Théorie générationnelle de Strauss-Howe

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La théorie générationnelle de Strauss-Howe, conçue par William Strauss (en) et Neil Howe (en), décrit un cycle de générations récurrentes, théorisé dans l'histoire américaine et l'histoire occidentale. Selon cette théorie, les événements historiques sont associés à des archétypes générationnels récurrents. Chaque archétype déclenche une nouvelle ère (appelée tournant) d’une durée d’environ 20 à 25 ans, dans laquelle existe un nouveau climat social, politique et économique. Ces cycles s'inscrivent dans un « saeculum (en) », un cycle plus vaste équivalent à une longue vie humaine, qui s'étend généralement de 80 à 100 ans (bien que certains saecula aient duré plus longtemps).

Théorie[modifier | modifier le code]

La théorie affirme qu’une crise se reproduit dans l’histoire américaine après chaque saeculum, suivie d’une reprise. Durant cette reprise, les institutions et les valeurs communautaires sont fortes. Par la suite, les archétypes générationnels successifs attaquent et affaiblissent les institutions au nom de l’autonomie et de l'individualisme, ce qui finit par créer un environnement politique tumultueux qui mûrit les conditions d’une autre crise et amène le cycle à se répéter[réf. nécessaire].

Strauss et Howe ont jeté les bases de leur théorie dans leur livre Generations: The History of America's Future, 1584 to 2069 (1991), qui traite de l'histoire des États-Unis sous la forme d'une série de biographies générationnelles remontant jusqu'à 1584[1]. Dans leur livre The Fourth Turning (1997), les auteurs élargissent la théorie pour se concentrer sur un cycle récurrent de 4 générations[2] afin de décrire l’histoire des États-Unis, y compris les Treize Colonies et leurs antécédents britanniques. Les auteurs examinent également des tendances générationnelles ailleurs dans le monde et décrivent des cycles similaires dans plusieurs pays développés[3].

Critique[modifier | modifier le code]

La réception académique de la théorie est mitigée. Certains félicitent Strauss et Howe pour leur « thèse audacieuse et imaginative », tandis que d'autres critiquent la théorie comme étant trop déterministe, infalsifiable et non étayée par des preuves rigoureuses[4],[5],[6],[7],[8]. L'ancien vice-président américain Al Gore, contemporain de Strauss à l'Université Harvard, a qualifié Generations de livre le plus stimulant sur l'histoire américaine qu'il ait jamais lu, et en a même envoyé un exemplaire à chaque membre du Congrès[8]. La théorie est influente dans les domaines des études générationnelles, du marketing et de la littérature sur la gestion d'entreprise[6]. Cependant, la théorie est aussi décrite par certains historiens et journalistes comme étant pseudoscientifique[6],[9],[10], « farfelue »[11], voire « un horoscope historique élaboré qui ne résistera jamais à l'examen scientifique[trad 1]. »[12],[13],[14],[8]. Les critiques universitaires se concentrent sur le manque de preuves empiriques rigoureuses pour étayer la théorie[15], ainsi que sur le point de vue des auteurs selon lequel les groupements générationnels sont plus puissants que les autres groupements sociaux, tels que la classe économique, la race, le sexe, la religion et les partis politiques[1].

Histoire[modifier | modifier le code]

Le partenariat entre William Strauss et Neil Howe commence à la fin des années 1980 lorsqu'ils travaillent à l'écriture de leur premier livre Generations, qui traite de l'histoire des États-Unis comme une succession de biographies générationnelles. Préalablement, chacun avait écrit sur des sujets générationnels : Strauss sur les baby-boomers et la conscription de la guerre du Vietnam (en), et Howe sur la génération GI et les programmes de prestations fédérales[16]. Strauss a également co-écrit deux livres avec Lawrence Baskir (en) sur la façon dont la guerre du Vietnam a affecté les baby-boomers : Chance and Circumstance: The Draft, the War, and the Vietnam Generation (1978) et Reconciliation after Vietnam (1977). Neil Howe a étudié ce qu'il croyait être l'attitude des États-Unis en matière de droits dans les années 1980 et a co-écrit On Borrowed Time: How the Growth in Entitlement Sending Menaces America's Future en 1988 avec Peter George Peterson[17]. L'intérêt des auteurs pour les générations en tant que sujet plus large est apparu après leur rencontre à Washington, DC[18].

Générations et saecula[modifier | modifier le code]

La théorie couvre 24 générations anglo-américaines. Chaque génération dure en moyenne de 20 à 22 ans. Le concept se dispose d'un saeculum aux chaque quatre archétypes (prophète, nomade, héros et artiste) qui sont accompagnés de tournants sur des événements qui ont marqué chaque génération (le haut, l'éveil, le démêlé et la crise).

Saeculum Génération Archétype Naissance Tournant Durée
Moyen Âge Arthrienne Héros 1433-1460 Démêlé : Guerre de Cent Ans 1435-1459
Humaniste Artiste 1461-1482 Crise : Guerre des Deux-Roses 1459-1497
Réforme Réformiste Prophète 1483-1511 Haut : Renaissance anglaise 1497-1517
Représailles Nomade 1512-1540 Éveil : Réforme protestante 1517-1542
Élisabéthaine Héros 1541-1565 Démêlé : Contre-Réforme et Réforme anglaise 1542-1569
Parlementaire Artiste 1566-1587 Crise : Invincible Armada 1569-1594
Nouveau Monde Puritaine Prophète 1588-1617 Haut : Merry England 1594-1621
Cavaliers Nomade 1618-1647 Éveil : puritanisme 1621-1649
Glorieuse Héros 1648-1673 Démêlé : Restauration anglaise 1649-1675
Éclarcissante Artiste 1674-1700 Crise : Glorieuse Révolution 1675-1704
Révolutionnaire Éveillante Prophète 1701-1723 Haut : littérature augustéenne 1704-1727
Libertaine Nomade 1724-1741 Éveil : premier grand réveil 1727-1746
Républicain Héros 1742-1766 Démêlé : Guerre de la Conquête 1746-1773
Compromiste Artiste 1767-1791 Crise : Révolution américaine 1773-1794
Guerre Civile Transcendantale Prophète 1792-1821 Haut : époque des « bons sentiments » 1794-1822
Gilded Nomade 1822-1842 Éveil : second grand réveil 1822-1844
Guerre civile Héros Démêlé : Guerre américano-mexicaine et Sectionalisme 1844-1860
Progressiste Artiste 1843-1859 Crise : Guerre de Sécession 1860-1865
Grand Pouvoir Missionnaire Prophète 1860-1882 Haut : Reconstruction et Gilded Age 1865-1886
Perdue Nomade 1883-1900 Éveil : troisième grand réveil 1886-1908
Grandiose Héros 1901-1924 Démêlé : Première Guerre mondiale et Prohibition 1908-1929
Silencieuse Artiste 1925-1942 Crise : Grande Dépression et Seconde Guerre mondiale 1929-1946
Millénaire Baby boomer Prophète 1943-1960 Haut : capitalisme 1946-1964
13e Nomade 1961-1981 Éveil : contre-culture et quatrième grand réveil (en) 1964-1984
Millenials Héros 1982-2005 Démêlé : grande modération et guerres culturelles 1984-2008
Homeland Artiste 2006-présent Crises : crise économique mondiale, guerre contre le terrorisme, crise climatique 2008-présent

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « an elaborate historical horoscope that will never withstand scholarly scrutiny »
  1. a et b Strauss et Howe 1991.
  2. Strauss et Howe 1997.
  3. Strauss et Howe 1997, p. 119–121.
  4. David Brooks, « What's the Matter With Kids Today? Not a Thing », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. Gerald Parshall, « History's Cycle Ride », U.S. News & World Report,‎ Retrieved October 21, 2012.
  6. a b et c (en) Lind, « Generation Gaps », New York Times Review of Books, (consulté le ) : « The idea that history moves in cycles tends to be viewed with suspicion by scholars. Although historians as respected as Arthur M. Schlesinger Jr. and David Hackett Fischer have made cases for the existence of rhythms and waves in the stream of events, cyclical theories tend to end up in the Sargasso Sea of pseudoscience, circling endlessly (what else?). The Fourth Turning is no exception. »
  7. (en) Jones, « Strauss, William and Neil Howe 'Generations: The History of America's Future, 1584–2069' (Book Review) », Perspectives on Political Science, vol. 21, no 4,‎ fall 1992, p. 218 (ISSN 1045-7097) Retrieved January 23, 2012.
  8. a b et c Eric Hoover, « The Millennial Muddle: How stereotyping students became a thriving industry and a bundle of contradictions », The Chronicle of Higher Education, The Chronicle of Higher Education, Inc.,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. Tim Fernholz, « The pseudoscience that prepared America for Steve Bannon's apocalyptic message », Quartz,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. David Greenberg, « The Crackpot Theories of Stephen Bannon's Favorite Authors », Politico,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. Eliot A. Cohen, « The Military's Illusions About Donald Trump », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. Jonathan Alter, « The Generation Game », Newsweek,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. « Review: Generations: The History of America's Future, 1584 to 2069 », Publishers Weekly,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. James Bowman, « Another Grand Theory Comes of Age », The Times Literary Supplement,‎
  15. Giancola, « The Generation Gap: More Myth than Reality », Human Resource Planning, vol. 29, no 4,‎ , p. 32–37 :

    « Research and expert opinion do not fully support the generational premise. For example, two Duke University sociologists have found that the three assumptions behind the premise are not always supported by a body of research (Hughes & O'Rand, 2005)...According to an independent review of the literature, there were no major published academic articles on the generation gap in the United States in the 1990s (Smith, 2000), and a search by this author of academic journals in the past five years did not locate articles supporting generational concepts. »

  16. Strauss et Howe 1991, p. 14.
  17. Peter G. Peterson et Neil Howe, On Borrowed Time: How the Growth in Entitlement Spending Threatens America's Future, Transaction Publishers, (ISBN 978-1-4128-2999-1, lire en ligne)
  18.  Millennials: A profile of the Next Great Generation [DVD] WMFE & PBS.

Bibliographie[modifier | modifier le code]