Anna Anderson

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Anna Anderson en 1922.

Anastasia Manahan, plus connue sous le nom d’Anna Anderson[1],[2], née à une date inconnue (peut-être le ) et morte le à Charlottesville, aux États-Unis, est une femme qui a voulu se faire passer pour la grande-duchesse Anastasia, née le 18 juin 1901, la plus jeune fille du dernier tsar de Russie, Nicolas II et de la tsarine Alexandra Feodorovna.

Tentative de suicide

Anderson est découverte après une tentative de suicide à Berlin, dans la soirée du . C'est un policier qui la sauve de l'eau glacée du Landwehrkanal, canal dans lequel elle s'était jetée. Conduite aux urgences de l'hôpital Élisabeth, sur la Lützowstraße, elle n'a pas de papiers et on l'interroge pour connaître son identité mais elle reste muette. Fin mars, elle prononce ses premiers mots : « je ne veux rien savoir de personne ».

Séjour à l'asile Dalldorf

Ancien asile d'aliénés de Dalldorf, aujourd'hui clinique pychiatrique Bonhoeffer.

Elle est transférée le 28 mars 1920 à l’asile d'aliénés de Dalldorf, où, d’après son accent de l’Est, on pense avoir affaire à une réfugiée russe. Le corps de la jeune femme porte, selon les médecins, des cicatrices et des lacérations, ainsi qu'une cicatrice en forme de triangle sur le pied, qui, selon l'examen effectué par les experts en 1960, pourrait correspondre à un coup de baïonnette, semblable à celles qu’avaient utilisées les bolcheviks pour exécuter la Famille impériale. Comme elle parle peu et refuse de révéler son identité, les infirmières la surnomment Fräulein Unbekannt (Mademoiselle l’inconnue).

À l'automne 1921, elle partage une chambre avec une ancienne couturière, Marie Peuthert, qui a travaillé en Russie avant la Révolution et se croit persécutée. Un soir d'octobre, Marie lui montre une photo du journal du Berliner Illustrierte Zeitung où l'on voit trois des quatre filles du tsar et lui dit : « je sais qui tu es » et l'inconnue lui répond « tais-toi ». En mars 1922 le capitaine Nicolas von Schwabe, un ancien du régiment des cuirassés de l'impératrice de Russie lui rend visite. L'inconnue ne comprend pas le russe et ne reconnaît pas la photo de la tsarine. Intrigué, le capitaine invite des familiers de la cour de Russie à venir la voir. La baronne Sophie Buxhoeveden, dame de compagnie de la tsarine, ne la reconnaît pas. Mais la nourrice d'Anastasia et Tatiana Bodkine, une de ses camarades, la reconnaissent.

Un certain baron Arthur von Kleist, ancien chef de police de district en Pologne, et sa femme décident alors de prendre l'inconnue sous leur aile et la font sortir de Dalldorf le 30 mai 1922. La rumeur se répand vite dans la ville et tous les émigrés russes de Berlin viennent la visiter et lui apportent livres et photos. Au fil du temps elle prend confiance et commence à raconter son histoire. Elle affirme alors être la « grande duchesse Anastasia Nikolaïevna ».

Un garde bolchévik nommé Alexander Tchaikovsky chargé d'enlever les cadavres après la tuerie à la villa Ipatiev aurait constaté qu'Anastasia respirait encore et décide de la sauver. Après l'avoir enveloppée dans une couverture, il franchit la frontière, en faisant passer Anastasia pour sa femme.

Anna affirme qu’elle aurait ensuite épousé un homme nommé Tchaikovsky et eu un enfant de lui en décembre 1918. Tchaikovsky est tué quelques mois plus tard par des inconnus dans une rue de Bucarest[3]. Elle tombe en dépression et son enfant appelé Alexander, qui lui est retiré, est envoyé dans un orphelinat. Puis son beau-frère l'aurait emmenée à Berlin pour sa sécurité, début février 1920, mais il disparaît peu après. Seule et désespérée, elle se jette alors dans le canal.

Anastasia « Romanov »

La baronne Buxhoeveden, membre de la Cour impériale russe, est donc la première à visiter « Anna Tchaïkovsky » à l’asile pour déterminer si la femme qui prétend être la fille du tsar Nicolas II dit la vérité. Dès son arrivée, la baronne oblige la malade à se lever et déclare alors qu’elle est « trop petite pour être Tatiana ! » Elle estime et elle n'est pas la seule qu'Anna est un imposteur et n’en démordra pas par la suite.

Anna déclare alors qu’elle n'a jamais prétendu être Tatiana, mais Anastasia. Elle n'en démordra pas non plus. Il est difficile de se prononcer dans l'absolu.

Après octobre 1928, la famille impériale ne reconnaît pas Anastasia. Pourtant elle cite pour se justifier « l'oncle Ernie », c'est-à-dire Ernest de Hesse, frère de l'ex-tsarine, et révèle l'avoir vu la dernière fois en décembre 1916 en Russie. Cette allégation sous-entend un grave secret politique : ce prince allemand, par cette visite clandestine, aurait envisagé de trahir ses alliés par une paix séparée avec la Russie. Ernst de Hesse nie farouchement et engage un détective privé, Martin Knopf, qui assurera que la jeune fille se nomme Franziska Schwanzdowska, une ouvrière polonaise. Mais en 1965 un témoin assermenté, le prince Dimitri Galitzine, confirmera devant le tribunal de Hambourg l'allégation d'Anna Anderson. En 1968, on cesse de voir en elle l'« héritière de toutes les Russies ». Anna décide alors de se rendre aux États-Unis, où elle se marie avec un certain Jack Manahan, de vingt-et-un ans son cadet, à Charlottesville, le 23 décembre 1968[4]. Elle meurt le 12 février 1984 et son corps est incinéré. Ses cendres sont enterrées au cimetière de Seeon en Bavière sous le nom d'« Anastasia Manahan 1901-1984 »[5].

C'est qu'elle a été reconnue comme la grande-duchesse Anastasia par Tatiana Botkina et son frère Gleb dans les années 1920, les enfants du médecin du tsar (assassiné avec la famille impériale) qui publia un an après sa mort un ouvrage sur elle[6]. Le second a même affirmé que contrairement à ce que disaient ses détracteurs, cette femme parlait et comprenait le russe[7]. Elle a été également identifiée par deux cousins germains allemands des cinq enfants de Nicolas II et de l'impératrice, ils défendirent Anna Anderson pendant ses procédures des années 1950 et 1960 : les princes Frédéric Ernest de Saxe-Altenbourg (1905-1985) et Sigismond de Prusse (1896-1980). Il faut aussi citer le capitaine Felix Dassel qui, blessé en 1916, se fit soigner à l’hôpital par les grandes-duchesses Maria et Anastasia. En 1927, sceptique relativement à sa possible survie, il tenta plusieurs fois de la piéger en lui communiquant de fausses informations, qu'elle corrigea aussitôt. En 1958, peu avant sa mort, il témoigna de nouveau sous serment l'avoir reconnue. En France à partir de 1957, la journaliste du Figaro Dominique Auclères, après confrontation de tous les points de vue, et la découverte qu'elle parlait le français et servait le thé au lait à l'anglaise (lait d'abord, thé ensuite, selon les habitudes de la tsarine), prit fait et cause pour elle et lui consacra un livre[8].

En 1960, le débat est relancé avec la publication d'une lettre écrite par le grand-duc André en 1928 à la grande-duchesse Olga de Russie, sœur de Nicolas II : « j'ai passé deux jours avec elle, je l'ai observé de près attentivement et je dois dire en toute conscience qu'Anastasia Tschaikowkaya n'est autre que ma nièce Anastasia Nicolaïevna. Je l'ai reconnue immédiatement et l'observation ultérieure n'a fait que confirmer ma première impression. Dans toute cette affaire, il n'y a vraiment aucun doute : elle est Anastasia[9]. » Mais la mère de Nicolas II, l'impératrice douairière Marie Feodorovna, la sœur de l'Impératrice, la princesse Irène de Prusse, le précepteur des enfants Romanov, Pierre Gilliard et des domestiques n'avaient pas reconnu en leur temps Anna Anderson comme étant Anastasia. De plus Anna Anderson parlait très mal le russe, et parlait correctement l'allemand, langue que la Duchesse Anastasia refusait d'apprendre.

Anna Anderson en 1920.
La Grande Duchesse Anastasia en 1916.

En 1967, le tailleur viennois Heinrich Klebenzelt, témoin oculaire de sa fuite à Ekaterinbourg, se présente au tribunal et assure l'avoir cachée - sur demande d'un garde rouge et d'un civil - blessée, trois jours[10]. Cependant il n'est nullement question d'Alexandre Tchakaikovski : ce sont les deux hommes cités qui l'auraient repris chez le tailleur pour l'emmener vers une destination inconnue. Après un ultime recours en appel en 1970, la Cour de Hambourg admet qu'Anastasia avait peut-être survécu, mais que la requérante n'avait pu donner la preuve formelle de son identité.

En juillet 1991, dans la forêt de Koptiaki au lieu-dit de la « fosse aux troncs » sont exhumés sous l'autorité de l'Académie des Sciences d'URSS des ossements, les restes de quatre hommes entre 50 et 65 ans, deux femmes de 50 ans, une jeune femme de 20-25 ans, deux jeunes filles de 18-20 ans. En 1998 la commission gouvernementale conclut en s'appuyant sur les expertises faites avec les techniques de la biologie moléculaire et du génie génétique en Angleterre, à l'authenticité des ossements de la famille Romanov[11]. En 1979 Anna Anderson est opérée d'une occlusion intestinale et un morceau de son côlon est prélevé et conservé.

Franziska Schanzkowska en 1916.

En 1994, on compare donc l'ADN mitochondrial d'Anna Anderson avec l'ADN du prince Philip, duc d'Édimbourg dont la grand-mère Victoria de Hesse-Darmstadt est la sœur de la tsarine Alexandra, le test se révèle négatif, Anna Anderson n'est pas une Romanov[12]. En revanche on compare ce même ADN mitochondrial avec celui fourni dans un échantillon sanguin en 1994 par Karl Maucher, petit-fils de Gertrude Schanzkowska, la sœur de Franziska Schanzkowska, une ouvrière polonaise, et le test se révèle positif. Franziska Schanzkowska est donc la véritable identité d'Anna Anderson.

En 2008, le laboratoire de la faculté de médecine de l'université du Massachusetts confirme que tous les membres de la famille Romanov ont bien été exécutés[13]. Cinq d'entre eux sont inhumés à Saint-Pétersbourg au cours d'une cérémonie solennelle en 1998. Deux ans plus tard, le tsar et sa famille sont canonisés par l'Église orthodoxe russe.

Thèses qui contestent la version officielle de l'exécution des Romanov

Le débat a cependant pris une tournure inattendue en faveur de sa réhabilitation à partir de 1976 par les travaux d'Anthony Summers, Tom Mangold[14], puis de Marina Grey[15], Marc Ferro[16], un docu-fiction de Jacqueline Monsigny[17] Michel Wartelle (2008) par des éléments qui font redoutablement concurrence aux tests ADN. L'examen de l'intégrale du dossier Sokholov dont seule une petite partie avait été publiée indique qu'il n'y a peut-être pas eu de massacre de l'impératrice et de ses quatre filles à Ekatérinbourg mais évacuation des cinq femmes vers Perm où elles ont été vues prisonnières au complet par au moins un témoin oculaire, l'infirmière Natalia Moutnik, en septembre 1918 tandis que de nombreux autres témoins y ont eu connaissance de la fuite et/ou tentative de fuite d'une des filles... qui se trouvait être Anastasia. L'ouvrière polonaise qu'elle serait et/ou les imposteurs qui la manipulaient pouvaient-ils le savoir ou le deviner ? Anna Anderson qui, aux dires même de Tatiana Botkine, n'a jamais en personne communiqué une version détaillée du massacre, a dit en 1974 à Summers et Mangold : « il n'y a jamais eu de massacre à Ekatérinbourg... mais je ne peux pas en dire plus[18]. » En 1982, un certain Alexis Durazzo publia un livre dans lequel il affirma être son petit-neveu, le cousin éloigné du prince Frédéric-Ernst de Saxe. Celui-ci confirma. En même temps Durazzo affirmait être le petit-fils de Maria Romanov qui serait décédée d'un cancer en 1970, ainsi que le petit-neveu de deux anciennes « prétendantes » de l'après-guerre : Marga Boodts/Olga, « Madame Michaelis »/Tatiana. Or il se trouve qu'en 1957 Sigismund de Prusse avait identifié en Magda de Boodts, après une rencontre -au cours de laquelle ils se racontèrent des souvenirs d'enfance-, sa cousine germaine russe[19]. D'après un testament olographe produit par Alexis Durazzo, son arrière-grand'mère, l'Impératrice, sa grand-mère et ses trois grand'tantes ne furent pas tuées à Ekatérinbourg en juillet 1918 mais bien évacuées à Perm jusqu'en octobre 1918[20]. Les recherches de Michel Wartelle ont peut-être en grande partie attesté ce pronostic, l'ancien témoignage de Natalia Moutnikh et la confidence d'Anna Anderson : trois pierres tombales italiennes portent ou portaient les noms de trois femmes de la famille Romanov : à Rome S.A.I. Maria Nicolaïevna Romanov-Dolgorouri (1899-1970), près du lac de Côme jusqu'en 1995, en allemand « En souvenir d'Olga Nicolaïevna, fille aînée du tsar Nicolas II (1895-1976) » et dans un couvent florentin l'ex-tsarine « Alicia d'Acia (1872-1942) »[21]. Par ailleurs les chercheurs cités ont reproduit une pièce qui fut une première fois portée au dossier par la requérante en appel à Hambourg qui met encore plus en difficulté les dénégations et attaques passées d'Ernst de Hesse. Le 27 septembre 1918, celui-ci fit parvenir en Grande-Bretagne un télégramme à sa Sœur Victoria via la princesse suédoise Louise de Sue, où il indiqua savoir « de deux sources sûres qu'Alix et tous les enfants sont en vie ». De surcroît, les tests ADN des années 1990 et 2000 sont postérieurs à sa mort et à celle de ses proches. Anthony Summers Tom Mangold faisant l'historique de cette affaire, informèrent des multiples examens auxquels elle accepta de se livrer dès les années 1920 : la graphologie, le corps portant bien les cicatrices d'Anastasia Romanov. Ils aboutirent dans les années 1960 de la part de scientifiques au rejet de l'identité roturière et polonaise invoquée autrefois par le détective privé d'Ernst de Hesse [22].

Notes et références

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  1. (en) I. Vorres, The Last Grand Duchess, p. 19
  2. (en) Anastasia: The Mystery of Anna, 1986.
  3. Voir Drames et Tragédies de l'histoire, André Castelot, 1966, dans lequel n'apparaît pas la trace d'un fils de Mme Tchaikovsky avec le soldat polonais.
  4. (en) The Hook, 5 juillet 2007, « Jack & Anna: Remembering the czar of Charlottesville eccentrics » (Jack & Anna, souvenirs du tsar des marginaux de Charlottesville)
  5. Tombes de Nicolas II et de sa famille sur le site tombes-sépultures.com
  6. Tatiana Botkine, Catherine Duhamel, Anastasia retrouvée, Paris Grasset, 1985 ; Gleb Botkine, The Real Romanov, 1932
  7. Cité par Marc Ferro, La Deuxième Mort de Nicolas II, Les tabous de l'Histoire, Pocket 2002 p. 100.
  8. Dominique Auclères, Anastasia, qui êtes-vous ?, Paris, Hachette, 1962.
  9. Marc Ferro, La vérité sur la tragédie des Romanov Tallandier 2012
  10. Tatiana Botkine, Catherine Duhamel, Anastasia retrouvée, Paris Grasset, 1985 ; Gleb Botkine, The Real Romanov, 1932, p. 308-309.
  11. L'ultime mystère des Romanov bientôt levé, sur le site www.le figaro.fr (consulté le 20 décembre 2012).
  12. (en) Jack J. Pasternak An introduction to human molecular genetics éd. John Wiley 2005 p. 362 (ISBN 0-471-47426-6)
  13. (en) DNA Confirms Remains of Czar's Children
  14. The file of the Tsar, 1976-le Dossier Romanov, Paris, Albin Michel, 1980
  15. Marina Grey, Enquête sur le massacre des Romanov, Paris Perrin,1987
  16. Marc Ferro, Nicolas II, Les tabous de l'Histoire (La deuxième mort de Nicolas II)
  17. Les filles du tsar, Marie ou les tourbillons du destin
  18. Anthony Summers, Tom Mangold The file of the Tsar, 1976-le Dossier Romanov, Paris, Albin Michel, 1980 p. 238
  19. Michel Wartelle, L'affaire Romanov ou le mystère de la maison d'Ipatiev, annexe 14, p. 181-182
  20. Alexis Durazzo, Moi Alexis, arrière petit-fils de Nicolas II, Paris, 1982
  21. Michel Wartelle, op. cit, p. 95, 97
  22. Anthony Summers, Tom Mangold Le dossier Romanovop cit, chapitre Anna Anderson