Harmonices Mundi
Harmonices Mundi | |
Auteur | Johannes Kepler |
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Genre | traité |
Version originale | |
Langue | latin |
Titre | Joannis Keppleri Harmonices mundi libri V |
Lieu de parution | Linz |
Date de parution | 1619 |
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Harmonices Mundi (L'Harmonie du monde) est un traité d'astronomie rédigé en latin par le physicien, astronome/astrologue, mathématicien, musicien et théologien allemand Johannes Kepler. L'œuvre est publiée en 1619 à Linz. Dans cet ouvrage, l'astronome exprime, en termes musicaux, ses convictions concernant les connexions entre le physique et le spirituel, justifiées par des observations et calculs; l'univers est une image de Dieu, l'harmonie de la musique réflète celle de l'univers et de son créateur[1],[2],[3].
Historique
On estime que Kepler commença à travailler sur Harmonices mundi aux alentours de 1599, l’année où il envoya une lettre à son maître Michael Maestlin exposant dans le détail les données et les preuves mathématiques qu'il avait l'intention d'utiliser pour son texte qu’il avait prévu d’intituler De harmonia mundi. Kepler était bien conscient que le contenu de son Harmonices Mundi était proche de celui de l’Harmonica de Ptolémée, mais ne s’en inquiètait pas car la nouvelle astronomie qu'il utiliserait, notamment l’incorporation des orbites elliptiques dans le système copernicien, lui permettrait d'explorer de nouveaux théorèmes. Un autre développement important qui lui permit d'établir ses relations « célestes-harmoniques », fut l'abandon de l'accord pythagoricien comme base de la consonance musicale et l'adoption de rapports musicaux géométriques, ce qui finalement lui permit de relier la consonance musicale et les vitesses angulaires des planètes. Ainsi Kepler put déduire que ces relations témoignaient en faveur d’un Dieu agissant en grand architecte, plutôt qu’en numérologue pythagoricien[4].
Le concept d'harmonies musicales existant intrinsèquement au sein des espacements entre les planètes existait déjà dans la philosophie médiévale avant Kepler. Musica Universalis était une métaphore philosophique traditionnelle enseignée dans le quadrivium et souvent désignée par l’expression « musique des sphères ». Kepler avait été intrigué par cette idée alors qu'il cherchait une explication à la disposition rationnelle des corps célestes. Il est à noter que lorsque Kepler utilise le terme « harmonie », il ne fait pas strictement référence à la définition musicale, mais plutôt, à une définition plus large englobant la conformité entre la Nature et les rouages des corps célestes et terrestres. Il note que l'harmonie musicale est une production de l'homme, dérivée d'angles, en contraste avec l’harmonie qu'il décrit comme un phénomène agissant sur l'âme humaine. Cela lui permet, à son tour de soutenir que la Terre a une âme, puisqu’elle est soumise à l’harmonie des astres[5],[6].
Contenu
Kepler divise l’ouvrage l'Harmonie du monde en cinq longs chapitres : le premier concerne les polygones réguliers ; le second la congruence des figures ; le troisième l'origine des proportions harmoniques en musique ; le quatrième les configurations harmoniques dans l'astrologie; et le cinquième l'harmonie des mouvements des planètes.
Les chapitres 1 et 2 de l’Harmonie du monde contiennent l'essentiel des contributions de Kepler concernant les polyèdres, (aujourd'hui considérées historiques dans l'histoire de la science). Il s'intéresse principalement à la façon dont les polygones, qu'il définit comme réguliers ou semi-réguliers, peuvent être assemblés autour d'un point central pour former une congruence. Son principal objectif était de parvenir à classer les polygones en fonction de la mesure de leur « sociabilité », ou plutôt, de leur capacité à former une congruence partielle lorsque combinés avec d'autres polygones. Il revient à ce concept plus tard dans Harmonices mundi en relation avec des explications astronomiques. Dans le deuxième chapitre, on trouve la première compréhension mathématique des deux types de polyèdres étoilés ordinaires : le petit dodécaèdre étoilé et le grand dodécaèdre étoilé, lesquels seront plus tard appelés les solides de Kepler. Il décrit les polyèdres par leurs faces, ce qui est semblable au modèle utilisé dans le Timée de Platon pour décrire la formation des solides à partir de triangles de base.
Alors que les philosophes médiévaux parlaient métaphoriquement de la « musique des sphères », Kepler a découvert des harmonies physiques dans les mouvements des planètes. Il a constaté que la différence entre les vitesses angulaires maximales et minimales d'une planète sur son orbite se rapproche d’une proportion harmonique. Par exemple, la vitesse angulaire maximale de la Terre telle qu'elle est mesurée à partir du Soleil varie d'un demi-ton (un ratio de 16:15), de mi à fa, entre aphélie et périhélie. Vénus ne varie que d’un infime intervalle de 25:24 (dièse sur le plan musical). Kepler explique ainsi la raison de la gamme harmonique resserrée de la Terre :
« La Terre chante Mi, Fa, Mi : on peut même déduire de ces syllabes que sur notre terre la MIsère et la FAmine règnent ».
Le chœur céleste que Kepler forme est composé d'un ténor (Mars), deux basses (Saturne et Jupiter), une soprano (Mercure), et deux altos (Vénus et la Terre). Mercure, avec sa grande orbite elliptique, peut être en mesure de produire le plus grand nombre de notes, tandis que Vénus n’est capable d’émettre qu’une seule note, son orbite étant presque un cercle[7].
À intervalles très rares toutes les planètes chantaient ensemble dans un « accord parfait » : Kepler avance que ce n'est peut-être arrivé qu’une seule fois dans l'histoire, au moment de la création. Kepler nous rappelle que l'ordre harmonique est seulement imité par l'homme, mais qu’il prend son origine dans l'alignement des corps célestes :
« En conséquence, on ne s’étonnera plus qu’une organisation des sons et d’un système musical d’excellence ait été mis en place par les hommes, puisqu'ils ne font rien d’autre que singer Dieu le Créateur et reproduisent comme sur un théâtre la coordination des mouvements célestes. » (Harmonices Mundi, Livre V).
Kepler découvre que tous les rapports des vitesses maximales et minimales des planètes sur les orbites voisines approchent les harmonies musicales avec une marge d'erreur de moins d'un dièse (un intervalle de 25:24). Les orbites de Mars et Jupiter sont seules à faire exception à cette règle, avec un rapport disharmonique de 18:19. En fait, la cause de la dissonance de Kepler pourrait s'expliquer par le fait que ces deux orbites sont séparées par une ceinture d'astéroïdes découverte en 1801, 150 ans après la mort de Kepler.
Le précédent ouvrage de Kepler Astronomia nova raconte la découverte des deux premiers principes que nous connaissons aujourd'hui en tant que lois de Kepler. La troisième loi, qui montre une constante de proportionnalité entre le cube du demi-grand axe de l'orbite d'une planète et le carré du temps de sa période orbitale, est exposée dans le chapitre 5 de ce livre, à la suite d'une longue digression sur l'astrologie.
Allusions dans la musique contemporaine
Si une partie du contenu de «naturphilosophie» de cet ouvrage est discréditée depuis longtemps, Harmonices Mundi constitue cependant un maillon dans la philosophie de la Renaissance qui cherchait des correspondances symboliques entre la Nature et la Science, et aujourd'hui la musique des sphères réapparait[8], traduite sous forme acoustique dans un petit nombre de compositions qui font référence aux concepts d'Harmonices Mundi ou reposent sur ces derniers, parmi lesquelles :
- Mike Oldfield (musicien et compositeur anglais, né en 1953) : Music of the Spheres, album de 2008, chez Mercury Records ;
- Joep Franssens (compositeur néerlandais, né en 1955) : Harmony of the Spheres, cycle en cinq mouvements pour chœur mixte et orchestre à cordes, composé en 2001[9] ;
- Antoni Schonken (compositeur sud-africain, né en 1987) : Harmony of the Spheres, composition pour orchestre de chambre, réalisée en 2014 ;
- Philip Glass, compositeur américain : Képler, opéra composé en 2009 en hommage à Johannes Kepler et commandé par Linz, la ville d'adoption du savant.
Pour aller plus loin
Si l'Astronomie est l'une des plus anciennes sciences de l'Humanité, c'est qu'elle est née de ses toutes premières interrogations et des réponses - liées à la mythologie et religion - qu'elle a tenté de leur donner, sitôt qu'elle a levé les yeux au ciel. Ce rôle lui confère le statut d'Art libéral, tout comme la Grammaire, la Rhétorique, la Logique, l'Arithmétique, La Géométrie... et la Musique. La Renaissance occidentale, dans le mélange qu'elle fait entre le retour aux idées des Anciens et les connaissances modernes qu'elle amorce, a entretenu la musique des sphères ; rechercher l'harmonie du Monde et vouloir attacher des notes aux planètes du système solaire est en fait une constante dans l'histoire de nombreuses civilisations.
Les origines
Depuis la plus haute Antiquité, les hommes se sont rendu compte que le décor des étoiles fixes revenait identique à lui-même à chaque saison, chaque année, mais aussi que des points lumineux se déplaçaient devant les étoiles au cours du temps. Ils appelèrent ces points lumineux « planètes » (des astres « errants »). Ces planètes ne se déplacent pas n’importe où, mais toujours dans la même bande du ciel dans laquelle les Anciens projetèrent des animaux et des personnages mythologiques. Ce bestiaire céleste est appelé le « Zodiaque », une bande de 18° de latitude de largeur qui correspond en Astronomie à 13 constellations : le Bélier, le Taureau, le Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau, les Poissons et Ophiuchus (le Petit Serpent). Ce zodiaque sidéral est différent du zodiaque tropical utilisé en Astrologie. C’est durant les périodes grecques allant à peu près du VIe au IIIe siècle av. J.-C. (que l’on appelle « deuxième et troisième Caltastases ») qu’une première assimilation des notes aux planètes est faite.
Selon Aristote et Aristoxène, le Soleil et la Lune doivent être placés sur les 2 piliers extérieurs de la Tétractys. Ces 2 piliers étant immuables d’après la tradition grecque. La Tétractys appelée aussi Tétracorde ou de Quatre s’obtient à partir des lois acoustiques attribuées à Pythagore (VIe siècle av. J.-C.). Elle est basée sur plusieurs arrangements possibles des quatre sons obtenus à partir d’une corde sachant que :
- Si une corde de longueur X donne un Do, une corde plus courte de moitié donnera le Do supérieur c’est-à-dire l’octave supérieure et inversement ;
- Une corde sonnant aux trois quarts de sa longueur donnera la quarte, c’est-à-dire le Fa ;
- Une corde sonnant aux deux tiers de sa longueur donnera la quinte, c’est-à-dire le Sol.
Telles sont les divisions fondamentales et incontournables de la division sonore. Munis de ces rapports de quarte et de quinte, on peut déterminer l’intervalle de seconde, c’est-à-dire le ton, une seconde étant un intervalle de ton correspondant à l'actuel ton diatonique. Dans les premières gammes qui nous sont parvenues, les Grecs positionnent les correspondances planétaires selon ce tableau, où les planètes sont positionnées en fonction de leur vitesse de déplacement vues depuis la Terre, puisque nous sommes ici dans le système géocentrique faisant autorité à l'époque.
Ré | Do | Si♭ | La | Sol | Fa | Mi |
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Lune | Mercure | Vénus | Soleil | Mars | Jupiter | Saturne |
La musique des sphères de l'Antiquité au Moyen Âge
Pythagore est probablement le premier à associer étroitement la musique et l'astronomie. Son intérêt pour la musique le pousse à définir la gamme qui porte son nom suivant deux principes : il n'existe que sept intervalles entre les notes d'une gamme et la somme de ces intervalles est égale à six tons. Sa fascination pour les rapports numériques dans les harmonies musicales l'amène à tenter d'expliquer de la même manière les autres phénomènes de la nature, y compris le cosmos. Il utilise le mot « cosmos » pour désigner un univers ordonné et harmonieux. La dualité entre l'harmonie et l'astronomie fut ainsi établie par l'école Ionienne de Pythagore au VIe siècle avant notre ère.
La Terre est considérée comme un corps céleste isolé dans l'espace, au centre d'une sphère. Les planètes ne sont pas toutes à la même distance de la terre, posées sur des anneaux circulaires opaques. L'ordre des planètes fait appel à une hiérarchie fondée sur la mythologie, dans l'ordre : Terre - Lune - Vénus - Mercure - Soleil - Mars - Jupiter - Saturne - Fixes (étoiles). Une fois cet ordre établi, il faut donner des distances. La méthode va donc consister à deviner la loi des distances plutôt que de la calculer, suivant le principe de Pythagore.
Étant donné qu'il y a autant d'intervalles musicaux qu'il y a de planètes, il suffit de placer celles-ci suivant les rapports harmoniques. Les sept planètes sont comme les sept cordes d'une lyre. En fixant la valeur du ton comme étant égale à la distance Terre - Lune, les Pythagoriciens établissent ainsi la première échelle planétaire. D'après eux toutes les planètes, y compris le Soleil et la Lune, tournent autour de la Terre à vitesse constante suivant des orbites obéissant aux mêmes rapports numériques que la gamme. Chacune d'elles produit un son correspondant au si pour Saturne, do pour Jupiter, ré pour Mars, mi pour le Soleil, fa pour Mercure, sol pour Vénus et enfin la pour la Lune.
Cicéron donne une description admise en son temps : L'univers est composé de neuf cercles ou plutôt de neuf globes qui se meuvent. La sphère extérieure est celle du Ciel, qui embrasse toutes les autres et sous laquelle sont fixées les étoiles. Plus bas roulent sept globes, entraînés par un mouvement contraire à celui du ciel. Sur le premier cercle roule … Saturne ; sur le second marche Jupiter, … ; vient ensuite Mars, … ; au-dessous, occupant la moyenne région brille le Soleil, … . Après lui viennent … Vénus et Mercure. Enfin l'orbe inférieure est occupée par la Lune …
Boèce (470-525) a repris la construction de Pythagore, attribuant cette fois la note ré à la Lune (au lieu du la initial), à Mercure le do, et ainsi de suite : Lune ré, Mercure do, Vénus si, Soleil la, Mars sol, Jupiter fa, Saturne mi.
On retrouve une telle cosmologie dans les anciennes cultures orientales, en Inde et en Chine notamment.
Dans un fragment de musique grecque qui nous est parvenu - l’Hymne au Soleil de Mésomède de Crète, daté de 130 apr. J.-C. - on se fait une idée de la musique antique : chaque note est émise seule, sans accompagnement (elle est dite homophone) et l'ambitus de la mélodie est faible. Les notes appartiennent à une suite bien définie de sons. On peut aussi par la musique expliquer l'ordre des jours de la semaine dont l'ordre apparemment arbitraire se réfère en fait à la gamme de Boèce.
En remplaçant chaque jour par sa note, la semaine se déroule suivant une série de quintes parallèles descendantes : Lundi Lune ré, Mardi Mars sol, Mercredi Mercure do, Jeudi Jupiter fa, Vendredi Vénus si, Samedi Saturne mi, Dimanche Soleil la.
Jusqu'à la fin du Moyen Âge, la musique est enseignée avec les mathématiques, considérant que celles-ci comprennent : - l'arithmétique, - la musique, - la géométrie, - l'astronomie. C'est le « quadrivium ». La conception même d'un lien entre les planètes et la musique ne peut avoir de sens que par une approche de l'acoustique.
Dans le domaine de la science des sons, les Grecs n'ont produit que deux traités majeurs : La division du canon, d'Euclide (vers 325-vers 265 av. J.-C.), et Les harmoniques, de Ptolémée (vers 90-vers 168).
Dans le second, les différentes théories musicales sont soigneusement analysées et comparées à l'harmonie des sphères, conformément aux théories pythagoriciennes. Ptolémée insiste particulièrement sur les relations entre certains mouvements des astres et différentes propriétés caractéristiques des sons, entre le tétracorde et le système solaire, entre les premiers nombres du système parfait et les premières sphères du monde, enfin entre les propriétés des planètes et celles des sons.
Censorin, astrologue romain, publie en 238 De die natali, où il reprend les doctrines de Pythagore. On y trouve en particulier des distances astronomiques calculées en tons musicaux : De la Terre à la Lune un ton. De la Lune à Mercure un demi ton. De Mercure à Vénus un demi ton. De Vénus au Soleil un ton et demi. Du Soleil à Mars un ton. De Mars à Jupiter un demi ton. De Jupiter à Saturne un demi ton. De Saturne aux fixes un demi ton. De la Terre au Soleil il y a trois tons et demi, soit une quinte, tandis que du Soleil aux fixes (étoiles) il n'y a que deux tons et demi, soit une quarte. On retrouve cependant les six tons (une octave) pour aller de la Terre aux étoiles.
Au fur et à mesure que la conception de l'univers évolue en se perfectionnant, la musique aussi évolue.
Depuis la lyre d'Hermès à quatre cordes on avait vu apparaître la lyre de Terpandre dont les sept cordes correspondaient à la jeune théorie pythagoricienne. Terpandre innove en matière d'écriture musicale et rythmique.
L'évolution continue lorsqu'une huitième corde est ajoutée, celle-ci attribuée au zodiaque car celui-ci lie le signe de naissance d'un individu au déroulement de son existence (c'est la date de conception chez les Babyloniens !).
La Terre elle-même devant être prise en compte, une neuvième corde voit le jour.
Cependant, pour pouvoir produire un son, la Terre doit être mobile. Ainsi naît le premier modèle non anthropocentrique, dit modèle de Philolaos, où la Terre n'occupe plus le centre du monde mais tourne en un jour autour d'un feu central autour duquel tourne également une anti-Terre qui nous est cachée, de même que le feu central puisque nous habitons sur la face tournée vers l'extérieur.
Sautons quelques siècles pour arriver au Moyen Âge. Les neuf cordes de la lyre céleste augmentent jusqu'à 15 pour expliquer, au-delà des planètes, le Ciel, les Puissances, les Principautés, les Dominations, Trônes, Chérubins et autres Séraphins, pour aboutir à Dieu.
À l'autre extrémité il y a la Terre qui, ayant retrouvé son immobilité au centre du monde, ne peut participer à l'harmonie générale et conserve le « silentium ».
Le musicographe grec Alypius utilise au IVe siècle le clavier de la cithare à 18 cordes pour établir un système de sphères célestes d'une extrême complexité. Son contemporain Macrobius étend le système harmonique à quatre octaves et demi.
Tout au long du Moyen Âge, l'étude de l'harmonie est une partie intégrante des mathématiques. Anthropocentrisme et harmonie sont les principes avec lesquels l'Église étend son autorité mais il convient aussi de célébrer les louanges du Créateur par le chant. L'accord entre la théorie et la pratique est réalisé d'abord par la dénomination des notes ut … ré … mi … fa … sol … la … si (le « si » est arrivé plus tard !) et ensuite par l'introduction de la mesure au XIIe siècle.
Le plain-chant est abandonné au Xe siècle au profit de l'organum consistant en l'exécution de la même mélodie par deux voix distantes d'une quarte ou d'une quinte. Ensuite vient le déchant, strict contrepoint note contre note, pour aboutir à la polyphonie à travers Machaut et Janequin qui intégra même les bruits de la vie dans ses compositions.
L'hymne du XIIe siècle Naturalis concordia vocum cum planetis est l'œuvre musicale la plus ancienne connue inspirée de l'harmonie des sphères. Il utilise une gamme planétaire de deux octaves, la première consacrée aux astres et la seconde à la zoologie des bienheureux. Elle diffère de celle de Boèce : Ciel fa, Saturne mi, Jupiter ré, Mars do, Soleil si, Vénus la, Mercure sol, Lune fa, Terre silentium !
Dès la Renaissance
À la Renaissance, cet équilibre idéal entre harmonie et physique devient intenable par la quantité de sphères et d'épicycles nécessaires pour expliquer les écarts et les nombreuses anomalies observées.
La vieille théorie de Philolaos qui faisait de la Terre un astre mobile et sonore revient à la mode et est reprise en 1453 par Copernic (théorie de l'infini qui ne peut pas avoir de centre). La quête d'harmonie idéale correspond, sur le plan technologique, au développement de l'horloge, mère de toutes les machines. L'univers n'est qu'une vaste horloge mise en place par le Créateur … La musique est alors soumise aux impératifs rythmiques.
La révolution copernicienne entraîne la perte de notre anthropocentrisme : la Terre n'est plus qu'une planète comme les autres, tournant autour du Soleil.
Léonard de Vinci consacre un chapitre de ses travaux afin de savoir « si le frottement des cieux fait son ou non » et apporte des arguments pour réfuter la théorie.
Après la disparition de Copernic, Tycho Brahé (1546-1601) construit le premier grand observatoire et cumule les observations qui sont scrupuleusement consignées. Il ne parvient pas à renoncer à la vision géocentrique de l'univers.
Johannes Kepler hérite de ses documents et énoncera les lois relatives au mouvement des planètes. Kepler attribue au soleil une fonction motrice, anime les planètes sur une orbite elliptique. Insatisfait, il recherche l'harmonie des sphères dans l'harmonie musicale, mode mathématique qui a le plus de chances d'être le fil conducteur vers la compréhension des intervalles planétaires. Dieu est architecte et géomètre mais il est aussi surtout musicien, donc il ne peut en être autrement ! Ce Dieu musicien doit donc attribuer à chaque planète une phrase musicale qui lui soit propre puisque, selon la tradition, chaque planète est vivante et douée d'une âme.
Selon Kepler, la vitesse angulaire de chaque planète, dans son mouvement autour du Soleil, mesurée en secondes de degré par jour, fournit le nombre de vibrations de chaque son. Sur une orbite elliptique, la vitesse de chaque planète n'est pas constante et ce son décrit une phrase d'autant plus étendue que l'ellipse de l'orbite est allongée. La note fondamentale correspond à l'aphélie (distance maximale par rapport au Soleil).
Kepler arrive ainsi à obtenir les mélodies de base de chacune des planètes, les notes de la Terre pouvant être simplement mi, fa, mi, fa, … Autrement dit : « miseria, famina, miseria, famina … » (indéfiniment). Ce n'est pas là la vision d'un joyeux drille !
Le chant de Mercure est un soprano (sopraniste ? Mercure ?).
Celui de Vénus est un contralto et, en continuant ainsi à s'éloigner du Soleil, celui de Mars un ténor léger, et pour les géants Jupiter et Saturne, deux basses profondes. Le résultat de ses travaux harmoniques Harmonices mundi est publié en 1619. L'ambitus orbital de Mercure se compose d'une octave plus une tierce : do … do … mi. Vénus répète inlassablement la même note : mi, mi, mi … La Terre se limite à un demi ton : sol, la♭, sol … Mars donne une quinte : fa, sol, la, si♭, do … Jupiter se promène sur une tierce grave : si … ré, ainsi que Saturne : fa … la.
Quelques années plus tard, Galilée s'attache également à établir un lien entre ses préoccupations astronomiques et ses recherches en matière musicale sous l'influence de son père, Vincenzo Galilei (1520-1591). Organiste et compositeur, Vincenzo eut Zarlino pour maître ; ses compositions inspirèrent Frescobaldi et Vivaldi.
Marin Mersenne traduit les ouvrages de Galilée et reprend ses travaux sur la vibration des cordes dans son Harmonie universelle en 1636. Son intérêt pour l'astronomie le pousse à y inclure des dessins de télescopes afin de réactualiser la question de l'harmonie des sphères.
Par la suite, si le divorce est définitivement consommé entre l'astronomie et l'harmonie, les planètes et les étoiles ont inspiré de nombreux musiciens et des témoignages de l'état des recherches se trouvent souvent traduits en musique. Pour citer quelques exemples, l'oratorio La Création de Franz Joseph Haydn est inspiré des travaux de William Herschel qui a émis l'hypothèse d'une explosion originelle de l'univers et des théories d'Emmanuel Kant. « Und es werde licht ! ».
La même démarche est formulée par Jean-Féry Rebel dans Les Elémens, ne se résolvant pas, en 1737, à admettre la vision d'un monde organisé. (Mais n'y entend-on pas, en fait, le monde qui s'organise peu à peu ?).
Les trajectoires apparentes des planètes ont la particularité de traverser toujours les mêmes constellations. Celles-ci traditionnellement au nombre de douze forment le zodiaque. En réalité, il conviendrait d'en ajouter une treizième, Ophiuchus (ou serpentaire), que Claude Ptolémée avait répertoriée parmi les 48 qu'il recensa dans son Almageste.
La tradition a associé douze instruments de musique à chaque constellation. Sans attendre la Renaissance qui marque l'apogée de l'influence astrale sur l'iconographie musicale, de nombreux indices révèlent les liens puissants unissant le zodiaque et les instruments de musique. La collégiale de Saint-Bonnet-le-Château (près de Saint-Étienne) nous en fournit un exemple. Les voûtes et les murs de la crypte sont décorés de fresques représentant, par leurs signes symboliques, les douze constellations du zodiaque. À chacune d'elles est associé un instrument de musique ou un ange musicien :
- au Verseau correspond le luth,
- aux Poissons, la guiterne,
- au Bélier, le psaltérion,
- au Taureau, le clavicorde
- aux Gémeaux, la cornemuse,
- au Cancer, le carillon,
- au Lion, le cornet droit (cornetto dolce),
- à la Vierge, le cornet gauche (cornet à bouquin),
- à la Balance, l'orgue,
- au Scorpion, la harpe,
- au Sagittaire, la gigue (viole de gambe),
- et au Capricorne, la vièle.
L'artiste anonyme a concilié la musique avec le ciel d'hiver. Il harmonise le zodiaque afin que le chant des planètes soit accompagné d'instruments pendant leur ronde cosmique. Ces fresques cachent certainement d'étonnants rébus.
Notion d'harmonie
L'harmonie part d'une constatation simple, musicale. Lorsque deux sons harmonieux sont combinés, ils se mélangent et le son devient plus fort (notion de consonance qui aboutira au concept d'accord). Lorsque deux sons non harmonieux sont combinés, ils ont tendance à s'annihiler (notion de dissonance).
De plus, il est constaté qu'en appuyant sur une corde vibrante à sa moitié, on obtient une note fortement consonance d'avec la corde vibrant à vide (en fait, la fréquence double de celle-ci, l'octave). De même, si l'on bloque la même corde au tiers, ou bien aux deux tiers de sa longueur, on obtiendra également une note fortement consonante (en fait la fréquence triple de la fondamentale, la quinte).
L'analyse de Fourrier a expliqué les raisons des harmoniques. L'équation des cordes vibrantes les modélise bien. En fonction des contraintes extérieures, une corde s'auto-ajuste (de même qu'une membrane). Quelle que soit la tension qu'on applique à ses extrémités, bloquer la corde à sa moitié, ou à son tiers, provoquera toujours une octave (fréquence double) ou une quinte (fréquence triple) par rapport à la même corde vibrant à vide (fréquence fondamentale).
Kepler a généralisé cette approche à l'espace cosmique : les orbites des planètes s'auto-ajustent, dans des rapports entiers. D'où son essai, l'harmonie du monde.
Du point de vue des gammes musicales, le défi était de fonder une gamme qui permettait de parcourir toutes les notes consonantes en partant d'un point. Il n'y avait pas de résolution exacte à ce problème, mais il en existe une résolution approchée, la gamme (bien) tempérée.
En effet, il n'est pas possible de fonder une gamme contenant toutes la suite des quintes et l'octave en même temps, en partant d'une note fondamentale.
- La suite des octaves, la suite des fréquences doubles, s'écrit mathématiquement (, fréquence fondamentale)
- La suite des quintes, la suite des fréquences triples, s'écrit mathématiquement (, fréquence fondamentale)
Or trouver i, j tels que , n'a pas de solution pour i et j entiers, et il est nécessaire d'avoir un nombre entier de notes dans une gamme.
La solution approchée à ce problème :
Autrement dit, la 19e octave d'une note fondamentale est proche de sa 12e quinte. En répartissant cet écart sur douze notes (diminuant légèrement chacune des quintes pour arriver à l'octave) et ramenant chacune de ces notes sur une seule octave, Jean-Sébastien Bach a créé la gamme tempérée, où tous les demi-tons sont égaux.
C'est-à-dire que la valeur du demi-ton de la gamme tempérée est (multiplicateur de la fréquence de la note précédente s'entend) :
.
D'où la quinte approchée
Cela est légèrement inférieur à la quinte juste, mais cela reste acceptable. L'octave est en revanche parfaitement juste. Cette approche fut permise par l'invention des logarithmes par John Napier (dit Neper), lesquels furent abondamment utilisés en astronomie, en particulier par Kepler, même si celui-ci réfléchissait en termes de rapports entiers, selon les règles harmoniques.
Pythagore avait défini sa gamme différemment. En partant d'une note de base, par exemple le « do », il multiplia sa fréquence par 3/2 afin de définir sa quinte supérieure « sol » et répéta cette opération pour construire des suites de quintes « ré - la - mi - si ». Il réalisa ce calcul après avoir observé que la longueur d'une corde donnant la quinte d'un son était égale aux 2/3 de celle fournissant son fondamental.
Procéder ainsi, c'est « ignorer » les octaves qui sont alors trop grandes d'une valeur d'un neuvième de ton (le commas Pythagoricien). Mais, comme les lyres n'avaient pas plus de 7 cordes, cela n'avait pas d'importance ! De plus, sur le plan philosophique, l'idée d'infinité de la gamme en spirale est assez satisfaisante. C'est plus gênant maintenant pour un piano où apparaît une différence d'un demi-ton au bout de 4 octaves.
D'autres approches consistaient en demi-tons de valeur variable (diatonique, chromatique).
Articles connexes
- École pythagoricienne
- Harmonie des sphères
- Conjecture de Kepler
- Harmonie universelle
- Musurgia universalis
Références
- « C'est l'expérience infaillible de l'harmonie entre les évènements terrestres et les changements célestes qui a instruit et forgé malgré moi ma conviction » citation : Johannes Kepler
- (en) oxfordindex
- (la)worldcat.org
- sudoc: Roudet, Nicolas, Un monde parfait : "cosmologie " et "théologie" dans l'Harmonice Mundi de Kepler.
- (en) worldcat.org : Jorge M Escobar, Keplers theory of the soul; a study on epistemology
- (en) Google books Harmonic motions of the planets.
- Séquence d'ouverture du film de Martin Villeneuve, Mars et Avril, sur une musique de Benoît Charest reposant sur le modèle cosmologique de Kepler selon lequel l'harmonie de l'univers est déterminée par le mouvement des planètes [1].
- (en) sacred-texts.com
- Joep Franssens - Harmony of the Spheres - YouTube