Aller au contenu

Histoire des Juifs du Mzab

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 7 mars 2021 à 07:22 et modifiée en dernier par Paul.schrepfer (discuter | contributions). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.
Juifs du Mzab
Description de cette image, également commentée ci-après
L'actuelle wilaya de Ghardaïa où est situé le Mzab

Populations importantes par région
Autres
Langues arabe, français
Religions Judaïsme
Ethnies liées Juifs

Les Juifs du Mzab sont une petite communauté juive d'Algérie originaire du Mzab, une région isolée située dans le Sahara et principalement peuplée de musulmans ibadites. Contrairement aux autres Juifs d'Algérie, ils ne bénéficient pas du décret Crémieux de 1870, le Mzab n'étant à cette époque que partiellement colonisé et conservent leur statut personnel jusqu'à la veille de l'indépendance algérienne. Tous ont émigré dans la seconde moitié du xxe siècle pour s'installer en France et, dans une moindre mesure, en Israël.

Histoire

Origines

Selon une tradition ibadite, les premières familles furent amenés à Ghardaïa sur une invitation des Mozabites par un ibadite de Djerba au XIIe siècle. Une tradition juive relate qu'ils seraient arrivés depuis le Caire à une époque plus ancienne[1]. Quoi qu'il en soit, la première attestation historique de la présence de Juifs dans le Mzab remonte à la seconde moitié du XVIIe siècle sous la forme de responsas émises par des rabbins d'Alger[1]. Nombre de juifs du Mzab revendiquent une origine espagnole antérieure à leur passage au Maroc (Figuig, Fès) ce qui semble corroboré par la similarité entre certaines de leurs traditions religieuses et celles des Juifs marocains[1]. Certains reconnaissent Mouchi Sobano d'Alger comme ancêtre éponyme[2]. d'autres se disent originaire de l'oued Righ et de Tripolitaine, d'autres encore de la région du Touat qu'ils auraient fui au XVe siècle à la suite d'un désastre. Cette dernière hypothèse s'appuie sur une tradition juive locale voulant que certaines familles prononcent à l'issue du séder (veillée pascale) la formule « l'an prochain à Tamentit » du nom d'une localité du Touat[1].

L'historien Jacques Taïeb estime que leur installation a lieu entre le XIIIe siècle et le XVe siècle[3].

Colonisation française

La région est conquise par l'armée française en 1852 mais la loi française ne s'y applique qu'à partir de 1882[4]. De ce fait, les Juifs du Mzab sont exclus du décret Crémieux qui octroie aux Juifs résidant dans les départements français d'Algérie la nationalité française en 1870 et ces Juifs vont ainsi être les seuls Juifs de l'Empire colonial français à conserver leur statut civil mosaïque jusqu'à une date très tardive, pratiquement jusqu'à l'indépendance de l'Algérie[4].

En effet, le , le conseil de préfecture d'Alger décide que « le décret du , qui a déclaré citoyens français les israélites indigènes des départements de l'Algérie, n'est pas applicable aux israélites nés dans le Mzab ou originaires de ce pays, établis sur le territoire algérien »[5],[6]. Dans un arrêt du , la cour d'appel d'Alger parvient à des conclusions similaires[7],[8]. Dans une circulaire du , le gouverneur général de l'Algérie, Jules Cambon, suggère aux juifs du Mzab d'accéder à la citoyenneté au moyen du sénatus-consulte du [9],[10]. Les 18-27 avril 1896, la Cour de cassation refuse de leur donner satisfaction[11]. Il semble que le fait que le statut n'ait pas été étendu à ces juifs après 1882 s'explique par le climat antisémite qui règne alors en Algérie française.

Après 1947, les autorités françaises commencent à évoquer la possibilité de leur octroyer la nationalité française. La première proposition en ce sens est discutée au sein de l'assemblée de l'Union française en 1953 et, en 1956 un projet de loi est débattu à l'Assemblée nationale[4]. Les Juifs du Mzab sont réticents à perdre leur statut en raison de leur volonté à maintenir leurs traditions. En revanche, la bureaucratie française est favorable à un tel changement, elle pointe le fait que ce statut spécifique maintient cette population en dehors du système judiciaire français. En particulier, concernant les droits de la femme, la polygamie est alors encore pratiquée par la communauté ainsi que le divorce sans consentement de l'épouse. Les femmes ne bénéficient d'aucun droit en matière de succession[4].

À la création d'Israël en 1948, 1 034 Juifs choisissent de faire leur Aliyah mais le reste de la communauté est confiant dans l'avenir, surtout à la suite de la découverte du pétrole de Hassi Messaoud en 1956 qui doit alors assurer la prospérité du Mzab[12].

La montée des violences durant la guerre d'Algérie qui s'accompagne de manifestations de haine antisémite[12] pousse la communauté à demander d'elle-même la nationalité française en dépit de l'opposition traditionaliste passée. Un projet de loi similaire à celui de 1956 est alors déposé et la loi 61-805 du 28 juillet 1961 fait d'eux des citoyens français[4],[13], tout comme les Juifs des oasis et des confins algéro-marocains annexés de à .

Ils insistent pour être évacués avant l'indépendance de l'Algérie fixée au mais craignent d'affronter les centaines de kilomètres de route les séparant d'Alger. Un pont aérien de dix appareils est alors mis en place pour évacuer les 978 derniers Juifs du Mzab vers Marseille[12]. Avant le départ, ils enterrent dans des tombes les textes religieux abimés comme le veut la tradition juive et se répartissent leurs 17 rouleaux de la torah dont certains très anciens.

Départ pour la France

Arrivée à Marseille dans un environnement qui lui est totalement étranger, la communauté est dispersée sur tout le territoire français. Environ 400 Juifs du Mzab choisissent de rejoindre leurs proches en Israël[12]. Les Juifs restés en métropole entament un difficile processus d'intégration. Il s'agit d'une population observante pour qui le respect de la loi juive, la halakha et notamment la cacherout est très important. Aussi trouvent-ils un lieu d'établissement propice à Strasbourg, capitale du judaïsme alsacien ashkénaze dotée d'un bon réseau de services communautaires[12]. Voici comment la presse locale alsacienne relate leur installation :

« Arrivés eux aussi un beau matin de juin par le train de 8h20, venant de Marseille, […] ils débarquèrent sur le quai. C'étaient des Balouka accompagnés des Partouche, du Attia, des Perez, grandes tribus familiales israélites qui vivaient à Ghardaïa, en plein désert. Ils arrivèrent en tenue traditionnelle, les femmes en haïks, robes bariolées de fleurs roses, bleues. Ils furent accueillis par la communauté juive, et tout spécialement par le grand rabbin Deutsch. Les enfants arrivèrent un vendredi, jour de sabbat. Très respectueux de leur religion, ils se rendirent de la gare à la synagogue à pied, sous une pluie battante. Mesdemoiselles Muller et Lévy organisèrent l'accueil, ce qui ne fut pas une mince affaire car ces gens ne vivaient absolument pas à la mode européenne. Le dépaysement était total. Ce fut un beau souk à la synagogue… où l'on prit fort bien la chose[12]. »

Peu à peu, aidés par la communauté locale, ils parviennent à s'intégrer professionnellement et socialement jusqu'à devenir un élément supplémentaire de cette communauté[12].

Démographie

Évolution démographique de la population juive du Mzab de 1882 à 1960
1882 1921 1931 1954 1960
7381 4001 3001 2001 000
(Source : Pessah Shinar, Réflexions sur la symbiose judéo-ibadite en Afrique du Nord, p. 83)

Entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, le Mzab connait une forte croissance démographique, ainsi le nombre de Mozabites ibadistes passe de 28 108 à 40 000 entre 1882, date de l'annexion du Mzab par la France et 1960. Durant cette période, beaucoup de migrants algériens arabophones sunnis viennent s'installer dans la région. Seulement 798 en 1882, ils sont 18 000 en 1960[1]. En revanche, la population juive, après avoir doublé de 1882 à 1921, connait un déclin démographique jusqu'à son départ final en 1962. Ceci s'explique par le nombre d'alyas ; 628 Juifs se rendent en Israël entre 1948, date de son indépendance et 1957. Il y a aussi un phénomène de migrations internes vers le Sud-algérien[1].

Notes et références

  1. a b c d e et f Pessah Shinar, Modern Islam in the Maghrib, JSAI, (ISBN 978-965-7258-02-6 et 965-7258-02-2, lire en ligne), p. 87-113(chapitre IX: Réflexions sur la symbiose judéo-ibadite en Afrique du Nord)
  2. Modern Islam in the Maghrib
  3. Jacques Taïeb, Sociétés juives du Maghreb moderne (1500-1900), éd. Maisonneuve & Larose, Paris, 2000, p. 160
  4. a b c d et e (en) Todd Shepard, The invention of decolonization : the Algerian War and the remaking of France, Ithaca (N.Y.), Cornell University Press, , 288 p. (ISBN 0-8014-4360-1, lire en ligne), p. 242-247
  5. Renucci 2010, p. 38 et n. 58.
  6. Renucci 2013, p. 110 et n. 45.
  7. Renucci 2010, p. 38 et n. 59.
  8. Renucci 2013, p. 110 et n. 46.
  9. Renucci 2010, p. 38 et n. 60.
  10. Renucci 2013, p. 110 et n. 47.
  11. Renucci 2013, p. 110.
  12. a b c d e f et g Charles Kleinkenecht, L'exode des Juifs du M'Zab sur le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine
  13. Loi n. 61-805 du 28 juillet 1961 relative à la constitution de l'état civil des Français des départements algériens et des départements des Oasis et de la Saoura qui ont conservé leur statut personnel israélite et à leur accession au statut civil de droit commun

Voir aussi

Bibliographie

  • [Kleinknecht] Charles Kleinknecht, « L'exode des Juifs du M'zab », sur Judaïsme d'Alsace et de Lorraine
    Extrait de Charles Kleinknecht, L'exode des Juifs du M'zab : contribution à l'étude d'une communauté saharienne dispersée par le vent de l'Histoire en .
  • [Raphaël 1979] Freddy Raphaël, « Nostalgie de la fête chez les Juifs du M'zab (Sud algérien) réfugiés en Alsace », Revue des sciences sociales de la France de l'Est, no 8 : « Fêtes et traditions populaires en Alsace »,‎ , p. 166-184 (lire en ligne [fac-similé], consulté le ).
  • [Renucci 2010] Florence Renucci, « Le débat sur le statut des israélites en Algérie et ses acteurs (1870-1943) », dans Contributions du séminaire sur les administrations coloniales (2009-2010), Paris, Publications de l'Institut d'histoire du temps présent, (lire en ligne), p. 31-49 [fac-similé].
  • [Renucci 2013] Florence Renucci, « Les juifs d'Algérie et la citoyenneté (1870-1902) : les enjeux d'un statut contesté », dans Bérengère Piret, Charlotte Braillon, Laurence Montel et Pierre-Luc Plasman (dir.), Droit et justice en Afrique coloniale : traditions, productions et réformes (actes de la journée d'études qui s'est tenue à Bruxelles le ), Bruxelles, Publications de l'université Saint-Louis de Bruxelles, coll. « Travaux et recherches » (no 62), , 1re éd., 214 p., 23 cm (ISBN 2-8028-0216-X et 978-2-8028-0216-7, OCLC 919021949, BNF 43900348, présentation en ligne), p. 97-115 [fac-similé].
  • Pessah Shinar, Modern Islam in the Maghrib, JSAI, (ISBN 978-965-7258-02-6 et 965-7258-02-2, lire en ligne), chapitre IX: Réflexions sur la symbiose judéo-ibadite en Afrique du Nord.
  • [Abrevaya Stein 2014] (en) Sarah Abrevaya Stein, Saharan Jews and the fate of French Algeria [« (Les) Juifs sahariens et le destin de l'Algérie française »], Chicago, The University of Chicago press, , 1re éd., XV-261 p., 24 cm (ISBN 978-0-226-12360-8, 0-226-12360-X et 0-226-12374-X, OCLC 889419173, BNF 43837462, présentation en ligne).

Articles connexes

Liens externes