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'Pataphysique

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Diplôme du collège de 'Pataphysique de Boris Vian, le 22 Palotin 80 ().

La ’Pataphysique apparaît dans Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, livre écrit par Alfred Jarry en 1897-1898. Elle est alors définie comme la « science des solutions imaginaires qui accorde symboliquement aux linéaments[note 1] les propriétés des objets décrits par leur virtualité »[1]. L'ouvrage se conclut ainsi : « La Pataphysique est la science... »[2].

Une autre manière de définir la ’Pataphysique est de se référer au « principe d'Équivalence » : toutes choses seraient également belles, vraies, sérieuses. À la suite de Jarry, le pataphysicien apprécie les écrits les plus délaissés. Les ready made du Satrape Marcel Duchamp dynamitent l'esthétique : « la moindre casserole fabriquée en série équivaudrait à la Nativité d'Altdorfer. »[3] Le Collège va s'intéresser à l'Art brut, aux ex-voto, aux plus modestes cambrousses comme aux discours moralisateurs et aux flonflons politiques. Selon le Testament du premier Vice-Curateur du Collège, « Nul n'est plus positif que le Pataphysicien : déterminé à tout placer sur le même plan, il est prêt à tout accueillir et cueillir avec même avenance.»[4]

La ’Pataphysique doit sa postérité au Collège de ’Pataphysique, un collectif formé en 1948 par des artistes et écrivains parmi lesquels Marcel Duchamp, Joan Miró, Eugène Ionesco[5], Raymond Queneau et Jean Dubuffet en hommage à Alfred Jarry. Après une période de cessation de ses activités publiques (« Occultation ») à partir de 1975, il a été réactivé en 2000 (« Désoccultation »).

Naissance et usage du terme

Comme le rappelle Noël Arnaud, si « Alfred Jarry n'est pas l'auteur (au sens de géniteur) du personnage qui s'appellera Ubu roi » et « n'a pas fondé le Collège de ’Pataphysique »[6] il faut aussi rappeler qu'il n'est pas non plus l'inventeur du mot « pataphysique ».

XIXe siècle

Si Jarry forge le sens du mot pataphysique, il n'est cependant pas l'inventeur de ce terme, qui est sans doute une création collective potachique des élèves du lycée de Rennes[7]. La première utilisation est attestée en 1889-90 dans la pièce La chasse aux polyèdres d'Henry Morin, condisciple de Jarry[8]. Dans cette pièce, le terme est pour la première fois prononcé par « P.H. », Père Hébert[note 2] : « Mossieu, quiconque a fait de la pataphysique sait raisonner de cette manière ! » (I, 4). Ainsi, avant Faustroll, Ubu est docteur en pataphysique[note 3],[10].

Jarry définira la pataphysique dans le chapitre VIII intitulé « Définition » du livre II, « Éléments de pataphysique » de Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien[note 4]. Une partie de l'ouvrage est publié dans le Mercure de France de mai 1898, puis intégralement de manière posthume en 1911[11].

XXe siècle

Quatre année après la mort de son auteur, c'est en 1911 que paraissent chez Fasquelle les Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, sous-titré roman néo-scientifique[note 5].

Les continuateurs de Jarry de la première moitié du XXe siècle sont René Daumal[12] et Julien Torma[13].

Par la suite, le Collège de ’Pataphysique promouvra la pataphysique « en ce monde et dans tous les autres » (Statuts, I, 3, 2). Le terme « Collège de ’Pataphysique » est prononcé pour la première fois par Maurice Saillet le 11 mai 1948 dans la librairie parisienne d'Adrienne Monnier « La Maison des Amis des livres », rue de l'Odéon[14],[15].

« Il faut faire l'effort d'imaginer la Pataphysique après Jarry, en dehors de Jarry, sinon sans Jarry. En vérité, je vous le dis, les pantoufles des morts se refroidissent vite… »
Message de Sa Magnificence Opach au Collège, 15 absolu 93[16]

La pataphysique avant Jarry et inconsciente

Le terme de patacesseur — équivalent pataphysique de prédécesseur — désigne les pataphysiciens « anciens ou récents, réels ou “imaginaires”, hommes, femmes ou animaux »[17] ayant précédé le Collège de ’Pataphysique, ou étant antérieur à Alfred Jarry et à l'invention du terme pataphysique[18].

Avant d'être nommée et définie comme telle par Jarry, le concept de pataphysique a été approché par d'autres auteurs. Comme le relève Noël Arnaud « Marcel Schwob […] écrivait, préludant la pataphysique : “La vie n'est pas dans le général, mais dans le particulier ; l'art consiste à donner au particulier l'illusion du général”.[6] ». Paul Valéry — que Noël Arnaud qualifie de pataphysicien conscient — est l'auteur de « Petite lettre sur les mythes », texte qui, toujours selon Arnaud, constitue « une des introductions les plus commodes à la 'Pataphysique, considéré comme un mythe et proclamé tel, au contraire de tant de mythes qui ne s'avouent pas et s'essaient même à se faire prendre pour des "réalités". »[19].

« [Notre esprit] fait jaillir de ses moindres accidents des créations surnaturelles. Dans cet état, il use de tout ce qu’il est ; un quiproquo, un malentendu, un calembour le fécondent. Il appelle sciences et arts la puissance qu’il a de donner à ses fantasmagories une précision, une durée, une consistance et jusqu’à une rigueur dont il est lui-même étonné ; accablé quelquefois ![20] »

Le Collège de ’Pataphysique postule que tout individu est un pataphysicien (Statuts, I, 3, 1). Il distingue la pratique consciente et inconsciente de la pataphysique dont le critère déterminant est l'appartenance au Collège, ce qui, toutefois, n'implique aucune supériorité de l'une sur l'autre[21]. Il n'y a rien de plus pataphysique de prétendre faire de la pataphysique[réf. souhaitée].

Définition d'Alfred Jarry

Alfred Jarry donne une définition de la ’pataphysique au Livre II, chapitre VIII des Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien[note 6] :

« La pataphysique […] est la science qui se surajoute à la métaphysique, soit en elle-même, soit hors d'elle-même, s'étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la physique. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions et expliquera l'univers supplémentaire à celui-ci ; ou moins ambitieusement elle décrira un univers que l'on peut voir et peut-être on doit voir à la place du traditionnel »[22]

Sitôt définie, Jarry l'illustre d'un exemple :

« Au lieu d'énoncer la loi de la chute des corps vers le centre, que ne préfère-t-on celle de l'ascension du vide vers une périphérie, le vide étant pris pour une unité de non-densité, hypothèse beaucoup moins arbitraire que le choix de l'unité concrète de densité positive eau ? »[23]

En ce qui concerne l'apostrophe précédant le mot « pataphysique » Jarry indique qu'elle sert à « éviter un facile calembour »[22]. Par ailleurs, l'apostrophe « distingue la ’Pataphysique consciente de la Pataphysique involontaire »[24]. Quant à l'adjectif « pataphysique », il ne prend pas l'apostrophe.

Littéralement ’pataphysique (contraction du pseudo-grec τὰ ἐπὶ τὰ μεταφυσικάtà epì tà metàphusiká – d'après le titre « τὰ μετὰ τὰ φυσικά » – « tà metà tà phusiká » – de l'œuvre la Métaphysique d'Aristote) signifie « ce qui est sur la métaphysique », c’est-à-dire « ce qui est sur ce qui est après la physique » parce que le titre de l'œuvre la Métaphysique signifiait à l'origine « ce qui est [écrit] après [l'œuvre] la Physique ».

Le Collège de ’Pataphysique

Véritable Portrait de Monsieur Ubu.
Gravure d'Alfred Jarry.

Le Collège de ’Pataphysique est une « Société de recherches savantes et inutiles », fondée le 11 mai 1948[25]. Il est régit par des statuts[note 7], dont le titre 1 article 3 alinéa 2 est : « Le Collège de ’Pataphysique promeut la Pataphysique en ce monde et dans tous les autres. ». Il s'est doté de son propre système de datation par l'établissement d'un Calendrier Pataphysique perpétuel, initiant ainsi l'Ère ’Pataphysique (abrégée E.P.). Celle-ci débute le 8 septembre 1873, dès lors définie comme l'an 1, jours de naissance de Jarry.

Le Collège publie depuis 1950 une revue dont le titre principal est Viridis Candela[note 8], qui parait en séries de 28 numéros ; le titre et la maquette changent à chaque série[note 9]. Y sont parus, entre autres, les premiers textes d'Eugène Ionesco, des inédits d'Alfred Jarry, de Julien Torma ou de Boris Vian.

La réforme des Sous-Commissions, survenue en 1959, a établi de nombreuses Commissions et Sous-Commissions dans le but de résoudre les problèmes se présentant au Collège[26]. Parmi elles se trouvait originellement l’Oulipo, désormais devenu une institution autonome[note 10],[note 11].

Les membres du Collège appartiennent à une hiérarchie stricte et précise[note 12] au sommet de laquelle se trouve le Docteur Faustroll, Curateur Inamovible[27],[28], et au bas les Auditeurs et Correspondants[29]. Le Collège gère également l'Ordre de la Grande Gigouille, créé par Alfred Jarry, dont les statuts ont été publiés dans l'Almanach du Père Ubu illustré en 1899[30],[note 13],[note 14].

D'autres instituts étrangers ont émergé parallèlement au Collège (argentin, milanais, limbourgeois, germain, suédois, londonien, hispanique, napolitain, batave, chinois, québécois, américain…).

Divers

  • Dans la chanson des Beatles Maxwell's Silver Hammer, la ’pataphysique est citée par Paul McCartney, qui s'est déclaré admirateur d'Alfred Jarry.
  • Sur l'album Volume Two du groupe britannique Soft Machine sont présentes deux chansons intitulées Pataphysical Introduction No. 1 et Pataphysical Introduction No. 2.
  • Gilles Deleuze (notamment dans Critique et clinique et L’Île Déserte) développe l’idée qu'en créant la ’pataphysique Jarry a ouvert la voie à la phénoménologie.
  • Dans leur chanson Hater's Killah, Stupeflip décrivent dans le refrain leur façon de penser et leur musique comme « un truc pataphysique »[32].

Notes et références

Notes

  1. Premiers traits caractéristiques d’une chose, d’un processus en développement.
  2. Nom qui vient du patronyme de Félix Hébert (1832-1918) qui, par déformation, donna son nom au personnage d'Ubu[9]
  3. Voir Ubu cocu, I, 3, et Ubu enchaîné, III, 2.
  4. Lire sur Gallica
  5. Lire sur Gallica
  6. Lire sur Gallica
  7. Qui sont eux-mêmes pataphysiques (Statuts,I, 1, 1).
  8. La Chandelle verte en latin. Référence à l'expression « De par ma chandelle verte » d'Ubu (voir par exemple Ubu roi, I, 1).
  9. Présentation et sommaire des séries de Viridis Candela sur le site du Collège de ’Pataphysique.
  10. Initialement nommé Sélittex (Séminaire de littérature expérimentale), l'Oulipo a d'abord été une sous-commission du Collège de ’Pataphysique, créée par Raymond Queneau, Satrape, et François Le Lionnais, Régent, avant de prendre son autonomie vis-à-vis de celui-ci.
  11. D'autres Ouvroirs restent cependant rattachés au Collège.
  12. Voir les titres II (De la hiérarchie des Optimates) et III (Du membre et de ses aptitudes) des Statuts.
  13. À noter que les membres de cet Ordre ne sont pas nécessairement membres du Collège[31].
  14. Grand Ordre de la Gidouille sur Gallica

Références

  1. Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, Livre II, chapitre VIII.
  2. Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, Livre VIII, chapitre XLI.
  3. Testament de Sa Magnificence le Docteur Sandomir, Collège de ’Pataphysique, , p. 138
  4. Testament de Sa Magnificence le Docteur Sandomir, Collège de ’Pataphysique, , p. 139
  5. « An introduction to 'Pataphysics », The Guardian,
  6. a et b Arnaud 1989, p. 69.
  7. Jean-Hugues Saintmont, « Jarry et la ’Pataphysique », Cahier du Cillège de ’Pataphysique,‎ , p. 27
  8. Launoir 2005, note n°10 p. 180-181, appelée p. 10.
  9. Les 101 mots 2016, « Hébert ».
  10. Jarry 2010, p. 144.
  11. Arnaud 1989, p. 74.
  12. René Daumal, Écrits pataphysiques, [Clermont-Ferrand], le Signe de la licorne, (ISBN 978-2-913034-13-6), p. 10 :

    « [Daumal] peut donc constituer le “chaînon manquant” entre l'auteur des Gestes et Opinions du Docteur Faustroll et l'institution d'un organisme en partie voué à son illustration. »

  13. 101 clefs 2016, Daumal (René), p. 31.
  14. Launoir 2005, p. 115. « Maurice Saillet qui restera […] comme l'inventeur du terme “Collège de ’Pataphysique” »
  15. Arnaud 1989, p. 76. « les chronologues, jugeant que le mot […] vaut création, fixent au 11 mai 1948, date de son énoncé, la fondation du Collège de ’Pataphysique »
  16. Subsidia pataphysica, no 1, 29 sable 93 E.P.
  17. Les 101 mots 2016, p. 73.
  18. Les 101 mots 2016, « Patacesseurs », p. 73-74.
  19. Arnaud 1989, p. 77.
  20. Valéry 1930, p. 258.
  21. Les 101 mots 2016, Conscience, inconscience, p. 25-26.
  22. a et b Jarry 2010, p. 141.
  23. Jarry 2010, p. 142.
  24. Launoir 2005, note n°5 p. 180, appelée p. 18.
  25. Arnaud [s.d.].
  26. Launoir 2005, Les Souc-Commissions, p. 93-99.
  27. Les 101 mots 2016, p. 44.
  28. Launoir 2005, p. 80.
  29. Launoir 2005, p. 87-88.
  30. Launoir 2005, p. 98.
  31. Launoir 2005, L'Ordre de la Grande Gidouille, p. 98-99.
  32. Stupeflip Officiel, « Stupeflip - Hater's Killah », (consulté le )

Ouvrages cités

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Bibliographie

Articles connexes

Liens externes