Monotrope sucepin

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Monotropa hypopitys

Le Monotrope sucepin (Monotropa hypopitys), est une espèce de plante à fleurs de la famille des Éricacées. Présente dans les forêts eurasiennes et nord-américaines, cette plante non chlorophyllienne vit en symbiose parasitaire avec le mycélium des champignons du genre Tricholoma, par l'intermédiaire duquel elle exploite les produits de la photosynthèse des arbres associés aux champignons. Cette relation se nomme la mycohétérotrophie.

Taxonomie[modifier | modifier le code]

Cette espèce est décrite pour la première fois par le botaniste suédois Linné dans son Species plantarum de 1753[1]. Père de la nomenclature botanique, il la nomme Monotropa hypopithys selon sa méthode binomiale par allusion à la direction unique de ses fleurs : mono, du grec ancien « un seul » et tropa, « tour, sens » ; et en référence à sa biologie : hypo provenant également du grec ancien signifiant « sous » et pitys, de même origine, signifiant « Pin ». Étymologiquement, M. hypopithys ne devrait par conséquent pas porter de second « h ». Le British Museum conseille d'ailleurs de suivre cette logique[2]. Son lectotype, désigné a posteriori par Wallace est conservé à l'université d'Uppsala au sein de l'herbier de Joachim Burser (de).

La grande variablité de couleurs et de formes a mené à de très nombreuses descriptions. Dans la monographie la plus récente sur les monotropoïdes (1975), le botaniste américain Wallace choisit de synonymiser 84 noms post-linnéens valables, comprenant des espèces, des sous-espèces et des variétés proches de M. hypopithys publiées entre 1766 et 1969[3]. Dès lors, le genre Monotropa ne comporte plus que deux espèces M. hypopithys et M. uniflora. Mais les études phylogénétiques des années 2000[4],[5] et 2010[6] révèlent que M. hypopitys est plus étroitement apparenté à la nord-américaine Pityopus californicus, alors que M. uniflora semble être la sœur de la japonaise Monotropastrum humile. En effet, les premiers sont en symbiose exclusive avec les Tricholomes alors que les second le sont avec les Russules. Le genre Monotropa est par conséquent complètement démantelé et un ancien genre est remis au goût du jour : Hypopitys de Crantz datant de 1766[7]. Certaines taxonomies standards[8] utilisent désormais le nom Hypopitys monotropa pour désigner l'espèce. Afin de différencier le clade décrit par Linné des nord-américains et d'éviter le tautonyme Hypopithys hypopithys, Thomas Nuttall propose en 1818 Hypopitys europaea[6] ; nom repris par quelques références taxonomiques actuelles[9]. Malgré tout, la majorité perpétue encore le nom choisi par Linné.

Après de nombreuses vicissitudes, une seule sous-espèce distincte de la sous-espèce-type est aujourd'hui reconnue, la sous-espèce hypophegea. Cependant, il s'avère que M. hypopitys constitue un groupe polyphylétique, c'est-à-dire que des ancêtres différents sont à l'origine de ce groupe. De même, une étude de 2001 détecte un clade suédois, un clade eurasien et un clade nord-américain au sein de cette espèce ; ce qui pourrait indiquer l'existence d'un complexe d'espèces cryptiques[4]. Une autre étude de 2014 portant sur les formes d'Amérique du Nord montre qu'elles sont moléculairement distinctes des formes eurasiennes ; et qui, une fois délimitées, se traduisent par des distinctions spécifiques claires au niveau morphologique, géographique, phénologique et palynogique. À tout le moins, elle démontre l'existence 6 clades nord-américains différents[6].

Description[modifier | modifier le code]

Le Monotrope sucepin est une plante herbacée pérenne ne contenant pas de chlorophylle. Cette plante charnue peut atteindre une hauteur de 10 à 40 cm, avec une seule tige non ramifiée et poilue ; toutes les parties de la plante sont d'un blanc pâle jaunâtre parfois teinté de rougeâtre. Ses feuilles sont réduites à des écailles de 5 à 10 mm de long, qui recouvrent la plus grande partie de la tige[10],[11].

Ses fleurs sont pendantes, de 9 à 12 mm de long, réunies en grappes de 2 à 15 vers le sommet de la tige, toutes tournées du même côté. Les fleurs sont composées de quatre pétales, à l'exception de la fleur terminale qui en comporte généralement cinq[10],[11].

Les graines allongées sont très petites (0,1 mm de long) et sont formées en très grand nombre (plusieurs milliers par fleur). L'embryon, une fois formé, est très réduit et ne comporte que quatre cellules ; et enfin, l'endosperme ne comporte que neuf cellules[11].

Avant la floraison, il est possible de confondre cette espèce avec les orchidées Épipogon sans feuilles, à la tige plus grêle et Neottia nidus-avis[10],[11].

Phénologie[modifier | modifier le code]

À l'instar de leurs partenaires fongiques, les inflorescences du Monotrope sucepin apparaissent tard dans l'année, au plus tôt à partir de juin et jusqu'à début août, mais peuvent également s'étendre jusqu'en septembre. De nouvelles pousses, au développement plutôt rapide, sont continuellement formées, tandis que les plus anciennes portent déjà des fruits. Après la floraison, les hampes florales, qui sont maintenant droites, se lignifient. Elles survivent à l'hiver, et souvent, plantes desséchées de l'année précédente et plantes de l'année en cours, se retrouvent côte à côte. Les plantes qui fleurissent en été sont plutôt jaunes, tandis que celles qui fleurissent en automne sont plus souvent rougeâtres[10],[11].

La taille des populations peut fluctuer considérablement d'une année sur l'autre. Au cours d'une observation d'une durée de 11 ans sur une population finlandaise, le nombre d'individus varia d'un rapport de 1 à 100 d'une année sur l'autre[12]. L'espèce semble être sensible aux conditions climatiques sèches et chaudes, les inflorescences n'apparaissent alors qu'en petit nombre et peuvent même être absentes. À contrario, les années humides, elles se développent bien et de nouvelles stations peuvent parfois apparaître[11].

Sous-espèces[modifier | modifier le code]

  • Monotropa hypopitys subsp. hypopitys (L., 1753)[13] ; le Monotrope sucepin type. Il diffère de la sous-espèce hypophegea par une pilosité du style et de l'ovaire, des fleurs à poils doux à l'intérieur, une forme ovale de l'ovaire et du fruit, une inflorescence composée de 10 à 15 fleurs, et par une accointance avec les conifères[10].
  • Monotropa hypopitys subsp. hypophegea (WALLR.) HOLMOBOE 1922[14] ; le « Monotrope du hêtre ». Il se distingue de la sous-espèce monotropa par un style et un ovaire glabres, des fleurs sans poils à l'intérieur, une forme arrondie de l'ovaire et du fruit, une inflorescence composée de 3 à 6 (voire 10) fleurs et une répartition prédominante dans les forêts de feuillus, principalement les hêtres et particulièrement les hêtraies à Luzules[10].

Biologie[modifier | modifier le code]

Alimentation[modifier | modifier le code]

Contrairement aux plantes vertes autotrophes, le Monotrope sucepin ne contient pas de chlorophylle et n'utilise donc pas la photosynthèse afin d'assimiler lui-même les composés carbonés nécessaires à sa nutrition à partir de substances inorganiques. Il est myco-hétérotrophe, tirant son alimentation par symbiose parasitaire grâce aux champignons du genre Tricholoma. Plus spécifiquement, il s'agit de Tricholoma flavovirens, T. portentosum, T.saponaceum, T. sejunctum, et T. terreum, T. squarrulosum, T. columbetta et T. cingulatum. Ces champignons forment des ectomycorhizes autour des racines des arbres et des mycorhizes particulières appelées « monotropoïdes », avec les racines du Monotrope ; ces tissus conduisant ainsi les produits de la photosynthèse des arbres, la sève élaborée, vers le Monotrope. Son nom français « sucepin » est par conséquent tout à fait approprié. Ceci lui permet de vivre dans des conditions de très faible luminosité, dans les sous-bois de forêts denses[15],[16],[4],[17]

La mycohétérotrophie est une stratégie évolutive qui est apparu chez 60 espèces au sein de la famille des Éricacées[18], et chez 192 espèces au sein de la famille des Orchidées[19]. Chez ces dernières, par contre, le mycélium pénètre profondément dans les racines et y forme des haustoria, qui permettent un échange de substances beaucoup plus intensif que lors d'un contact externe dans le cas des monotropoïdes. Leur développement est par conséquent plus rapide[11].

Fécondation et dissémination[modifier | modifier le code]

Les fleurs produisant pollen et nectar attirent des insectes tels que les Bourdons et abeilles solitaires afin de permettre une pollinisation croisée. En outre, les fleurs sont probablement aussi capables d'autofécondation, comme le montre notamment la nouaison très élevée et presque toujours complète[11].

Une fois la fructification accomplie, la plante sèche sur pied et persiste jusqu'à l'année suivante. Ainsi, les très nombreuses graines extrêmement petites et légères ont du temps pour se dessiminer par le vent et le passage des animaux[11].

Développement germinatif[modifier | modifier le code]

À l'instar des Orchidées, les minuscules graines ne contiennent quasiment pas de substances de réserve, elles dépendent donc d'un champignon compatible immédiatement après la germination pour entourer le jeune germe, qui ne dépasse que légèrement du tégument de la graine, et pour lui fournir des nutriments. Ensuite, la racine commence à pousser et à se ramifie, sa croissance s'effectuant de manière purement souterraine, et ce, sur un temps relativement long. Lors d'une étude réalisée sur des spécimens en association avec des Saules rampants dans les dunes côtières du Pays de Galles, les premières pousses ne sont apparues qu'au bout de deux ans seulement[11].

Maladie cryptogamique[modifier | modifier le code]

Parasite de la relation mycorhizienne entre des Tricholomes et des arbres, le Monotrope sucepin est également l'objet de parasitisme de la part d'un champignon nommé Urocystis monotropae (Fr.) A.A. Fisch. Waldh. (1877)[20]. Inféodé à M. hypopitys, il provoque la maladie cryptogamique du charbon qui se caractérise par un épaississement de la base de la tige ou de la racine de façon noueuse sur 1 à 2 cm de large. À maturité, cette boursouflure se déchire et libère une masse noire de spores. Cette espèce, relativement mal connue, n'a pas été signalée depuis la fin du XIXe siècle[21],[22].

Biogéographie[modifier | modifier le code]

Écologie[modifier | modifier le code]

Il s'agit d'une espèce d'ombre voire de demi-ombre. Grâce à l'alimentation hétérotrophe, ses préférences édaphiques sont très larges : l'espèce se développe sur les sols secs à frais, au pH basique à acide, à litière plus ou moins épaisse et à humus plus ou moins inactif. Cependant, les stations optimales sont caractérisées par une humidité élevée. Ses besoins en chaleur sont également faibles, comme le montre sa distribution subalpine et au-delà du cercle arctique[10],[11].

Monotropa hypopitys colonise un large éventail d'habitats, des saulaies des dunes côtières aux forêts de conifères de montagne, même les biotopes les plus pauvres peuvent être colonisés. Ses habitats typiques sont les forêts humides et ombragées de feuillus et de conifères. Cette espèce se retrouve dans les hêtraies, hêtraies-chênaies, les pinèdes, les pessières, les sapinières et les mélèzins[10],[11].

Distribution[modifier | modifier le code]

Le Monotrope sucepin se rencontre au sein des régions tempérées de l'hémisphère nord, avec des lacunes dans les parties les plus sèches de ses continents. Il est largement répandue en Amérique du Nord, où il s'étend au sud jusqu'au Mexique et au Guatemala ; en Asie jusqu'à l'Himalaya, au nord de la Thaïlande et au Myanmar. En Europe, il se rencontre principalement dans la zone tempérée : vers le nord, il atteint le centre de la Scandinavie où le cercle polaire n'est franchi qu'occasionnellement. Au sud, il atteint la zone méditerranéenne avec l'Italie et la Grèce, où il se trouve principalement dans les montagnes[4],[11].

En France, le Monotrope sucepin est assez commun sur le territoire métropolitain excepté la Bretagne, le Sud-Ouest et la Corse. Il est y présent de l'étage collinéen à subalpin[10].

Usages[modifier | modifier le code]

Monotropa hypopitys est une plante pectorale qui fut utilisée contre la coqueluche[10].

Statut de protection[modifier | modifier le code]

En France, l'espèce figure sur la liste rouge des plantes du Nord-Pas-de-Calais.

Références[modifier | modifier le code]

  1. (la) Carl von Linné, Species plantarum, exhibentes plantas rite cognitas, ad genera relatas, cum Differentiis Specificis, Nominibus Trivialibus, Synonymis Selectis, Locis Natalibus, Secundum systema sexuale digestas., vol. 1, Holmia, Impensis Direct Laurentii Salvii, (lire en ligne)
  2. (en) Natural History Museum - Linnaean Typification Project, « Monotropa hypopitys », sur www.nhm.ac.uk (consulté le ).
  3. (en) Wallace, G.D, « Studies of the Monotropoidiae (Ericaceae): taxonomy and distribution », The Wassman Journal of Biology,‎ .
  4. a b c et d (en) M. I. Bidartondo et T. D. Bruns, « Extreme specificity in epiparasitic Monotropoideae (Ericaceae): widespread phylogenetic and geographical structure », Molecular Ecology, Wiley, vol. 10, no 9,‎ , p. 2285-2295 (DOI 10.1046/j.1365-294x.2001.01358.x, lire en ligne).
  5. (en) Hirokazu Tsukaya et al., « Taxonomic status of Monotropastrum humile, with special reference to M. humile var. glaberrimum (Ericaceae, Monotropoideae) », Journal of Plant Research, Springer Science and Business Media LLC, vol. 121, no 3,‎ , p. 271-278 (DOI 10.1007/s10265-008-0157-9).
  6. a b et c (en) Michael Brian Broe, Phylogenetics of the Monotropoideae (Ericaceae) with Special Focus on the Genus Hypopitys Hill, together with a Novel Approach to Phylogenetic Inference Using Lattice Theory (Thèse pour le diplôme de Docteur en Philosophie), Ohio State University, Evolution, Ecology and Organismal Biology., (lire en ligne).
  7. (la) Heinrich Johann Nepomuk von Crantz, Institutiones rei herbariae : juxta nutum natur naturae digestae ex habitu. (Tomus 2), Impensis Joannis Pauli Kraus., , 550 p. (lire en ligne).
  8. (en) P. F. Stevens et al., Ericaceae, Berlin, Springer, , 489 p. (ISBN 978-3-662-07257-8, DOI 10.1007/978-3-662-07257-8_19, lire en ligne).
  9. Tropicos.org. Missouri Botanical Garden., consulté le 27 avril 2020
  10. a b c d e f g h i et j Jean-Claude Rameau, Dominique Mansion et G. Dumé, Flore forestière française : guide écologique illustré, Forêt privée français, , 2421 p. (ISBN 978-2-904740-41-1 et 2904740414, lire en ligne).
  11. a b c d e f g h i j k l et m (en) J. R. Leake et al., « Symbiotic germination and development of the myco-heterotroph Monotropa hypopitys in nature and its requirement for locally distributed Tricholoma spp. », New Phytologist, Wiley, vol. 163, no 2,‎ , p. 405-423 (DOI 10.1111/j.1469-8137.2004.01115.x).
  12. (de) Niilo Söyrinki, « Über jährliche Schwankung im Blühen von Monotropa hypopitys (Monotropaceae) und einiger Orchideen in Finnland », Annales Botanici Fennici, Finnish Zoological and Botanical Publishing Board, vol. 22, no 3,‎ , p. 207-212 (lire en ligne).
  13. (fr) Référence INPN : Monotropa hypopitys hypopitys (L., 1753) (TAXREF)
  14. (fr) Référence INPN : Monotropa hypopitys hypophegea (Wallr.) Holmboe, 1922 (TAXREF)
  15. Jean Garbaye, La symbiose mycorhizienne : Une association entre les plantes et les champignons, Editions Quae, , 280 p. (ISBN 978-2-7592-1963-6 et 2759219631, lire en ligne).
  16. Martin J.F., « Sur la mycorhization de Monotropa hypopithys par quelques espèces du genre Tricholoma. », Bulletin de la société mycologique de France, vol. 101, no 3,‎ , p. 249–256.
  17. Fr. Kamienski, « Les organes végétatifs du Monotropa hypopitys », Mémoires de la Société nationale des sciences naturelles et mathématiques de Cherbourg, vol. 24,‎ , p. 5-46 (lire en ligne) ; (en) S. M. Berch, H. B. Massicotte et L. E. Tackaberry, « Re-publication of a translation of ‘The vegetative organs of Monotropa hypopitys L.’ published by F. Kamienski in 1882, with an update on Monotropa mycorrhizas », Mycorrhiza, Springer Science and Business Media LLC, vol. 15, no 5,‎ , p. 323-332 (DOI 10.1007/s00572-004-0334-1, lire en ligne).
  18. Stephan Imhof, « Éricaeae », sur Mycoheterotrophic Plants (consulté le ).
  19. Stephan Imhof, « Orchidaceae », sur Mycoheterotrophic Plants (consulté le ).
  20. Urocystis monotropae (Fr.) A.A. Fisch. Waldh. (1877) sur MycoBank (consulté le 28 avril 2020)
  21. (de) Friedemann Klenke et Markus Scholler, Pflanzenparasitische Kleinpilze, Springer Berlin Heidelberg, , 1172 p. (ISBN 978-3-662-46162-4, DOI 10.1007/978-3-662-46162-4, lire en ligne).
  22. Vanderweyen A & Fraiture A, « Catalogue des Ustilaginales s.l. de Belgique », Lejeunia, Revue de Botanique, vol. 93,‎ (lire en ligne).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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