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** {{en}} Sara Henry Stites, ''Economics of the Iroquois'', The New Era Printing Company, Lancaster (Pennsylvania), 1905, [http://www.archive.org/details/economicsofiroqu00stit en ligne] sur http://www.archive.org
** {{en}} Sara Henry Stites, ''Economics of the Iroquois'', The New Era Printing Company, Lancaster (Pennsylvania), 1905, [http://www.archive.org/details/economicsofiroqu00stit en ligne] sur http://www.archive.org
** {{en}} Bruce G. Trigger, ''The Huron Farmers of the North'', Holt, Rinehart and Winston, New York, 1969, ISBN 9780030795503
** {{en}} Bruce G. Trigger, ''The Huron Farmers of the North'', Holt, Rinehart and Winston, New York, 1969, ISBN 9780030795503
** {{fr}} Roland Viau, ''Enfants du néant et mangeurs d'âmes : Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne'', Boréal, Montréal, 1997, ISBN 9782890528079
** {{en}} Anthony F.C. Wallace, ''The Death and Rebirth of the Seneca'', Vintage Books, New York, 1969, ISBN 9780394716992
** {{en}} Anthony F.C. Wallace, ''The Death and Rebirth of the Seneca'', Vintage Books, New York, 1969, ISBN 9780394716992
* '''Articles de journaux et de revues'''
* '''Articles de journaux et de revues'''
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== Voir aussi ==
== Voir aussi ==
=== Bibliographie complémentaire ===
* {{fr}} Bruce G. Trigger (trad. Georges Khal), ''Les Indiens, la fourrure et les Blancs : Français et Amérindiens en Amérique du Nord'', Boréal, Montréal, 1990, ISBN 9782890522749
* {{fr}} Bruce G. Trigger, ''Les enfants d'Aataentsic : L'histoire du peuple huron'', Libre Expression, 1991, ISBN 9782891113649
* {{fr}} Bruce G. Trigger, ''Les Amérindiens et l'âge héroïque de la Nouvelle-France'', Société historique du Canada, 1992, ISBN 9780887981661
* {{fr}} Roland Viau, ''Enfants du néant et mangeurs d'âmes : Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne'', Boréal, Montréal, 1997, ISBN 9782890528079
* {{fr}} Roland Viau, ''Femmes de personne : Sexes, genres et pouvoirs en Iroquoisie ancienne'', Boréal, Montréal, 2000, ISBN 9782764600528

=== Articles connexes ===
=== Articles connexes ===
* [[Constitution de la nation iroquoise]] : base juridique de la Confédération iroquoise
* [[Constitution de la nation iroquoise]] : base juridique de la Confédération iroquoise
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=== Liens externes ===
=== Liens externes ===
*[http://www.nysm.nysed.gov/IroquoisVillage/ A Mohawk Iroquois Village: An Exhibit at the New York State Museum] - Dioramas en ligne de villages iroquois
* {{en}} [http://www.nysm.nysed.gov/IroquoisVillage/ A Mohawk Iroquois Village: An Exhibit at the New York State Museum] - Dioramas en ligne de villages iroquois
*[http://www.carnegiemnh.net/exhibits/north-south-east-west/iroquois/ Carnegie Museum of Natural History - The Iroquois of the Northeast] - Information sur les Iroquois, en particulier dans l'agriculture et la construction métallique.
* {{en}} [http://www.carnegiemnh.net/exhibits/north-south-east-west/iroquois/ Carnegie Museum of Natural History - The Iroquois of the Northeast] - Information sur les Iroquois, en particulier dans l'agriculture et la construction métallique
* {{en}} Lee Sultzman, [http://www.tolatsga.org/iro.html Iroquois History] - Histoire principalement politique et militaire des Iroquois
*'''Entreprises détenues par des Iroquois'''
*'''Entreprises détenues par des Iroquois'''
**[http://onenterprises.com/ Oneida Enterprises] - Entreprises détenues par la nation Oneida
** {{en}} [http://onenterprises.com/ Oneida Enterprises] - Entreprises détenues par la nation Oneida
**[http://turning-stone.com/ Turning Stone Casino] - Casino exploité par les Oneidas à Verona (NY)
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Version du 31 décembre 2008 à 02:59

Iroquoises au travail, pilant du grain ou des fruits secs (gravure de 1664).

L'économie des Iroquois, telle qu'elle est apparue aux premiers colons européens, reposait sur une organisation collective de la production qui combinait l'agriculture et des activités de type chasse et cueillette. Ce système économique était commun dans ses grands traits à toutes les tribus de la Confédération iroquoise – les Iroquois proprement dit – et plus largement à l'ensemble des peuples iroquoiens du nord - dont notamment les Hurons – qui vivaient dans la région correspondant aujourd'hui à l'État de New York et à la zone des Grands Lacs. La Confédération iroquoise s'était constituée peu de temps avant la venue des Européens par le regroupement de cinq tribus, les Cinq-Nations (Sénécas, Cayugas, Onondagas, Oneidas et Mohawks), auxquelles une sixième (les Tuscaroras) s'adjoignit plus tard. Quant aux peuples hurons, bien qu'ennemis traditionnels des Iroquois, ils appartenaient à la même famille linguistique iroquoienne du nord et pratiquaient une économie similaire.

Ces peuples étaient avant tout agriculteurs et se nourrissaient des « trois sœurs » communément cultivées parmi les groupes amérindiens : le maïs, le haricot et la courge. Semi-sédentaires, ils complétaient leur alimentation par la pêche, au printemps, et la chasse, pour laquelle les hommes quittaient les villages de l'automne à l'hiver. Ils avaient élaboré des formes culturelles spécifiques, en rapport avec leur mode de vie. Au nombre de ces créations figuraient leurs conceptions de la nature et de la gestion de la propriété.

Les Iroquois avaient développé une économie très différente du système occidental aujourd'hui dominant. Elle se caractérisait notamment par la propriété collective du sol, une division du travail selon le genre et un mode d'échange fondé principalement sur l'économie de don. Dans cette société relativement homogène, les conflits endémiques avec les nations voisines entretenaient un élément de différenciation interne par le flux de captifs qu'ils produisaient. Le statut de ces captifs, entre adoption et esclavage, ainsi que la nature des rapports sous-tendus par la répartition des tâches entre hommes et femmes, ont fait et font encore l'objet de débats entre anthropologues.

Le contact des Européens, à partir du début du XVIIe siècle, eut un impact profond sur l'organisation sociale des Iroquois. Ils devinrent pour commencer d'importants partenaires commerciaux, mais l'expansion de l'implantation européenne déséquilibra leur économie. En 1800, ils étaient relégués dans des réserves et durent adapter leur système traditionnel. Au XXe siècle, certains groupes tirèrent parti du statut indépendant des réserves pour lancer des « casinos indiens ». D'autres Iroquois se sont intégrés directement dans l'économie extérieure aux réserves.

Propriété du sol

Maison longue iroquoise, hébergeant plusieurs centaines de personnes.

Chez les Hurons la propriété du sol était essentiellement collective. Le missionnaire catholique français Gabriel Sagard en a décrit les bases. Les Hurons, « ayant autant de terre comme il leur [était] nécessaire[1] », pouvaient en attribuer une part en propre à chaque famille et disposer encore d'un large surplus possédé en commun. Tout Huron était libre de défricher la terre et de l'ensemencer. Il en conservait la possession aussi longtemps qu'il continuait de la cultiver et de s'en servir. Une fois abandonnée elle revenait à la propriété commune et tout un chacun pouvait la reprendre pour lui-même[1]. Bien que les Hurons aient apparemment détenu des terres à titre individuel, la portée de cette possession paraît avoir été toute relative ; l'emplacement des récipients à grain dans les « maisons longues[2] », qui abritaient les multiples familles d'un même groupe de parenté, suggère que les occupants d'une maison donnée mettaient toute la production en commun[3].

Les Iroquois avaient un système similaire de distribution des terres. La tribu possédait toutes les terres mais attribuait des territoires aux différents clans qui les répartissaient à leur tour entre les ménages pour les cultiver. Le terrain était régulièrement redistribué entre les ménages, au bout de quelques années, et un clan pouvait demander une réaffectation des territoires lors des réunions du Conseil des Mères de clan[4]. Les clans coupables d'abus de terrain ou bien de ne pas prendre soin de celui qui leur était alloué recevaient un avertissement du Conseil des Mères, la punition ultime étant la réattribution du territoire à un autre clan[5]. La propriété de la terre était purement l'affaire des femmes, la culture du sol pour la nourriture étant le travail des femmes et non des hommes[4].

Le Conseil des Mères réservait aussi certaines portions de terrain pour être travaillées en commun par les femmes de tous les clans. La nourriture produite sur ces terres, appelée kěndiǔ"gwǎ'ge' hodi'yěn'tho, était consommée lors des fêtes et des grands rassemblements[5].

Division du travail : champs et forêt

La division du travail reflétait le clivage dualiste caractéristique de la culture iroquoise, où les dieux jumeaux Hahgwehdiyu, Jeune Arbre (Est) et Hahgwehdaetgah, Silex (Ouest) personnifiaient la séparation fondamentale entre deux moitiés complémentaires. Le dualisme appliqué au travail attribuait à chaque genre un rôle clairement défini, qui complétait celui de l'autre. Les femmes accomplissaient toutes les tâches qui concernent les champs alors que les hommes réalisaient toutes celles qui concernent la forêt, y compris la fabrication de tout ce qui implique le bois[6]. Les hommes étaient responsables de la chasse, du commerce et du combat, alors que les femmes s'occupaient de l'agriculture, des provisions et du ménage. Cette spécialisation par genre était la principale façon de diviser le travail dans la société iroquoise[7]. À l'époque de la rencontre avec les Européens, les Iroquoises produisaient environ 65% des biens et les hommes 35%[8]. La production combinée de nourriture rendait la famine et la faim extrêmement rares - les premiers colons européens ont souvent envié les performances de la production vivrière iroquoise[8].

L'organisation du travail des Iroquois était cohérente avec leur système de propriété du sol. À propriété commune, travail en commun. Pour les tâches difficiles les femmes constituaient de grands groupes et allaient de champ en champ pour s'aider mutuellement à travailler leurs terres. Pour les semailles menées en commun, une « maîtresse des champs » distribuait à chacune une quantité donnée de semence[9]. Dans chaque groupe, les Iroquoises confiaient à l'une d'entre elles, ancienne mais active, le rôle de chef pour l'année à venir et s'engageaient à suivre ses directives. Les femmes coopéraient aussi pour d'autres travaux : ainsi, elles coupaient elles-mêmes leur bois, mais leur chef en supervisait le transport collectif jusqu'au village[10]. Les clans de femmes assuraient encore de nombreuses tâches et selon Mary Jemison, une blanche qui s'était assimilée à la société indienne, l'effort collectif évitait « toute jalousie entre celles qui en auraient fait plus ou moins que les autres[10] ».

Croquis d'une chasse aux cerfs chez les Hurons, par Samuel de Champlain ; les Hurons font du bruit et rabattent les animaux le long d'une barrière en forme de V jusqu'à l'apex où ils sont capturés et tués[11].

Les hommes aussi s'organisaient de façon coopérative. Bien sûr, ils agissaient collectivement lors des actions militaires, car un individu combattant entièrement seul n'a guère de sens dans une bataille[12]. Mais leurs autres tâches, comme la chasse et la pêche, impliquaient aussi des éléments de coopération, comme celles des femmes ; néanmoins, les hommes différaient des femmes en ceci qu'ils se regroupaient par village entier plus souvent que par clan[13]. Ils organisaient des parties de chasse où ils utilisaient des formes avancées de coopération pour abattre une grande quantité de gibier. Un témoignage de première main décrit une battue pour laquelle une grande barrière de broussailles en forme de V avait été construite dans la forêt. Les rabatteurs mirent le feu du côté ouvert du V, forçant les animaux à courir jusqu'au point où les chasseurs du village les attendaient, devant une ouverture[14]. Une centaine de cerfs pouvaient être abattus en une seule fois avec un tel procédé[11],[14].

Amérindiens de tribu inconnue pêchant de façon similaire aux Iroquois.

Pour la pêche également les hommes formaient des groupes importants. Ils montaient souvent de grandes expéditions où les pêcheurs sur leurs canoës couvraient de filets et de pièges des cours d'eau entiers pour ramasser de grandes quantités de poissons, parfois un millier en une demi-journée[15]. Les prises d'une partie de chasse ou de pêche étaient considérées comme propriété commune et divisées entre les participants par le chef ou emportées au village pour une fête[16]. La pêche et la chasse n'étaient pas toujours des efforts coopératifs, mais les Iroquois faisaient généralement mieux en groupe qu'individuellement[17].

Échange

La production en commun et la distribution collective des biens limitaient le développement du commerce intérieur, mais la diversité des conditions naturelles et des modes de vie d'une région à l'autre donnait matière à échanges entre les Iroquois et les autres tribus[18]. Les Iroquois échangeaient leurs surplus de grain et de tabac contre les fourrures des tribus du nord et les wampums (ceinture de coquillages d'usage rituel) des tribus de l'est[19]. Ils utilisaient le don/contre-don plus souvent qu'aucun autre mode d'échange. Le don/contre-don reflétait la réciprocité en vigueur à l'intérieur de la société iroquoise. L'échange commençait avec l'offrande d'un présent par un clan à une autre tribu ou à un autre clan, dans l'attente que soit donné en retour quelque chose d'utile[20]. Cette forme d'échange était liée au penchant de la culture iroquoise pour le partage de la propriété et la coopération dans le travail. Jamais un accord explicite n'était passé, mais un service était rendu pour le bien de la communauté ou d'un autre membre de la communauté en escomptant de la communauté ou de cet autre individu un don en retour. Le commerce extérieur était l'une des occasions peu nombreuses que la société iroquoise offrait à l'entreprise individuelle. Une personne qui découvrait une nouvelle route commerciale acquérait pour l'avenir le droit exclusif de commercer par cette route ; néanmoins, il pouvait arriver que les clans collectivisassent les routes commerciales pour obtenir un monopole dans un type de commerce précis[21].

Iroquois avec des produits occidentaux, probablement acquis par l'échange (gravure française, 1722).

L'arrivée des Européens fut l'occasion d'une grande expansion du commerce. Les fourrures étaient très demandées en Europe et elles pouvaient être acquises à moindre coût auprès des Indiens contre des biens manufacturés qu'eux-mêmes ne produisaient pas[22]. Les échanges ne bénéficièrent pas toujours aux autochtones. Les Britanniques tirèrent avantage de la culture du don/contre-don. Ils submergèrent les Iroquois de produits européens, les rendant dépendants d'articles comme les fusils et les haches de métal. Une fois leurs autres armes abandonnées, les Iroquois n'eurent guère d'autre choix que d'acquérir de la poudre à fusil. Les Britanniques utilisèrent principalement ces cadeaux pour gagner le soutien des Iroquois dans le combat contre les Français[23]. Les Iroquois commerçaient aussi pour l'alcool, une substance qu'ils ne connaissaient pas avant l'arrivée des Européens. En définitive, cela devait avoir un impact très négatif sur la société iroquoise. En 1753 le problème devint si grave que Scarrooyady, un chef iroquois, dut réclamer au gouverneur de Pennsylvanie qu'il intervienne dans le commerce : « Maintenant vos Marchands n'ont presque plus rien à offrir que Rhum et Farine ; ils ont peu de poudre et de plomb, ou autres produits de valeur [...] et acquièrent toutes les peaux qui devaient servir à payer les dettes que nous avons contractées pour les produits achetés aux Honnêtes Marchands ; par ce moyen non seulement nous nous ruinons mais eux aussi. Ces maudits Vendeurs de Whiskey, une fois qu'ils ont mis les Indiens à la boisson, leur font vendre jusqu'aux habits qu'ils portent. En un mot, si cette pratique continue, nous serons inévitablement ruinés[22]. »

Économie et société

Le système économique iroquois s'accompagnait d'une éthique spécifique de la propriété et du travail. L'individu détenait peu de chose hors d'outils de base et d'instruments si répandus qu'ils avaient peu de valeur. Suivant Frank Speck (1945), la menace de vol devait être presque inexistante puisque les seuls biens susceptibles d'être volés auraient été les wampums[24]. Une éthique du travail collectif assimilait vertu et productivité : l'Iroquois idéal était un bon guerrier et un chasseur efficace, l'Iroquoise parfaite excellait dans l'agriculture et le travail ménager[25]. L'accent mis sur l'utilité sociale de l'individu encourageait la contribution des membres du groupe, alors qu'ils en retiraient des bénéfices similaires et indépendants des efforts fournis.

L'organisation collective se combinait chez les Iroquois avec une culture de l'individualité qui s'appuyait sur une forte tradition de responsabilité et d'autonomie. L'éducation visait à former des hommes auto-disciplinés, autonomes et responsables tout autant que stoïques[26]. Les Iroquois cherchaient à éliminer pendant l'enfance tout sentiment de dépendance et à susciter le désir de responsabilité. Dans le même temps les enfants étaient impliqués dans des pratiques collectives, ils apprenaient donc tout à la fois à penser en tant qu'individus et à travailler pour la collectivité[27].

À côté des Iroquois eux-mêmes, tout village comptait un élément de statut inférieur principalement composé de captifs de guerre. La main d'œuvre servile était utilisée tant par les hommes que par les femmes pour la réalisation des tâches les plus dures et les plus subalternes. Même si les captifs méritants étaient pour finir intégrés, il n'en existait pas moins à chaque instant un « stock » d'individus distincts des membres libres du clan. Outre les captifs, ce groupe comprenait les « efféminés », Iroquois de naissance ayant abandonné les activités des hommes pour se consacrer à l'agriculture et aux autres travaux féminins[28].

La position des prisonniers de guerre dans la société iroquoise a fait l'objet d'appréciations diverses parmi les anthropologues[29]. L'ethnolinguiste Bruce Trigger a pensé que les Iroquois et les Iroquoiens en général adoptaient les prisonniers issus des autres peuples du même groupe. En revanche, pour Roland Viau (1997), « ils en adoptaient, mais ils en tuaient[30] » et, jusque vers 1700, ils les mangeaient. Quand le cannibalisme s'est résorbé, l'excédent de captifs est venu grossir les rangs des esclaves, que Viau estime avoir été aussi nombreux que les prisonniers adoptés. La « guerre de capture » a connu un développement particulier chez les Iroquois de la Confédération. Avant l'arrivée des Européens, sa finalité principale était de renforcer les effectifs guerriers. Elle expliquerait la plus grande résistance de la Confédération par rapport à ses voisines. Elle aurait également favorisé la croissance des inégalités au profit des chefs de guerre. Après le contact avec les Européens s'est développé en sus un esclavage commercial, pour le marché colonial. Son expansion a amplifié la différenciation interne de la société iroquoise.

La question de la place des femmes chez les Iroquoiens d'avant la venue des Européens fournit un autre sujet de divergences[31]. Les premiers écrits de missionnaires, explorateurs ou marchands confrontés à l'Iroquoisie du début du XVIIe siècle renvoient l'image de femmes infériorisées dans une division inégale des tâches et ne leur prêtent aucun rôle politique. À l'inverse, en 1724 le jésuite Joseph-François Lafitau présente la société iroquoienne comme une véritable « gynécocratie ». C'est cette vision qui sera reprise un siècle et demi plus tard par Lewis Henry Morgan, dans la correspondance duquel Friedrich Engels puisera à son tour la thèse du matriarcat iroquoien présentée en 1884 dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Selon Roland Viau (2000), la description de Lafitau reflèterait l'effet de déséquilibres introduits par la colonisation : « Alors que les épidémies provoquent une crise démographique majeure, les guerres longues et lointaines liées au commerce des fourrures entraînent une absence de plus en plus prolongée des hommes. Les morts sont remplacés par des captifs que les femmes ont pour tâche d’enculturer[32]. »

Ce sont ces changements postérieurs au contact avec les Européens qui auraient conduit à une certaine hégémonie des femmes, qu'il serait erroné de faire remonter à la société traditionnelle. Celle-ci aurait simplement été « relativement égalitaire » dans les rapports entre hommes et femmes. À cette appréciation peut être opposée la dévalorisation des femmes que traduiraient l'affectation à leurs tâches d'esclaves masculins méprisés, ou encore l'ostracisme frappant les hommes efféminés[33]. En sens inverse, on peut relever le montant plus élevé demandé chez les Hurons pour prix d'une femme tuée (quarante présents, contre trente pour un homme), le rôle que la division du travail donnait aux Iroquoises dans le contrôle des réserves et la position éminente que devait leur conférer la combinaison de la matrilinéarité et de la matrilocalité[34].

Relégation et intégration dans l'économie moderne

De nombreux Iroquois ont travaillé à la construction de gratte-ciels, de l'Empire State Building au World Trade Center.

De nombreux Iroquois sont aujourd'hui complètement intégrés dans l'économie des États-Unis et du Canada. Pour d'autres, l'activité économique reste confinée au cadre des réserves. Qu'elle soit ou non directement engagée dans l'économie externe, la plus grande part de l'économie iroquoise est maintenant fortement influencée par l'environnement national et mondial. Les Iroquois sont impliqués dans la construction métallique depuis plus de cent ans. Parmi les Six-Nations[35] traditionnelles, celle des Mohawks est particulièrement connue pour le nombre de ses membres ayant travaillé sur les chantiers de gratte-ciels tels que l'Empire State Building et le World Trade Center[36].

A l'intérieur des réserves la situation économique est souvent difficile. Par exemple, dans la partie U.S. de la réserve mohawk, le chômage est récemment monté jusqu'à 46%. Plusieurs d'entre elles font pourtant des affaires fructueuses. Dans ce domaine ce sont les Oneidas et les Sénécas, ceux-ci associés aux Cayugas, qui sont le plus souvent cités. La réserve sénéca englobe la ville de Salamanca, un pôle de l'industrie des bois durs[37] où la population d'origine amérindienne est de 13%. Les Sénécas utilisent leur statut de réserve indépendante pour vendre essence et cigarettes hors taxes et organiser des parties de bingo à grosses mises. Dans l'État de New York ont également ouvert deux « casinos indiens », le Seneca Niagara Casino près des chutes du Niagara et le Seneca Allegany Casino à Salamanca, tous deux dirigés par les Sénécas. Ils travaillent sur l'ouverture d'un troisième casino à Buffalo, qui doit s'appeler le Seneca Buffalo Creek Casino.

Les Oneidas ont déjà ouvert des casinos dans leurs réserves de New York et du Wisconsin. La tribu est l'un des plus gros employeurs du Wisconsin du nord-est avec plus de 3000 employés, dont 975 pour le gouvernement tribal. Elle gère plus de 16 millions de dollars de subventions fédérales et privées et un large éventail de programmes, dont ceux permis par l'Acte d'auto-détermination et d'assistance à l'éducation des Indiens. Les entreprises à participation oneida ont rapporté des millions de dollars à la communauté et permis d'améliorer son niveau de vie[38].

Prolongements contemporains du modèle traditionnel

Le système iroquois de gestion du sol a dû changer avec la venue des Européens puis l'isolement forcé dans les réserves. Dans le système des Iroquois la terre, propriété commune, pouvait être utilisée librement par leurs membres selon leurs besoins. Même si le système n'était pas complètement collectif, puisque des terres étaient distribuées individuellement aux familles, les Iroquois ne possédaient pas la notion occidentale de la propriété comme marchandise[39]. Après l'arrivée des Européens et la relégation des indigènes dans les réserves, il leur a fallu ajuster leur système de propriété sur un modèle plus occidental. Malgré l'influence de la culture occidentale, les Iroquois ont conservé à travers les ans une conception spécifique de la propriété. L'Iroquois contemporain Doug George-Kanentiio résume ainsi la perception qu'il en a : les Iroquois n'ont « aucun droit absolu à revendiquer un territoire pour des motifs simplement financiers. Notre Créateur nous a confié les terres aborigènes en dépôt, avec des règles très précises quant à leur utilisation. Nous sommes les gardiens de notre Mère la Terre et non les seigneurs du sol. Nos revendications ne sont valables que dans la mesure où nous savons demeurer sur elle dans la paix et dans l'harmonie[40]. »

On retrouve des sentiments analogues dans une déclaration du Conseil des Chefs iroquois (ou Haudenosaunee) d'août 1981. Le Conseil distinguait les « concepts ouest-européens de propriété du sol » de la vision iroquoise selon laquelle la « terre est sacrée » et « a été créée pour l'usage de tous et dans tous les temps - non pour le profit exclusif de la génération présente. » La terre n'est pas une simple marchandise et « En aucun cas la terre n'est à vendre. » La déclaration poursuit, « Selon la loi Haudenosaunee, Gayanerkowa, la terre est détenue par les femmes de chaque clan. Ce sont principalement les femmes qui sont responsables de la terre, qui la cultivent et qui la préservent pour les générations futures. Quand la Confédération s'est formée, les nations séparées ont constitué une union. Le territoire de chaque nation est devenu terre confédérale même si chaque nation a continué de porter un intérêt particulier à son territoire historique[41]. » La déclaration du Conseil reflète la persistance d'une conception de la propriété propre aux Iroquois.

La réserve des Six Nations, au Canada, a intégré la structure de la propriété traditionnelle dans le mode de vie nouveau qui s'est établi à la suite de la relégation des Iroquois. La réserve a été instituée au XVIIIe siècle par deux actes notariés. Ces actes donnaient la propriété indivise des terres de la réserve aux Six Nations iroquoises[42]. Les individus pouvaient ensuite obtenir de la Confédération la location perpétuelle d'une parcelle[43]. L'idée iroquoise selon laquelle la terre devient la possession de celui qui en prend soin et retourne sous contrôle public s'il la délaisse a persisté dans la législation de la réserve. Lors d'un litige foncier, le Conseil iroquois prit le parti du plaignant qui avait amendé et cultivé la terre contre celui qui l'avait abandonnée[43]. Les ressources naturelles du sol appartenaient à la tribu dans son ensemble et non aux propriétaires de la parcelle concernée[44]. Les Iroquois ont par exemple mis en concession l'extraction de pierre et prélevé des redevances sur toute la production[45]. Après la découverte de gaz naturel dans la réserve, les Six Nations ont pris le contrôle direct des puits et n'ont indemnisé ceux qui avaient des forages sur leurs terres que pour les dommages causés par l'extraction[45]. Ces dispositions se rapprochent étroitement du système ancien où les tribus détenaient effectivement les terres dont elles distribuaient l'usufruit mais non la pleine propriété.

Un autre exemple d'impact des conceptions iroquoises traditionnelles sur la vie des Iroquois d'aujourd'hui concerne l'achat de terrains puis l'ouverture de casinos par la tribu des Sénécas-Cayugas, dans l'État de New York. Les casinos représentent une source additionnelle de revenu détenue collectivement, tout comme la salle de bingo, la station d'essence et la fabrique de cigarettes que les Sénécas-Cayugas possèdent également[46]. L'organisation actuelle du patrimoine de la réserve reflète directement l'influence de la conception de la propriété du sol qui prévalait avant l'arrivée des Européens.

Notes et références

  1. a et b Sagard, p. 133.
  2. Les Iroquois connaissaient la même forme d'habitation (longhouse en anglais), qu'évoque d'ailleurs le nom qu'ils se donnent dans leur propre langue : Haudenosaunee, le peuple aux longues maisons.
  3. Trigger, p. 28.
  4. a et b Stites, pp. 71-72.
  5. a et b Johansen (éd.), p. 123.
  6. Ibid., pp. 120-121.
  7. Axtell, p. 103.
  8. a et b Johansen (éd.), p. 122.
  9. Axtell, pp. 124-125.
  10. a et b Stites, p. 32.
  11. a et b Champlain, pp. 50-51.
  12. Stites, pp. 33-34.
  13. Ibid., p. 33.
  14. a et b Ibid., pp. 36-37.
  15. Ibid., pp. 37-38.
  16. Ibid., p. 70.
  17. Ibid., p. 30.
  18. Ibid., p. 79.
  19. Ibid., pp. 79-80.
  20. Ibid., p. 81.
  21. Ibid., p. 80.
  22. a et b Caskey et coll., « Fur Trader ».
  23. Johansen, Forgotten Founders, chapitre 3.
  24. Speck, pp. 31-32.
  25. Stites, pp. 144-45.
  26. Wallace, p. 30.
  27. Ibid., p. 34.
  28. Stites, op. cit., pp. 41-42 et 118-120.
  29. Chartier.
  30. Cité par Chartier.
  31. Baril.
  32. Cité par Baril.
  33. Monfort.
  34. Testard.
  35. De façon générale et s'agissant principalement de leurs manifestations dans l'économie moderne, on reprend ici pour ces nations, parmi les noms employés en français, ceux qui sont les plus proches des formes utilisées en anglo-américain. Ce sont ceux que propose par exemple Ramsden dans la version française de l'article « Iroquois » de L'Encyclopédie canadienne. Pour ce qui est des autres appellations :
    • les Mohawks, qui aujourd'hui se désignent eux-mêmes par ce nom anglo-américain d'origine algonquine signifiant « mangeurs d'homme », étaient appelés Agniers par les colons français, le terme autochtone étant Kanienkehaka (peuple du silex) ;
    • les Sénécas, jadis les Sénèques en français, sont aussi appelés Tsonnontouans d'après leur nom autochtone ;
    • les Cayugas sont aussi appelés Goyogouins en français, Guyohkohnyo (peuple du grand marais) dans leur propre langue ;
    • les Oneidas et les Onondagas sont aussi appelés en français respectivement Onneiouts et Onnondagués (ou Onondagués) ;
    • les Tuscaroras, derniers venus de la Confédération, n'ont pas d'autre nom usité.
  36. « Walking High Steel: Mohawk Ironworkers at the World Trade Towers » sur Lost and Found Sound.
  37. « About Salamanca » sur City of Salamanca.
  38. « The Oneida Indians of Wisconsin » sur le site de Jeff Lindsay.
  39. Noon.
  40. George-Kanentiio, pp. 169-170.
  41. « Statements for the Council of Chiefs Haudenosaunee », Six Nations Iroquois Confederacy, août 1981.
  42. Noon, pp. 86-88.
  43. a et b Ibid., p. 88.
  44. Ibid., p. 92.
  45. a et b Ibid., p. 94.
  46. Adams.

Sources

Voir aussi

Bibliographie complémentaire

  • (fr) Bruce G. Trigger (trad. Georges Khal), Les Indiens, la fourrure et les Blancs : Français et Amérindiens en Amérique du Nord, Boréal, Montréal, 1990, ISBN 9782890522749
  • (fr) Bruce G. Trigger, Les enfants d'Aataentsic : L'histoire du peuple huron, Libre Expression, 1991, ISBN 9782891113649
  • (fr) Bruce G. Trigger, Les Amérindiens et l'âge héroïque de la Nouvelle-France, Société historique du Canada, 1992, ISBN 9780887981661
  • (fr) Roland Viau, Enfants du néant et mangeurs d'âmes : Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne, Boréal, Montréal, 1997, ISBN 9782890528079
  • (fr) Roland Viau, Femmes de personne : Sexes, genres et pouvoirs en Iroquoisie ancienne, Boréal, Montréal, 2000, ISBN 9782764600528

Articles connexes

Liens externes

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