Conseil des troubles

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Gravure de 1679

Le Conseil des troubles (en néerlandais : Raad van Beroerten ; en espagnol : Tribunal de los Tumultos) est un tribunal d'exception mis en place par le duc d'Albe, nommé gouverneur général des Pays-Bas par Philippe II en , afin de réprimer les troubles survenus depuis 1566 à la suite de la révolte des Gueux et de la crise iconoclaste, événements qui sont à l'origine du soulèvement des Pays-Bas contre Philippe II, qui allait aboutir à l'indépendance des Provinces-Unies.

En raison des nombreuses condamnations à mort prononcées dès les premiers mois, celles notamment les comtes d'Egmont et de Horn, ce tribunal a été surnommé le Conseil du sang (Bloedraad).

Le Conseil des troubles a fonctionné sous les gouvernements du duc d'Albe et de son successeur, Luis de Requesens, et a été aboli le 14 mai 1576 par le Conseil d'État des Pays-Bas, dépositaire du pouvoir de gouvernement après la mort de Requesens (5 mars), non remplacé.

Contexte

Le statut des Pays-Bas sous Philippe II

Les Pays-Bas (ou dans le langage de l'époque : « les Pays d'Embas » ou « les Pays de par deça ») sont un ensemble d'entités féodales, allant de l'Artois au sud à la Frise au nord, rassemblées aux XIVème et XVème siècles entre les mains des ducs de Bourgogne.

Après la mort de Charles le Téméraire (1477), les provinces des Pays-Bas bourguignons ont été transmises à la maison de Habsbourg[1], notamment à Charles, son arrière-petit-fils, qui est aussi devenu roi d'Aragon et roi de Castille en 1516, en tant que petit-fils des Rois Catholiques, et a été élu empereur en 1519 sous le nom de Charles Quint (Charles V), en tant que chef de la maison de Habsbourg, petit-fils de Maximilien d'Autriche.

En 1555, Charles Quint abdique la souveraineté sur les Pays-Bas au profit de son fils aîné Philippe, avant de lui céder les couronnes espagnoles en 1556. Statutairement, Philippe II règne sur les Pays-Bas non pas en tant que roi de Castille ou d'Aragon (les Néerlandais ne sont pas des sujets espagnols), mais en tant que descendant de Charles le Téméraire, et à ce titre duc de Brabant, comte de Flandre, comte de Hollande, comte de Zélande, etc. (on compte en général dix-sept provinces néerlandaises), territoires qui font partie du Saint-Empire[2], et plus particulièrement du cercle de Bourgogne.

Les problèmes du début du règne (1555-1566)

Philippe est présent aux Pays-Bas de 1557 à 1559, en raison de la guerre contre la France, la onzième et dernière guerre d'Italie, qui se termine par la victoire de Philippe (traité du Cateau-Cambrésis).

Il repart en Espagne en confiant la régence à sa demi-sœur Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas, assistée de trois conseillers : Antoine Perrenot de Granvelle, Viglius van Aytta et Charles de Berlaymont. Ceux-ci sont chargés d'appliquer la politique de Philippe : limiter les privilèges des provinces et des villes, limiter le rôle de la noblesse dans le gouvernement ; lutter sans pitié contre le protestantisme.

Ils se heurtent au sein du Conseil d'État à trois nobles de haut rang : Guillaume d'Orange-Nassau, Lamoral d'Egmont et Philippe de Montmorency, comte de Horn, soutenus par un grand nombre de nobles moyens ou petits et par les membres des conseils urbains.

En 1565, se forme une ligue des Nobles qui met au point la pétition dite Compromis des Nobles, demandant notamment des mesures de tolérance envers les protestants. La présentation de la pétition à la gouvernante en mai 1566 aboutit aux débuts de la révolte des Gueux. La situation s'aggrave au mois d'août 1566 lorsque des calvinistes radicaux se lancent dans le mouvement iconoclaste, marqué par la destructions d'un grand nombre d'églises catholiques. C'est le début d'un affrontement entre l'armée de la gouvernante et les calvinistes, dont l'événement le plus important est le siège de Valenciennes.

Malgré les succès militaires, l'armée de la gouvernante ne réussit pas à mettre fin aux troubles. Aussi, au printemps de 1567, Philippe II décide d'envoyer aux Pays-Bas une armée commandée par Ferdinand Alvare de Tolède, duc d'Albe, avec des consignes excluant tout compromis. Nombre de Néerlandais quittent le pays sans l'attendre, notamment Guillaume d'Orange, qui se réfugie en Allemagne. Mais aussi beaucoup de marins, qui formeront ensuite la flotte des gueux de mer.

Le duc d'Albe et son armée arrivent à Bruxelles, lieu de résidence de la gouvernante, le 20 août 1567.

La politique du duc d'Albe

Les premières arrestations et le départ de la gouvernante

Le duc d'Albe adopte d'abord une attitude conciliante, arrivant à susciter la confiance des deux opposants du Conseil d'État encore présents à Bruxelles : les comtes d'Egmont de Hornes. Les ayant invités à venir discuter avec lui de la situation, il les fait arrêter à l'issue de leur entretien (9 septembre 1567), ainsi que le secrétaire d'Egmont, Jan van Casembroot[3], à son domicile. Il semble que le comte de Hornes ait été réticent pour venir à cette conférence, et qu'Egmont l'ait convaincu qu'il n'y avait pas de danger (cela est évoqué par Montaigne, Essais, livre I, chapitre VII). Ils sont emprisonnés au château des Espagnols à Gand.

Cette attitude déloyale suscite la réprobation de Marguerite de Parme, qui comprend qu'elle a été mise de côté par Philippe II : elle préfère demander son congé[4] et, après avoir reçu l'accord de Philippe II, quitte Bruxelles pour l'Italie (30 décembre 1567). Le duc d'Albe devient officiellement gouverneur général des Pays-Bas, ce qu'il était de fait dès son arrivée.

Il est chargé d'une double mission : répression et suppression des privilèges politiques existant encore aux Pays-Bas. L'aspect « répression » est dévolu à un conseil créé pour la circonstance.

Les débuts du Conseil des troubles

Il décide en effet d’établir un tribunal destiné à sévir contre ce qu’il appelle les « désordres passés »[5], le Conseil des troubles.

Celui-ci tient sa première séance le 20 septembre 1567[6]. En font alors partie les Espagnols del Rio, Vargas et de la Torre et les Néerlandais Charles de Berlaymont, Philippe de Noircarmes, Martens et Hesselen, ainsi que le procureur-général Jean du Bois[7].

Il s'agit au départ d'un conseil de gouvernement chargé de superviser la répression, qui doit être menée, selon les lois et coutumes, par les tribunaux ordinaires et par les tribunaux urbains ou ecclésiastiques. Mais, pour des raisons d'efficacité, il va devenir lui-même un organisme judiciaire de premier plan, un tribunal d'exception dans lequel le gouverneur général a un rôle prédominant.

Le Conseil des troubles

Organisation

Il est présidé par le gouverneur général, aidé par deux vice-présidents et des juristes. Ces assistants sont recrutés dans la noblesse, dans le milieu des conseils provinciaux et dans l'entourage espagnol du duc d'Albe.

Au départ, seuls Juan de Vargas et Louis del Rio avaient le droit de vote. Jerónimo de Roda (nl), un autre Espagnol, les rejoindra en 1571.

Les décisions du conseil devaient être homologuées par le gouverneur général, président du conseil.

Liste des membres

D'origine

  • Président : le duc d'Albe (1567-1573)
  • Vice-président : Luis del Rio (1567-1576)
  • Vice-président : Juan de Vargas (1567-1573)
  • Jean du Bois, procureur général au Conseil de Malines (cour supérieure de justice des Pays-Bas)
  • Adrien Nicolas, chancelier de Gueldre
  • Jacob van Hesselen, conseiller de Gand
  • Jean de la Porte, conseiller de Gand
  • Charles de Berlaymont
  • Philippe de Noircarmes
  • Jean de Ligne, comte d'Aremberg
  • Jacques de la Torre, secrétaire
  • Antonio del Rio, trésorier général

Ultérieurs

  • Président : Luis de Requesens (1573-1576)
  • Jeronimo de Roda (1570-1576)

Prérogatives

Présenté à l'origine comme un simple organe consultatif devant rendre des avis pour guider les trois conseils de gouvernement (conseils d'État, privé et des finances) et le Grand conseil de Malines, le conseil des troubles cumulait en fait les compétences de ces institutions en prononçant condamnations et saisies financières. Il pouvait passer outre toutes les juridictions inférieures et ignorait les privilèges provinciaux et particuliers. Cette dernière disposition posa de graves problèmes lors du jugement des comtes de Hornes et d'Egmond, qui en qualité de chevaliers de la Toison d'or ne pouvaient être jugés que par leurs pairs ou le souverain lui-même, sans délégation.

Le conseil avait compétence sur tous les faits de dissidence religieuse, alors assimilée à un crime de lèse-majesté. Après le placard sur la sédition, l'opposition politique fut également réprimée à ce titre et sous le vocable de haute-trahison. Face à ces nouvelles compétences et à la multiplication des cas, le conseil enfla: on le divisa en deux chambres civiles et deux chambres criminelles à compétences régionales. Les premières avaient la charge des appels à la suite des confiscations, les deux autres jugeaient effectivement les cas. Toutes les affaires devaient passer par le conseil qui pouvait éventuellement s'en dessaisir sur les organes ordinaires du gouvernement, ce qu'il fit rarement.

Il avait la rare particularité de procéder entièrement par écrit : tout se passait par le biais de rapport et de lettres sans que l'on ne s'exprime jamais à l'oral. Cette procédure exceptionnelle était, entre autres, due au fait que le duc d'Albe parlait assez mal français, mais frustrait profondément les justiciables qui avaient l'impression de ne pas pouvoir se défendre. Du fait même de ses compétences et de ce fonctionnement, il gagna une solide réputation d'arbitraire.

La répression

Le procès et l'exécution d'Egmont et de Hornes

Après l'arrestation d'Egmont, son épouse sollicite de nombreuses personnalités (le roi et la reine d'Espagne, la reine d'Angleterre, l'empereur Maximilien II), mais en vain. De son côté, il essaie de se prévaloir de son appartenance à l'ordre de la Toison d'Or, selon les statuts duquel il ne peut être jugé que par les membres de l'ordre, aussi en vain.

Il est interrogé à Gand par Juan de Vargas et Luis del Rio les 12 et 13 novembre. Le procès, pour haute trahison, a lieu devant le Conseil des troubles en décembre[8]. Egmont et Hornes sont tous deux condamnés à mort.

Les deux hommes sont décapités le 5 juin 1568 à Bruxelles. Cette double exécution intervient peu de temps après l'offensive lancée par Guillaume d'Orange, notamment sa victoire (sans lendemain) remportée à Heiligerlee, le 23 mai 1568.

Jan van Casembroot, à son tour condamné par le Conseil le 9 août 1568, est décapité le 14 septembre au château de Vilvorde, en même temps que le maire d'Anvers, Antoon van Stralen[9]. .

Bilan de la répression sous le duc d'Albe

Le gouvernorat de Luis de Requesens

En 1573, le duc d'Albe est rappelé alors que l'insurrection dirigée par Guillaume d'Orange s'est solidement implantée depuis l'année précédente dans les provinces de Hollande et de Zélande. Il est remplacé par Don Luis De Requesens, moins intransigeant. Dès 1573, Requesens envoie à Philippe II un courrier lui dévoilant toutes les déviances du Conseil des troubles et recommandant de restituer ses fonctions judiciaires aux tribunaux ordinaires.

Le Conseil des troubles continue d’exister jusqu’après la mort de Requesens[10], mais ne prononce plus de condamnations à mort. En revanche, les tribunaux ecclésiastiques (« Inquisition ») continuent d'en prononcer lorsque les insurgés ne sont pas au pouvoir (dans le nord des Pays-Bas, la dernière condamnation a lieu en 1574 à Leeuwarden).

La fin du Conseil des troubles

Après la mort du gouverneur général en mars 1576, Philippe II ne nomme pas immédiatement de remplaçant[11], le Conseil d'État assume ses fonctions. Sous la pression de la population et des États provinciaux, notamment ceux du duché de Brabant, il dissout le Conseil des troubles le 14 mai 1576.

Par la suite, la situation devenant difficile alors que les soldats de l'armée espagnole ne sont plus payés, les États de Brabant et le Magistrat de Bruxelles procèdent à un coup d'État en emprisonnant les membres du Conseil d'État (4 septembre 1576[12]).

Ils arrêtent aussi Louis del Rio, qui n'est pas conseiller d'État, mais a été un membre important du Conseil des troubles. Emprisonné, il est déféré pour interrogatoire auprès de Guillaume d'Orange (30 janvier 1577), et finalement relâché, mais ses biens sont confisqués. Au service du nouveau gouverneur général, don Juan d'Autriche, il meurt comme lui d'une fièvre au camp de Bouge, près de Namur (31 juillet 1578).

Notes et références

  1. Du fait du mariage de Marie de Bourgogne, fille du Téméraire, avec Maximilien d'Autriche.
  2. La suzeraineté du roi de France sur les comtés de Flandre et d'Artois a été abolie par le traité de Madrid (1526).
  3. Cf. page anglaise Jan van Casembroot (Jehan de Casembroot, 1525-1568).
  4. Selon la page allemande Margarethe von Parma, son secrétaire part pour Madrid en septembre ; Philippe II accepte la demande de Marguerite.
  5. Alphonse Verheyden, Le conseil des troubles, Flavion-Florennes, Editions le phare, coll. « Histoire du protestantisme en Belgique et au Congo belge »,
  6. Nuyens, Geschiedenis der Nederlandsche beroerten in de XVie eeuw..., Amsterdam, 1866, page 50.
  7. Cf. page néerlandaise Jean du Bois
  8. Selon la page néerlandaise Lamoraal van Egmont.
  9. Pages néerlandaise Antoon van Stralen, page anglaise Anthony van Stralen, Lord of Merksem (1531-1568)
  10. Louis-Prosper Gachard, « Notice sur le Conseil des Troubles institué par le duc d’Albe », Bulletins de l’Académie royale des Sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, vol. Tome XVI - IIème partie,‎ , p. 50-78
  11. Son successeur, don Juan d'Autriche, est nommé seulement en juin 1576 et arrive en novembre.
  12. Cf. page néerlandaise Gevangenname van de Raad van State

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Louis-Prosper Gachard, « Notice sur le Conseil des Troubles, institué par le duc d'Albe », Bulletins de l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux arts de Belgique, t. XVI, deuxième partie,‎ , p. 50-78
  • Gustaaf Janssens, « L’abolition du Conseil des Troubles du duc d’Albe, un conseil "communément haï" aux Pays-Bas (1573-1576) », dans Éric Bousmar (dir.), Justice, gouvernement et législation dans les Pays-Bas espagnols, Bruxelles, Presses de l'université Saint-Louis, p. 251-279, lire en ligne