Réforme de l'orthographe française

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Les réformes de l'orthographe française sont les changements « officiels » , plus ou moins importants, de l'écrit du français au cours de son histoire, et afin de le simplifier (gain d'effort d'enseignement et d’apprentissage par suppression de règles ardues et déconnectées de l'oral, simplicité d'usage et communication facilitée, renforcement de l'attractivité de la langue à l'international).

La dernière réforme de l'orthographe date de 1990 et a fait l'objet de plusieurs circulaires en France, Belgique, Suisse, Québec[1].

Autrefois, la diffusion des réformes orthographiques se faisait auprès des imprimeurs et des gens de lettres[2].

Aujourd'hui, les moyens de diffusion incluent le débat public et les usages volontaires, les consignes aux enseignants, leur souhait propre et leur enseignement, les livres dits de référence (dictionnaires), les correcteurs informatiques.

Historique

Les réformes orthographiques du français ont toujours été étroitement associées au politique. L'adoption du français comme langue royale, en remplacement du latin[3], a déclenché chez les clercs une réaction qui s'est traduite par la mise en place d'une orthographe raisonnée du moyen français se référant aux origines latines de la langue[4],[5].

Derniers vers de la Chanson de Roland. L'orthographe de l'ancien français rend compte de la prononciation de l'époque, contrairement à celle du français moderne.

Tout commence au XIVe siècle avec l’adoption, par le gouvernement royal, du français en tant que langue administrative. Avec l'avènement de Philippe VI au trône, l'usage du français s'élève à 80 % des chartes. Après une brève interruption et un retour au latin durant le règne de Jean II (1350-1364), le français redevient majoritaire dès les années 1360. Cependant, l'Église, mais surtout les clercs et les juristes chargés d'enregistrer les actes royaux constituent un bastion de résistance à l'usage du français. Si les bénéficiaires laïcs des chartes du roi de France soutiennent l'usage du français, la caste des clercs, qui considère l'aspect historique de la langue s'accroche en revanche à l'usage du latin : au fur et à mesure qu'ils ont été forcés d'abandonner le latin pour le français, les officiers ministériels se sont donc rattrapés en se mettant à en conserver les marques de latinisation de l'orthographe.

L'adoption du français comme langue royale se traduit par une rationalisation et une unification de l'orthographe jusqu'ici chaotique de l'ancien français (pour cœur par exemple on trouve les graphies quors, cuer et quers). Alors que la graphie originelle du français est davantage conforme à la phonétique (celle supposée de l'époque puisque les preuves ne sont pas patentes) et parfois arbitraire, elle est progressivement latinisée dans une tentative d'aboutir à une « orthographe étymologique ». Ce qui n'est pas le cas pour le mot cœur qui vient du latin cor, cordis (voir Gaffiot). L’Académie française fige ensuite définitivement cette nouvelle norme graphique qu’elle appelle « orthographe ancienne » puisque procédant du latin classique, sans tenir compte du fait que la Chanson de Roland, qui est le plus vieux texte littéraire complet du français, a une orthographe totalement différente — il épelle par exemple ki « qui » ou e « et » (cf. italien e), etc. — ni du fait que le français est issu du latin vulgaire et non pas du latin classique. Sont ajoutées alors des lettres ne se prononçant pas devant les consonnes : là où l'ancien français écrivait tens, le moyen français crée « temps », le p rappelant son étymon latin tempus ; à partir de pois, le moyen français crée « poids », le d rappelant la forme latine pondus, ce qui constitue une erreur d'étymologie puisque le français « poids » procède du gallo-roman *PESU (< latin pensum, italien peso « poids »), d'où « peser » et non pas de *PONDU[6], mais elle distingue entre tous les homophones (ex : pois, poix) ; puis devient en moyen français « puits », le t évoquant la forme latine puteus, ce qui n'est pas tout à fait l'étymon, mais n'est, dans ce cas, pas contraire à l'attraction qu'a exercé le vieux bas francique *putti, phonétiquement proche[7]etc. L'immense majorité des singularités orthographiques du français moderne est étymologiquement justifiée et se rapproche partiellement du latin classique à l'origine du latin vulgaire dont descend le français. On trouve d'autres exemples qui montrent les limites d'une orthographe étymologique. Ainsi, sçavoir (saver en ancien français) était censé se rattacher au latin scire jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'il était issu du bas-latin sapere (cf. italien sapere) et qu'on enlève, tardivement, le ç parasite[8]. Un autre exemple est fourni par le mot « homme » écrit souvent sans h- en ancien français (cf. italien uomo), on restitue systématiquement h- étymologique, conformément à l'étymologie du terme, à savoir le latin homo, en revanche, le pronom personnel indéfini « on » qui procède du même étymon latin homo, forme atone, se voit privé de son h- initial tel qu'il apparaît dans certains textes d'ancien français[9].

L'ordonnance de Villers-Cotterêts. L'orthographe a été rendue étymologique.

Lorsque François Ier va promulguer sa célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts en août 1539, c'est l'usage du « françoys » qu'il impose. L'invention de l'imprimerie, instrument de popularisation de l'écrit, ne contribuera pas non plus à restituer à la langue française sa graphie phonétique originelle dans la mesure où l'apparition de cette technologie nouvelle a, au contraire, suscité des inquiétudes concernant les éventuels « dangers » d'une dissémination incontrôlée du français à l'écrit, d'où la nécessité ressentie de la compliquer un peu plus encore par le recours non seulement au latin, mais également au grec, comme l'a fait notamment Henri Estienne, imprimeur, mais également philologue et surtout, helléniste, qui n'a pas caché son mépris de ce qu'il nommait le « François de la maigre orthographe[10] » puisque selon lui, le français ne descend même pas du latin, mais… du grec : « Car ce François ainſi deſguiſé, en changeant de robe, a quant-et-quant perdu (pour le moins en partie) l’accointance qu’il auoit auec ce beau & riche langage Grec[11] ».

Les tentatives de l’auteur de la première grande grammaire du français (1550), Louis Meigret de simplifier l’orthographe française en favorisant une orthographe phonétique, ne purent réussir face aux polémiques soulevées par des opposants. Une fois imposé le principe d’une graphie censément étymologique, l'orthographe française n'a jamais cessé d'évoluer, suivant le principe que l'usage détermine la règle.

Au XVIIIe et XIXe

En 1718, avec la 2e édition du Dictionnaire de l'Académie française, les lettres J et V sont adoptées et différenciées du I et du U ;

La quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie française : distinguer les « hommes de lettres des ignorants et des femmes simples ».

En 1740, avec la 3e édition du Dictionnaire de l'Académie française, un tiers des mots changent d'orthographe[12] et les accents apparaissent (par exemple, « throne, eſcrire, fiebvre » deviennent « trône, écrire, fièvre, etc. ») ;

Au début du XIXe siècle, l'orthographe se fixe et, contrairement aux autres pays romans, c'est le courant étymologiste qui prévaut et non pas phonétique[13]. Dans son célèbre ouvrage Des Tropes (1730) le « grammairien des lumières » Du Marsais préconise et applique une orthographe systématiquement simplifiée (aplication, aujourdui, un éfet, doner, rapèle, come, raport, les homes, etc.) ; en dépit de l'autorité de l'auteur qui rédigera tous les articles de grammaire et de linguistique de l'Encyclopédie jusqu'à son décès en 1757, cette tentative restera sans lendemain[14].

De nombreuses modifications interviennent dans la première moitié du XIXe siècle (des formes archaïques telles que j'avois s'alignent sur les plus courantes en -ais, d'où « j'avais »).

Deux réformes importantes vont intervenir au cours du XIXe siècle :

Au XXe siècle

Au début du XXe siècle, le trait d'union remplace l'apostrophe dans grand-mère[15], grand-messeetc. ;

Georges Leygues, alors ministre de l'Instruction publique, publie un arrêté le , premier arrêté ministériel jamais publié pour réformer l'orthographe[16], qui propose de tolérer des orthographes multiples pour les concours et dictées officiels en France[17] (pluriel des substantifs, noms composés, traits d'union, absence d'accord du participe passé après l’auxiliaire avoir…[18]). Georges Leygues avait écrit en préambule qu'il « conviendra, dans les examens, de ne pas compter comme fautes graves celles qui ne prouvent rien contre l’intelligence et le véritable savoir des candidats, mais qui prouvent seulement l’ignorance de quelque finesse ou de quelque subtilité grammaticale »[18].

Mais devant l'opposition virulente de l'Académie française[16] et une campagne de presse hostile, la réforme ne sera jamais appliquée[18],[19], exceptées quelques « simplifications » qui seront acceptées comme l'absence de tiret à certains nombres composés[18].

En 1977 est publié l'arrêté Haby, version « rajeunie » de l'arrêté de 1901, qui propose également des tolérances dans les dictées et concours officiels en France[20] (cf. tréma en français).

Des documents officiels sur la féminisation des noms de métiers en français sont publiés en 1979 au Québec, 1986 et 1999 en France, 1993 en Belgique francophone. La féminisation est un phénomène qui touche la langue mais aussi, dans certains cas, l'orthographe : par exemple, le féminin de professeur peut s'écrire professeur (forme dite épicène) ou professeure (forme rejetée par l'Académie française[21]), selon les recommandations effectuées dans plusieurs pays (voir l'article sur la féminisation des noms de métiers en français pour plus de précisions).

Les rectifications de 1990

En octobre 1989, Michel Rocard, alors Premier ministre de la France, met en place le Conseil supérieur de la langue française à Paris. Il charge alors des experts — parmi lesquels des linguistes, des représentants de l'Académie française et des grands fabricants de dictionnaires — de proposer des régularisations sur quelques points (le trait d'union, le pluriel des mots composés, l'accent circonflexe, le participe passé, diverses anomalies).

Rapidement, les experts se mettent au travail. Leurs conclusions sont soumises aux organismes de politique linguistique belge et québécois. Elles sont également soumises à l'Académie française, qui les avalise à l'unanimité[22], tout en précisant :

« L’orthographe actuelle reste d’usage, et les « recommandations » du Conseil supérieur de la langue française ne portent que sur des mots qui pourront être écrits de manière différente sans constituer des incorrections ni être considérés comme des fautes. »

Les rectifications sont alors publiées au Journal officiel en décembre 1990.

Propositions pour rationaliser / simplifier l'orthographe

Plusieurs projets de simplifications du français existent. Ils proposent de changer la complexe orthographe coutumière, et d'utiliser et diffuser des normes simples (par leur grande régularité notamment). Ces systèmes tendent toujours vers une transparence son/graphie accrue.

Les objectifs sont notamment de :

  • anticiper les simplifications d'usage en cours, les régulariser, les théoriser ;
  • simplifier l'apprentissage de l'écriture et de la lecture ;
  • réorienter de massifs efforts d'enseignement vers des savoirs et compétences autres que l'orthographe et la grammaire.

Les simplifications sont souvent de cet ordre :

  • suppression des marques inaudibles (de genre, de nombre, héritées…) ;
  • l'écriture de chaque son par une graphie unique (par exemple, choix d'un unique signe à la place des multiples écritures du son « s » : ss, ç, s, t+i, c, x ;
  • parfois remplacement des digraphes (« on », « ou », « eu », « an »…) par un nouveau signe.

Notes et références

  1. « Circulaires dans les pays francophones ».
  2. Jean-Marie Klinkenberg, Des langues romanes : introduction aux études de linguistique romane, Louvain-la-Neuve, Duculot, , 313 p. (ISBN 978-2-80111-227-4, lire en ligne), p. 249.
  3. Serge Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, , 296 p. (ISBN 978-2-13054-392-3), p. 255.
  4. Nina Catach, Histoire de l’orthographe française, Paris, Honoré Champion, , 425 p. (ISBN 978-2-74530-575-6), p. 83.
  5. Serge Lusignan, « La résistible ascension du vulgaire : persistance du latin et latinisation du français dans les chancelleries de France et d’Angleterre à la fin du Moyen Âge », Mélanges de l'École française de Rome. Moyen-Âge, vol. 117, no 2,‎ , p. 506 (lire en ligne).
  6. « Étymologie de « poids » », sur CNRTL.
  7. « Étymologie de « puits» », sur CNRTL.
  8. Voir Étienne Pasquier, Des recherches de la France, vol. III, l : De l’origine de noſtre Vulgaire François, que les Anciens appeloient Roman, & dont procede la difference de l’orthographe, & du parler, (1re éd. 1560) (lire en ligne) et Étienne Pasquier, Les lettres d’Eſtienne Paſquier, , chap. III, iv (« Sçavoir ſi l’orthographe françoiſe ſe doit accorder avec le parler »).
  9. « Étymologie de « on » », sur CNRTL.
  10. Henri Estienne, Traicté de la conformité du langage françois auec le grec, Paris, Iaques du Puis, (lire en ligne), p. II.
  11. Ibid.
  12. « Orthographe », dans La langue française de A à Z : Abécédaire, Fédération Wallonie-Bruxelles, (ISBN 978-2-930758-23-7, lire en ligne).
  13. Jean-Claude Vantroyen, « L’Accord du participe passé, une perte d'énergie », Le Soir,‎ .
  14. César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou des diferens ſens dans leſquels on peut prendre un mème mot dans une mème langue. Ouvrage utile pour l’intelligence des Auteurs, & qui peut ſervir d’introduction à la Rhétorique & à la Logique, Paris, Veuve de Jean-Batiste Brocas, (lire en ligne).
  15. « Un bref aperçu de l'évolution de l'orthographe française ».
  16. a et b Jérôme Schrepf, « En 1901 déjà, Georges Leygues avait tenté de simplifier l'orthographe… », La Dépêche du Midi,‎ (lire en ligne).
  17. Georges Leygues, « 73.  : Arrêté relatif à la simplification de la syntaxe française », Publications de l'Institut national de recherche pédagogique, vol. 5, no 2,‎ , p. 198-203 (lire en ligne).
  18. a b c et d Sylvain Mouillard et Marie Piquemal, « L'orthographe, un siècle de crispations », Libération,‎ (lire en ligne).
  19. Caroline Brizard, Jacqueline de Linares et Nathalie Funès, « Les raisons du désastre », L'Obs,‎ .
  20. « Arrêté Haby et Annexe (1977) », Mots, no 28,‎ septembre 1991-09, p. 118-119 (lire en ligne).
  21. « La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres – Mise au point de l’Académie française », sur Académie française, .
  22. « Position de l'Académie française », sur Académie française.

Bibliographie

Voir aussi

Articles connexes