« 53 jours »
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« 53 jours » est un roman inachevé de Georges Perec, publié à titre posthume en 1989 aux éditions P.O.L. Le texte publié avec les notes de travail de Perec a été établi par Harry Mathews et Jacques Roubaud. Georges Perec ramène le manuscrit de cet ouvrage dans ses bagages en , au retour d'un séjour à l'Université du Queensland (à Brisbane)[1].
Le titre et le roman sont liés à La Chartreuse de Parme, roman de Stendhal écrit en cinquante-trois jours[2]. Le titre s'écrit entre guillemets, 53 jours sans guillemets désignant un manuscrit dont il est question dans l'intrigue. Ainsi le titre du roman de Perec est la citation d'un titre[3]. Le livre publié comprend onze des vingt-huit chapitres prévus par l'auteur, ainsi que des notes et brouillons permettant de reconstituer la suite de l'histoire dans les dix-sept derniers chapitres[4]. Pour Perec « Ce n’est pas un livre, ce sont des histoires qui se regardent. C’est un peu comme si on mettait un livre dans un miroir et puis, ce que l’on voit de l’autre côté du miroir, c’est le contraire. C’est l’image inverse[5]. »
Contenu
Dans ce roman, il est question de la disparition de l'écrivain Robert Serval qui a laissé un manuscrit inachevé nommé La crypte (manuscrit se terminant par deux interprétations de l'énigme qu'il expose sans réellement prendre parti, pouvant ainsi donner lieu à diverses interprétations)[6]. Perec encrypte également un 13e mot grâce à 12 autres mots au sein du roman[7] [8].
Interprétation
Anne Roche évoque le ton journalistique employé par Perec, qui contraste avec le roman Les Choses. En effet, ce style journalistique décrivant une dictature arabe (la dictature fictive de Grianta) est consensuel et a pour effet de produire l'impression d'une incontestable vérité échappant à toute interrogation, ce qui serait le signe d'une sorte d'indifférence de l'auteur au regard d'une évidence qui n'est plus à prouver. Anne Roche y voit donc une régression par rapport au roman Les Choses (roman évoquant la Tunisie) : ce roman apparemment engagé serait en réalité "dégagé" et il faudrait chercher l'essentiel en dehors de la satire initiale. Elle remarque également une « déterritorialisation » de la dictature fictive puisque Perec fait référence à la France dans ses notes montrant ainsi le refus d'identifier trop facilement la dictature de Grianta au Maroc, à l'Algérie ou à la Tunisie. Cela détonne avec toutes ses œuvres où nombre d'allusions au monde arabe sont présentes : peut-être est-ce le résultat d'une distanciation de l'auteur vis-à-vis de sa volonté de décrire le monde et de le transformer[9].
Dans cet ouvrage comme dans d'autres ouvrages, Georges Perec fait des références à l'univers de la collection (il y a 7 occurrences rappelant cet univers) dont les trois premières références sont emboîtées les unes dans les autres : à la page 18, on apprend que le consul collectionne ; à la page 48, le narrateur lit un ouvrage dans lequel un personnage collectionne ; et à la page 55, dans ce même livre que le narrateur lit, il y a un livre dans lequel un amateur de cannes fait visiter sa collection[10]. Tiphaine Samoyault y voit une référence au roman Un cabinet d'amateur, en effet le tableau titré "Un cabinet d'amateur" reflétant à l'infini la scène du tableau dans le roman serait devenu un "modèle textuel" dans « 53 jours »[11].
La démarche de Georges Perec dans ce roman pourrait se rapprocher de celle de Bartlebooth (qui réalise 500 aquarelles envoyées à Gaspard Winckler qui les découpe en puzzle que Bartlebooth doit ensuite reconstituer et renvoyer dans le port où elles ont été réalisées pour être enfin plongées dans un liquide effaçant l'encre donnant ainsi une feuille blanche) du roman La Vie mode d'emploi[12] puisque Perec écrit dans « 53 jours » : « La crypte est un roman policier, un roman policier en deux parties dont la seconde détruit méticuleusement tout ce que la première s’est efforcée d’établir[13] ».
Ce dernier roman contiendrait de nouveaux éléments biographiques. Perec évoque un épisode de la Résistance dans le Vercors. Ceci correspondrait à la théorie de Philippe Lejeune, pour qui le récit autobiographique s'impose à Perec comme une « phase de transition » et est ensuite placé au second plan après cette phase[14].
Notes de l'auteur
Georges Perec, qui a l'habitude d'utiliser des listes dans ses travaux préparatoires[15], a préparé des anagrammes de BRISBANE, des allusions à Stendhal, des pseudonymes de Stendhal, des phrases possibles à partir de l'épigraphe "un R est un M qui se P le L de la R" (tiré d'une œuvre de Stendhal[16] dont Perec ira même vérifier l'origine exacte : "un roman est un miroir qui se promène le long du chemin", chemin est remplacé par route). Perec fait même des prévisions sur le temps de rédaction de son roman : il avait prévu d'écrire le manuscrit en 140 jours, de le donner le pour une parution le [17].
Postérité
En 2009, Pierre Jodlowski crée pour une commande de Radio France l'opéra radiophonique Jour 54 et sera finaliste la même année du Prix Italia. L'opéra radiophonique est conçu à partir des carnets de Georges Perec[18].
Bibliographie
- Rabâa Abdelkéfi, « Mystère et enchâssement des récits dans 53 jours », dans Christelle Reggiani et Bernard Magné, Écrire l'énigme, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, (ISBN 978-2-84050-529-7).
- Cécile de Bary, Les glaces gravées, Le Cabinet d'amateur no 7-8, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1999, (ISBN 2-85816-480-0), ISSN 1165-6557.
- Dominique Bertelli, L'invention du cinquante-trois, Le Cabinet d'amateur, no 1, Printemps 1993, ISSN 1165-6557.
- Jacques-Denis Bertharion, 53 jours ou la réalité incernable, in Poétique de Georges Perec, Librairie Nizet, 1998, (ISBN 2-7078-1239-0)
- Isabelle Dangy, Du roman comme machine à égarer les soupçons : 53 jours de Georges Perec, in Les supercheries littéraires et visuelles, la tromperie dans la culture française, Actes du colloque de Galway d'avril 2004, Peter Lang Verlag, Berne-Francfort, 2006, (ISBN 978-3-03910-701-8).
- Bernard Magné, 53 jours : pour lecteurs chevronnés, Études Littéraires : Georges Perec : écrire/transformer, Université de Laval, Québec, vol 23. no 1-2, été-automne 1990, ISSN 0014-214X.
- Anne Roche, Le cinquante-quatrième jour, in Georges Perec, inventivité, postérité, Colloque de l’Université de Cluj-Napoca, Roumanie, mai 2004, Casa Carti de Stiinta, Cluj-Napoca, 2006.
Notes et références
Notes
- Manet van Montfrans, Georges Perec : la contrainte du réel, Rodopi, , 418 p. (ISBN 978-90-420-0595-2, lire en ligne), p. 1
- D'autres origines du titre sont évoquées : il pourrait correspondre au nombre de jours nécessaires pour aller de Zagora à Tombouctou, ou au certificat de baptême de son père André qui porte le numéro 53.
- Bernard Magné, « « 53 jours » : pour lecteurs chevronnés... », Études littéraires, vol. 23, nos 1-2, été-automne 1990, p. 187 (DOI 10.7202/500936ar), note 7.
- « Editions P.O.L - « 53 jours » - Georges Perec », sur www.pol-editeur.com (consulté le )
- « Les Frères GONCOURT le journal d'un demi-siècle », Le Magazine littéraire, no 269,
- Maxime Decout, « La Disparition : un roman de l’herméneutique », Cahiers Georges Perec, , p. 41-56
- Perec utilisa ce principe également dans une rubrique "Jeux intéressants" de ça m'intéresse qu'il tiendra de mars 1981 à sa mort avec Jacques Bens.
- Perec, Georges, 1936-1982., Jeux intéressants, Paris, Zulma, , 140 p. (ISBN 978-2-84304-452-6 et 2-84304-452-9, OCLC 354046376, lire en ligne)
- Steen Bille Jørgensen et Carsten Sestoft, Georges Perec et l'histoire : actes du colloque international de l'Institut de littérature comparée, Université de Copenhague du 30 avril au 1er mai 1998, Museum Tusculanum Press, , 213 p. (ISBN 978-87-7289-560-4, lire en ligne), p. 163-167
- Perec, Georges, 1936-1982. et Roubaud, Jacques., "53 jours" : roman, Paris, Gallimard, d.l.1993, 304 p. (ISBN 2-07-038783-6 et 978-2-07-038783-0, OCLC 29837369, lire en ligne)
- Tiphaine Samoyault, J R : tentative de saturation onomastique, Presses Univ. du Mirail, , 127 p. (ISBN 978-2-85816-369-4, lire en ligne), p. 91
- Roger Mérian, « Au nom de la lettre », PLI, (lire en ligne)
- Perec, Georges, 1936-1982. et Roubaud, Jacques., "53 jours" : roman, Paris, Gallimard, d.l.1993, 304 p. (ISBN 2-07-038783-6 et 978-2-07-038783-0, OCLC 29837369, lire en ligne), p. 38
- Lejeune, Philippe, 1938-, La mémoire et l'oblique : Georges Perec autobiographe, P.O.L, (ISBN 2-86744-196-X et 978-2-86744-196-7, OCLC 24016298, lire en ligne), p. 28-38
- Bernard Magné, J R : tentative de saturation onomastique, Presses Univ. du Mirail, , 127 p. (ISBN 978-2-85816-369-4, lire en ligne), p. 18-19
- Cette définition du roman se trouve à plusieurs reprises dans les œuvres de Stendhal, il l'attribue à Saint-Réal (un auteur du XVIIe siècle). Perec invita d'ailleurs ses étudiants Australiens à proposer des variations de la définition sur la base de sa réduction algébrique : "un R est un M qui se P le L de la R". Une phrase proposée sera : "Un romancier est un maniaque qui se propose le lemme de la réalité."
- Perec, Georges, 1936-1982. et Roubaud, Jacques., "53 jours" : roman, Paris, P.O.L, , 333 p. (ISBN 2-86744-161-7 et 978-2-86744-161-5, OCLC 21974920, lire en ligne)
- pierre, « JOUR 54 », sur www.pierrejodlowski.fr, (consulté le )
Références
- Maxime Decout, « Perec : L’abyme de Robbe-Grillet, le miroir de Stendhal », Poétique, no 168, , p. 399–414 (DOI 10.3917/poeti.168.0399).
- Maxime Decout, « “53 jours” de Georges Perec : Les lieux d’une ruse », Genesis, no 35, , p. 209–219 (DOI 10.4000/genesis.1079).
- Maxime Decout, « “53 jours” de Georges Perec : La génétique, mode d’emploi », Littérature, no 168, , p. 43–55 (DOI 10.3917/litt.168.0043).