Les Deux Pigeons

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Les Deux Pigeons
Image illustrative de l’article Les Deux Pigeons
Illustration de Gustave Doré (1883)

Auteur Jean de La Fontaine
Pays Drapeau de la France France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678
Chronologie

Les Deux Pigeons est la deuxième fable du livre IX de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678.

La source de cette fable est la fable Du pigeon voyeur de Pilpay.


Texte[modifier | modifier le code]

Illustration de Benjamin Rabier (1906) (début)
Illustration de Benjamin Rabier (1906) (fin)
Illustration de Gaston Gélibert (1850-1931)
Illustration de la fable de La Fontaine "Les Deux Pigeons" par Gustave Doré (1876)
Dessin de Grandville (1838-1840)


Deux Pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux s’ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L’autre lui dit : Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L’absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s’avançait davantage !
Attendez les zéphyrs[N 1]. Qui vous presse ? Un corbeau
Tout à l’heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux[N 2]. Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l’humeur inquiète[N 3]
L’emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N’a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.
Je dirai : J’étais là ; telle chose m’avint ;
Vous y croirez être vous-même.
À ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s’éloigne ; et voilà qu’un nuage
L’oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s’offrit, tel encor que l’orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L’air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu’il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l’écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès ; cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d’un las[N 4],
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé ! si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l’oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu’un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l’avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s’en allait le lier[N 5] , quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S’envola, s’abattit auprès d’une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde et, du coup, tua plus d’à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l’aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s’en retourna.
Que bien, que mal[N 6], elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J’ai quelquefois aimé ! je n’aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l’aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-je passé le temps d’aimer ?

— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Les Deux Pigeons

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Vents du printemps
  2. Diminutif de rets, petits filets
  3. qui ne peut rester en place (Littré)
  4. Las ou lacs ou laqs : nœud coulant pour prendre des oiseaux, des lièvres et autres gibiers
  5. Terme de fauconnerie. Lier se dit d'un faucon qui saisit l'oiseau avec ses serres (Littré)
  6. Tant bien que mal

Sources[modifier | modifier le code]

Jugement[modifier | modifier le code]

La fable est jugée sévèrement par Houdar de La Motte dans son Discours sur la fable : pour lui, « Les Deux Pigeons » de La Fontaine pèche par la profusion des idées. Il l'utilise comme contre-exemple de la règle d'unité de l'image : « Si au contraire le Pigeon voyageur n'eut pas essuyé de danger, mais qu'il eut trouvé les plaisirs insipides loin de son ami, & qu'il eut esté rappellé près de lui par le seul besoin de le revoir ; tout m'auroit ramené à cette seule idée, que la présence d'un ami est le plus doux de tous les plaisirs. »[3]

Postérité[modifier | modifier le code]

Littéraire[modifier | modifier le code]

  • « Le Pigeon puni de son inquiétude », dans les Fables et opuscules pédagogiques de Fénelon, (1718) ; la fin est différente de celle de La Fontaine : le pigeon voyageur, devenu courrier en Orient, est tué d'une flèche alors qu'il transporte une lettre d'un pacha soupçonné de trahison[4].
  • « Die beiden Tauben », de Heinrich von Kleist
  • Cette fable est évoquée dans L'Ingénu de Voltaire.
  • Les deux pigeons, nouvelle de Jules Laforgue, écartée tardivement du recueil des Moralités légendaires (1887).
  • Le titre de la nouvelle de Valery Larbaud Amants, heureux amants (1921) est tiré de la fable de La Fontaine ; quelques vers sont également cités dans l'épigraphe.

Dans les autres arts[modifier | modifier le code]

affiche en rouge sur fond blanc, illustrée d'un couple de danseurs devant un public
Affiche de Jules Chéret pour le ballet d'André Messager, entre 1894 et 1919

Références[modifier | modifier le code]

  1. « À Fuscus Aristius », I, 10 ; sur Wikisource
  2. Note d'Auguste Loiseleur-Deslongchamps dans François Pétis de la Croix, Les mille et un jours : contes persans, Paris, Delagrave, (lire en ligne)
  3. Antoine Houdar de La Motte, Fables nouvelles dédiées au roi : avec un discours sur la fable, Paris, Grégoire Dupuis, (lire en ligne)
  4. Lire sur Wikisource
  5. André Messager (compositeur) interprété par l'Orchestre de la Garde républicaine sous la direction de César Bourgeois, « Les deux pigeons : ballet n°1 entrée des tziganes et ballet n°2 pas de deux pigeons (audio : 6 minutes 12 secondes) », sur bibliotheques-specialisees.paris.fr
  6. Voir en ligne, sur le site personnel de Caroline Lee

Liens externes[modifier | modifier le code]

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