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[[Fichier:Cyclol reaction.png|vignette|350px|right|Figure 1: dans la '''réaction cyclol''' classique, deux groupes peptides sont liés par une liaison N-C, faisant du radical carboxyl un radical hydroxyl. Bien que cette réaction soit avérée chez quelques peptides cycliques, elle est contrariée par l'[[énergie libre]], qui affecte la [[Mésomérie#Rapport avec la stabilité|stabilisation en résonance]] des [[peptide]]s. Cette réaction est à la base du modèle cyclol des protéines de [[Dorothy Maud Wrinch|Dorothy Wrinch]].]]
[[Fichier:Cyclol reaction.png|vignette|350px|right|Figure 1: dans la '''réaction cyclol''' classique, deux groupes peptides sont liés par une liaison N-C, faisant du radical carboxyl un radical hydroxyl. Bien que cette réaction soit avérée chez quelques peptides cycliques, elle est contrariée par l'[[énergie libre]], qui affecte la [[Mésomérie#Rapport avec la stabilité|stabilisation en résonance]] des [[peptide]]s. Cette réaction est à la base du modèle cyclol des protéines de [[Dorothy Maud Wrinch|Dorothy Wrinch]].]]
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Bien que les données recueillies depuis aient montré que ce modèle de [[structure des protéines|structure des protéines globulaires]] devait être rectifié, plusieurs de ses prédictions ont été vérifiées : non seulement l'existence de la réaction cyclol elle-même, mais aussi l'hypothèse selon laquelle les [[Hydrophobie (physique)|interactions hydrophobes]] sont essentiellement responsables du [[repliement des protéines]]. Le mécanisme cyclol a stimulé de nombreux chercheurs dans l'étude de la structure et la chimie des protéines, et il est à la base de la plupart des interprétations de la [[Acide désoxyribonucléique#Géométrie de la double hélice|double hélice de l'ADN]] et la [[structure secondaire]] des protéines. Enfin l'histoire des débats autour du modèle illustre comment les réfutations [[expérience|empirique]]s font vivre la [[méthode scientifique]].
Bien que les données recueillies depuis aient montré que ce modèle de [[structure des protéines|structure des protéines globulaires]] devait être rectifié, plusieurs de ses prédictions ont été vérifiées : non seulement l'existence de la réaction cyclol elle-même, mais aussi l'hypothèse selon laquelle les [[Hydrophobie (physique)|interactions hydrophobes]] sont essentiellement responsables du [[repliement des protéines]]. Le mécanisme cyclol a stimulé de nombreux chercheurs dans l'étude de la structure et la chimie des protéines, et il est à la base de la plupart des interprétations de la [[Acide désoxyribonucléique#Géométrie de la double hélice|double hélice de l'ADN]] et la [[structure secondaire]] des protéines. Enfin l'histoire des débats autour du modèle illustre comment les réfutations [[expérience|empirique]]s font vivre la [[méthode scientifique]].

== Contexte historique ==
Au milieu des années 1930, les [[chimie analytique|études analytiques]] par [[ultracentrifugation]] de [[Theodor Svedberg]] avaient montré que les protéines ont une structure chimique bien définie, et ne sont pas de simples agrégats de molécules plus petites<ref name="svedberg_1929">Cf. {{article|nom= Svedberg |prénom= T | lien auteur= Theodor Svedberg |année= 1929 | titre = Mass and size of protein molecules | journal = Nature | volume = 123 | pages = 871 | doi = 10.1038/123871a0 | numéro=3110|bibcode = 1929Natur.123..871S }}</ref>. Ces mêmes études semblaient indiquer que le poids moléculaire des protéines permettait de les classer par poids multiples communs de deux entiers<ref name="svedberg_1934">Cf. {{article|nom=Svedberg |prénom = T. |année= 1934 | titre = Sedimentation of molecules in centrifugal fields | journal = Chemical Reviews | volume = 14 | pages = 1&ndash;15 | doi = 10.1021/cr60047a001}}</ref>, de la forme ''M''<sub>''w''</sub> = 2<sup>''p''</sup>3<sup>''q''</sup>&nbsp;[[unité de masse atomique|Da]], où ''p'' et ''q'' sont deux entiers positifs<ref name="bergmann_niemann_1937">Cf. {{article|nom= Bergmann |prénom= M |auteur2=Niemann C |année = 1937 | titre = On the structure of proteins: cattle hemoglobin, egg albumin, cattle fibrin, and gelatin | journal = Journal of Biological Chemistry | volume = 118 | pages = 301&ndash;314}}</ref>. Cela dit, il était délicat de déterminer le poids moléculaire exact et le nombre d'acides aminés d'une protéine. Svedberg avait aussi montré qu'en changeant de solvant, on pouvait décomposer une protéine en molécules moins lourdes, ce qu'on qualifie aujourd'hui de modification de [[structure quaternaire]]<ref>Cf. {{article|nom= Svedberg | first = T |année = 1930 | titre = The pH Stability Regions of Proteins | journal = Transactions of the Faraday Society | volume = 26 | pages = 741&ndash;744|doi=10.1039/TF9302600737 }}</ref>.

La [[structure primaire|structure chimique]] des [[protéine]]s était encore controversée à l'époque<ref>Cf. {{article|nom=Fruton |prénom= JS |année= 1979 | titre = Early theories of protein structure | journal = Annals of the New York Academy of Sciences | volume = 325 | pages = 1&ndash;18 | doi = 10.1111/j.1749-6632.1979.tb14125.x|bibcode = 1979NYASA.325....1F | pmid=378063}}</ref>. L'hypothèse la plus généralement reçue (et qui s'avéra finalement correcte) était que les protéines sont des [[polypeptide]]s linéaires, c'est-à-dire des [[polymère]]s d'[[acide aminé]]s non-ramifiés, connectés par [[peptide|liaisons peptides]]<ref>Cf. {{article|nom= Hofmeister |prénom= F. | lien auteur= Franz Hofmeister |année= 1902 | titre = Über Bau und Gruppierung der Eiweisskörper | journal = Ergebnisse der Physiologie | volume = 1 | pages = 759&ndash;802 | doi = 10.1007/BF02323641}}</ref>{{,}}<ref>{{article |nom= Fischer | prénom= E.|lien auteur= Hermann Emil Fischer | année= 1902 | titre = Über die Hydrolyse der Proteinstoffe | journal = Chemiker Zeitung | volume = 26 | pages = 939–940}}</ref>. Mais une protéine est une chaîne comportant typiquement des centaines de brins d'acides aminés — et plusieurs chercheurs éminents (au rang desquels Emil Fischer) doutaient alors de la stabilité en solution de [[macromolécule]]s linéaires aussi longues<ref>Cf. {{article|nom=Fischer |prénom = E.| année = 1913 | titre = Synthese von Depsiden, Flechtenstoffen und Gerbstoffen | journal = Berichte der deutschen chemischen Gesellschaft | volume = 46 | pages = 3253&ndash;3289 | doi = 10.1002/cber.191304603109 |numéro= 3}}</ref>{{,}}<ref>Cf. {{article|nom=Sørensen | prénom= S.P.L. |année = 1930 | titre = The constitution of soluble proteins as reversibly dissociable component systems | journal = Comptes rendus des travaux du Laboratoire Carlsberg | volume = 18 | pages = 1&ndash;124}}</ref>. De nouveaux doutes s'élevèrent sur la [[structure primaire|nature polypeptidique des protéines]] car certaines [[enzymes]] décomposent les protéines mais non les peptides, tandis que d'autres [[enzyme]]s décomposent les peptides mais non les protéines repliées<ref>D'après {{ouvrage|nom= Fruton | prénom = JS | année= 1999 | titre = Proteins, Enzymes, Genes: The Interplay of Chemistry and Biology |éditeur = Yale University Press | lieu = New Haven, CT | isbn = 0-585-35980-6}}</ref>. Les tentatives de synthèse de protéines ''in vitro'' s'avérèrent vaines, à cause de la [[chiralité]] des acides aminés, car les protéines naturelles ne comportent que des acides aminés lévogyres. C'est pourquoi on se mit à rechercher de nouveaux modèles chimiques de protéines : ainsi l'hypothèse diketopiperazine d'[[Emil Abderhalden]]<ref>Cf. {{article|nom= Abderhalden | prénom= E | authorlink = Emil Abderhalden |année = 1924 | titre = Diketopiperazines | journal = Naturwissenschaften | volume = 12 | pages = 716–720|bibcode = 1924NW.....12..716A |doi = 10.1007/BF01504819 }}</ref>{{,}}<ref>Cf. {{article|nom=Abderhalden | prénom= E | lien auteur = Emil Abderhalden |auteur2=E. Komm | année= 1924 | titre = Über die Anhydridstruktur der Proteine | journal = Zeitschrift für physiologische Chemie | volume = 139 | pages = 181&ndash;204 | doi=10.1515/bchm2.1924.139.3-4.181}}</ref>. Toutefois, aucun autre modèle n'a à ce jour permis d'expliquer pourquoi les protéines ne donnent que des acides aminés et des peptides par hydrolyse et protéolyse. Comme [[Kaj Ulrik Linderstrom-Lang|Linderstrøm-Lang]] l'a mis en évidence<ref>{{article |nom= Linderstrøm-Lang |prénom= K | authorlink = Kaj Ulrik Linderstrom-Lang |auteur2=Hotchkiss RD |auteur3=G. Johansen| année= 1938 | titre = Peptide Bonds in Globular Proteins | journal = Nature | volume = 142 | pages = 996 | doi = 10.1038/142996a0 | issue=3605|bibcode = 1938Natur.142..996L }}</ref>, ces résultats de protéolyse montraient que les [[dénaturation|protéines dénaturées]] sont des polypeptides, mais on n'avait encore aucune information sur la structure des protéines repliées ; aussi, la dénaturation pouvait résulter d'une transformation chimique convertissant les protéines repliées en polypeptides.

Le processus de [[dénaturation]] des protéines (en tant que distinct de la [[coagulation]]) avait été découvert en 1910 par [[Harriette Chick]] et [[Charles James Martin]]<ref>Cf. {{article|nom= Chick |prénom = H. | authorlink = Harriette Chick |auteur2=C.J. Martin|année= 1910 | titre = On the "Heat" Coagulation of Proteins | journal = Journal of Physiology | volume = 40 | pages = 404&ndash;430}} ; {{article|nom=Chick |prénom= H | authorlink = Harriette Chick |auteur2=C.J. Martin|année= 1911 | titre = On the "Heat" Coagulation of Proteins. II. The Action of Hot Water upon Egg-albumen and the Influence of Acid and Salts upon Reaction Velocity | journal = Journal of Physiology | volume = 43 | pages = 1&ndash;27}} ; {{article|nom= Chick |prénom= H. |auteur2=C.J. Martin |année= 1912 | titre = On the "Heat" Coagulation of Proteins. III. The Influence of Alkali upon Reaction Velocity | journal = Journal of Physiology | volume = 45 | pages = 61&ndash;69}} ; {{article|nom= Chick |prénom= Harriette Chick |auteur2=C.J. Martin |année= 1912 | titre = On the "Heat" Coagulation of Proteins. IV. The Conditions controlling the Agglutination of Proteins already acted upon by Hot Water | journal = Journal of Physiology | volume = 45 | pages = 261&ndash;295}}</ref>, mais sa nature restait mystérieuse. [[Mortimer Louis Anson|Tim Anson]] et [[Alfred Mirsky]] avaient démontré que la dénaturation est un ''processus réversible à deux états''<ref>Cf. {{article|nom= Anson |prénom= ML | authorlink = Mortimer Louis Anson |auteur2=Mirsky AE |auteurlink2=Alfred Mirsky |année= 1929 | titre = Protein Coagulation and Its Reversal | journal = Journal of General Physiology | volume = 13 | pages = 121&ndash;132}}</ref> qui affecte des groupes chimiques disponibles pour des réactions chimiques, notamment la décomposition par des enzymes<ref name="anson_1945">Cf. {{article|nom= Anson |prénom= M.L. | année= 1945 | titre = Protein Denaturation and the Properties of Protein Groups | journal = Advances in Protein Chemistry | volume = 2 | pages = 361&ndash;386 | doi = 10.1016/S0065-3233(08)60629-4 | series = Advances in Protein Chemistry | isbn = 978-0-12-034202-0}}</ref>. En 1929, [[Hsien Wu]] a formulé l’hypothèse correcte selon laquelle la dénaturation correspond au dépliement de protéine, un pur changement de forme qui cependant rend les chaînes d'acides aminés vulnérables au solvant<ref>{{cite journal |nom= Wu |prénom= H | year = 1931 | title = Studies on Denaturation of Proteins. XIII. A Theory of Denaturation | journal = Chinese Journal of Physiology | volume = 5 | pages = 321&ndash;344}} Preliminary reports were presented before the XIIIth International Congress of Physiology at Boston (19–24 August 1929) and in the October 1929 issue of the ''American Journal of Physiology''.</ref>. L'hypothese de Wu avait d'ailleurs été formulée indépendamment en 1936 par Mirsky et [[Linus Pauling]]<ref name="mirsky_pauling_1936">Cf. {{article|nom= Mirsky |prénom= A.E. | auteur2=Pauling L |lien auteur2=Linus Pauling | titre = On the Structure of Native, Denatured, and Coagulated Proteins |année= 1936 | journal = Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America| volume = 22 | pages = 439&ndash;447 | doi = 10.1073/pnas.22.7.439|numéro= 7|bibcode = 1936PNAS...22..439M }}</ref> ; néanmoins, les biologistes ne pouvaient exclure que la dénaturation corresponde à une transformation chimique de la protéine<ref name="anson_1945" />, une hypothèse parmi d'autres qui ne tomba en discrédit qu'à la fin des années 1950<ref>D’après {{article|nom= Neurath |prénom= H | lien auteur = Hans Neurath |auteur2=Greenstein JP |auteur3=F.W. Putnam |auteur4=J.O. Erickson | titre = The Chemistry of Protein Denaturation |année= 1944 | journal = Chemical Reviews | volume = 34 | pages = 157&ndash;265 | doi = 10.1021/cr60108a003|numéro= 2}}</ref>{{,}}<ref>D’après {{article|nom= Putnam |prénom= F |titre = Protein Denaturation |année=1953 |journal = The Proteins (H. Neurath and K. Bailey, eds.) | volume = 1B | pages = 807&ndash;892}}</ref>.

La [[cristallographie aux rayons X]] venait juste de se constituer en discipline en 1911, et son champ d'application, d'abord limité aux « sels » cristallins, progressait rapidement, jusqu'à permettre d'analyser des molécules complexes comme le [[cholestérol]] ; toutefois, même les plus petites protéines comptent plus de {{formatnum:1000}} atomes, ce qui fait de la détermination de leur structure un puzzle redoutable. Ainsi, les données cristallographiques d'une petite protéine, l'[[insuline]], avaient été obtenues dès 1934 par [[Dorothy Crowfoot Hodgkin]], mais sa structure ne sera élucidée qu'à la fin des années 1960. Toujours est-il que dès les années 1930, les résultats de [[cristallographie aux rayons X]] avaient été obtenus pour une multitude de [[protéine fibreuse|protéines fibreuses]] naturelles comme celles de la laine ou des cheveux (kératine) : [[William Astbury]] avait proposer de les interpréter à partir de [[structure secondaire|structures secondaires]] comme le modèle de l'« [[hélice alpha]] » ou du « [[feuillet bêta]]. »

En ces années 1930, non seulement la structure des protéines restait incomprise, mais c'était aussi le cas pour les interactions physiques qui assuraient sa stabilité. [[William Astbury|Astbury]] supposait que la structure des protéines fibreuses restait stable grâce à l'action de liaisons par pont hydrogène agissant sur des feuillets bêta<ref>Cf. {{article|nom= Astbury |prénom= W.T.|année= 1931 |auteur2=H.J. Woods | titre = The Molecular Weight of Proteins | journal = Nature | volume = 127 | pages = 663&ndash;665 | doi = 10.1038/127663b0 |numéro=3209|bibcode = 1931Natur.127..663A }}</ref>{{,}}<ref>Cf. {{article|nom= Astbury |prénom= W.T. |année= 1933 | titre = Some Problems in the X-Ray Analysis of the Structure of Animal Hairs and Other Protein Fibres | journal = Transactions of the Faraday Society | volume = 29 | pages = 193&ndash;211 | doi = 10.1039/tf9332900193|issue = 140}}</ref>. [[Dorothy Jordan Lloyd]] avança à son tour que les protéines globulaires sont stabilisées par des liaisons par pont hydrogène<ref name="jordan_lloyd_1932">Cf. {{article|nom= Jordan Lloyd | prénom= D. | année= 1932 | titre = Colloidal Structure and its Biological Significance | journal = Biological Reviews | volume = 7 | pages = 254&ndash;273 | doi=10.1111/j.1469-185x.1962.tb01043.x}}</ref>{{,}}<ref>Cf. {{article|nom= Jordan Lloyd |prénom= D.|auteur2=Marriott |année= 1933 | titre =The swelling of protein fibres. Part II. Silk gut
| journal = Transactions of the Faraday Society | volume = 29 | pages = 1228-1240 | doi=10.1039/tf9332901228}}</ref> en 1932, et cette théorie sera reprise plus tard par [[Alfred Mirsky]] et [[Linus Pauling]]<ref name="mirsky_pauling_1936" />. Mais à la fin d'une conférence prononcée en 1933 devant l’''Oxford Junior Scientific Society'' par Astbury, le physicien [[Frederick Charles Frank|Frederick Frank]] émit l'hypothèse que la protéine fibreuse d'α-[[kératine]] pourrait être stabilisée par un autre mécanisme : une hybridation ''covalente'' des [[peptide]]s par la réaction cyclol<ref>Cf. {{article|nom= Astbury | prénom= WT |année = 1936 | titre = Recent Advances In the X-Ray Study of Protein Fibres| journal = Journal of the Textile Institute | volume = 27 | pages = 282&ndash;297 }}</ref> : l'hybridation cyclol rapprochant deux groupes peptides, les atomes d'azote et de carbone ne seraient plus distants que d'environ {{unité|1.5|[[Angstrom|Å]]}}, alors qu'ils sont distants d'environ {{unité|3|[[Angstrom|Å]]}} dans le cas d'une liaison par pont hydrogène. Cette idée intrigua [[John Desmond Bernal|J. D. Bernal]] au point qu'il invita la mathématicienne [[Dorothy Maud Wrinch|Dorothy Wrinch]] à explorer les structures géométriques compatibles avec ce mécanisme.


== Notes ==
== Notes ==

Version du 1 juillet 2018 à 09:01

Figure 1: dans la réaction cyclol classique, deux groupes peptides sont liés par une liaison N-C, faisant du radical carboxyl un radical hydroxyl. Bien que cette réaction soit avérée chez quelques peptides cycliques, elle est contrariée par l'énergie libre, qui affecte la stabilisation en résonance des peptides. Cette réaction est à la base du modèle cyclol des protéines de Dorothy Wrinch.

Le mécanisme cyclol est le premier modèle structural du repliement d'une protéine globulaire[1]. Il a été imaginé par Dorothy Wrinch à la fin des années 1930, et repose sur trois hypothèses :

  1. d'abord, que deux groupes peptide peuvent se recombiner par une réaction cyclol (Figure 1); ce mécanisme est une version covalente de la liaison par pont hydrogène entre groupes peptide. Ces réactions avaient été observées sur des ergopeptides et d’autres composés ;
  2. deuxièmement que, sous les mêmes conditions, les acides aminés engendrent spontanément le plus possible de combinaisons cyclol, donnant naissance à des molécules cyclol (Figure 2) et des composés cyclol (Figure 3). Ces molécules et composés cyclol n'ont jamais été observés ;
  3. finalement, l'hypothèse pose que les protéines globulaires ont une structure tertiaire affectant celles de solides platoniciens ou de polyèdres semi-réguliers formés de composés cyclol saturés. On n'a jamais observé non plus de telles molécules.

Bien que les données recueillies depuis aient montré que ce modèle de structure des protéines globulaires devait être rectifié, plusieurs de ses prédictions ont été vérifiées : non seulement l'existence de la réaction cyclol elle-même, mais aussi l'hypothèse selon laquelle les interactions hydrophobes sont essentiellement responsables du repliement des protéines. Le mécanisme cyclol a stimulé de nombreux chercheurs dans l'étude de la structure et la chimie des protéines, et il est à la base de la plupart des interprétations de la double hélice de l'ADN et la structure secondaire des protéines. Enfin l'histoire des débats autour du modèle illustre comment les réfutations empiriques font vivre la méthode scientifique.

Contexte historique

Au milieu des années 1930, les études analytiques par ultracentrifugation de Theodor Svedberg avaient montré que les protéines ont une structure chimique bien définie, et ne sont pas de simples agrégats de molécules plus petites[2]. Ces mêmes études semblaient indiquer que le poids moléculaire des protéines permettait de les classer par poids multiples communs de deux entiers[3], de la forme Mw = 2p3q Da, où p et q sont deux entiers positifs[4]. Cela dit, il était délicat de déterminer le poids moléculaire exact et le nombre d'acides aminés d'une protéine. Svedberg avait aussi montré qu'en changeant de solvant, on pouvait décomposer une protéine en molécules moins lourdes, ce qu'on qualifie aujourd'hui de modification de structure quaternaire[5].

La structure chimique des protéines était encore controversée à l'époque[6]. L'hypothèse la plus généralement reçue (et qui s'avéra finalement correcte) était que les protéines sont des polypeptides linéaires, c'est-à-dire des polymères d'acide aminés non-ramifiés, connectés par liaisons peptides[7],[8]. Mais une protéine est une chaîne comportant typiquement des centaines de brins d'acides aminés — et plusieurs chercheurs éminents (au rang desquels Emil Fischer) doutaient alors de la stabilité en solution de macromolécules linéaires aussi longues[9],[10]. De nouveaux doutes s'élevèrent sur la nature polypeptidique des protéines car certaines enzymes décomposent les protéines mais non les peptides, tandis que d'autres enzymes décomposent les peptides mais non les protéines repliées[11]. Les tentatives de synthèse de protéines in vitro s'avérèrent vaines, à cause de la chiralité des acides aminés, car les protéines naturelles ne comportent que des acides aminés lévogyres. C'est pourquoi on se mit à rechercher de nouveaux modèles chimiques de protéines : ainsi l'hypothèse diketopiperazine d'Emil Abderhalden[12],[13]. Toutefois, aucun autre modèle n'a à ce jour permis d'expliquer pourquoi les protéines ne donnent que des acides aminés et des peptides par hydrolyse et protéolyse. Comme Linderstrøm-Lang l'a mis en évidence[14], ces résultats de protéolyse montraient que les protéines dénaturées sont des polypeptides, mais on n'avait encore aucune information sur la structure des protéines repliées ; aussi, la dénaturation pouvait résulter d'une transformation chimique convertissant les protéines repliées en polypeptides.

Le processus de dénaturation des protéines (en tant que distinct de la coagulation) avait été découvert en 1910 par Harriette Chick et Charles James Martin[15], mais sa nature restait mystérieuse. Tim Anson et Alfred Mirsky avaient démontré que la dénaturation est un processus réversible à deux états[16] qui affecte des groupes chimiques disponibles pour des réactions chimiques, notamment la décomposition par des enzymes[17]. En 1929, Hsien Wu a formulé l’hypothèse correcte selon laquelle la dénaturation correspond au dépliement de protéine, un pur changement de forme qui cependant rend les chaînes d'acides aminés vulnérables au solvant[18]. L'hypothese de Wu avait d'ailleurs été formulée indépendamment en 1936 par Mirsky et Linus Pauling[19] ; néanmoins, les biologistes ne pouvaient exclure que la dénaturation corresponde à une transformation chimique de la protéine[17], une hypothèse parmi d'autres qui ne tomba en discrédit qu'à la fin des années 1950[20],[21].

La cristallographie aux rayons X venait juste de se constituer en discipline en 1911, et son champ d'application, d'abord limité aux « sels » cristallins, progressait rapidement, jusqu'à permettre d'analyser des molécules complexes comme le cholestérol ; toutefois, même les plus petites protéines comptent plus de 1 000 atomes, ce qui fait de la détermination de leur structure un puzzle redoutable. Ainsi, les données cristallographiques d'une petite protéine, l'insuline, avaient été obtenues dès 1934 par Dorothy Crowfoot Hodgkin, mais sa structure ne sera élucidée qu'à la fin des années 1960. Toujours est-il que dès les années 1930, les résultats de cristallographie aux rayons X avaient été obtenus pour une multitude de protéines fibreuses naturelles comme celles de la laine ou des cheveux (kératine) : William Astbury avait proposer de les interpréter à partir de structures secondaires comme le modèle de l'« hélice alpha » ou du « feuillet bêta. »

En ces années 1930, non seulement la structure des protéines restait incomprise, mais c'était aussi le cas pour les interactions physiques qui assuraient sa stabilité. Astbury supposait que la structure des protéines fibreuses restait stable grâce à l'action de liaisons par pont hydrogène agissant sur des feuillets bêta[22],[23]. Dorothy Jordan Lloyd avança à son tour que les protéines globulaires sont stabilisées par des liaisons par pont hydrogène[24],[25] en 1932, et cette théorie sera reprise plus tard par Alfred Mirsky et Linus Pauling[19]. Mais à la fin d'une conférence prononcée en 1933 devant l’Oxford Junior Scientific Society par Astbury, le physicien Frederick Frank émit l'hypothèse que la protéine fibreuse d'α-kératine pourrait être stabilisée par un autre mécanisme : une hybridation covalente des peptides par la réaction cyclol[26] : l'hybridation cyclol rapprochant deux groupes peptides, les atomes d'azote et de carbone ne seraient plus distants que d'environ 1,5 Å, alors qu'ils sont distants d'environ 3 Å dans le cas d'une liaison par pont hydrogène. Cette idée intrigua J. D. Bernal au point qu'il invita la mathématicienne Dorothy Wrinch à explorer les structures géométriques compatibles avec ce mécanisme.

Notes

  1. A Tiselius, « The Chemistry of Proteins and Amino Acids », Annual Review of Biochemistry, vol. 8,‎ , p. 155–184 (DOI 10.1146/annurev.bi.08.070139.001103)
  2. Cf. T Svedberg, « Mass and size of protein molecules », Nature, vol. 123, no 3110,‎ , p. 871 (DOI 10.1038/123871a0, Bibcode 1929Natur.123..871S)
  3. Cf. T. Svedberg, « Sedimentation of molecules in centrifugal fields », Chemical Reviews, vol. 14,‎ , p. 1–15 (DOI 10.1021/cr60047a001)
  4. Cf. M Bergmann et Niemann C, « On the structure of proteins: cattle hemoglobin, egg albumin, cattle fibrin, and gelatin », Journal of Biological Chemistry, vol. 118,‎ , p. 301–314
  5. Cf. T Svedberg, « The pH Stability Regions of Proteins », Transactions of the Faraday Society, vol. 26,‎ , p. 741–744 (DOI 10.1039/TF9302600737)
  6. Cf. JS Fruton, « Early theories of protein structure », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 325,‎ , p. 1–18 (PMID 378063, DOI 10.1111/j.1749-6632.1979.tb14125.x, Bibcode 1979NYASA.325....1F)
  7. Cf. F. Hofmeister, « Über Bau und Gruppierung der Eiweisskörper », Ergebnisse der Physiologie, vol. 1,‎ , p. 759–802 (DOI 10.1007/BF02323641)
  8. E. Fischer, « Über die Hydrolyse der Proteinstoffe », Chemiker Zeitung, vol. 26,‎ , p. 939–940
  9. Cf. E. Fischer, « Synthese von Depsiden, Flechtenstoffen und Gerbstoffen », Berichte der deutschen chemischen Gesellschaft, vol. 46, no 3,‎ , p. 3253–3289 (DOI 10.1002/cber.191304603109)
  10. Cf. S.P.L. Sørensen, « The constitution of soluble proteins as reversibly dissociable component systems », Comptes rendus des travaux du Laboratoire Carlsberg, vol. 18,‎ , p. 1–124
  11. D'après JS Fruton, Proteins, Enzymes, Genes: The Interplay of Chemistry and Biology, New Haven, CT, Yale University Press, (ISBN 0-585-35980-6)
  12. Cf. E Abderhalden, « Diketopiperazines », Naturwissenschaften, vol. 12,‎ , p. 716–720 (DOI 10.1007/BF01504819, Bibcode 1924NW.....12..716A)
  13. Cf. E Abderhalden et E. Komm, « Über die Anhydridstruktur der Proteine », Zeitschrift für physiologische Chemie, vol. 139,‎ , p. 181–204 (DOI 10.1515/bchm2.1924.139.3-4.181)
  14. K Linderstrøm-Lang, Hotchkiss RD et G. Johansen, « Peptide Bonds in Globular Proteins », Nature, vol. 142, no 3605,‎ , p. 996 (DOI 10.1038/142996a0, Bibcode 1938Natur.142..996L)
  15. Cf. H. Chick et C.J. Martin, « On the "Heat" Coagulation of Proteins », Journal of Physiology, vol. 40,‎ , p. 404–430 ; H Chick et C.J. Martin, « On the "Heat" Coagulation of Proteins. II. The Action of Hot Water upon Egg-albumen and the Influence of Acid and Salts upon Reaction Velocity », Journal of Physiology, vol. 43,‎ , p. 1–27 ; H. Chick et C.J. Martin, « On the "Heat" Coagulation of Proteins. III. The Influence of Alkali upon Reaction Velocity », Journal of Physiology, vol. 45,‎ , p. 61–69 ; Harriette Chick Chick et C.J. Martin, « On the "Heat" Coagulation of Proteins. IV. The Conditions controlling the Agglutination of Proteins already acted upon by Hot Water », Journal of Physiology, vol. 45,‎ , p. 261–295
  16. Cf. ML Anson et Mirsky AE, « Protein Coagulation and Its Reversal », Journal of General Physiology, vol. 13,‎ , p. 121–132
  17. a et b Cf. M.L. Anson, « Protein Denaturation and the Properties of Protein Groups », Advances in Protein Chemistry, vol. 2,‎ , p. 361–386 (ISBN 978-0-12-034202-0, DOI 10.1016/S0065-3233(08)60629-4)
  18. H Wu, « Studies on Denaturation of Proteins. XIII. A Theory of Denaturation », Chinese Journal of Physiology, vol. 5,‎ , p. 321–344 Preliminary reports were presented before the XIIIth International Congress of Physiology at Boston (19–24 August 1929) and in the October 1929 issue of the American Journal of Physiology.
  19. a et b Cf. A.E. Mirsky et Pauling L, « On the Structure of Native, Denatured, and Coagulated Proteins », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 22, no 7,‎ , p. 439–447 (DOI 10.1073/pnas.22.7.439, Bibcode 1936PNAS...22..439M)
  20. D’après H Neurath, Greenstein JP, F.W. Putnam et J.O. Erickson, « The Chemistry of Protein Denaturation », Chemical Reviews, vol. 34, no 2,‎ , p. 157–265 (DOI 10.1021/cr60108a003)
  21. D’après F Putnam, « Protein Denaturation », The Proteins (H. Neurath and K. Bailey, eds.), vol. 1B,‎ , p. 807–892
  22. Cf. W.T. Astbury et H.J. Woods, « The Molecular Weight of Proteins », Nature, vol. 127, no 3209,‎ , p. 663–665 (DOI 10.1038/127663b0, Bibcode 1931Natur.127..663A)
  23. Cf. W.T. Astbury, « Some Problems in the X-Ray Analysis of the Structure of Animal Hairs and Other Protein Fibres », Transactions of the Faraday Society, vol. 29, no 140,‎ , p. 193–211 (DOI 10.1039/tf9332900193)
  24. Cf. D. Jordan Lloyd, « Colloidal Structure and its Biological Significance », Biological Reviews, vol. 7,‎ , p. 254–273 (DOI 10.1111/j.1469-185x.1962.tb01043.x)
  25. Cf. D. Jordan Lloyd et Marriott, « The swelling of protein fibres. Part II. Silk gut », Transactions of the Faraday Society, vol. 29,‎ , p. 1228-1240 (DOI 10.1039/tf9332901228)
  26. Cf. WT Astbury, « Recent Advances In the X-Ray Study of Protein Fibres », Journal of the Textile Institute, vol. 27,‎ , p. 282–297