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Un modèle anonyme qui suscite bien des fantasmes d’identité[modifier | modifier le code]

Aucune source historique ne documente les circonstances de la réalisation du tableau par Courbet. Celui-ci n’en fait nulle part mention dans sa correspondance[1], et les témoignages de ses contemporains, qui sont rares et parcellaires, n’apportent aucune certitude formelle sur l’identité du modèle. Pour autant, les spéculations sont allées bon train, amplifiées depuis que le tableau est entré dans les collections publiques, comme si l’anonymat du modèle était particulièrement insupportable et/ou un puissant stimulant de fantasmes pour les enquêteurs. C’est ainsi qu’une multitude d’hypothèses, plus ou moins sérieuses et étayées, ont voulu donner un nom, et surtout un visage, à ce sexe anonyme.

Une fausse piste durable[modifier | modifier le code]

L’une d’elle, longtemps en vogue, a affirmé qu’il s’agissait de Johanna (dite « Jo ») Hiffernan, une irlandaise muse modèle et maîtresse du peintre James McNeill Whistler qui la décrit ainsi à Fantin-Latour : « C’est des cheveux les plus beaux que tu n’aies jamais vu ! d’un rouge non pas doré mais cuivré, comme tout ce qu’on a rêvé de Vénitienne[2] ! » En dépit de l’aporie faisant d’une irlandaise connue pour être une vraie rousse, la propriétaire de la toison noire de L’Origine du Monde, cette version s’est diffusée à l’envi jusqu’à culminer le 7 février 2013 avec le tapage médiatique causé par l’improbable découverte d’un fragment de tableau complétant L’Origine du Monde identifié comme la tête de Jo[3], un scoop « fantaisiste » selon le Musée d’Orsay, qui depuis a fait long feu[4].

La première mention selon laquelle Joanna Hiffernan avait ‘‘probablement’’ servi de modèle à L’Origine remonte à 1978, par l’historienne de l’art Sophie Monneret. Jean-Jacques Fernier reprit l’hypothèse dans le catalogue de l’exposition « Les Yeux les plus secrets » qu’il organisa en 1991 à Ornans, où le tableau, qui appartenait alors à Sylvia Bataille, fut pour la première fois présenté au public français. Cette version devint, en 2000, le pivot du scénario développé par Christine Orban dans un roman : J’étais l’origine du monde (Albin-Michel)[5][6]. Le succès de dernier a contribué à diffuser la légende tenace selon laquelle la rousse irlandaise aurait été non seulement le modèle, mais de surcroît la maîtresse de Courbet, et le tableau l’objet de rupture entre elle et son amant Whistler. Une version romancée largement répandue[7] et qu’une enquête historique minutieuse a récemment permis de démentir définitivement, en montrant que Johanna Hiffernan n’était pas à Paris au moment où la toile a été peinte, que la rupture entre Jo et Whistler date de 1872 et que la prétendue jalousie amoureuse de ce dernier est pure invention romanesque[8]. Bien au contraire, c’est Whistler qui invita Courbet à peindre le visage de Jo, en 1865, à Trouville, en un portrait intitulé « Jo, la Belle Irlandaise » qui rend honneur à la splendeur de sa chevelure rousse. Tout indique que leurs relations se soient arrêtées là[9][10].

Autres spéculations[modifier | modifier le code]

D’autres noms ont circulé visant à abolir l’anonymat de L’Origine du Monde. Ainsi, celui de deux femmes, parmi les plus prisées à Paris en 1866, deux fameuses courtisanes, à la fois maîtresses du prince Napoléon (proche cousin de Napoléon III), et de Khalil-Bey, le propriétaire de la toile : Jeanne de Tourbey[11] (surnommée « La dame aux violettes ») et Cora Pearl[12] (surnommée ‘’La grande horizontale’’). Une troisième maîtresse de Khalil Bey, Constance Quéniaux, tient la corde de nos jours, depuis que Claude Schopp, spécialiste d’Alexandre Dumas, a restitué le sens corrompu d’une lettre de ce dernier à George Sand où il écrit : « On ne peint pas de son pinceau le plus délicat et le plus sonore l’intérieur de Mlle Queniault (sic) de l’Opéra »[13]. Ajoutant du crédit à cette hypothèse, la chevelure intensément brune de Constance Quéniaux s’accorde, elle, bien avec la toison de L’Origine.

S’il ne semble pas absurde que le modèle ait pu appartenir au « sérail » de Khalil Bey, « le Turc des Boulevards » destinataire du tableau, collectionneur de nus et amateur de femmes, il semble en revanche très improbable qu’un modèle ait pu tenir longtemps la pose exigée par le tableau de Courbet. Ce dernier argument est avancé pour suggérer le rôle intermédiaire qu’a pu jouer la photographie dans la fabrication de la toile[14].

Le rôle de la photographie[modifier | modifier le code]

Il existe plusieurs mentions, sous la plume de Courbet et de ses correspondants, de son utilisation de photographies pour peindre des nus[15][16]. Il conservait du reste plusieurs centaines de clichés de nus dans son atelier d’Ornans, dont certains par Vallou de Villeneuve, par Joseph-Auguste Belloc et par les frères Louis-Auguste et Auguste-Rosalie Bisson[17]. Le cadrage de L’Origine du Monde reprend à l’identique celui d’épreuves conçues pour le stéréoscope par Belloc, dont le modèle, s’il faut absolument un nom, s’appelait Augustine Legaton[18]. Pour un grand nombre d’historiens de l’art contemporains parmi les plus sérieux et avec les meilleurs arguments, la photographie pornographique est source, à la fois, de l’iconographie et de la composition de l’Origine. On compte Linda Nochlin[19], Valérie Bajou[20], Thierry Savatier[14], Laurence des Cars et Dominique de Font-Réaulx[18] parmi les partisans de cette dernière interprétation.

  1. Petra Ten-Doesschate Chu, Édition commentée de la Correspondance de Gustave Courbet, Paris, Flammarion, , 635 p. (ISBN 978-2080117649)
  2. (en) The Correspondence of James McNeill Whistler, 1855-1903, University of Glasgow, Margaret F. MacDonald, Patricia de Montfort et Nigel Thorp (éd.) (lire en ligne), lettre de janvier-juin 1861, GUW 08042. C’est Whistler qui souligne.
  3. Pour la reconstitution détaillée du dossier, voir la postface de la nouvelle (5ème) édition de L’Origine du Monde de Thierry Savatier, Paris, Bartillat 2019, p. 265-304.
  4. « Communiqué de presse du Musée d’Orsay « L'Origine du monde n'a pas perdu sa tête... » », sur musee-orsay.fr, (consulté le )
  5. Thierry Savatier, « De qui « L’Origine du monde » est-elle le nom ? », sur lemonde.fr, (consulté le )
  6. Antoinette Le Normand-Romain, Isolde Pludermacher, Thierry Savatier (éd.), Cet obscur objet de désirs – Autour de L’Origine du monde, Paris, Liénard, , 175 p. (ISBN 978-2359061147)
  7. C’est d’ailleurs la version qui figura dans l’encyclopédie libre Wikipédia, depuis la création de la page le 13 janvier 2005, jusqu’au 10 juin 2019 et que de nombreux ouvrages historiques ont colporté telle une vulgate.
  8. Yves Sarfati, L’Anti-Origine du Monde, Les Presses du Réel, , 460 p. (ISBN 978-2840668336)
  9. Pour un récit circonstancié de l’histoire du trio : Yves Sarfati, L’Anti-Origine du Monde, Les presses du réel, 2017
  10. Thierry Savatier, L’Origine du Monde, Bartillat, 2019 (5ème édition), 322 p. (ISBN 978-2841006670), p. 54-64
  11. Michèle Haddad, Gustave Courbet, Peinture et Histoire, Paris, Presses du Belvédère, , 243 p. (ISBN 978-2884190855), p. 142
  12. (en) Klaus Herding, Courbet, A Dream of Modern Art, Francfort, Hatje Cantz, , 304 p. (ISBN 978-3775726290), p. 34
  13. Claude Schopp, L’Origine du Monde, vie du modèle, Paris, Phoebus, , 160 p.
  14. a et b Thierry Savatier, L'Origine du Monde, Bartillat, 2019 (5ème édition), 322 p. (ISBN 978-2841006670), p. 67-69
  15. Fried Michael, Le Réalisme de Courbet, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », , p. 352
  16. Lettre de Théophile Silvestre à Alfred Bruyas, 8 avril 1873, Paris, Bibliothèque d’Art et d’Archéologie, fonds Jacques Doucet, ms. 216
  17. Valérie Bajou, Courbet, Paris, Adam Biro, , 304 p. (ISBN 978-2876603752), p. 318
  18. a et b Laurence des Cars, Dominique de Font-Réaulx, Gary Tinterow, Cathryn Calley Galitz, Michel Hilaire et Sylvain Amic (éd.), avec Bruno Mottin, Bertrand Tillier et Dominique Lobstein, Gustave Courbet, Paris, Réunion des musées nationaux, , p. 378-384
  19. Linda Nochlin, « Living with Courbet », dans Courbet à neuf ! Sous la Direction de Mathilde Arnoux, Dominique de Font-Réaulx, Laurence des Cars, Stéphane Guégan et Scarlett Reliquett – Courbet à Neuf ! – Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2010, p . 16
  20. Valérie Bajou, Courbet, Paris, Adam Biro, , 304 p. (ISBN 978-2876603752), p. 344