Savart (musique)

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Le savart est une unité d'expression des intervalles musicaux, basée sur une échelle logarithmique par rapport à la fréquence d'un son musical (voir auss Logarithmes musicaux).

Dans la théorie des gammes et tempéraments, cette unité permet de calculer avec précision les intervalles propres à un système et de quantifier les différences entre eux. En ethnomusicologie, elle permet de mesurer les écarts de hauteur entre les notes enregistrées et un étalon de référence[1]. Le calcul des intervalles a aussi des applications concrètes dans le domaine de l'acoustique.

Le mathématicien Joseph Sauveur a défini au début du XVIIIe siècle une unité logarithmique sous le nom d'heptaméride, à partir du logarithme de base 10, dont la table de calcul était disponible. Le nom de savart a été donné plus tard en hommage à Félix Savart, médecin chirurgien, physicien et acousticien du XIXe siècle. Une octave vaut approximativement 301 savarts. Un douzième d'octave, c'est-à-dire un demi-ton au tempérament égal, vaut donc environ 25 savarts.

Le cent, une autre unité logarithmique musicale, est la plus courante aujourd'hui car elle est plus reliée à la théorie de la musique occidentale, sa valeur étant exactement le centième du demi-ton tempéré.

Généralités[modifier | modifier le code]

Depuis l'Antiquité et Pythagore, on a remarqué que les intervalles, dans le domaine musical, correspondent à des multiplications ou divisions, dans le domaine physique. Une octave en dessous ou au-dessus est une multiplication ou une division par deux de la longueur d'une corde vibrante ou d'un tuyau ; une quinte, une multiplication ou une division par un et demi, et de même pour les autres intervalles[2]. La fréquence de la vibration sonore est inversement proportionnelle à cette longueur et augmente donc avec la hauteur du son.

À chaque montée d'une octave la fréquence double et forme alors une suite géométrique de raison 2. En généralisant à des intervalles quelconques exprimés en nombre réel n d'octaves, les rapports de fréquence suivent la courbe d'une progression exponentielle de base 2 (2n). La fonction inverse pour revenir aux intervalles est le logarithme binaire qui transforme un produit (×2) en somme (+1). On peut toujours utiliser un autre logarithme musical de base a si l'unité de mesure des intervalles est différente de l'octave. En l'occurrence, la fonction inverse de l'exponentielle de base 10 est le logarithme décimal qui transforme un produit (×10) en somme (+1), et d'une manière générale n'importe quel rapport de fréquence en intervalle sur une échelle musicale. En multipliant ce résultat par mille on obtient une valeur exprimée en savarts.

L'intérêt de l'expression logarithmique des intervalles est qu'elle correspond à la perception musicale. Les musiciens ont tendance à penser qu'une tierce majeure plus une tierce mineure forment une quinte alors que, pour les grandeurs physiques, c'est le rapport de fréquence de la tierce majeure multiplié par le rapport de fréquence de la tierce mineure qui donne le rapport de fréquence de la quinte. Si les représentations logarithmiques des intervalles semblent à première vue compliquées, elles sont en réalité plus intuitives[3].

Le savart[modifier | modifier le code]

L'unité définie au tournant du XVIIIe siècle a pris en 1902 le nom de l'acousticien Félix Savart (1791-1841)[4]. Sa valeur est le millième du logarithme musical de 10 soit le millième d'1/log2 (≈3,32) octaves[a]. Son rapport de fréquence est la racine millième de 10 soit 101/1000. Ces deux définitions sont équivalentes.

L'intervalle en savarts entre deux fréquences est égal à mille fois le logarithme décimal de leur rapport[5].

La valeur en savarts de l'intervalle entre deux sons de fréquence fondamentale et est égale à :

Connaissant un intervalle musical exprimé en savarts, on retrouve le rapport des fréquences par :

Quand une note est à l'octave d'une autre, sa fréquence fondamentale est double. Le logarithme décimal de 2 est approximativement 0,301. L'octave correspond donc à environ 301 savarts.

On arrondit souvent le savart à 1/300 d'octave[6]. Un demi-ton équivaut ainsi à 25 savarts au lieu de 25 + 1/12.

L'intervalle de mille savarts a un rapport de fréquence égal à 10. Il est appelé décade et a une valeur de trois octaves plus une tierce majeure naturelle. En effet : 23 × 5/4 = 8 × 5/4 = 10.

Le plus petit intervalle perceptible par un auditeur attentif est proche d'un savart[7]. Le seuil de discrimination humain entre deux sons purs de fréquences proches varie selon les fréquences et le volume sonore, avec un minimum aux alentours de 1 500 Hz (sol5), où, pour des sujets entraînés et un niveau sonore moyen ou fort, il peut diminuer jusqu'à 0,25 %, soit environ 1 savart. Au-dessus du do3 (261 Hz), le seuil est toujours inférieur à 2 savarts ; mais plus bas, il augmente nettement, et pour le do-1 à 32,7 Hz[b], il est d'environ 10 savarts[8]. Mais les sons musicaux de fréquence inférieure à la moitié de celles de la plage de meilleure discrimination contiennent des partiels harmoniques dans cette région. Aussi, le plus petit intervalle décelable reste, pour ces sons, presque identique au minimum[9].

Équivalences[modifier | modifier le code]

Un savart vaut approximativement quatre centièmes de demi-ton au tempérament égal donc environ quatre cents. En effet une octave vaut log 2 × 1000 savarts et 1200 cents. Ainsi par proportionnalité un savart vaut en cents :

Le tableau suivant présente les équivalences pour les intervalles de la gamme majeure tempérée[10]. La racine douzième de 2 soit 21/12 est le rapport de fréquence pour le demi-ton tempéré, d'où les formules dans la deuxième colonne, 2n/12 étant le rapport de fréquence pour n demi-tons.

Valeurs des intervalles de la gamme tempérée.
Écarts en demi-tons Rapports de fréquences Valeurs en cents Valeurs en savarts
0 (unisson) 1 0 0
2 (seconde majeure) 22/12 ≈ 1,122 200 ≈ 50
4 (tierce majeure) 24/12 ≈ 1,260 400 ≈ 100
5 (quarte juste) 25/12 ≈ 1,335 500 ≈ 125
7 (quinte juste) 27/12 ≈ 1,498 700 ≈ 176
9 (sixte majeure) 29/12 ≈ 1,682 900 ≈ 226
11 (septième majeure) 211/12 ≈ 1,888 1100 ≈ 276
12 (octave) 2 1200 ≈ 301

Le tableau suivant permet de comparer les deux échelles de mesure (valeurs arrondies) pour la gamme naturelle de do majeur[11] (les valeurs de ces intervalles restent les mêmes quelle que soit la tonalité de la gamme[c]). Les chiffres entre parenthèse expriment en valeurs arrondies les écarts avec le tempérament égal. On voit que sans la décimale le savart est une échelle moins précise.

Valeurs des intervalles de la gamme naturelle[12],[13],[14].
Rapports de fréquences Valeurs en cents Valeurs en savarts
1 (unisson - do) 0 0
9/8 (seconde majeure - ré) ≈ 204 (+4) ≈ 51 (+1)
5/4 (tierce majeure - mi) ≈ 386 (-14) ≈ 97 (-3)
4/3 (quarte juste - fa) ≈ 498 (-2) ≈ 125 (0)
3/2 (quinte juste - sol) ≈ 702 (+2) ≈ 176 (0)
5/3 (sixte majeure - la) ≈ 884 (-16) ≈ 222 (-4)
15/8 (septième majeure - si) ≈ 1088 (-12) ≈ 273 (-3)
2 (octave - do) 1200 ≈ 301

On peut rajouter les valeurs des mêmes intervalles pour la gamme majeure de Pythagore. Seules la tierce majeure, la sixte majeure et la septième majeure changent par rapport à la gamme naturelle de Zarlino. La différence avec la gamme naturelle est toujours d'un comma syntonique pour ces trois intervalles.[15]

Valeurs des intervalles de la gamme de Pythagore
Rapports de fréquence Valeurs en cents Valeurs en savarts
tierce majeure 81/64 408 (+8) 102 (+2)
sixte majeure 27/16 906 (+6) 227 (+1)
septième majeure 243/128 1110 (+10) 278 (+2)

Histoire[modifier | modifier le code]

L'intérêt pour l'utilisation musicale des logarithmes est presque aussi ancien que les logarithmes eux-mêmes, inventés par John Napier en 1614[16]. Dès 1647, Juan Caramuel y Lobkowitz (1606-1682) décrit dans une lettre à Athanasius Kircher l'usage des logarithmes à base 2 en musique[17]. Dans cette base, l'octave vaut 1, le demi-ton 1/12, etc.

Joseph Sauveur a proposé dans ses Principes d'acoustique et de musique de 1701 l'utilisation des logarithmes à base dix, probablement parce que les tables en étaient disponibles ; il a utilisé des logarithmes calculés avec trois décimales. Le logarithme décimal de 2 vaut approximativement 0,301, que Sauveur propose de multiplier par 1000 pour obtenir des unités valant 1/301 d'octave. Comme 301 est le produit de deux nombres premiers, 43 et 7, il suggère de prendre des unités d'un quarante-troisième d'octave, qu'il appelle « mérides », divisées en 7 parties, les « heptamérides ». Sauveur a envisagé la possibilité de diviser chaque heptaméride en 10 « décamérides », mais il ne fait pas lui-même réellement usage de cette unité microscopique[18].

Le nom de « millisavart » a été donné en 1902 par A. Guillemin à cette unité logarithmique, l'heptaméride[19], qui prendra un peu plus tard le nom de savart[20]. Guillemin fait remarquer que cet intervalle correspond à une différence d'une vibration entre des diapasons à 435 et 434 Hz[d]. Pour la mesure d'une octave en savarts, Émile Leipp donne cinq chiffres significatifs : 301,03 savarts dans l'octave[21]. Cette valeur est souvent arrondie à 301 ou 300[22]. D'autres subdivisions basées sur le logarithme décimal avaient été proposées auparavant, notamment la division de l'octave en 30 103 parties (soit 100 000 fois le logarithme décimal de 2), appelée atom par le mathématicien anglais Auguste de Morgan (1806 - 1871) et jot par John Curwen (1816 - 1880) sur une suggestion de Hermann von Helmholtz. Des valeurs aussi petites par rapport au seuil de discrimination humain des fréquences acoustiques n'ont cependant aucun intérêt musical[e]. Au début du XIXe siècle Gaspard de Prony propose d'exprimer de façon décimale les intervalles en utilisant une graduation « analogue à la nature des quantités soumises au calcul », une échelle logarithmique à base , dans laquelle l'unité correspond à un demi-ton au tempérament égal[23]. Alexander John Ellis décrit en 1880 un nombre élevé de diapasons anciens qu'il avait relevés ou calculés. Notant que le baron de Prony avait proposé « le système qui mesure les intervalles en demi-tons égaux et fractions[f] », il indique l'intervalle en demi-tons avec deux décimales, c'est-à-dire avec une précision au centième de demi-ton, qui les sépare d'un diapason théorique dont la fréquence est l'arrondi aux 10 Hz inférieurs de celle du plus grave parmi ceux qu'il a étudiés, la3 = 370 Hz[25].

Lien entre rapports de fréquences et intervalles musicaux

Ellis publie en 1885 « On the Musical Scales of Various Nations » (Des échelles musicales de différentes nations ), dans lequel il compare les intervalles, exprimés en centièmes de demi-ton, d'échelles musicales décrites par diverses théories musicales non européennes[26]. La musicologie comparée, qui s'intitule ethnomusicologie depuis le milieu du XXe siècle, utilise largement cette unité à laquelle Ellis a donné le nom de cent.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Il s'agit d'un produit en croix ou plutôt du coefficient de proportionnalité pour transposer d'une base à une autre. Pour trouver la valeur en octaves de l'unité avec le logarithme décimal, on pose le tableau suivant : le rapport de fréquence égal à 2 correspond à log2 unité et à une octave, le rapport de fréquence égal à 10 correspond à une unité et donc à 1/log2 octaves.
  2. C1 dans la numérotation scientifique américaine des octaves (voir Scientific Pitch Notation).
  3. à condition de prendre en compte l'armure de la tonalité
  4. Mille fois le logarithme décimal du rapport 435/434 est égal à 0,999527 soit environ 1 savart. Guillemin a proposé cette fréquence de 435 Hz comme norme de référence pour le diapason. En 1919 c'est d'ailleurs cette valeur qui a été retenue lors d'une convention mais elle a été abandonnée en 1953 au profit du la 440.
  5. On trouvera une liste de valeurs de très petits intervalles logarithmiques sur le site Internet de la Fondation Huygens-Fokker, qui se consacre à l'étude des micro-intervalles et de leur usage.
  6. Ellis « n'a pas eu la possibilité de voir son travail sur les logarithmes acoustiques »[24].

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Etude du son d'un instrument traditionnel »
  2. Abromont et Montalembert 2001, p. 334.
  3. Ernest Ansermet, Les Fondements de la musique dans la conscience humaine.
  4. « Comptes rendus des séances de l'Académie des Sciences », ; Trésor de la langue française, article savart.
  5. Émile Leipp, Acoustique et musique : Données physiques et technologiques, problèmes de l'audition des sons musicaux, principes de fonctionnement et signification acoustique des principaux archétypes d'instruments de musique, les musiques expérimentales, l'acoustique des salles, Masson, , 4e éd., p. 16.
  6. (en) « Logarithmic Interval Measures », sur huygens-fokker.org.
  7. Claude-Henri Chouard, L'Oreille musicienne : Les Chemins de la musique de l'oreille au cerveau, Paris, Gallimard, , 348 p. (ISBN 2-07-076212-2), p. 92-93.
  8. Laurent Demany, « Perception de la hauteur tonale », dans Botte et al., Psychoacoustique et perception auditive, Paris, Tec & Doc, , p. 45.
  9. (en) Stanley Smith Stevens, Psychophysics, (lire en ligne), p. 164 sq..
  10. (en) C. Paret et M. Sibony, Musical Techniques. Frequencies and Harmonies, Londres, Wiley, , p. 72.
  11. Daniel Beaufils et Martine Grente, « À propos d'acoustique musicale : la question des gammes », Bulletin de l'union des physiciens, vol. 89, no 775,‎ , p. 1107-1122 (lire en ligne, consulté le )
  12. « Logarithmes musicaux »
  13. (en) Alexander Wood, « The Physics of Music »
  14. Bulletin de l'union des physiciens n°775, « A propos d'acoustique musicale : la question des gammes »
  15. On remarque que la différence avec la gamme naturelle est toujours égale au comme syntonique pour ces trois intervalles soit environ 21,5 cents et le coefficient du rapport de fréquence est de 81/80 soit 1,0125.
  16. Ernest William Hobson (1914), John Napier and the invention of logarithms, 1614, Cambridge, The University Press.
  17. Ramon Ceñal, « Juan Caramuel, su epistolario con Athanasio Kircher, S.J. », Revista de Filosofia XII/44, Madrid 1954, p. 134 sq.
  18. Joseph Sauveur, Principes d'acoustique et de musique ou Système général des intervalles des sons, Genève, Minkoff, , 68-[2] ; voir en ligne Mémoires de l'Académie royale des sciences, 1700, Acoustique ; 1701 Acoustique.
  19. Échelle universelle des mouvements périodiques, graduée en savarts et millisavarts, Note de M. A. Guillemin, présentée par M. J. Violle, séance du 28 avril 1902, Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l'académie des sciences, tome 134, 1902, p. 980-982. Note de A. Guillemin sur Gallica
  20. Souriau, « L'algorithme musical »
  21. Émile Leipp, Acoustique et musique : Données physiques et technologiques, problèmes de l'audition des sons musicaux, principes de fonctionnement et signification acoustique des principaux archétypes d'instruments de musique, les musiques expérimentales, l'acoustique des salles, Masson, 1989, 4e  éd., p. 16.
  22. (en) Alexander Wood (en), The Physics of Music, Londres, 1944, rééd. 2007, p. 53-54.
  23. Gaspard de Prony, Instruction élémentaire sur les moyens de calculer les intervalles musicaux : en prenant pour unités ou termes de comparaison, soit l'octave, soit le douzième d'octave, et en se servant de tables qui rendent ce calcul extrêmement prompt et facile : formules analytiques, pour calculer le logarithme acoustique d'un nombre donné et réciproquement, progressions harmoniques, Paris, (lire en ligne) indique que « la méthode et les procédés de calcul formant l'objet de la présente instruction ont déjà été indiqués dans ma Mécanique analytique (1815) ».
  24. Ellis 1880, p. 34.
  25. (en) Alexander John Ellis, « On the History of Musical Pitch », Journal of the Society of Arts,‎ , republié dans Studies in the History of Musical Pitch, Frits Knuf, Amsterdam, 1968, p. 11-62.
  26. (en) Alexander John Ellis, « On the musical scales of various nations », Journal of the Society of Arts, no 33,‎ , p. 485-527 (lire en ligne).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]