Féminisation linguistique

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La féminisation linguistique est un procédé linguistique qui consiste à inclure le genre féminin dans le langage. Certains pays, dont la Suède[1], la Suisse[2] et l'Australie[3], ont officiellement épousé ce type de réforme linguistique. En France, l'Académie française, institution prestigieuse quoique sans pouvoir décisionnel, s'y est opposée.

Histoire

La deuxième vague féministe dans les années 1960 et 1970 a déclenché un certain activisme linguistique. Les défenseurs de ce mouvement se sont penchés sur la problématique de l'écriture, perçue comme discriminatoire et sexiste[4]. Des articles spécialisés ont révélé qu'il y avait un milieu masculin pour imposer une réglementation linguistique qui servait à favoriser le langage masculin à travers l'histoire[5],[6].

Plus récemment, la féminisation linguistique a reçu le soutien de certains pays, dont la Suède, la Suisse et l'Australie.

En suédois il n'y avait pas de mot non-sexualisé pour le sexe féminin alors que snopp était utilisé ainsi pour le sexe masculin depuis les années 1960. Dans les années 1990 les médias suédois ont fait remarquer l'absence d'un tel mot. Au début des années 2000 on a commencé à utiliser le mot snippa. Puisque le mot s'est popularisé, le dictionnaire de l’Académie suédoise le comprend depuis 2006. L'Association suédoise pour l'éducation sexuelle a encouragé l'usage du mot slidkrans pour remplacer mödomshinna, « hymen » (traduit littéralement, « membrane de virginité »). Le mot de remplacement se compose de deux parties : slid, « vaginale » et krans « couronne ». La volonté dans la formation de ce néologisme est d'effacer le lien existant entre l'hymen et la virginité[1]. En Suède, le pronom du genre neutre hen a connu une utilisation accrue pour désigner une personne de manière non sexuée ou pour désigner une personne non-binaire. Le dictionnaire de l'Académie suédoise comprend le pronom depuis 2015. Officiellement, le Conseil des langues de Suède a instauré une politique linguistique qui a comme but de minimiser le sexisme en suédois officiel.

En Suisse

Du fait de son multilinguisme, la Suisse n'a pas entamé de profond projet de féminisation linguistique. Les langues officielles du pays sont l'allemand, le français et l'italien. Afin de souligner cette difficulté face à la féminisation linguistique, le Bulletin suisse de linguistique appliquée a publié une édition spéciale sur la féminisation du langage en Suisse en 2000[7].

L'allemand est la langue la plus parlée en Suisse : en 2017, l'allemand (appelé également suisse-allemand) était parlé par 63,7 % de la population[8]. La structure de l'allemand est un frein à la féminisation linguistique : la plupart des mots, dont notamment les substantifs désignant des professions, sont masculins. Des activistes avancent l'idée que cet aspect linguistique a des répercussions sociétales sur les femmes : celles-ci seraient découragées à l'idée d'exercer certaines professions. Ce débat autour de la question de l'aspect linguistique revêt une importance particulière en Suisse. De fait, la prépondérance du genre masculin fut pendant un certain temps un argument justifiant l'interdiction aux femmes de voter ou de passer le barreau[9].

Le débat autour de l'écriture inclusive et de la féminisation de la langue a débuté dans les milieux universitaires dans les années 1980. Ces questionnements autour de la langue se sont ensuite développés dans la société dans les années 90. L'ouvrage de Luise F. Pusch, Das Deutsche als Männersprache (« La langue allemande comme langue masculine »), paru en 1984, symbolise l'éclosion du débat autour de la linguistique féministe[10].

La deuxième langue la plus parlée en Suisse est le français. Tout comme l'allemand, la structure du français repose sur des genres grammaticaux. Cela soulève donc des préoccupations similaires à celles citées ci-dessus. Pour répondre à ces inquiétudes, le gouvernement suisse a publié un guide sur « l'utilisation non-sexiste de la langue française » ; ce dernier n'a pas rencontré le succès souhaité. De fait, la Suisse a un impact moindre sur l'usage du français en général. L'Académie française, institution reconnue pour avoir de l'influence sur la langue française, prône rarement la féminisation de celle-ci[11]. En 2019, l'Académie française a tout de même décidé de faire entrer dans l'usage la féminisation des noms de métiers et de professions.

Théorie

L'objectif principal de la féminisation linguistique est « d'adapter la langue pour permettre aux femmes d'accéder à des fonctions de plus en plus diverses »[12]. Même dans les langues, comme l'anglais, qui ne se servent pas de genres grammaticaux, la féminisation linguistique est encore jugée nécessaire[13]. Par exemple, même si un titre d'une profession n'a pas de genre grammatical, le mot peut encore faire référence à un genre lexical comme on le voit dans le cas du mot anglais policeman (traduit littéralement, « police + homme »).

La supériorité du genre masculin sur le genre féminin est une problématique soulevée par cette réforme linguistique. Les exemples sont nombreux : il suffit de la présence d'un substantif masculin dans un énoncé pour que ce dernier soit accordé au masculin, et ce, peu importe le nombre de substantifs féminins se trouvant dans l'énoncé. L'origine de cette règle grammaticale date du XVIIe siècle et repose sur l'argument de la prépondérance du « genre le plus noble »[14]. Un autre exemple de la supériorité du genre masculin est l'utilisation du substantif « homme » pour désigner un être humain ou l'espèce humaine en général. Ces termes témoignent de la dominance de la masculinité sur la féminité[13].

Le langage entretient des stéréotypes sexistes et contribue à l'inégalité entre les hommes et les femmes[Selon qui ?]. L'exemple du rôles de genre[15] est assez éloquent[style à revoir]. Certaines expressions, comme « femme ingénieur », l'illustrerait. Ces exemples ne sont pas uniquement propres à la langue française. En anglais, on trouve des expressions telles que male nurse (infirmier) où l'on spécifie leur masculinité car le poste est plus fréquemment occupé par des femmes. La féminisation linguistique vise à éliminer ces expressions parce qu'elles contribueraient aux normes sexistes des rôles de genre.

Certains féministes contemporains, dont Sergio Bolaños Cuella, soutiennent qu'il faut renverser le statu quo et créer une forme féminine qui aurait une fonction générique[16].

Voir également

Articles connexes

Références

  1. a et b K. Milles, « Feminist Language Planning in Sweden », Current Issues in Language Planning, vol. 12, no 1,‎ , p. 21–33 (DOI 10.1080/14664208.2011.541388)
  2. (en) E. L. Wyss, « "Feminist" Language Change: Some Reflections on the Situation in Switzerland », Sprachspiegel, vol. 53, no 3,‎ , p. 85–92
  3. (en) Anne Pauwels, « Language planning, language reform and the sexes in Australia3 », Australian Review of Applied Linguistics,‎ (DOI 10.1075/aralss.10.02pau)
  4. (en) Anne Pauwels, « Linguistic Sexism and Feminist Linguistic Activism », The Handbook and Language of Gender,‎ (DOI 10.1002/9780470756942.ch24).
  5. (en) Dennis Baron, Grammar and Gender, New Haven, CT, Yale University Press, , 249 p. (ISBN 978-0-300-03883-5, lire en ligne).
  6. (en) Anne Bodine, « Androcentrism in prescriptive grammar: singular ‘they’, sex-indefinite ‘he’, and ‘he or she’ », Language in Society,‎ (DOI 10.1017/s0047404500004607).
  7. (en) Angelica Mucchi-Faina, « Visible or influential? Language reforms and gender (in)equality », Social Science Information, vol. 44,‎ , p. 10 (DOI 10.1177/0539018405050466).
  8. « La Suisse fédérale », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )
  9. Elizabeth Dawes, « La féminisation des titres et fonctions dans la Francophonie », Langue et culture,‎ , p. 195–213 (ISSN 1708-0401, lire en ligne)
  10. Quartier Libre, « L’expression du genre en allemand », sur Quartier Libre (consulté le )
  11. (en) Suzanne Fleischman, « The Battle of Feminism and Bon Usage : Instituting Nonsexist Usage in French », The French Review, vol. 70, no 6,‎ , p. 834–844 (JSTOR 398544)
  12. « La circulaire relative la féminisation des noms de métier paraît au Journal Officiel » (consulté le )
  13. a et b (en) Jennifer Saul et Esa Diaz-Leon, The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Metaphysics Research Lab, Stanford University, (lire en ligne)
  14. « Le masculin l'emporte sur le féminin - 1882 - 8mars.info », sur 8mars.info (consulté le )
  15. (en) Eric E. Peterson, « Nonsexist Language Reform and "Political Correctness" », Women and Language, vol. 17, no 2,‎ (lire en ligne)
  16. (en) Sergio Bolaños Cuéllar, « Women's language: a struggle to overcome inequality », Forma y Función,‎ (lire en ligne)