Bioturbation

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La notion de bioturbation désigne le phénomène de transfert d'éléments nutritifs ou chimiques par des êtres vivants au sein d'un compartiment d'un écosystème ou entre différents compartiments. Le mot décrit aussi le phénomène de mélange actif des couches de sol ou d'eau par les espèces vivantes, animales principalement.

Certaines fourmis transportent des feuilles découpées par leurs ouvrières sur des centaines de mètres. C'est une des nombreuses formes de bioturbation "horizontale"
Saumons (ici du Kamtchatka). Outre des protéines, les reproducteurs - là où ils n'ont pas disparu - "ramènent" de l'océan à la source où ils vont pondre et mourir, une grande quantité d'oligo-éléments rares dans les hauts des bassins versants (phosphore, iode, magnésium, etc. Via les excréments de leurs prédateurs ces oligoéléments sont dispersés dans le haut du bassin versant, contribuant à l'enrichir. C'est une autre forme de bioturbation
Le ver de terre déplace horizontalement ou verticalement (selon l'espèce) de grandes quantités de matière et d'éléments chimiques. Il enfouit notamment dans le sol les feuilles mortes décomposées
Les bousiers contribuent à enfouir de la matière organique (excréments). Entrée d'une galerie creusée par un typhaeus (Typhaeus typhoeus)

Ainsi si l'on dispose dans un aquarium des couches de terres de couleur et de texture différente, et qu'on y place quelques vers de terre, en maintenant une humidité optimale pour les vers, après quelques mois l'ensemble des couches sont mélangées et la couleur est homogène.

Dans un aquarium où des couches stables de température et de salinité et d'oxygénation différentes, l'introduction de zooplancton microscopique ou macroscopique homogénéise très rapidement les couches (si les conditions de température et de salinité permettent la mobilité de ce zooplancton. Certaines espèces se montrent particulièrement efficaces, telles les daphnies en eau douce.

Échelles spatio-temporelles

Le Cycle biogéochimique des éléments sur la planète n'est pas un système passif et entropique. Il est pour partie activement « contrôlé » par le Vivant, à son profit. Toutes les espèces, et plus encore certaines d'entre elles, certaines guildes ou associations d'espèces contribuent à la circulation des éléments chimiques, de la matière, de certaines formes d'énergie stockée et des nutriments. La mobilisation se fait surtout dans le sol, les sédiments et l'eau, mais les transferts peuvent aussi concerner le compartiment aérien où les insectes et les oiseaux déplacent à chaque instant des milliers de tonnes de matière, parfois sur de longue distance à chaque saison de migration.

La distance parcourue par un élément, ainsi que sa vitesse de transfert varient fortement selon le contexte biogéographique et les espèces en cause.

Prenons à titre d'illustration le cas d'un élément qui pourrait être un nutriment ou un oligoélément (phosphore, soufre ou potassium par exemple), ou un élément métallique toxique, un radionucléide ou encore un polluant organochloré.

  • des bactéries peuvent le concentrer et le déplacer très localement, à une échelle généralement micrométrique.
  • Des protozoaires ou de petits invertébrés peuvent les déplacer sur une distance plus grande, généralement centimétrique ou métrique.
  • Des champignons, ou des animaux fouisseurs tels que le ver de terre, ou le lapin qui creuse son terrier peuvent déplacer cet élément horizontalement ou verticalement, plus rapidement, soit par la dispersion du sol, soit en l'ingérant et le transportant.
  • Certains mammifères (baleines par exemple), les poissons et oiseaux migrateurs peuvent le transférer, en quelques jours à des échelles planétaires.

Ainsi en Biélorussie, du césium provenant des retombées de Tchernobyl, qui aurait percolé à 20 cm de profondeur 20 ans après l'accident, peut être concentré et ramené en surface par un champignon, mangé par une limace, consommée par un oiseau qui sera quelques jours plus tard en Afrique où il peut être à son tour consommé par l'Homme ou un autre animal, ou mourir. Dans tous les cas l'élément en question aura été déplacé.

La bioturbation prend beaucoup d'importance lorsqu'elle se fait à partir de sites riche en un élément rare, ou en polluants et quand elle fait intervenir des organismes filtreurs ou concentrateurs, ou des espèces du sommet de la chaîne alimentaire, que sont par exemple respectivement les coquillages filtreurs ou les champignons.

Fonctions écologiques, services écosystémiques

Sans la bioturbation, de nombreux éléments vitaux finiraient par disparaître dans les fonds océaniques. Ainsi le plancton reconcentre-t-il le soufre apporté des continents par les pluies et le renvoie quand il meurt dans l'atmosphère où les pluies l'apporteront aux terres émergées.

A partir des estuaires où ils commencent leur vie, de nombreux jeunes poissons ou crustacés vont devenir des « vecteur biotique » (sensu Forman 1981[1]) et exporter de la matière organique vers l'océan (phénomène dit « Outwelling ») alors que d'autres organismes font l'inverse (« inwelling »), formant avec les premiers un système dénommé « coupling system » par Hasler [2]. De même a-t-on montré que les saumons qui remontaient autrefois les fleuves par dizaines de millions pour pondre dans leur ruisseau natal avant d'y mourir étaient la source la plus importante de certains oligo-éléments vitaux( potassium, magnésium, iode qu'ils ont accumulé dans leur organisme lors de leur croissance en mer) pour le fleuve, mais aussi pour une grande partie du bassin versant, grâce à la bioturbation (par exemple, les ours, les lynx qui mangeaient les saumons en quantité diffusaient ces oligo-éléments via leurs excréments, mais aussi les insectes et d'autres espèces exportant de la matière organique du fleuve.

Certaine espèces de vers de terre (endogés) diffusent les matériaux horizontalement, d'autres espèces (épi-endogés) remontent ces éléments à la surface ou les enfouissent, enrichissant et homogénéisant de manière continue l'horizon superficiel. En zone tempérée, la totalité des premiers vingt centimètres du sol d'une prairie est passé plusieurs fois par le tube digestif des vers de terre.

En mer, les organismes vivants mobiles, dont le plancton, les méduses et les organismes filtreurs jouent un grand rôle dans le « micromélange » perpétuel de l'eau, par les microturbulences engentrées par leurs mouvements ;

Charles Darwin, petit-fils du naturaliste du même nom, a imaginé que la faune océanique pouvait contribuer au « macromélange » des eaux, voire à entretenir une part de certains courants marins.
Selon des calculs faits dans les années 1960, l'influence du mouvement des animaux sur celui de la masse d'eau serait négligeable (les turbulences laissées par leurs organes natatoires s'évanouissant rapidement).
Cependant une expérience et une nouvelle modélisation publiée en 2009 par deux chercheurs américains[3],[4]montre que si l'on prend en compte la viscosité de l'eau et la morphologie des espèces en déplacement, certaines espèces marines se déplaçant au même moment et dans la même direction entrainent avec elles et par leurs mouvements - par viscosité - une masse d'eau bien plus importante que ce qu'on avait d'abord calculé ; Si les remous provoqués par les battements de queue ou de nageoire d'un animal sont effectivement peu efficace pour déplacer de l'eau, ceux qui sont induits par le déplacement des corps eux-mêmes ne sont plus négligeables quand un grand nombre d'individus se meuvent dans une même direction, même pour des espèces microscopiques (zooplancton) ou sans grande dépense apparente d'énergie (méduses). Selon les auteurs, ils peuvent jouer un rôle très important dans le brassage des océans, du même ordre que les vents et les marées. Pour tester leur hypothèse, ces biologistes ont, dans un lagon du Pacifique, observé l'effet du mouvement d'un groupe de méduse sur des traceurs fluorescents[5] placés sur leurs trajets. Le déplacement des traceurs a clairement montré que le déplacement des méduses étaient bien la cause d'une grande partie des remous qui mélangeaient l'eau (et donc les couches thermiques) de ce lagon. La bioturbation d'eaux plus fraiches ou plus denses et salées vers le haut, est donc un des paramètres qui pourrait permettre, par son intégration, d'affiner les modèles climatiques et océaniques, et de mieux estimer les différents impacts ou causes des régressions ou pullulations observées de certaines espèces marines.

De tels phénomènes existent également en eau douce (avec le mouvement des populations de daphnies par exemple).

Recyclage des excréments et de la nécromasse

Des espèces tels que les bousiers ou les nécrophages jouent un rôle majeur pour le recyclage et la dispersion respectivement des nutriments contenus dans les excréments et de la nécromasse.

Fonctions éco-paysagères

La bioturbation s'oppose à une partie des effets de l'érosion ;

  • d'abord en contribuant au phénomène d'humification et de stabilisation des sols,
  • ensuite parce que la faune via son alimentation récupère de la matière organique dans les bassins géographiques (synclinaux, ou synformes) et notamment dans les zones humides, pour la diffuser (sous forme d'excréments et de nécromasse) dans l'environnement.

Les animaux de toute taille qui se nourrissent dans l'eau et les sédiments, s'ils quittent ce milieu et n'y meurent pas (ex têtard qui devient grenouille ou crapaud, larve de Chironome qui émerge) ou s'ils en sont extraits par un prédateur (poisson mangé par un héron) contribuent à freiner le comblement des mares et des zones humides, d'une manière non négligeable. Ce sont des millions de tonnes qui sont annuellement ainsi exportées des zones humides. Dans l'ensemble des milieux, la chaîne trophique (alimentaire) extrait et transporte ainsi des quantités considérables de matière organique, avec un impact géomorphologique non mesuré mais certain.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Association Internationale Nereis Park, the World of Bioturbation (http://nereispark.org)

Bibliographie

Notes et références

  1. Forman R (1981) Interaction among landscape elements: a core of landscape ecology. Persectives in landscape ecology . S. P. Tjallingii et A. A. De Veer. Veldhoven, The Nederlands : 35-48
  2. Hasler AD (1974) Coupling of land and water systems. new York, SpringerVerlag.
  3. études conduite par Katija et Dabiri au California Institute of Technology de Pasadena, relatée par la revue Nature (Brève NatureNews publiée en ligne le 2009/07/29, Nature doi:10.1038/news.2009.745) et Article Nature ; William K. Dewar ; Oceanography : A fishy mix ; Nature 460, 581-582 (2009/07/30) ; doi:10.1038/460581a ; en ligne 2009/07/29 (payant)
  4. Bibliographie
  5. Voir les vidéos de la brève d'actualité de Science et vie (31/07/2009)