Chronique d'Ura-Linda

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Page du manuscrit de la Chronique de Ura-Linda

La Chronique d'Ura-Linda (en néerlandais Het Oera Linda Boek) est un manuscrit écrit en vieux frison. C'est un faux, réalisé au XIXe siècle, à caractère mythologique et religieux, qui se présente comme une chronique de la Frise, depuis le Déluge jusqu'au Moyen Âge, de 2194 av. J.-C. à 803.

Le manuscrit apparaît en Frise dans les années 1860 ; il est traduit en néerlandais en 1872. Les doutes sur son authenticité surgissent immédiatement, et en 1879, il est prouvé qu'il s'agit d'un faux. Cependant, en raison de l'intérêt que va lui porter l'ésotérisme nazi au XXe siècle, il est encore cité dans les mouvements ésotériques, en particulier comme une preuve de l'existence de l'Atlantide.

Histoire de la réception[modifier | modifier le code]

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

La Chronique d'Ura-Linda, en vieux frison Oera Linda Bok, apparaît en 1867, quand Cornelis Over de Linden (1811-1874) remet le manuscrit, qu'il prétend avoir toujours été en possession de sa famille, à Eelco Verwijs (1830-1880), bibliothécaire de la province de la Frise. Le manuscrit est conservé à Leeuwarden, au Centre d'histoire et de littérature frisonne[1],[2].

En 1872 Jan Gerhardus Ottema (1804-1879), membre de la Provinciaal Friesch Genootschap ter Beoefening van Friesche Geschied-, Oudheid- en Taalkund (Société frisonne d'histoire, d'archéologie et de linguistique), en publie une traduction en néerlandais[3]. Ottema est convaincu de l'authenticité du manuscrit, écrit selon lui dans un alphabet runique inconnu jusqu'alors ; il lui donne son nom : Oera Linda, sous les tilleuls, du nom de la famille Over de Linden d'où il proviendrait. Une traduction en anglais par William Sandbach paraît à Londres en 1876.

Quelques années seulement après sa présentation, à la suite des recherches du philologue Jan Beckering Vinckers en 1876, la chronique a été considérée comme une forgerie et des conjectures ont commencé à être émises sur ses auteurs et intentions possibles.

En 1879, il est généralement admis que le texte est une forgerie, en raison d'un certain nombre d'anachronismes (il contient de nombreux termes de frison qui ne sont pas utilisés avant le XIXe siècle ; le papier date également du XIXe siècle), sans que l'on puisse déterminer s'il s'agit d'un canular, d'une parodie ou d'un exercice de fantaisie poétique.

En Allemagne nazie[modifier | modifier le code]

Cinquante ans plus tard, le philologue d'origine néerlandaise Herman Wirth, proche des milieux völkisch, engagé volontaire dans l'armée allemande durant la Première Guerre mondiale et enseignant à l'Université de Berlin, relance la question[4]. En 1933, il publie une traduction en allemand sous le titre Die Ura Linda Chronik[5]. L'ouvrage sera en 1934 une des raisons de la fondation de l'Ahnenerbe nazi par Himmler et Wirth, en collaboration avec Richard Walther Darré[6]. En raison de l'engouement de Himmler pour le manuscrit, il est également appelé la « Bible de Himmler »[7],[8]. Cependant, le manuscrit est controversé au sein du mouvement nazi ; Alfred Rosenberg et son entourage le rejettent, tout comme Gustav Neckel qui avait fait l'éloge du travail de Wirth avant la publication, mais qui publie une recension consternée quand il prend connaissance du contenu[9]. Le 4 mai 1934, lors d'un débat public à l'auditorium de l'Université de Berlin, l'inauthenticité du manuscrit est reconnue et l'édition de Wirth désavouée[7].

L'ésotérisme moderne[modifier | modifier le code]

Le livre connaît un regain de popularité dans le monde anglo-saxon, avec la publication par Robert Scrutton de L'Autre Atlantis (1977) et des Secrets de l'Atland perdu (1979).

Il influence aussi des adeptes de mouvements néo-païens comme Tony Steele, qui y voit une révélation sur la culture mégalithique[10].

Paternité du texte[modifier | modifier le code]

Les auteurs les plus probables de ce texte sont les deux « découvreurs » du manuscrit, Cornelis Over de Linden ou Eelco Verwijs. En 2004, l'historien Goffe Jensma attribue la réalisation de ce faux au prédicateur protestant moderniste François Haverschmidt (1835-1894), auteur de poèmes sous le pseudonyme de Piet Paaltjens[11] ; pour Jensma, Haverschmidt, avec l'aide de Over de Linden et de Verwijs, a cherché à écrire une parodie de la Bible pour ridiculiser le littéralisme de certains chrétiens traditionalistes, en leur démontrant que tout écrit n'est pas à prendre au pied de la lettre ; l'ironie a voulu qu'il soit pris au sérieux et qu'« un livre écrit pour démontrer que la Bible était un livre de fabrication humaine soit devenu lui-même une bible. »[12],[13].

Mais ce faux s'inscrirait aussi dans une tradition frisonne d'œuvres historiques apocryphes et falsifiées, à partir du XVIe siècle, sur l'origine et de l'identité des Frisons[14].

Contenu[modifier | modifier le code]

L'exemplaire manuscrit de la Chronique d'Ura-Linda aurait été copié en 1256 selon Ottema, et conservé dans la famille Over de Linden depuis cette date. Il s'agirait d'une compilation de textes plus anciens de différents membres de la famille Over de Linden, écrits en Europe du Nord, et présentant la Frise comme le centre d'une culture universelle. On y trouve les thèmes du catastrophisme (mention de l'Atland, le « vieux pays », nom donné à l'Atlantide au XVIIe siècle par Olof Rudbeck, qui aurait été submergée en 2193 av. J.-C, la même année que le Déluge, selon la chronologie biblique traditionnelle[15]), du nationalisme, du matriarcat, et des éléments mythologiques.

Une peuplade germanique de Frise au IIIe millénaire avant notre ère serait partie des côtes de la mer du Nord pour fonder Athènes et apporter au monde oriental l'alphabet. C'est « un appui à la théorie d'une "Atlantide du nord", maintenant engloutie, d'où cette "race créatrice" et guerrière partit à la fois vers l'Amérique du Nord et vers le reste de l'Europe, où elle répandit son écriture »[16].

La chronique présente également un paradis matriarcal : la Frise, mais aussi l'Europe en général, auraient été, pour la plus grande partie de leur histoire, gouvernés par une succession de « matriarches », à la tête d'un ordre hiérarchique de prêtresses dédiées à la déesse Frya (une version primitive de la déesse nordique Freya), fille du dieu suprême Wralda et d'Irtha, mère de la terre [17]. La chronique donne pour la Frise la liste des noms de celles qui se seraient succédé depuis le Déluge jusqu'au IIIe siècle av. J.-C. ; Adela aurait régné de 590 à 559 av J-C et serait celle qui aurait commandité la chronique.

Notes et références[modifier | modifier le code]

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Oera Linda Book » (voir la liste des auteurs).
  1. Frysk Histoarysk en Letterkundich Sintrum, dit aussi « Tresoar », dans la Provinciale Bibliotheek van Friesland « Oera Linda boek », sur data.bnf.fr (consulté le )
  2. (nl) « Bladeren in het Oera Linda Boek », sur Tresoar, Provinciale Bibliotheek van Friesland (consulté le ).
  3. (nl) Jan Gerhardus Ottema, Thet Oera Linda Bok : Naar een Handschrift uit de dertiende Eeuw, Leeuwarden, Kuipers,
  4. (en) Peter Davies, « ‘Männerbund’ and ‘Mutterrecht’: Herman Wirth, Sophie Rogge‐Börner and the Ura‐Linda‐Chronik », dansGerman Life and lettres, vol. 60, n° 1, janvier 2007, p. 98-115 Aperçu en ligne.
  5. (de) Herman Wirth, Die Ura-Linda-Chronik : Übersetzt und mit einer einführenden geschichtlichen Untersuchung, Leipzig, Koehler & Amelang,
  6. Jean-Paul Demoule, « Mein Kampf et les Indo-Européens », Revue d’Histoire de la Shoah, n° 208, 2018, p. 111-130 Aperçu en ligne
  7. a et b Gerd Simon
  8. (en) Franz Winter, « Rewriting German and Japanese primeval history: a comparative historical analysis of the Takeuchi monjo and ‘Himmler's Bible' », dans Religion, n° 46, 2016, p. 7-31.
  9. Der Tag, Berlin, 31.
  10. (en) Tony Steele, The Rites and Rituals of Traditional Witchcraft, Capall Bann Publishing, , 170 p.
  11. Skepsis.nl
  12. Jensma 2004
  13. (nl) Goffe Jensma, « Oera Linda-boek was poging van Haverschmidt om bijbel te ontkrachten »,
  14. « Historical Frisian Literature: Fakes and Forgeries, myths and mystifications in Frisian Literature », sur Université d'Amsterdam (consulté le )
  15. Jensma 2007
  16. Jean-Paul Demoule, Mais où sont passés les Indo-Européens ? : Le mythe d'origine de l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », , 742 p. (ISBN 978-2-02-029691-5)
  17. (en) Peter Davies, « "Männerbund" and "Mutterrecht" : Herman Wirth, Sophie Rogge-Börner and the Ura-Linda Chronik », German Life and Letters, vol. 60,‎ , p. 98-115.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

  • Le manuscrit numérisé sur le site de Tresoar, Provinciale Bibliotheek van Friesland « Oera Linda Boek » (consulté le )