L'Opéra de quat'sous
Die Dreigroschenoper
L'Opéra de quat'sous, dont le titre original en allemand est Die Dreigroschenoper (littéralement l'opéra de trois groschen), est une comédie en musique allemande de Bertolt Brecht et Kurt Weill, créée le au Theater am Schiffbauerdamm de Berlin, puis en version française le 15 octobre 1939 au théâtre Montparnasse.
Elle est inspirée de la pièce du dramaturge anglais John Gay, The Beggar's Opera (1728) dans la traduction d'Élisabeth Hauptmann.
Distribution
- Macheath dit « Mackie-le-Surineur », chef de gang
- Jonathan Jeremiah Peachum, directeur de la société « L'ami du mendiant »
- Celia Peachum, sa femme
- Polly Peachum, sa fille
- « Tiger » Brown, chef suprême de la police de Londres
- Lucy, sa fille
- Jenny-des-Lupanars, prostituée
- Smith, constable
- Kimball, pasteur
- Filch, mendiant « employé » de Peachum
- Un chanteur de complaintes
- Matthias-Fausse-Monnaie, Jacob-les-Doigts-Crochus, Robert-la-Scie, Eddy, Jimmy, Walter-Saule-Pleureur, membres du gang de Mackie-le-Surineur
- Betty, Dolly, Molly, Vixen, prostituées
- Une vieille prostituée
- Mendiants, bandits, prostituées, constable, chœur
Argument
L'action se déroule à Soho, un quartier de Londres en proie à une guerre des gangs. Il s'agit d'une lutte de pouvoir et de concurrence entre deux « hommes d'affaires » : le roi des mendiants, Jonathan Jeremiah Peachum, et un dangereux criminel, Macheath dit « Mackie-le-Surineur » (Mackie Messer dans le texte original).
- Prélude
La foire à Soho. « Les mendiants mendient, les voleurs volent, les putains font les putains. » Un chanteur des rues interprète la complainte de « Mackie-le-Surineur ».
Acte I
- Le local de Peachum
Peachum se plaint des difficultés de son métier ; Filch, un jeune homme se présente pour devenir mendiant ; ils établissent le contrat, Filch reçoit son équipement ; Peachum reproche à sa femme de laisser un inconnu courtiser Polly ; il finit par identifier ce « Capitaine » comme étant Macheath, son ennemi juré ; pire, ils s'aperçoivent que Polly n'a pas dormi dans sa chambre.
- Une écurie de Soho, le lendemain après-midi
Le mariage de Macheath et Polly. La fête manque d'entrain (il n'y a que des gangsters) ; visite assez courte de Brown, le chef de la police et néanmoins ami de Macheath.
- Chez Peachum
Retour de Polly ; discussion entre elle et ses parents à propos de son mariage.
Acte II
- Chez Peachum
Peachum décide de faire arrêter Macheath en le dénonçant à la police, supprimant du même coup un gendre et un rival encombrants.
- Le repaire de Mackie
Polly avertit Macheath du danger ; Macheath la charge de diriger sa bande pendant son absence.
- La maison close de Turnbridge
Mme Peachum soudoie Jenny, une prostituée, pour qu'elle aide à l'arrestation de Macheath ; jalouse de Polly, celle-ci accepte et le livre à la police lorsqu'il vient rendre visite aux filles.
- La prison d'Old Bailey
Brown regrette de ne pouvoir rien faire pour Macheath ; devant la prison, altercation entre Polly et Lucy, la fille de Brown, que Macheath a également épousée ; Mme Peachum intervient et emmène sa fille. Macheath réussit à s'évader. Peachum menace Brown de perturber les fêtes du couronnement le lendemain s'il ne fait rien.
Acte III
- Le local de Peachum
Peachum prépare sa manifestation de mendiants ; Brown vient l'arrêter, mais Peachum réussit à reprendre le dessus. Macheath est de nouveau arrêté et condamné à mort.
- La prison
Macheath exprime son désarroi. Arrivée de Brown, devenu héraut de la reine : Macheath est gracié, anobli et doté d'une rente à vie. Les problèmes étant résolus, la réconciliation est générale.
Morceaux musicaux
- La Complainte de Mackie (Die Moritat von Mackie Messer) – un chanteur de rue
- Choral matinal de Peachum (Der Morgenchoral des Peachum) – Peachum
- Chanson d'« Au lieu de » (Der Anstatt-dass-Song) – Peachum, Mme Peachum
- Chanson de noces ou Epithalame des pauvres (Hochzeitslied) – 4 gangsters
- Jenny-des-Corsaires ou La Fiancée du pirate (Das Lied der Seeräuber-Jenny) – Polly[1]
- Le Chant des canons (Der Kanonen-Song) – Macheath, Brown
- Chanson d'amour (Liebeslied) – Polly, Macheath
- Le Chant de Barbara (Barbara-Song) – Polly[2]
- Premier Final de quat'sous (Erstes Dreigroschen-Finale) – Peachum, Mme Peachum, Polly
- Le Chant de Polly (Pollys Lied) – Polly
- Ballade de l'asservissement sexuel (Die Ballade von der sexuellen Hörigkeit) – Mme Peachum
- La Ballade du souteneur ou Tangoballade (Die Zuhälter-Ballade) – Mackie
- Ballade de la vie agréable (Die Ballade vom angenehmen Leben) – Mackie
- Duo de la jalousie (Das Eifersuchtsduett) – Polly et Lucy
- Aria de Lucy (Die Arie der Lucy) – Lucy
- Deuxième final de quat'sous « Car de quoi vit l'homme ? » ( Zweites Dreigroschen-Finale „Denn wovon lebt der Mensch?“) – Mackie, Mme Peachum, Chœur
- Chant de la vanité de l'effort humain (Lied von der Unzulänglichkeit des menschlichen Strebens) – Peachum
- Chanson de Salomon (Salomon-Song) – Jenny
- Appel depuis la tombe (Ruf aus der Gruft) – Mackie
- Épitaphe ou Mackie demande pardon à tout le monde (Ballade, in der Mackie jedermann um Verzeihung bittet) – Mackie
- Il s'agit d'une adaptation de Ballade des pendus de François Villon (« Vous frères humains, qui après nous vivez… »)
- Troisième final de quat'sous (Drittes Dreigroschen-Finale) – Brown, Mackie, Polly, Mme Peachum, Peachum, Chœur
Historique de l'œuvre
L'opéra est créé le (générale, le 28 août) au Theater am Schiffbauerdamm de Berlin. La distribution inclut, entre autres, Lotte Lenya, l'épouse de Kurt Weill dans le rôle de Jenny, et Kurt Gerron dans celui de Tiger Brown ; la direction d'orchestre est assurée par Theo Mackeben et la mise en scène est de Erich Engel.
La personnalité du criminel Mackie-le-Surineur est inspirée à la fois par le Macheath de John Gay, l'histoire de Jack l'Éventreur et les poèmes de François Villon.
L'œuvre est créée en France par Gaston Baty le au théâtre Montparnasse[3], dans la version française de Nicole Steinhof et André Mauprey, mise en scène, décors et costumes de Gaston Baty, avec Lucien Nat (Mackie) et Marguerite Jamois (Polly).
L'œuvre connaît un immense succès en Europe : en cinq ans, elle est jouée plus de 10 000 fois et est traduite en dix-huit langues. L'accueil est plus mitigé à Broadway en 1933.
Une adaptation cinématographique est tournée dès 1931 par Georg Wilhelm Pabst, simultanément en allemand et en français avec, dans la version allemande, Lotte Lenya, et dans la version française Margo Lion (Jenny), Albert Préjean (Mackie), Florelle (Polly) et Antonin Artaud dans un petit rôle. Brecht qui, au début, a participé à l'adaptation de sa pièce en scénario, finit pourtant par désavouer le film.
Avec de forts aspects social et politique, voire « une sorte de satire à charge contre le capitalisme » pour L'Humanité[4], l'opéra suscite d'importantes polémiques en Allemagne et est interdit par les nazis, comme les autres œuvres de Kurt Weill, en 1933[5],[6].
Une version réorchestrée par Maurice Thiriet a été créée le 3 avril 1954 à l'Opéra de Monte-Carlo sous la direction de Richard Blareau, mise en scène de Louis Ducreux, décors et costumes de Georges Wakhévitch, chorégraphie de John Taras, puis reprise le 20 avril suivant au théâtre de l'Empire à Paris.
Analyse de l'œuvre
Une optique expressionniste ?
Brecht est un auteur appartenant à, ou en tous cas très influencé par le mouvement expressionniste. Il semble alors évident que cette pièce s'inscrive dans une certaine optique expressionniste, en ce sens principalement que Brecht a la volonté de se détacher de la réalité, pour la critiquer, notamment grâce à des procédés tels que la distanciation brechtienne.
Les adresses au public y sont donc fréquentes, abrogeant ainsi le 4e mur traditionnel entre l'espace scénique et l'assemblée des spectateurs, incluant ainsi le public dans l'espace de jeu et favorisant la réaction émotionnelle de celui-ci, si chère aux expressionnistes.
Quant aux mises en abîme, c'est un procédé très largement utilisé par Brecht dans cette œuvre, car elles lui permettent une fois de plus de mettre à distance la réalité en créant une deuxième instance scénique à l'intérieur de la première. Les personnages deviennent spectateurs d'une fiction interne à la fiction première, et cette confusion opérée entre personnage et spectateur pousse le public à s'interroger sur la réalité : si spectateur et personnage peuvent être si aisément confondus, alors comment savoir si je ne suis pas qu'un acteur/personnage de la grande mascarade qu'est le monde qui m'entoure ?
Le style défie directement le public de l'époque en ouvrant une brèche dans le « quatrième mur » avec ce que Brecht a appelé la « distanciation ». Par exemple, des slogans sont projetés sur le mur du fond et les acteurs portent parfois des pancartes, ou sortent de la situation dramatique pour s'adresser directement au public. L'interprétation défie les notions conventionnelles de propriété aussi bien que celles du théâtre. Il pose la question rhétorique centrale : « Qui est le plus grand criminel : celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? »
Le style musical
Kurt Weill emprunte à de nombreux genres ou styles musicaux tels le choral luthérien, la musique d'opéra, le jazz, la chanson populaire de cabaret. Alors qu'il ennoblit la musique de jazz et la chanson populaire en les associant à des textes d'une grande portée morale, il banalise l'air d'opéra et le choral religieux par un contenu des plus convenus, en vertu d'un parti pris éthique de renversement des valeurs traditionnelles d'une société tournée en dérision, l'ensemble faisant alterner la parole, le chant et la déclamation.
Adaptations
Cinéma
- L'Opéra de quat'sous de Georg Wilhelm Pabst (1931)
- L'Opéra de quat'sous de Wolfgang Staudte (1962)
Musique
La chanson d'ouverture, La Complainte de Mackie est devenue un standard de jazz grâce à sa reprise entre autres par Louis Armstrong et par Ella Fitzgerald sous le titre Mack the Knife.
En revanche, Alabama Song qui a acquis une grande popularité dans le monde du rock (reprise notamment par le groupe The Doors), n'est pas tirée de L'Opéra de quat'sous mais de l'opéra Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny des mêmes Bertolt Brecht et Kurt Weill.
Notes et références
- Selon le livret, mais peut être interprétée par Jenny.
- Barbara n'est pas le nom d'un des personnages de la pièce de Brecht mais le prénom de sa fille.
- Giovanni Lista, « Sur la première mise en scène de Brecht en France », Obliques, 1979, nos 20-21, p. 219-223.
- « L'Opéra de quat'sous », sur humanite.fr, (consulté le )
- « Die Dreigroschenoper », sur musicologie.org (consulté le )
- « Bertold Brecht », sur theatredunord.fr (consulté le )