Dorestad

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Dorestad
Géographie
Pays
Province
Commune
Altitude
5 mVoir et modifier les données sur Wikidata
Coordonnées
Démographie
Population
10 000 hab. (VIIIe siècle)Voir et modifier les données sur Wikidata
Carte
Carte des routes commerciales vers Dorestad.
Quelques artéfacts trouvés dans les fouilles de Dorestad.

Dorestad est le nom d'un des ports les plus importants de l'Europe médiévale, qui connut son âge d’or durant le neuvième siècle[1].

Dorestad était situé sur l'un des bras de l'embouchure du Rhin, sur les vestiges d'un ancien fort romain[2], en un lieu situé près de la ville actuelle de Wijk bij Duurstede, aux Pays-Bas. Entre 600 et 850, le port a souvent fait l'objet de guerre entre les Frisons et les Francs. Au sein de l'Empire carolingien, Dorestad est une possession personnelle de Charlemagne, comme Quentovic en France. Ces deux villes géraient l'essentiel du trafic maritime des Carolingiens.

Dorestad fut l'une des capitales du royaume de Frise.

Le site occupait un espace d'une trentaine d'hectares le long du Rhin. On a trouvé des traces d'artisanat du textile et d'un échouage, ainsi que d'un bâtiment en bois qui pourrait être une église[3].

À cause de l'importance de son centre de commerce, Dorestad attire l'attention des Vikings. Elle est pillée en 834, 835, 836, 837, 846, 847, 857 et 863[4]. Les historiens estiment qu'environ 7 000 Vikings ont pris part au premier raid en 834. La ville est devenue le centre du pouvoir de la principauté viking de Dorestad, entre 850 et 885.

Des travaux sur le Rhin ont comblé le port après 863 et la ville décline rapidement. Elle est définitivement détruite en 876[5].


Informations générales

La ville de Dorestad était située en Frise, qui fut le point central de la navigation et du commerce, autant pour l’Angleterre, les pays scandinaves et le reste du continent européen[6]. La ville se trouve dans une jonction très importante du Rhin, c’est-à-dire près du Lek et du système Rhin Tortueux, Vecht et Aelemere[6]. Les vestiges de cette ville sont situés près de la ville de Wijk bij Duurstede, aux Pays-Bas[7]. Son nom est attesté dès le septième siècle. Il est frappé sur des pièces de monnaie entre 630 et 650[8]. De plus, le nom est confirmé par deux auteurs : le Cosmographe de Ravenne entre 670 et 690, et l'un des continuateurs du pseudo-Frédégaire, qui relate les combats de Pépin le Bref en 695[6].

Des fouilles archéologiques durant le vingtième siècle ont permis de découvrir que la ville avait deux implantations, l’une au nord et l’autre au sud[9]. Les constructions modernes empêchent les excavations dans la partie Sud, mais certains indices laissent penser que les deux implantations réunies formaient une agglomération qui s’étendait entre deux et trois kilomètres[9]. Pour ce qui est de la partie Nord, plusieurs excavations ont eu lieu entre 1967 et 1977, sur près d’un kilomètre et elles ont révélé plusieurs habitations, qui étaient fort probablement des fermes[9].

Les constructions de la ville était principalement en bois et elle ne comportait pas d’enceinte, comme certains l' avaient avancé[10]. Les conclusions des fouilles démontrent que les habitations mesuraient entre 17 et 30 mètres de long pour 6 à 8 mètres de large[10]. Chaque habitation était accompagnée d’un enclos et d’une paire de puits, ce qui démontre une importante activité agricole[10]. Bien que ces habitations aient été similaires à ce qu’on retrouve dans la région, celles qui étaient aux abords du Rhin étaient plus petites ; certains spécialistes en déduisent que la ville de Dorestad était marchande et non pas paysanne[11]. De plus, les fouilles ont permis de relever la présence de chemins en bois et de plateaux, qui servaient de débarcadère pour les embarcations[11]. Ces plateaux suivaient le cours de la déviation du Rhin et permettaient ainsi à une activité portuaire importante[11].

Une ville éphémère

La ville de Dorestad a connu un boom très rapide et une chute tout aussi rapide. La ville est, au début des années 820, à son apogée. En effet, les différents types de pièces de monnaie retrouvés sur les sites de fouilles montrent la ville était une plaque tournante de l’économie de son époque. Ces pièces proviennent principalement d’Angleterre, du Danemark et d’Italie[12]. On peut ainsi constater l’importance de Dorestad comme centre d’échanges commerciaux.

Les Carolingiens avaient établi des ateliers de frappe de monnaie, frappe qui connut son apogée durant les années 830[13]. Néanmoins, on constate une chute rapide des échanges monétaires à Dorestad à partir des années 840 et les années 860 marquent la fin de Dorestad comme pilier du commerce extérieur[13]. Le déclin rapide de la ville peut être associé à deux facteurs. Le premier est humain, avec les multiples raids des Vikings sur la ville de 834 à 863[14],[15]. Le second est de type naturel, avec la modification des conditions hydrographiques : le territoire de la Frise était aux prises avec de grandes inondations en 864, et a connu une déviation du cours du Rhin, ce qui a entraîné une désertion de la ville[14] et finalement, son déclin en tant que centre commercial[16].

Une plaque tournante de l’économie

La ville de Dorestad, comme centre économique, disposait de plusieurs secteurs d’activités; un secteur agricole, un secteur industriel et un secteur commercial[17]. Le secteur agricole semblait disposer d'une zone attitrée, qui se situait dans l’est de la colonie[17]. L'activité agricole se concentrait sur la production de protéines et les surplus non consommés par les animaux étaient distribués aux alentours, faisant de la ville un grand marché pour les communautés avoisinantes[17]. Le fait que la ville ait été capable de proposer aussi bien des activités agricoles que portuaires est l’une des caractéristiques les plus importantes de la Frise du Moyen Âge[10].

En plus de son activité agricole importante, Dorestad avait une fonction industrielle marquée, comme l'ont montré des fouilles révélant des preuves de fabrication de navires, et l'existence de métallurgie[17]. La ville semblait avoir aussi des activités artisanales telles que le travail de l’ambre, de l’os et une industrie textile importante[18]. Certains historiens ont affirmé que la production semblait être à grande échelle, car selon les informations relevées, Dorestad devait exporter ses surplus, soit dans les villes avoisinantes, soit dans d’autres régions[17]. Ceci renforce d’autant plus le troisième aspect de Dorestad: l’aspect commercial.

En effet, Dorestad, par sa situation géographique, lui donnait une place de choix comme centre de commerce. Comme mentionné plus haut, son emplacement sur un embranchement du Rhin qui donne accès autant à l’intérieur du continent, qu’à la mer du nord, en font un endroit très stratégique pour un port. La plupart des produits qui ont été retrouvés dans les fouilles montrent que beaucoup d’articles proviennent de la région du Rhin allemand[19]. De la poterie, des tonneaux de vin, des armes, des esclaves, transitaient, entre autres, à Dorestad[19]. Dans les faits, quand l’on compare l’état des importations et de la production, pour Dorestad, la proportion est de 80% pour les importations et 20% pour la production, alors que dans les villes plus continentales, le ratio est de 30% et 70%[19]. Cela démontre bien l’importance du commerce pour cette ville par rapport aux autres régions. Ce qui explique cette vigueur commerciale est en grande partie dû à la navigabilité du réseau hydrographique de la ville[6].

Une prospérité carolingienne

La prospérité de Dorestad était en grande partie créée par la dynastie carolingienne. Tout d'abord, La région était conquise par les Francs durant la première partie du VIIIe siècle, ce qui fait de Dorestad, une ville de l’Empire[20] . Donc le développement de cette ville comme moteur économique ne s’est pas fait seulement par les Frisons, mais aussi par l’administration carolingienne[21]. Ils ont pris plusieurs mesures administratives afin d'accroître la prospérité de cette ville.

Tout d’abord, les Carolingiens ont profité de la position géographique pour faire de Dorestad l’un des principaux points d’accès maritime à l’Empire[21] . En 779, elle faisait partie d’un regroupement de villes à qui ils permettaient de ne pas payer de taxes. Le tout changeât durant le règne de Louis le Pieux, qui impose une taxe de 10% sur les marchandises lors de leur passage dans à Dorestad[21]. Elle disposait d’ailleurs de fonctionnaires qui étaient chargés de récolter ces taxes[21]. En s’appropriant le centre commercial pour eux et en utilisant le dynamisme des marchands frisons, ils seraient capables de tirer autant stratégiquement qu’économiquement, du contrôle de la ville[21].

Une autre des mesures carolingiennes qui faisait que Dorestad était devenue une ville très importante durant le règne des Carolingiens était la mise en place d’ateliers de fabrication de monnaie. En effet, commencé sous son règne, Pépin le Bref mit en place les deniers de Dorestad qui visent à remplacer les sceattas, la monnaie frisonne[22]. Sous les règnes de Charlemagne et Louis le Pieux, ces ateliers seront définitivement à leurs apogés, alors que ceux-ci ont augmenté leurs catalogues à 7 et 8 pièces[22]. C’est pendant la fin du règne de Louis, que le port connait ses meilleurs jours, car la frappe de pièce était à son plus haut niveau[23]. L’importance des pièces produites à Dorestad démontre que la ville était réellement un centre économique important. Plusieurs pièces étaient retrouvées en Scandinavie, certaines autres dans la région baltique[23].

Cependant, il faut regarder comment les Frisons se débrouillaient avant l’arrivée des Carolingiens. Tout d’abord, les Frisons avaient une excellente capacité à tirer profit des ressources naturelles de leurs territoires. En effet, que ce soit l’exploitation du sel, la pêche et même les prairies, ils avaient su exploiter leur environnement à sa pleine capacité[24]. De plus, ils avaient des élevages qui leur fournissaient les matières premières pour le travail artisanal[25]. Ils travaillaient le cuir, les os et la laine[25]. D’ailleurs les Frisons commençaient à commercer dès l’époque des Romains, car ils avaient des besoins en blé, en bois, matières qui sont absentes dans la région[26]. Les besoins des Frisons les poussaient à développer une attitude commerciale pour parvenir à combler leurs besoins et d’échanger leurs surplus[26].

L’empire Carolingien à certainement aidé la ville de Dorestad à se développer considérablement par leurs mesures administratives et par la mise en place des ateliers de fabrication de monnaie, mais les peuples qui y vivaient avant avaient déjà les capacités commerciales pour se développer. Le mariage des deux ne pouvait qu’être bénéfique.

Les Vikings

Les Vikings étaient des acteurs déterminants dans la chute de la ville de Dorestad comme centre économique. La première raison est l’absence d’opposition dans l’empire carolingien. En effet, les Carolingiens étaient aux prises avec des luttes internes très importantes et un état en train de se décomposer, ce qui rendait la défense du territoire complètement impossible[27]. Étant donné que l’empire Carolingien était divisé dans une lutte entre les trois fils de Louis le Pieux, les vikings, voyant cela, profitaient de la situation pour utiliser la force et piller l’Empire[28].

Outre la faiblesse de l’empire, la cause principale qui menait les Vikings à entreprendre des expéditions dans l’ouest, est commerciale. En effet, ils respectaient le commerce et plusieurs récits racontaient les capacités des Vikings à commercer extérieurement, notamment, avec les peuples slaves et l’Empire byzantin[29]. En lien avec cela, les routes commerciales avaient changé. Durant l’Antiquité, la Méditerranée était le centre commercial important, mais lors de la chute de l’Empire romain, la route s’était déplacée[29]. Puisque les musulmans avaient pris le contrôle de Méditerranée durant l’empire carolingien, les routes commerciales s’étaient déplacées vers le nord[30]. C’est d’ailleurs avec ces changements de routes que les Viking développaient la route vers l’ouest, la vestrvegr, dont l’un des points d’entrée est Dorestad[31]. Donc, les Vikings connaissaient bien l’importance commercial de Dorestad pour l’empire carolingien. Elle faisait d’ailleurs, partie du réseau d’échange vers le nord, car elle avait des liens avec Birka, notamment[32]. Dès 834, les Danois menaient des raids contre Dorestad qui continuaient pendant plusieurs années, devenant même annuels[33]. Ces raids seront rapportés d’ailleurs, dans les annales de Saint-Bertin, décrivant la destruction et le pillage que les Danois effectuèrent sur leur passage[33].

La ville de Dorestad était, quoique brièvement, un véritable point commercial durant le neuvième siècle. La ville profitait de la puissance carolingienne pour faire exploser son développement commercial et économique, mais le dynamisme des frisons n’est pas à ignorer dans le développement de ce centre commercial. Mais, finalement, l’éclatement de l’empire Carolingien, l’arrivée des vikings et les conditions géographiques firent en sorte que la chute de la ville fut aussi rapide que son développement.

Voir aussi

Articles connexes

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Bibliographie

Ouvrages

  • Régis Boyer, Les Vikings, Paris, Éditions Perrin, , 442 p.
  • (en) Brian Hobley et Richard Hodges, The rebirth of towns in the west AD 700-1050, Londres, Council for British Archeology, , 135 p.
  • Stéphane Lebecq, Marchands et navigateurs frisons au haut Moyen-âge, France, Presse universitaires de Lille, , 375 p.
  • (en) Else Roesdahl, The vikings, Grande Bretagne, Penguin books, , 324 p.

Articles

  • (en) Simon Coupland, « Trading places, Quentovic and Dorestad reassessed », Early medieval Europe, vol. 11, no 3,‎ , p. 209-232
  • (en) Simon Coupland, « Dorestad in the ninth century: the numismatic evidence », Jaarboek voor Munt- en Penningkunde, vol. 75, no 3,‎ , p. 5-26
  • Stéphane Lebecq, « Entre terre et mer, La mise en valeur des contrées littorales de l’ancienne Frise », Histoire, économie et société, vol. 16, no 3,‎ , p. 361-376 (lire en ligne)

Références

  1. Couplan 2002, p. 209.
  2. Sans doute Levefano, d'après Jacques Le Goff (dir.), Histoire de la France urbaine II : La Ville médiévale, Seuil, , p. 55.
  3. Georges Duby (dir.), Paul Albert Février, Michel Fixot, Christian Goudineau et Venceslas Kruta, Histoire de la France urbaine I : La Ville antique, Paris, Seuil, , 600 p. (ISBN 2-02-005590-2), p. 538.
  4. Rudolf Simek et Ulrike Engel, Viking on the Rhine, Vienne, éditions Fassbaender, , p. 50.
  5. J. Le Goff (dir.), op.cit., p. 57.
  6. a b c et d Lebecq 1983, p. 149.
  7. Hobley et Hodges 1988, p. 52.
  8. Lebecq 1983, p. 150.
  9. a b et c Hobley et Hodges 1988, p. 53.
  10. a b c et d Lebecq 1983, p. 152.
  11. a b et c Lebecq 1983, p. 155.
  12. Couplan 2002, p. 223.
  13. a et b Couplan 1988, p. 12.
  14. a et b Lebecq 1983, p. 161.
  15. Roesdahl 1998, p. 201.
  16. Couplan 1988, p. 6-7.
  17. a b c d et e Hobley et Hodges 1988, p. 54.
  18. Lebecq 1983, p. 154.
  19. a b et c Hobley et Hodges 1988, p. 55.
  20. Wickham 2005, p. 685.
  21. a b c d et e Lebecq 1983, p. 158.
  22. a et b Lebecq 1983, p. 60.
  23. a et b Couplan 2002, p. 22.
  24. Lebecq 1997, p. 366.
  25. a et b Lebecq 1997, p. 367.
  26. a et b Lebecq 1997, p. 368.
  27. Boyer 2004, p. 81.
  28. Boyer 2004, p. 82.
  29. a et b Boyer 2004, p. 131.
  30. Boyer 2004, p. 137.
  31. Boyer 2004, p. 141.
  32. Roesdahl 1998, p. 196.
  33. a et b Boyer 2004, p. 112.