Œuvres de miséricorde
Les œuvres de miséricorde (du latin « misereo » (avoir pitié) et « cor » (cœur)[1],[2]) sont les actions bienfaisantes que chaque chrétien doit accomplir par amour pour Dieu et pour son prochain en s'efforçant de diminuer ses misères[3], constituant ainsi une application de la vertu théologale de charité. Quatorze œuvres de miséricorde sont recensées : sept qui relèvent du corps dites « corporelles », et sept qui relèvent de l'esprit dites « spirituelles ».
Les sept œuvres de miséricorde corporelle
[modifier | modifier le code]Les six premières œuvres de miséricorde corporelles sont énumérées par Jésus dans la Parabole de l'évangile sur le Jour du jugement (Mt. 25:34-40)[Note 1] : « Nourrir l'affamé, abreuver l'assoiffé, accueillir l'étranger, vêtir les malheureux, soigner les malades, et visiter les prisonniers ». La septième, « ensevelir les morts », apparut au cours du XIIe siècle et fut ratifié en 1220 par la collection canonique de Raymond de Peñafort[4].
Elles sont déjà présentes partiellement dans l'Ancien Testament dans le Livre d'Isaïe[Note 2].
La sixième, la visite aux prisonniers, est également indiquée dans l’Épître aux Hébreux[Note 3].
Les sept œuvres de miséricorde corporelle sont donc[5] :
- donner à manger aux affamés ;
- donner à boire à ceux qui ont soif ;
- vêtir ceux qui sont nus ;
- accueillir les pèlerins ;
- assister les malades ;
- visiter les prisonniers ;
- ensevelir les morts.
Plusieurs personnages bibliques illustrent les principales œuvres corporelles de miséricorde, notamment[6] :
- le prophète Abraham, accueillant les trois anges venus le visiter (livre de la Genèse) ;
- le prophète Elie, multipliant la farine et l'huile pour la veuve de Sarepta (livre des Rois) ;
- Tobie, ensevelissant un de ses compagnons de captivité (livre de Tobie) ;
- la parabole évangélique du Bon Samaritain.
Les sept œuvres de miséricorde spirituelle
[modifier | modifier le code]La tradition des œuvres de miséricorde spirituelle remontant aux écrits des Pères de l’Eglise et qui devient probablement définitive au cours du XIIe siècle[7]. Énumérées par Saint Thomas d'Aquin, elles sont au nombre de sept[5] :
- conseiller ceux qui sont dans le doute ;
- enseigner les ignorants ;
- avertir les pécheurs ;
- consoler les affligés ;
- pardonner les offenses ;
- supporter patiemment les personnes ennuyeuses ;
- prier Dieu pour les vivants et pour les morts.
Plusieurs personnages bibliques illustrent les principales œuvres spirituelles de miséricorde, notamment[6] :
- Judas Macchabée, priant pour les morts (2e Livre des Macchabées) ;
- saint Jean-Baptiste, instruisant les foules venues le voir, ou reprochant sa conduite au roi Hérode ;
- la résurrection du fils de la veuve de Naïm, précédée par l'échange consolateur entre Jésus-Christ et la veuve.
Mise en œuvre
[modifier | modifier le code]La miséricorde se diffuse au sein du christianisme à partir du XIIIe siècle. François d'Assise en est l'un des propagateurs. L'interprétation qui en est donnée, à partir des Évangiles, comme sentiment et comme institution, date des dernières décennies du siècle précédent. On commence alors à appliquer cette notion non seulement aux pécheurs, mais aux pauvres, aux pèlerins, aux malades et aux prisonniers, et à considérer l'assistance apportées par les œuvres de miséricorde, comme un moyen d'entrer dans le royaume des Cieux.
Des associations et des institutions aux noms divers (maison-Dieu, hospice, hôpital) se créent, rassemblant des fidèles volontaires, sous le signe de la fraternité et de la solidarité avec les déshérités.
Un nombre considérable d'hommes et de femmes s'y engagent pour tenter de remédier aux maux permanent de la société de l'époque. Des particuliers ou des autorités municipales fondent des hospices et des léproseries qui permettent d'y parvenir dans une certaine mesure, tout en offrant aux fidèles l'occasion d'un perfectionnement spirituel[8].
Caractère rédempteur des œuvres de miséricorde
[modifier | modifier le code]Amour du prochain - Les œuvres de miséricorde sont des applications pratiques du message laissé par Jésus-Christ lors de son séjour terrestre, que ce soit par son enseignement ou par ses miracles. Cette invitation à la charité a été reprise par saint Paul, les papes, les Pères de l'Eglise, et de nombreux saints et laïcs.
Réparation des péchés[9] - L'accomplissement d'œuvres de miséricorde, qui porte à compatir aux misères d'autrui et à les soulager, est de nature à réparer des fautes que l'on a commises, y compris si on ne les réalise pas individuellement. Dans le sacrement de pénitence, la satisfaction, appelée aussi pénitence, consiste à essayer de réparer le tort causé au péché : elle peut être par exemple une prière, une offrande, ou une œuvre de miséricorde.
Controverse - Certains courants de théologie catholique considéraient l'accomplissement des œuvres de miséricorde comme un moyen de réparer les fautes que l'on a commises. Cette doctrine dite des indulgences[1] a provoqué de nombreuses critiques, conduisant à la Réforme. Par exemple Luther critiquait cette possibilité de racheter ses fautes et de gagner son salut, notamment par des aumônes, considérant que le nombre et l'identité des élus sont déterminés depuis toujours, et qu'aucune œuvre ne saurait donner le salut à ceux auxquels il n'est pas destiné[Note 4]. Cette pratique des indulgences reste toutefois inscrite dans le Catéchisme de l'Eglise catholique[9], étroitement liées au sacrement de pénitence.
Les œuvres de miséricorde au centre du jubilé de la miséricorde en 2015
[modifier | modifier le code]À l'occasion du Jubilé de la Miséricorde lancé en 2015 par le pape François, notamment par la lettre apostolique Misericordia et misera, les œuvres de miséricorde furent remises au centre de la démarche jubilaire[10],[11] :
« J'ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine. La prédication de Jésus nous dresse le tableau de ces œuvres de miséricorde, pour que nous puissions comprendre si nous vivons, oui ou non, comme ses disciples. Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts »[12].
La sauvegarde de la création comme nouvelle œuvre de miséricorde ? Le , à l'occasion de la deuxième Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création, le pape François a proposé de considérer la « sauvegarde de la Création » comme une œuvre de miséricorde[13], évoquant la sauvegarde de la maison commune qui demande les « simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme […] et se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde meilleur » (Laudato si', no 230-231)[14].
Représentation
[modifier | modifier le code]Le peintre italien Le Caravage a illustré les œuvres de miséricorde dans une peinture célèbre[15].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Notes
- « Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; prenez possession du royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli ; j'étais nu, et vous m'avez vêtu; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus vers moi. Les justes lui répondront: Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim, et t'avons-nous donné à manger; ou avoir soif, et t'avons-nous donné à boire ? Quand t'avons-nous vu étranger, et t'avons-nous recueilli ; ou nu, et t'avons-nous vêtu ? Quand t'avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi? Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites ».
- « Voici le jeûne auquel je prends plaisir : Détache les chaînes de la méchanceté, Dénoue les liens de la servitude, Renvoie libres les opprimés, Et que l'on rompe toute espèce de joug. Partage ton pain avec celui qui a faim, Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile ; Si tu vois un homme nu, couvre-le, Et ne te détourne pas de ton semblable ».
- « Souvenez vous des prisonniers, comme si vous étiez aussi prisonniers; et de ceux qui sont maltraités, comme étant vous aussi dans un corps ».
- Voir les articles Sola gratia et Sola fide.
- Références
- Indulgence (catholicisme)#Indulgence partielle ou plénière
- (en) Frederick Percival Leverett, A New and Copious Lexicon of the Latin Language: Compiled Chiefly from the Magnum Totius Latinitatis Lexicon of Facciolati and Forcellini and the German Works of Scheller and Leunemann, J.H. Wilkins and R.B. Carter, 1004 p. (lire en ligne), page 540.
- Catéchisme de l’Église Catholique, p. 2447.
- Dominique Greiner, « Les œuvres de miséricorde en cinq questions », sur La Croix, .
- Pratiquer les œuvres de miséricorde.
- Catéchisme en images, Paris, Maison de la bonne presse - Bayard, , p. 139-141 (gravures n° 65 et 66)
- Conférence des évêques de France (CEF), « Qu’est-ce qu’une œuvre de miséricorde ? »,
- André Vauchez, François d'Assise, p. 55.
- Vatican, « Catéchisme de l'Église catholique »
- Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, « Jubilé de la miséricorde »
- S. de Villeneuve, « Qu'appelle-t-on les œuvres de miséricorde ? », sur La Croix, (consulté le ).
- Pape François, Bulle d'indiction Misericordiae Vultus no 15.
- « Le pape François fait de la sauvegarde de la création une œuvre de miséricorde », sur La Croix.
- Pape François, , Message pour la deuxième Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création, Usons de miséricorde envers notre maison commune.
- Narthex, art sacré, patrimoine, création (CEF), « Voir Dieu. Les Sept œuvres de miséricorde par Le Caravage »,
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (la) Jean-Paul II, Dives in misericordia [« Encyclique sur la miséricorde divine »], (lire en ligne).
- (de) Ralf van Bühren, « Die Werke der Barmherzigkeit in der Kunst des 12.–18. Jahrhunderts. Zum Wandel eines Bildmotivs vor dem Hintergrund neuzeitlicher Rhetorikrezeption », dans Studien zur Kunstgeschichte, vol. 115, Hildesheim / Zürich / New York, Verlag Georg Olms, (ISBN 3-487-10319-2).
- (la) Pape François, Misericordiae Vultus [« Bulle d'Indiction du Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde »], (lire en ligne).
- André Vauchez, François d'Assise, Fayard, , 548 p. (ISBN 978-2-213-61886-9).
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- « Qu'appelle-t-on les œuvres de miséricorde ? », sur La Croix Croire.
- « À l'occasion du Jubilé : Les 7 œuvres de Miséricorde par Brueghel le Jeune », sur Narthex.fr.