Jeanne Bleton-Barraud

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Jeanne Bleton-Barraud
Jeanne Bleton-Barraud
Jeanne Bleton-Barraud, à gauche en 1950 ; à droite, le 20 décembre 1999, lors de sa remise de la Légion d'honneur.

Surnom Nane
Nom de naissance Jeanne Bleton
Naissance
Ouveillan, Aude
Décès (à 92 ans)
Montpellier, Hérault
Allégeance France combattante
Unité Réseau Action R3
Années de service 19401945
Conflits Seconde Guerre mondiale
Faits d'armes Accompagnement d'évasions
Distinctions Chevalier de la Légion d'honneur
Autres fonctions Institutrice
Famille Élie Barraud (conjoint)

Jeanne Bleton-Barraud, née le à Ouveillan, Aude, et morte le à Montpellier, Hérault, est une résistante française.

Agent de liaison dans le réseau Action R3, elle est déportée à Ravensbrück, puis à Neubrandenburg. Elle survit aux camps de concentration nazis. Dans la continuité de son engagement initial, elle témoigne pour transmettre les réalités du vécu des déportés, rendre hommage à ceux qui ne sont pas revenus et jouer un rôle pédagogique auprès des nouvelles générations.

Aujourd'hui, l'école maternelle de son village natal porte son nom : Jeanne Bleton.

Biographie[modifier | modifier le code]

Les prémices de l’engagement[modifier | modifier le code]

Jeanne Bleton est née en 1924 à Ouveillan dans l’Aude. Issue d’un milieu modeste, elle excelle à l’école. De ce fait, une carrière toute tracée s’impose, l’élève studieuse deviendra institutrice. À l’École primaire supérieure (EPS) de Béziers, Jeanne, surnommée « Nane », prépare le concours d'entrée à l’École normale d'institutrices (ENI). Elle y rencontre d’abord « Poune » (Paulette Bertholio), puis « Jotte » (Josette Peyre)[1]. En 1940, le gouvernement pétainiste décide de fermer les Écoles Normales[2], considérées comme « pépinières de rouges », et de les remplacer par un cursus seconde-terminale dans l'enseignement général suivi de 10 mois de stage en institut de formation professionnelle[3]. Toutes trois, ayant réussi au concours d'entrée, entament donc leur formation d'institutrices au lycée Clemenceau de Montpellier. Elles y rencontrent « No » (Noëlle Vincensini), alors lycéenne. Le quatuor fréquente les milieux antinazis et glisse des tracts militants dans des boîtes aux lettres[4].

L’entrée dans la Résistance officielle[modifier | modifier le code]

Repérées en , les jeunes femmes contactées par un agent de la BCRA (Bureau central de renseignements et d’action) acceptent de rejoindre le réseau Action R3[5]. Devenues agents de liaison, leur jeunesse et leur condition de femme leur permettent de passer inaperçues. Jeanne Bleton a notamment pour mission de transmettre des courriers, ainsi que des messages oraux[6]. L’une de ces missions, menée avec Josette Peyre, consiste à donner des brassards de la Croix-Rouge à deux hommes sur le point d’être envoyés en Allemagne pour le STO (service du travail obligatoire). Munis de ces brassards, les deux résistants parviennent à échapper à la surveillance des SS[7].

La déportation[modifier | modifier le code]

À Montpellier, en juin 1944, à la suite d'une dénonciation, les jeunes femmes, ainsi que quatre de leurs amis sont arrêtés dans leur QG, une maison du quartier des Aubes[8]. Les quatre femmes sont interrogées à la "Villa des Rosiers" puis incarcérées à la prison de la 32 ème[9]. Noëlle, alors âgée de 16 ans, est torturée[10]. Le quatuor, après avoir été transféré au fort de Romainville, lieu où Jeanne est brièvement séparée de ses amies, se retrouve au camp de transit de Neue Bremm[11]. Ensemble, elles sont ensuite déportées à Ravensbrück où elles restent quelques semaines avant d’être transférées au camp de Neubrandenburg, camp annexe de Ravensbrück[12].

Le camp de Neubrandenburg est décrit par Micheline Maurel comme "un camp très ordinaire", sans chambre à gaz mais où la misère est encore plus profonde qu'à Ravensbrück[13]. Faute de nourriture et de soins, et soumises à des violences constantes, la condition physique des détenues y déclinait rapidement[14].

Jeanne Bleton aura là-bas 21 ans, la majorité à cette époque. Au milieu de la brutalité, de la faim, du froid, et des travaux forcés à l’usine d’armement Mechanische Werkstatten Neubrandenburg (MWN), Jeanne, soutenue par une solide culture, parvient quelques fois à échapper en imagination à l’horreur qui l’environne. Au sein du camp, existe une véritable solidarité, les plus âgées veillant sur les plus jeunes. Jeanne est aussi soutenue par les liens très forts unissant le quatuor. Ce dernier se remémore des histoires, en invente d’autres, et leur imaginaire comme leur amitié les aident à tenir au sein d’un environnement où la barbarie fait rage[15].

La Libération[modifier | modifier le code]

Lorsque le , on les oblige à quitter le camp pour ce que les déportés appelèrent « les marches de la mort », le quatuor est à bout de forces. Par chance, un soldat italien croisé sur le chemin leur donne des morceaux de sucre[16]. Noëlle Vincensini relate cet événement salvateur dans un récit autobiographique[17]. Les morceaux de sucre offrent une énergie nouvelle à l’adolescente exténuée. Le quatuor, accompagné de sept autres femmes, en profite pour échapper à la marche forcée[18]. Elles verront les premiers soldats de  l’Armée rouge le 1er mai, alors qu’elles se trouvent aux environs de Groß Plasten. Les jeunes femmes mettent plus d’un mois pour parvenir à rentrer en France. Ce n’est qu’en que Jeanne Bleton regagne Ouveillan, son village natal. Concernant les quatre garçons avec lesquels elle a été arrêtée, seul Hervé Pontenay, dit Willy, survit aux camps. Parmi ceux du groupe qui ne sont pas revenus, se trouvait notamment Michel Selles, un résistant âgé de 19 ans.

La reconstruction ou quand l’Europe s’invite au cœur d’une famille[modifier | modifier le code]

Dès son retour en France, Jeanne Bleton passe la seconde partie de son baccalauréat avec succès et termine sa formation d’institutrice, métier qu’elle exercera jusqu’à sa retraite[19]. En 1947, elle épouse Élie Barraud dont elle a deux enfants : Mariette et Jean-Marie. Si Jeanne a soif de justice, elle n’entretient aucune haine concernant l’Allemagne et n’a qu’un désir : la reconstruction. Lorsqu’en 1967, sa fille Mariette rencontre son futur mari, Dieter Moselt, un jeune Allemand[20], elle et son mari l’accueillent à bras ouverts. Les deux premiers petits-enfants de Jeanne Bleton-Barraud seront de nationalité allemande.

La reconstruction des « quatre mousquetaires »[modifier | modifier le code]

Fidèles à leur devise, « La vie est belle »[19], Paulette Bertholio, Josette Peyre et Noëlle Vincensini, tout comme Jeanne, fonderont une famille peu après leur retour en France. Si les quatre femmes ont habité diverses régions et vécu de manière différente, le lien les unissant, bien que modifié par les circonstances, a perduré[19]. En 1959, Jean-Pierre Chabrol, alors marié à Noëlle, dédie son roman Les Innocents de mars[21] au quatuor dont il s’inspire pour camper Jeanne, l’héroïne de son récit. Il utilise dans la dédicace le surnom et le matricule de chacune et écrit « à Poune, matricule 47 124, Nane, matricule 47 269, Jotte, matricule 47 170, et No, matricule 47184 , les quatre « petites » de Neubrandenburg[19]».

La reconstruction à travers la poursuite de l’engagement[modifier | modifier le code]

Militante à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes), Jeanne Bleton-Barraud demeure toute sa vie une femme engagée[20]. L’ancienne enseignante corrigera des copies d’élèves dans le cadre d’un concours concernant une meilleure connaissance de la déportation et transmettra son histoire en témoignant au sein de lycées. Dans la continuité de son engagement initial, elle témoigne pour transmettre ce que fut le vécu des déportés, rendre hommage à ceux qui ne sont pas revenus et alerter sur le risque « de voir resurgir des temps aussi violents»[22]. Elle témoignera également auprès de la FMD (Fondation pour la mémoire de la déportation)[23].

Distinctions et hommages[modifier | modifier le code]

Chevalier de la Légion d'honneur Chevalière de la Légion d'honneur (remise le par M. André Palliès, président de la FNDIRP-Hérault[24]).

En 2022, la mairie d'Ouveillan baptise son école maternelle du nom de Jeanne Bleton[25].

Publication[modifier | modifier le code]

Les écrits de Jeanne Bleton-Barraud et de Josette Peyre-Dubois sur leurs activités de résistance, leur arrestation et leur déportation à Ravensbrück puis Neubrandenburg ont été publiés sous licence libre en 2022 sous le titre « Un certain voyage » (lire en ligne : uncertainvoyage.hubside.fr). Cet ouvrage inclut une retranscription de lettres que les « quatre petites de Montpellier » se sont échangées pendant leur détention au camp de Neubrandenburg, ainsi que des écrits postérieurs.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 11.
  2. Loi relative à la suppression des écoles normales primaires, 18 septembre 1940, JORF du 6 octobre 1940, p. 5225
  3. Décret du 15 août 1941 portant création d’instituts de formation professionnelle pour les maîtres de l’enseignement primaire, Journal Officiel de l’État Français N°245, 3 septembre 1941.
  4. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 13-15.
  5. Passant, souviens-toi !, p. 83
  6. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 17-18.
  7. Passant, souviens-toi !, p. 63
  8. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 18.
  9. Passant, souviens-toi !, P. 84
  10. Cristian Langeois, « Récit. Mémoire vive des camps de la mort », L'Humanité,‎ (lire en ligne)
  11. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 26-29.
  12. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 30-56.
  13. Micheline Maurel, Un camp très ordinaire, Paris, Les Éditions de Minuit - Collection Documents, 1957 - réédition 2016, 224 p. (ISBN 9782707343000)
  14. Fanny Marette, J’étais le N° 47.177 – Journal d’une comédienne déportée, FeniXX réédition numérique – Format ebook (ePub) sous DRM Adobe – Édition initiale : Éditions Robert Laffont, 1954, , 179 p. (ISBN 9782307057765, lire en ligne)
  15. Vincensini 2018, p. 20-21.
  16. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 56-60.
  17. Noëlle Vincensini, Le morceau de sucre et autres récits, Ajaccio/13-Gémenos, Albiana, , 104 p. (ISBN 978-2-8241-0893-3)
  18. Bleton-Barraud_et_Josette_Peyre-Dubois 2022, p. 60-61.
  19. a b c et d Chaillot 1999, p. 9.
  20. a et b Marguier 2016, p. 7.
  21. Jean-Pierre Chabrol, Les innocents de mars, Paris, Gallimard, coll. « blanche », , 304 p..
  22. Nicoladzé 1999, p. 84.
  23. Témoignage audio enregistré à Montpellier le 30 juin 1999 pour La Fondation pour la Mémoire de la Déportation de l'Hérault consultable aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_054498
  24. Chaillot, 1999
  25. « Les écoles ont désormais un nom », sur Mairie d'Ouveillan (consulté le )

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  1. Jeanne Bleton-Barraud et Josette Peyre-Dubois, Un certain voyage : Ecrits de Résistance et de Déportation de Jeanne Bleton-Barraud et Josette Peyre-Dubois, La Celle Saint-Cloud/59-Hallennes-lez-Haubourdin, édité par Thierry et Renaud Dubois, Mariette Barraud et Yves Baudier, , 114 p. (ISBN 978-2-9584388-0-7, lire en ligne)
  2. Françoise Nicoladzé, Passant, souviens-toi ! Montpellier : lieux de mémoire 1940-1945, Sète, Les Presses du Languedoc, , 126 p. (ISBN 978-2-85998-204-1).
  3. Noëlle Vincensini, Le morceau de sucre et autres récits, Ajaccio, Albiana, , 104 p. (ISBN 978-2-8241-0893-3).
  4. Micheline Maurel, Un camp très ordinaire, Paris, Les Éditions de Minuit - Collection Documents, 1957, réédition 2016, 224 p. (ISBN 9782707343000).
  5. Fanny Marette, J’étais le N° 47.177 – Journal d’une comédienne déportée, FeniXX réédition numérique – Format ebook (ePub) sous DRM Adobe – Édition initiale : Éditions Robert Laffont, 1954, , 179 p. (ISBN 9782307057765, lire en ligne)
  6. Michel Marguier, « Résister, c'était bien Jeanne », Midi Libre,‎ , p. 7 (lire en ligne, consulté le ).
  7. Hellène Chaillot, « Jeanne Barraud : " La vie est belle" », Midi Libre,‎ , p. 9.