et d’un recueil méthodique des principales questions d’examen, Paris, A. Rousseau, , 1re éd., 1 vol., 159, in-18 (BNF 30445614, lire en ligne [fac-similé]), 1re partie (« La forme de l’État »), b) (« Union réelle »), p. 6-7.
- [Foignet 1926] René Foignet, Manuel élémentaire de droit international public à l’usage des étudiants en droit et des candidats aux carrières diplomatique et consulaire, suivi d’un résumé en tableaux synoptiques et d’un recueil méthodique des principales questions d’examen, Paris, A. Rousseau, , 13e éd., 1 vol., 706-5-XXXV, in-16 (18 cm (BNF 32114573, SUDOC 219958904, lire en ligne [fac-similé]), chap. II (« Classification des États »), § 1 (« Des États selon leur composition »), b) (« Union réelle »), p. 77-78.
- [Le Fur 1896] Louis Le Fur, État fédéral et confédération d’États (thèse de doctorat en droit préparée sous la direction de Louis Renault et soutenue publiquement en à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université de Paris), Paris, Marchal et Billard, , 1re éd., 1 vol., XVII-839, in-8o (24 cm) (OCLC 491221739, BNF 30775433, SUDOC 054264227, lire en ligne [fac-similé]).
- [Pelloux 1938] Robert Pelloux, « L’évolution récente du parti national-socialiste allemand », Politique étrangère, vol. 3, no 2, , p. 128-143 (DOI 10.3406/polit.1938.5619, lire en ligne [fac-similé], consulté le ).
- [Redslob 1921] Robert Redslob, « Le régime politique de l’Alsace-Lorraine sous la domination allemande », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, t. XXXVIII, no 1, , p. 5-63 (lire en ligne [fac-similé], consulté le ).
- [Meriboute 1984] Zidane Meriboute (préf. de Philippe Cahier, av.-prop. d'Ahmed Mahiou), La codification de la succession d’États aux traités : décolonisation, sécession, unification, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Publications de l’Institut universitaire de hautes études internationales » (no 6), (réimpr. janvier 2015), 1re éd., 1 vol., 272, 24 cm (ISBN 2-13-038912-0, OCLC 708294250, BNF 34771226, DOI 10.4000/books.iheid.4223, SUDOC 000829048, lire en ligne), chap. III (« La dissolution d’États »), p. 207-217.
- [Pilotti 1928] Massimo Pilotti, « Les unions d’États », dans Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, t. 24, no 4/1928, Paris, Hachette, , 1re éd., 1 vol., [7]-586-[3], 24 cm (BNF 37574401, lire en ligne), p. 445-544.