Meurtre de Djamel Bensmail

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Meurtre de Djamel Bensmail
Fait reproché Meurtre
Chefs d'accusation homicide, lynchage, immolation par le feu et mutilation, sabotage de biens et violation de l'enceinte d'un poste de police, actes terroristes et subversifs attentatoires à la sécurité de l’État, à l’unité nationale et à la stabilité des institutions ainsi qu’à leur fonctionnement normal et complot
Pays Drapeau de l'Algérie Algérie
Ville Larbaâ Nath Irathen, Tizi Ouzou
Date
Nombre de victimes 1
Jugement
Statut 38 Peines capitales, 27 acquittés, 29 condamnations de 3 à 20 ans de prison.
Date du jugement 23 octobre 2023 (Tribunal de Dar El Beïda)

Le meurtre de Djamel Bensmail est survenu le à Larbaâ Nath Irathen, wilaya de Tizi Ouzou, lors de son lynchage par une foule qui l'accusait à tort d'être l'auteur[1] d'incendies criminels dans la région.

Biographie[modifier | modifier le code]

Djamel Bensmail[a] (en arabe : جمال بن سماعيل) né le à Miliana, wilaya d'Aïn Defla est un musicien, artiste peintre et militant du Hirak algérien. Il est également connu dans sa ville pour son engagement dans de nombreuses causes humanitaires.

Meurtre[modifier | modifier le code]

L’assassinat de Djamel Bensmail est survenu alors que la région faisait face depuis trois jours à d’immenses incendies qui ont fait d'énormes dégâts matériels et plusieurs milliers[2] de victimes[3]. Après que le ministre de l’Intérieur Kamel Beldjoud a affirmé dès le lendemain, 10 août, que les incendies qui avaient touché la région étaient volontaires[4], une thèse que reprend deux jours plus tard le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane[5]. Ce dernier avait annoncé, le 10 août, l’arrestation de deux pyromanes à Médéa, le même jour, une information a fait le tour de Tizi-Ouzou : trois personnes à bord d’une voiture de type Renault Symbol non immatriculée ont été aperçues en train de provoquer un autre incendie dans la région de Makouda[6]. Djamel était venu de Miliana pour aider la population de la région, et serait accusé en compagnie de deux personnes[7] sur place d'être à l'origine d'incendies criminels. La police les emmène au commissariat de la ville et la foule, en colère, encercle le fourgon cellulaire et certains y entrent pour pouvoir attaquer Djamel malgré les efforts des policiers pour le protéger, selon le procureur de la République près la Cour d’Alger [8]. Djamel a tenté de s'expliquer auprès de la foule sans succès. Par la suite, il aurait été poignardé ( pas de trace dans l'autopsie et pour l'avocate de la partie civile, Djamel ne serait pas mort dans le fourgon) dans le fourgon cellulaire par une personne[9], sorti par des individus du fourgon de la police, trainé jusqu'à la place du centre-ville, lynché et son corps brûlé[1].

Quasiment toutes les étapes du meurtre sont filmées par une dizaine de téléphones portables, ces vidéos non certifiées (sans tatouage numérique) seront partagées massivement par la suite sur les réseaux sociaux.

Selon le rapport d'autopsie, Djamel Bensmaïl est « mort d’épuisement physique et d’un traumatisme à la tête », mais les avocats de la famille Bensmaïl conteste ce rapport et affirment que Djamel est mort par immolation, tout en s'étonnant que le rapport « ne précise pas l’heure du décès »[10].

Réactions[modifier | modifier le code]

Gouvernement[modifier | modifier le code]

Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a évoqué l’affaire à plusieurs reprises, insistant à chaque fois sur la préservation et la défense de l’unité nationale[11]. Il déclare que seule la justice est habilitée à se prononcer, soulignant que ce ne sont pas tous les habitants de la région qui sont derrière cet acte[12].

Lors du point de presse organisé à l'occasion de l'arrestation des principaux premiers suspects, le contrôleur de police, directeur de la police judiciaire Mohamed Chakour avait remercié les youtubeurs qui ont aidé à dévoiler les auteurs du crime[13].

En réponse à la polémique suscitée par la non-protection de la victime alors qu'elle se trouvait au sein même du commissariat, le directeur de la police judiciaire déclare le dans une conférence de presse que « le non recours aux tirs de sommation intervenait en application des instructions du Haut commandement afin d’éviter tout dérapage »[14].

92[15] personnes qui seraient « impliquées à différents degrés » ont été arrêtées à la suite du meurtre. Par la suite, les autorités déclarent que ce meurtre est le résultat d’un complot, œuvre d’ « organisations terroristes »[16], pour préciser par la suite qu'il s'agit du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie et du mouvement Rachad (en)[17], deux mouvements classés comme tels, le 18 mai 2021. Les autorités algériennes, les accusent d'avoir en projet des attentats terroristes contre les marches du Hirak[18],ces marches que l'état a empêché par la violence dans tout le pays[19] et qui ont pu se maintenir en Kabylie[20].

Les services de sécurité[21] désignent un des présumés assassins de Djamel Bensmail comme l'auteur d'une fusillade à la kalachnikov dans une cafétéria à Aïn Defla survenu le 15 août[22] et qui a fait un mort et plusieurs blessés et membre d'une organisation terroriste[23]. Les deux accusations s'avèrent fausses, le mis en cause, Mohamed Hamali, est acquitté par le tribunal criminel de première instance de Dar El Beida (Alger) pour l'accusation « d'enrôlement dans une organisation terroriste ciblant la sécurité de l'Etat, l'unité nationale et la stabilité et le fonctionnement de ses institutions »[24] et il n'est pas poursuivi pour l'affaire du meurtre de Djamel Bensmaïl[25].

Père de la victime[modifier | modifier le code]

Noureddine Bensmail, père de la victime, déclare : « Nous ne voulons pas la fitna [discorde], les Kabyles sont nos frères. » En déplacement à Tizi Ouzou afin de récupérer la dépouille de son fils, il ajoute à ceux qui l'ont accueilli : « J’ai perdu un fils et j’ai gagné une wilaya[1]. » Cette attitude est jugée particulièrement sage[26],[27],[28],[29],[30].

Classe politique[modifier | modifier le code]

De nombreux partis et personnalités politiques ont réagi, condamnant unanimement ce qui s’est passé.

Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dénonce le lynchage à mort du jeune homme, un crime qu’« aucune raison, absolument aucune, ne peut justifier », qualifié d’« exécrable » et de « traumatisme national ». Le Front des forces socialistes (FFS) dénonce « avec force » cet acte, qualifié de « barbare » et « criminel », indiquant que c'est un « acte isolé »[31].

Le Parti des travailleurs (PT) s'est dit fortement préoccupé, il juge ce meurtre d’une « extrême gravité ». Louisa Hanoune, secrétaire générale du PT, considère que l’assassinat de Djamel Bensmail était « un signal d’alarme sans précédent », une « tragédie qui, à conditions égales, aurait pu et peut se produire dans n’importe quelle région du pays »[32].

Le chef du parti politique El Binaa, Abdelkader Bengrina, dénonce le « lynchage d’une violence sans précédent », qualifiant la tragédie qui a eu lieu de « crime odieux », dénonçant des « actes barbares commis par des fanatiques qui tentent de décrédibiliser et de ternir l’image de nos frères de Tizi Ouzou ». Le chef de parti a tenu à mettre en garde les citoyens contre « les discours séparatistes, qui alimentent et exacerbent les conflits racistes et discriminatoires, qui n’ont pour but que de diviser le peuple »[33].

Noureddine Boukrouh estime que les policiers avaient tous les moyens pour protéger Djamel Bensmail, pour lui « la police a livré Djamel Bensmail à la foule »[34].

Réaction des citoyens[modifier | modifier le code]

Toute l'Algérie a été choquée par la violence de ce meurtre.

Un comité de sages de Larbaâ Nath Irathen a fait une déclaration le lendemain, condamnant le meurtre ignoble, présentant des excuses au nom de la région à la famille du défunt et demandant que justice soit faite[1]. Une Diya d’une valeur de trois milliards de centimes est payée à la famille de Djamel Bensmail[35]. Malgré tout, la famille de Djamel Bensmaïl se constitue partie civile en réclamant la somme de 10 milliards de centimes aux accusés condamnés[36].

Des discours haineux contre les kabyles ont émergé, notamment sur les réseaux sociaux, le le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH) dépose plainte contre X auprès du tribunal d’Annaba, cette plainte fait suite à la diffusion d’une vidéo appelant à « rayer la Kabylie de la carte »[1]. À la suite de cette plainte, le tribunal d'Annaba a condamné un individu à une peine de huit mois de prison ferme ainsi qu'une amende de 100 000 dinars algériens pour « incitation à la violence et discours de la haine »[37].

Condamnations[modifier | modifier le code]

Le , le tribunal de Dar El Beïda prononce la condamnation de 49 prévenus à la peine capitale, 10 personnes à 12 ans de prison ferme et 17 prévenus à 10 ans de prison et 100 000 dinars d’amende. La même juridiction a également prononcé 6 condamnations à 5 ans, 4 de 3 ans et une de 2 ans, 17 accusés ont été acquittés[38].

En appel, le , sur 94 personnes, 38 sont condamnées à la peine capitale (commuée en perpétuité), 29 condamnées entre trois et vingt ans de prison ferme, et, 27 sont acquittées[39].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Son nom s'écrit selon d'autres sources transcrits Bensmain et (en arabe : جمال بن سماعين) .

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e « L’affaire de l’assassinat de Djamel Bensmaïl en six points », sur tsa-algerie.com, (consulté le ).
  2. « Incendies en Kabylie : les associations d'Ile-de-France qui aident les victimes peuvent demander à se faire rembourser par la région », sur Franceinfo, (consulté le )
  3. « Retour en Kabylie un mois après les incendies de l’été – Jeune Afrique », sur JeuneAfrique.com (consulté le ).
  4. « L’origine criminelle se confirme : qui a mis le feu à la Kabylie ? », sur TSA, (consulté le ).
  5. « Les engagements de Aïmene Benabderrahmane », sur www.lestrepublicain.com (consulté le ).
  6. « Incendies à Tizi-Ouzou : nuit d’enfer à Larbaa Nath Irathen - Vidéo », sur TSA, (consulté le )
  7. « Citoyen brulé vif à Larbaa Nath Irathen: le parquet ordonne l'ouverture d'une enquête »
  8. « Meurtre de Djamel Bensmail : Intervention de la police, Ferhat Mehenni … les dernières révélations de l’enquête », (consulté le )
  9. « Assassinat de Djamel Bensmail: 36 personnes dont 3 femmes entre les mains des enquêteurs », sur L'Express Algérie, (consulté le ).
  10. (en) « La partie civile bat en brèche les conclusions de l’autopsie : «Bensmain est mort lors de son immolation» », sur El watan (consulté le )
  11. « Tebboune : « celui qui tente de saper l’unité nationale, il le payera cher » », sur algerie360.com, (consulté le ).
  12. « Les habitants de Larbaa Nath Irathen n’ont aucun lien avec cette affaire », sur liberte-algerie.com, (consulté le ).
  13. https://psdhtml.me, « L'Expression: Nationale - L'apport inestimable des jeunes YouTubeurs », sur L'Expression (consulté le ).
  14. « Affaire de l'assassinat de Djamel Bensmail à Tizi Ouzou: arrestation de 36 mis en cause », sur aps.dz, (consulté le ).
  15. « Assassinat de Djamel Bensmain : 92 mis en cause présentés devant le procureur de la République », sur algerie-eco.com, (consulté le ).
  16. « Meurtre de Djamel Bensmail : 25 autres suspects arrêtés », sur algerie-eco.com, (consulté le ).
  17. « L’Algérie accuse le MAK et Rachad, pointe du doigt le Maroc », sur tsa-algerie.com, (consulté le ).
  18. « L'Algérie classe comme "organisations terroristes" deux mouvements anti-régime basés à l'étranger », sur Franceinfo, (consulté le )
  19. « Algérie : en empêchant à nouveau une marche du Hirak, les autorités veulent tuer dans l’œuf toute velléité de manifester », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. « Le Hirak asphyxié dans la rue, sauf en Kabylie »
  21. Algerie54, « Un membre de l'organisation terroriste de Rachad, interpellé en Espagne », sur Algerie54, (consulté le ).
  22. « Exactions au temps du Hirak : le cas de Mohamed Hamali – Algeria-Watch », sur algeria-watch.org (consulté le ).
  23. « Fusillade dans une cafétéria à Aïn Defla : ce que l'on sait », sur www.algerie360.com, (consulté le ).
  24. « Tribunal de Dar El Beida: les terroristes Zitout, Aboud et Boukhors condamnés à 20 ans de prison ferme »
  25. (en) « Procès en appel de l’affaire Bensmain : 38 condamnations à la peine de mort », sur El watan (consulté le )
  26. « Noureddine Bensmaïl, un père digne dans la douleur », sur elwatan.com, (consulté le ).
  27. « Le père de Djamel Bensmaïl adresse un message plein de sagesse », sur algerie-expat.com, (consulté le ).
  28. « Saïd Sadi : « le père de Djamel a sauvé le pays d’une guerre civile » », sur algerie360.com, (consulté le ).
  29. « Assassinat de Djamel Bensmail: Allahoum transmet les condoléances du président Tebboune », sur aps.dz, (consulté le ).
  30. « Le prix Nelson Mandela au père du défunt Djamel Bensmaïl », sur lexpression.dz, (consulté le ).
  31. « Le RCD et le FFS dénoncent et appellent à la retenue », sur liberte-algerie.com, (consulté le ).
  32. « Le PT met en garde contre l’“instrumentalisation” du crime », sur liberte-algerie.com, (consulté le ).
  33. « Meurtre de jeune Djamel Bensmaïl à Tizi Ouzou : Bengrina réagit », sur algerie360.com, (consulté le ).
  34. « Meurtre de Djamel Bensmail : Boukrouh relève plusieurs contradictions », sur www.algerie360.com, (consulté le ).
  35. « Miliana : une délégation de notables de Larbaa Nath Irathen en visite à la famille du défunt Djamel Bensmain », Algérie presse service,‎ (lire en ligne).
  36. Meriem A, « Affaire Djamel Bensmail: l'avocat de la famille annonce son intention de casser le verdict », sur INTERLIGNES, (consulté le )
  37. liberte-algerie.com, « Le “tiktokeur” Rayfa condamné à 8 mois de prison ferme: Toute l'actualité sur liberte-algerie.com », sur http://www.liberte-algerie.com/ (consulté le ).
  38. « Assassinat Djamel Bensmail : 49 accusés condamnés à la peine capitale », (consulté le )
  39. « En Algérie, 38 personnes condamnées à mort en appel pour un lynchage en 2021 », sur Le Monde,