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Industrie pétrolière en Ouganda

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Photographie couleur d'un camion-citerne pétrolier roulant sur une route africaine.
Camion-citerne pétrolier en Ouganda.

L'industrie pétrolière en Ouganda est très récente, puisque les premiers gisements sont découverts en 2006. Le projet pétrolier est fortement soutenu par le président Yoweri Museveni, et porté par trois entreprises : la française Total, la chinoise CNOOC et l'anglo-irlandaise Tullow.

Le projet industrialo-minier conjugue une extraction dans le sous-sol du lac Albert — deux projets concrétisent ce développement, Tilenga au centre et Kingfisher au sud-est du lac —, un transport des produits pétrolier par un oléoduc de 1 445 kilomètres passant principalement par la Tanzanie, et des développements futurs industriels, notamment en matière de raffinage.

Le projet, qui implique des investissements extrêmement coûteux, est très critiqué pour son impact écologique, pour l'absence de contrepartie positive en faveur de la population, et pour le manque de visibilité dans la gouvernance liée à cette exploitation.

Historique

Découverte des gisements

Les premières découvertes de pétrole datent de 2006. Les réserves trouvées sous le lac Albert, découvertes par l'entreprise australienne Hardman Resources, sont estimées à 6,5 milliards de barils, dont 1,4 milliards récupérables dans l'état actuel de la prospective. Ces réserves placent l’Ouganda au quatrième rang des plus importantes réserves de l'Afrique subsaharienne. À l'époque, Yoweri Museveni, qui parle de « son pétrole » comme d'« une bénédiction pour l’Ouganda », envisage un démarrage de la production dès 2009 avec une extraction de six à dix mille barils quotidiens[1].

21 % de la population ougandaise vit dans une pauvreté extrême. L'État voit dans ce projet la possibilité de gagner grâce au pétrole un milliard et demi de dollars par an, et de faire passer le PIB par habitant de 630 à plus de mille dollars[2].

Rapidement, les compagnies pétrolières se pressent mais des différends fiscaux et commerciaux apparaissent entre elles et le gouvernement, ce dernier adoptant une posture inflexible. Par ailleurs, l'État ougandais peine à acquérir l'expertise technique et l'appareil réglementaire, ainsi qu'à définir le tracé de l'oléoduc permettant d'exporter les hydrocarbures[1].

Veerappa Moily (en), alors ministre du pétrole indien dans le premier gouvernement Modi, lors d'une rencontre bilatérale en Ouganda avec son homologue Irene Muloni.

L'Ouganda est intéressant pour Total notamment à cause de sa grande stabilité politique, due en partie à la politique musclée du président Museveni. Ce projet répond par ailleurs, du point de vue de l'entreprise, à une garantie de production : d'autres gisements exploités par la multinationale offrent des volumes en baisse. Patrick Pouyanné, alors directeur stratégie, croissance et recherche, mise sur ce nouveau gisement. Ce projet, dont la rentabilité prévue est assez importante pourvu que le baril de pétrole soit au-delà de 50 $, permet également à Total de financer des investissements dans des énergies renouvelables[3].

Construction

Le , Total lance officiellement le chantier de l'oléoduc, qui est le plus gros projet pétrolier de l'année. La signature par Patrick Pouyanné, PDG de Total, ainsi que par les deux chefs d'État tanzanien et ougandais a lieu à Chato. L'investissement permettrait d'extraire et de convoyer 230 000 barils par jour à partir de 2025. Le financement de l'infrastructure est notamment assuré par la Standard Bank et le Sumitomo Mitsui Financial Group[4],[5].

Infrastructures

Carte de l'Afrique de l'Est, traversée par un arc allant depuis un lac situé au nord-ouest jusqu'à la côte de l'Océan Indien.
Le tracé du futur oléoduc est-africain de pétrole brut (en), prévu pour 2025.

Le gisement lui-même sera exploité par plus de quatre cents puits, reliés entre eux par 180 kilomètres d'oléoducs[6].

Sur place, à proximité des gisements, le projet prévoit, outre les puits d'extraction, la construction d'un aéroport à Kabale. Celle-ci commence en avril 2018, et est censée s'achever en 2023[7] ; il a coûté 309 millions de dollars et est financé par le gouvernement central ougandais[8].

L'oléoduc est-africain de pétrole brut (en) est une infrastructure de 1 445 kilomètres de longueur, qui traverse l’Ouganda du nord au sud, avant d'entrer en Tanzanie. L'oléoduc est prévu pour coûter environ trois milliards et demi de dollars[9], qui sera en permanence chauffé à 50°C pour maintenir le fluidité des hydrocarbures[10].

Critiques

Expropriations

La mainmise des compagnies pétrolières sur les terres dont le sous-sol doit être exploité s'accompagne d'expropriations. En , entre quinze et cinquante mille villageois ougandais avaient déjà été expropriés. En septembre 2017, le président Museveni commence une campagne de communication afin de promulguer un décret facilitant et accélérant les expulsions lors de travaux dits d'intérêt général[11],[12].

Les habitants de Rwamutunga sont particulièrement médiatisés. En 2014, ils sont expulsés de leur village à la place duquel les entreprises pétrolières veulent construire un centre de traitement des déchets pétroliers. La faiblesse du droit foncier ougandais joue en la faveur des multinationales : aucun document n'atteste de la propriété cadastrale. Un propriétaire local, Joshua Tibagwa, se prétend ainsi propriétaire de toute la zone qu'il fait expulser avec l'appui de la police et de l'armée[12].

Les villageois de Rwamutunga sont placés dans un camp dans lequel dix-huit d'entre eux, dont trois nouveau-nés, meurent de privations ou de maladie. Des ONG leur viennent en aide, ainsi que le député Daniel Muheirwe Mpamizo, qui plaide leur cause devant le Parlement. En janvier 2017, la cour de la capitale régionale juge l'arrêté d'expulsion illégal et les villageois sont, au moins provisoirement, autorisés à rentrer dans leur village, qu'il leur faut reconstruire[12].

La construction du seul oléoduc met en péril douze mille familles, selon un rapport de la Fédération internationale pour les droits humains et d'Oxfam International. Par ailleurs, le très faible niveau des indemnisations est pointé par les observateurs[13].

Selon les associations écologiques Les Amis de la Terre et Survie, qui publient en octobre 2020 le document Un cauchemar nommé Total, plus de cent mille personnes sont directement menacées par les projets pétroliers[14].

Aspects écologiques

Une partie importante du gisement est située dans le Parc national Murchison Falls[10]. La moitié des espèces d'oiseaux et 39 % des espèces de mammifères vivant en Afrique sont présents sur les rives du lac Albert

Deux cent cinquante ONG adressent le un courrier enjoignant aux chefs d'État d’Ouganda et de Tanzanie de ne pas construire « le plus long oléoduc de pétrole brut chauffé au monde », en attestant de « risques largement documentés »[9]. Cet oléoduc traversera en effet plus de deux cents zones humides, rien qu’en Ouganda[2]. Plus loin, les réserves forestières de Taala et de Biharamulo, abritant une riche diversité écologique et notamment une des dernières populations de colobes, sont également menacées. Sur plus d'un tiers de son parcours, l'oléoduc traversera le bassin-versant du Nil Blanc, à peu de distance du lac Victoria[10].

Les six associations Les Amis de la Terre, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE et NAVODA avaient assigné Total en justice le , en s'appuyant sur la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre[15]. Le Tribunal judiciaire de Nanterre se déclare toutefois incompétent le , renvoyant l'affaire au Tribunal de commerce de Paris[16]. Le collectif des plaignants fait alors appel auprès de la cour de Versailles, qui confirme le le jugement initial et renvoie au tribunal de commerce[17]. Ce jugement est à son tour cassé le par un arrêt de la Cour de cassation qui juge que l'affaire doit être jugée devant un tribunal judiciaire[18].

Gouvernance

La gouvernance du projet est très critiquée par l'opposition politique du pays. Un « fonds pétrole » a ainsi été créé en 2015 pour utiliser les revenus de l'exploitation du pétrole en vue d'épargner pour les générations futures et de développer les infrastructures. Mais cette somme est en réalité utilisée pour des dépenses de fonctionnement[19]. Dès 2011, plusieurs ministres sont accusés d'avoir reçu des pots-de-vin des compagnies pétrolières ; les députés ougandais demandent leur démission[20].

La contestation touche jusqu'aux rangs de la majorité présidentielle. Ainsi, en , Cerinah Nebanda est retrouvée morte après avoir proposé une loi sur la transparence financière pour les groupes pétroliers. Le général David Sejusa, ancien coordonnateur des services de renseignement, estime qu'elle a été assassinée sur l'ordre du président[19].

Enfin, la pandémie de Covid-19 et les premiers effets sensibles de la transition énergétique affectent la demande mondiale en pétrole, ce qui remet en cause la viabilité économique de l'ensemble du projet. Mais, étant donné l'effort financier consenti notamment par Total, celui-ci ne peut plus faire machine arrière, d'après un ancien haut responsable de l'entreprise[21].

Notes et références

  1. a et b François d'Alançon 2021, Introduction, p. 22.
  2. a et b AFP, « Ouganda: les infortunes de l'exploitation pétrolière », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne).
  3. François d'Alançon 2021, Totale transparence ?, p. 29 & 30.
  4. Vincent Collen, « Pétrole : Total lance le plus gros projet de l'année en Ouganda », Les Échos,‎ (ISSN 0153-4831, lire en ligne).
  5. Vincent Collen, « Ouganda : le pétrole du lac Albert sera acheminé vers la Tanzanie via un oléoduc de 1400 km », La Tribune,‎ (ISSN 1760-4869, lire en ligne).
  6. François d'Alançon 2021, Expropriation, compensation, inondation, p. 25 & 26.
  7. François d'Alançon 2021, Introduction, p. 21.
  8. François d'Alançon 2021, Hoima, p. 24 & 25.
  9. a et b AFP, « L’Ouganda et la Tanzanie s’accordent pour la construction d’un oléoduc », Le Monde,‎ (ISSN 0395-2037, lire en ligne).
  10. a b et c François d'Alançon 2021, Des tuyaux dans la forêt, p. 23 & 24.
  11. François d'Alançon, « Ouganda : chassés par le pétrole », France Télévisions,‎ (lire en ligne).
  12. a b et c Gaël Grilhot, « Comment un village ougandais tente de sauver ses terres de la ruée vers l’or noir », Le Monde,‎ (ISSN 0395-2037, lire en ligne).
  13. Kevin Comte, « Pétrole : le projet de Total en Tanzanie et en Ouganda menacerait 12.000 familles et l’environnement », Capital,‎ (ISSN 1162-6704, lire en ligne).
  14. AFP et Reuters, « En Ouganda et Tanzanie, les projets de Total touchent des “dizaines de milliers de personnes” », Le Monde,‎ (ISSN 0395-2037, lire en ligne).
  15. AFP, « Six ONG assignent Total en justice pour ses activités “désastreuses” en Ouganda », Sud Ouest,‎ (ISSN 1760-6454, lire en ligne).
  16. AFP, « Activités de Total en Ouganda : le tribunal judiciaire de Nanterre se déclare incompétent », Ouest France,‎ (ISSN 0999-2138, lire en ligne).
  17. « Total en Ouganda : la cour d'appel de Versailles renvoie l'affaire au tribunal de commerce », AEF info,‎ (lire en ligne).
  18. AFP, « Total en Ouganda : la Cour de cassation tranche en faveur des ONG qui y voient “une première victoire” », Sud Ouest,‎ (ISSN 1760-6454, lire en ligne).
  19. a et b François d'Alançon 2021, Le défi de la gouvernance pétrolière, p. 25.
  20. Gabriel Kahn, « La malédiction du pétrole en Ouganda », France Inter,‎ (lire en ligne).
  21. François d'Alançon 2021, Les coûts du risque, p. 30 & 31.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • [François d'Alançon 2021] François d'Alançon, « Ouganda : Total dans le piège de l'or noir », La Croix, no 41994,‎ , p. 20-31 (ISSN 0242-6056, lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article