Carrière antique de la Corderie

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Carrière antique de la Corderie
Vue d'ensemble, photographiée en juin 2017.
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Le site archéologique de la carrière antique de la Corderie est situé dans le 7e arrondissement de Marseille, quartier Saint-Victor, boulevard de la Corderie. Découvert à l'occasion de travaux d'archéologie préventive, il s'agit d'un site d'extraction de matériaux de construction, une carrière, liée à l'établissement de la colonie grecque de Massalia. Elle fut utilisée du VIe siècle av. J.-C. à l'époque romaine dans le cadre de la production de blocs monumentaux destinés à la construction et de sarcophages.

Histoire[modifier | modifier le code]

Marseille est traditionnellement considérée comme la plus vieille ville de France et fut fondée par des colons grecs venus de Phocée vers l'an 600 av. J.-C. ; la cité porte alors le nom de Massalia, et va connaître un développement économique et urbain considérable du fait notamment de ses rapports avec l'arrière-pays celtique vers et depuis lequel elle canalise les échanges commerciaux (vin, métaux précieux, etc.). La ville perdure jusqu'à l'époque romaine et la conquête de la Gaule, puis s'intègre par la suite dans la province de Narbonnaise.

Un matériau local bien connu[modifier | modifier le code]

Le calcaire de Saint-Victor est connu pour avoir été utilisé par les Grecs et les Romains durant l'Antiquité notamment pour la réalisation de sarcophages et d'éléments architecturaux. L'emplacement exact de la carrière de calcaire Saint-Victor alimentant les chantiers de la ville n'était cependant pas connu précisément[1]. Le gisement mis au jour sur le site de la Corderie est - selon les études géomorphologiques menées par l'INRAP - issu d'un paléochenal de rivière ayant circulé dans la zone il y a près de 26 000 ans. Les conditions spécifiques de formation de cette roche et ses altérations propres permettent selon Michel Bats de parler de calcaire de la Corderie.

La découverte[modifier | modifier le code]

Au cours du mois de juillet 2016, la mairie de Marseille procède à la vente du terrain de la Corderie. Le promoteur immobilier Vinci se porte acquéreur de la parcelle de 6000m²[2] en vue de la construction d'un immeuble de 109 logements et d'un parking souterrain de 3 niveaux. Conformément aux dispositions légales concernant l'aménagement du territoire, un diagnostic archéologique est réalisé par l'INRAP, qui met rapidement au jour, entre avril et juin 2017, un atelier de production de sarcophages[3], ainsi qu'une carrière de calcaire dont l'utilisation remonte à la fondation historique de la cité grecque de Marseille, vers 600 avant notre ère. L'extraction du calcaire s'est faite tout au long de l'histoire de la ville, creusant ainsi la zone sur plus de 6 m de profondeur[3]. Il s'agit d'une des plus vieilles carrières du bassin méditerranéen et la plus vieille de la Gaule d’après Jean-Claude Bessac, archéologue spécialiste des carrières antiques[4],[5].

Panorama de la zone des fouilles de la carrière de la Corderie. On peut y apercevoir des cuves de sarcophages laissées en place, et les marches formées par l'extraction de grands blocs.

Selon Philippe Mellinand de l'Inrap : « elle n'a d'ailleurs que peu d'équivalents connus dans le monde grec car ce sont le plus souvent les carrières de marbre qui ont retenu l'attention des chercheurs »[6]. Parmi ses rares éléments de comparaison, on peut noter Sélinonte et Syracuse en Sicile puis en Grèce à Thasos.

Le site et ses fonctions[modifier | modifier le code]

Une carrière liée à la fondation[modifier | modifier le code]

Selon les archéologues ayant fouillé et analysé le site, la carrière était le lieu de plusieurs activités et productions. D'une part, des blocs destinés à la construction monumentale (tambours et fûts de colonnes, grands blocs d'opus quadratum, par exemple), mais aussi un atelier de production de sarcophages en calcaire, attesté par les traces de toute la chaîne opératoire de leur fabrication, de l’ébauche à la cuve, en passant par la mise en place d'un tracé de calepinage préalable à la taille[3]. Une de ces cuves de sarcophage a même été retrouvée en place, achevée mais présentant des défauts donc n'ayant jamais servi. Ce premier groupe d'activité constitue la première phase d'occupation du site.

L'époque hellénistique[modifier | modifier le code]

Au cours du IIe siècle av. J.-C., la carrière connaît une seconde vie avec la mise en place d'une seconde brèche. On y extrait de nouveau des blocs monumentaux pour la construction en grand appareil. Certains de ces blocs furent retrouvés sur place, abandonnés du fait de défauts rendant impossible leur mise en œuvre dans un édifice. Une autre activité d'extraction d'époque romaine semble s'être ensuite développée, attestée par un graffito pouvant être la trace d'un compte de carriers romains[3].

Un gisement pour l'urbanisme massaliote antique[modifier | modifier le code]

L'analyse tracéologique des vestiges de la carrière ont permis de mettre en évidence l'utilisation d'outils traditionnels de la taille de pierre : pic, escoude, coins et leviers. La découverte de la carrière permet, selon les archéologues, de compléter en partie le complexe chapitre de l'histoire de la construction massaliote : de nombreux blocs de calcaire de Saint-Victor furent en effet découverts dans d'autres lieux de la ville fouillés par le passé, mis en œuvre dans des édifices portuaires, religieux, ou défensifs, mais leur lieu d'extraction n'avait jamais été mis au jour[3],[7],[8].

Statut patrimonial et juridique[modifier | modifier le code]

Panneau sur le site signalant son statut de monument historique.

Les vestiges archéologiques situés boulevard de la Corderie font l'objet d'un classement au titre des monuments historiques par arrêté du , en tant que propriété privée et de l'État[9].

Polémique autour de la destruction du site[modifier | modifier le code]

La mise au jour de la carrière de la Corderie fut rapidement l'objet d'une polémique politique et médiatique. L'hypothèse de la destruction du site pour la construction effective de logements par le groupe Vinci fut à l'origine d'un certain nombre de pétitions et d'oppositions, tantôt à l'initiative de riverains, tantôt par le biais de la presse culturelle spécialisée. Cette polémique prend rapidement une ampleur médiatique engageant notamment la position de la ministre de la Culture quant au classement éventuel du site. De nombreux archéologues s'engagent pour la conservation intégrale du site pour ses intérêts scientifiques, historiques patrimoniaux et esthétiques, comme Alain Nicolas[10], Jean Claude Bessac[4],[5] Xavier Lafon[11], Michel Bats[12], Antoine Hermary[13], Michel Villeneuve[14] .

Première mobilisation : obtenir le classement du site[modifier | modifier le code]

Localement, les scandales archéologiques ne sont pas une nouveauté à Marseille, puisque dans les années 1960 le projet d'ensevelir ce qui devint le jardin des Vestiges sous un parking souterrain avait déclenché une mobilisation conséquente[15]. La presse locale dénonce assez tôt les rapports entre le groupe Vinci et la mairie comme étant à l'origine de l'absence de démarche de classement du site[16].

Deux pétitions atteignent plusieurs milliers de signatures, notamment l'une d'entre elles initiée par Jean-Noël Bévérini[17] qui atteint presque 16 000 signataires. La mobilisation citoyenne, ainsi que l'intervention de plusieurs figures politiques (Jean-Luc Mélenchon notamment), débouche rapidement sur une intervention de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, qui propose un classement partiel du site archéologique au titre des monuments historiques. Cette décision concerne 635 m2 sur les 4 200 m2 fouillés par l'INRAP. La ministre annonce par ailleurs la mise en place d'un parcours pour permettre au public d'y accéder en permanence. « La position de l'Etat est une position d'équilibre entre la nécessaire préservation du patrimoine et le non moins nécessaire aménagement du territoire », déclare-t-elle au journal La Provence le [18].

Le 2 août 2017, cependant, une pelle mécanique du groupe Travaux du Midi détruit une partie des vestiges sur une bande de 50 mètres de long par 6 à 10 mètres de large le long du boulevard de la Corderie[18],[19]. Des habitants du quartier interviennent alors pour faire arrêter le chantier[19]. Les vestiges sont à ce moment recouvert de tissus gris (intissé destiné aux travaux de terrassement) et de sable gris.

Une suite de manifestations s'organise alors les 3 et 4 août 2017. Le site est occupé par une cinquantaine de défenseurs pour empêcher la reprise des travaux. Face à la mobilisation, Vinci et la préfecture prennent l'engagement par écrit de cesser les travaux au 31 août.

Un scandale politique ?[modifier | modifier le code]

Le 31 août, le journal La Provence révèle que Vinci et la mairie de Marseille connaissaient la présence d'une carrière à cet emplacement à la suite de sondages archéologiques menés en 2002 mais que cette information aurait été cachée y compris à l'architecte de l'immeuble en projet[20].

La réunion se tient le à la préfecture de région à huis clos avec une trentaine de personnes politiques, des représentants du CIQ de Saint-Victor et quelques archéologues amenés par le CIQ et des journalistes. Cette réunion, qualifiée de publique par le préfet, ne débouche sur aucun accord[21].

Dès le 4 septembre, la mobilisation des opposants reprend devant le site archéologique et Françoise Nyssen confirme le même jour son intention de ne classer que 635 m2 sur le rapport du préfet à la suite de la réunion publique. Le 21 septembre 2017, Emmanuel Macron, président de la République, durant sa visite à Marseille pour voir le site des épreuves de voile des jeux olympiques d'été de 2024, est interpellé par huit défenseurs du site archéologique, lui demandant de s'occuper du dossier, ce à quoi il répond : « Je m'en s'occupe, la ministre de la Culture viendra sur le site dans les prochaines semaines ». Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, agacé, déclare alors : « Cela coûterait trop cher de tout conserver, ils ne veulent pas de logement, ils sont contre l'immeuble »[22].

Quelques jours plus tard, Vinci annonce que la société suspend les travaux jusqu'à nouvel ordre[23]. Cette information est confirmée par une chargée de la communication de Vinci à France 3[24].

En octobre 2017, au cours d'une visite à Marseille la ministre de la Culture déclare en conférence de presse qu'elle ne reviendrait pas sur la décision scientifique et patrimoniale annoncée auparavant[25],[26].

Le 13 décembre 2017, les travaux de construction des logements débutent sur la parcelle, après que tous les recours des opposants (riverains, associations, défenseurs du patrimoine) ont été épuisés et après de nombreuses manifestations et quelques bousculades devant les engins de travaux engagés dans la destruction de la partie non-classée du site[27]. La mairie déclare alors que les visites du site classé ne seront possibles que 9 jours par an, 30 personnes à la fois au maximum[28]. Face aux protestations, le maire déclare que « Si l'accès est trop restrictif nous ferons un effort pour qu'il le soit moins, a promis le maire de la ville, Jean-Claude Gaudin, face aux protestations de l'opposition. Nous n'allons pas interdire aux gens de voir ces 635 m² ». L'opposition municipale de gauche dénonce un carnage patrimonial.

Le site archéologique a été détruit à 80% a coups de pelle mécanique le alors que commençait un conseil municipal dans lequel devait être examiné une délibération concernant l'ouverture du site 9 jours par an au scolaire et 4 jours au public 2 jours pour les journées de l'archéologie et 2 jours pour les journées du Patrimoine. Tout ce qui n'était hors du périmètre a été broyé. Les travaux de construction de l'immeuble ont commencé en janvier 2018[réf. nécessaire].

Le , le site est classé monument historique par Françoise Nyssen et un panneau sur un poteau provisoire est placé à sa demande, derrière le grille sur le chemin longeant le rempart de Louis XIV[réf. nécessaire].


Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Henri Treziny, La pierre de construction à Marseille de l’Antiquité aux Temps modernes (lire en ligne)
  2. « Carrière Antique Grecque de la Corderie, Fouilles, Marseille », Tourisme Marseille // Carte Interactive & Blog de découverte de Marseille,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. a b c d et e « Actualité | La pierre qui bâtit Massalia », Inrap,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. a et b David Coquille, « Jean-Claude Bessac : « Conserver n’est qu’une question de choix et de volonté politique » », Journal La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a et b « Jean-Claude Bessac - Auteur - Ressources de la Bibliothèque nationale de France », sur data.bnf.fr (consulté le )
  6. Philippe Mellinand, « Les Grecs ont laissé une carrière à Marseille », Archéologia, hors-série, no 23, septembre 2018, p.54-57.
  7. « la pierre qui batit Massalia »
  8. « Actualité | La pierre qui bâtit Massalia », Inrap,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. « Carrière antique de la Corderie », notice no PA13000087, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture
  10. David Coquille, « [Entretien] Alain Nicolas : « Les Marseillais sont le dernier rempart de la Corderie » - Journal La Marseillaise », Journal La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. David Coquille, « Xavier Lafon (IRAA) : le site de la Corderie « fait partie du cœur de Marseille et de son histoire » », Journal La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. David Coquille, « Michel Bats : « La carrière de la Corderie a une unité, on ne peut pas la découper en morceaux » », Journal La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. « Marseille : pourquoi faut-il sauver le site de La Corderie ? », LaProvence.com,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. « A Marseille, le géologue de la Corderie s'exprime », France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur,‎ (lire en ligne, consulté le )
  15. « A Marseille, l'histoire s'écrit à la truelle », LaProvence.com,‎ (lire en ligne, consulté le )
  16. « Cœur de pierre », Zibeline,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. David Coquille, « #Corderie : Jean-Noël Beverini dénonce une “spoliation” - Journal La Marseillaise », La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  18. a et b « Marseille : la crainte d'un carnage archéologique mobilise à la Corderie », Marianne,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. a et b « Marseille : la pelleteuse du promoteur attaque le site antique de la Corderie en voie d'être classé », France 3,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. « Marseille - Corderie : l'étude cachée qui a découvert la carrière en 2002 ! », La Provence,‎ (lire en ligne)
  21. stagiaireweb, « Marseille : l'avenir de la carrière antique de la Corderie entre les mains de la Ministre de la Culture », Journal La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  22. Vidéo extraits de périscopes réalisés en direct de Louis Alesandrini
  23. article de la Provence sur l'arrêt des travaux
  24. « Marseille : Vinci suspend ses travaux de construction sur le site antique de la Corderie », Franceinfo,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. « Corderie : Nyssen estime ne pas avoir "à revenir sur une décision scientifique" », La Provence,‎ (lire en ligne)
  26. « Madame la ministre de la Culture fait enfin son entrée », Primitivi,‎ (www.primitivi.org/spip.php?article778)
  27. David Coquille, « Marseille : échauffourée pour repousser le brise roche de la carrière antique de la Corderie - Journal La Marseillaise », La Marseillaise,‎ (lire en ligne, consulté le )
  28. « Les travaux sur la carrière antique ont commencé à Marseille », leparisien.fr,‎ 2017-12-13cet15:24:12+01:00 (lire en ligne, consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]