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Utilisatrice:Flor WMCH/Grève des casseroles

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La Grève des casseroles est un mouvement social organisé par un groupe de gymnasiennes et d'apprenties biennoises ayant comme but de supprimer l'obligation des cours ménagers pour les jeunes filles et de le rendre mixte[1].

Le boycott[modifier | modifier le code]

Vers la fin de l'année 1978 et le début de l'année 1989, un groupe de gymnasiennes et d'apprenties se rassemble pour déclencher une action contre le cours ménager obligatoire. Le 25 janvier 1979, cinquante jeunes filles participent à la première réunion officielle. Un nouveau comité se forme à la suite de celle-ci et publie le communiqué de presse suivant[2] :

« Non au cours ménager obligatoire.

Considérant que ce cours tend à renforcer l'oppression de la femme en la confinant dans son rôle de mère au foyer, des gymnasiennes et apprenties ont fondé un groupe dont le but est l'abolition de l'actuel cours ménager obligatoire.

Lors de la première séance publique organisée par notre groupe le 25 janvier 1979, les personnes présentes (plus d'une cinquantaine de filles) ont décidé de lancer une pétition exigeant de rendre le cours ménager mixte et facultatif.

Tout en saluant la déposition tout dernièrement d'une motion parlementaire au Grand Conseil bernois par le groupe « Demokratische Alternative » (motion ayant pour but d'inclure le cours actuel dans les heures scolaires tout en le rendant mixte), nous annonçons d'ores et déjà notre intention d'organiser le boycott du cours ménager 1979 ainsi que d'éventuellement faire recours au Tribunal fédéral en nous appuyant sur le fait que ce cours (n'existant pas dans la majorité des cantons) est incompatible avec l'article 4 de la Constitution fédérale garantissant l'égalité des droits entre l'homme et la femme.[3]»

Conformément à ce qui a été mentionné dans cette lettre, le comité lance une pétition qui réussit à rassembler plus de deux mille signatures. Il publie aussi une liste de boycottage sur laquelle viendront s'inscrire environ huitante noms. Ce groupe est composé de jeunes filles déterminées à boycotter le cours prévu pour la rentrée de septembre 1979, ainsi que pour les années à venir[2].

En publiant ce communiqué, les jeunes femmes établissent clairement les revendications qu'elles défendent. Malgré les apparences, elles intègrent cette action dans un combat féministe et politique en soulignant le rôle attribué aux femmes par le cours ménager obligatoire, tout en faisant référence à une motion présentée devant le Grand Conseil et à la Constitution fédérale. Selon un article publié dans Les Nouvelles Annales Biennoises, l'avocate des jeunes filles en boycott, Maître Catherine Zulauf, ainsi qu'une des membres du groupe, Caroline Strasser, soulignent que « l'obligation [...] de suivre un cours ménager ne représente sans doute qu'une discrimination somme toute peu importante, face aux nombreuses injustices sociales dont sont victimes les femmes », elle est pourtant « une discrimination exemplaire par la réflexion qu'elle peut susciter » [4].

La chronologie du boycott[modifier | modifier le code]

  • Le 25 janvier 1979 : création du comité lors de la première réunion, contre le cours ménager[2].
  • Le 20 février 1979 : une lettre ouverte est publiée pour annoncer le boycott[2].
  • En février 1979 : une motion est déposée devant le Grand Conseil bernois concernant les cours complémentaires[2].
  • Le 28 août 1979 : les membres du groupe de boycotteuses sont convoquées à une séance en présence de la présidente de la Commission de l'enseignement ménager et du préposé de l'École complémentaire ménagère[2].
  • En août 1979 : des motions sont déposées lors de la session du Grand Conseil, portant sur l'adaptation des cours[2].
  • Le 10 septembre 1979 : le boycott commence, accompagné d'une manifestation de solidarité à Bienne et d'une pétition comportant 2000 signatures est déposée auprès du Gouvernement bernois[2].
  • Le 14 novembre 1979 : en réponse à la pétition, le Gouvernement bernois déclare que les boycotteuses devraient être sanctionnées conformément à la loi en vigueur pour leur refus de suivre les cours, en attendant une éventuelle modification de celle-ci[2].
  • Le 20 mars 1980 : les boycotteuses sont convoquées pour un premier interrogatoire devant le président du Tribunal[2].
  • Le 25 mars 1980 : mise en place d'un comité de soutien qui rassemble divers partis politiques[2].
  • Le 27 août 1980 : organisation d'une manifestation en faveur des personnes participant au boycott[2].
  • Le 28 août 1980 : les boycotteuses sont jugées et condamnées par le Tribunal de première instance à une amende de 90 francs et à des frais de 100 francs chacune[2].
  • En septembre 1980 : une deuxième volée de boycotteuses refuse de suivre les cours à la rentrée[2].
  • Le 10 septembre 1980 : une lettre ouverte est publiée dans laquelle les boycotteuses annoncent leur détermination à ne pas renoncer[2].
  • Le 21 février 1981 : dans le Jura, un comité d'action contre les cours ménagers voit le jour en réponse à la peine de prison infligée à une jeune boycotteuse[2].
  • Le 14 juin 1981 : le nouvel alinéa 2 de l'article 4 de la Constitution fédérale, qui stipule que « « L'homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l'égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l'instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.» », est accepté lors d'une votation populaire[2].
  • En juillet 1981 : le boycott s'étend à Zurich, avec un nombre croissant de personnes qui choisissent de participer à cette action de protestation[2].
  • En septembre 1981 : une troisième volée de boycotteuses se manifeste à Bienne[2].
  • En février 1982 : les deuxièmes boycotteuses se voient imposer une amende de 90 francs chacune[2].
  • Le 17 février 1982 : le Grand Conseil décide d'abolir l'obligation des cours à partir du 1er août 1982, cependant, les boycotteuses ne sont pas satisfaites de cette mesure[2].
  • Le 20 août 1982 : La deuxième volée de boycotteuses est jugée une seconde fois et acquittée lors du procès[2].

Enjeux du boycott[modifier | modifier le code]

Enchaînements des événements[modifier | modifier le code]

Les réactions médiatiques et du corps enseignants[modifier | modifier le code]

Lorsqu'elles publient le communiqué de presse annonçant leur action, les boycotteuses la rendent immédiatement publique. Quelques jours plus tard, le Journal du Jura publie un article sur le sujet. L'auteur de l'article rappelle en quoi consiste les cours ménagers et souligne les difficultés rencontrées par certaines élèves en apprentissage pour se libérer afin d'y assister et les conséquences prévues, telles qu'une amende de 200 francs, pour toute personne qui ne s'y présente pas.

Le ou la journaliste remarque que cet enseignement est sujet à des critiques depuis un certain temps déjà et souligne que bien qu'il permette d'acquérir des connaissances utiles, il est [2]:

« entièrement basé sur le schéma classique selon lequel la femme est la seule responsable du ménage et de toutes les tâches qu'il engendre [...]. Il n'y a pas de place pour l'homme en dépit du courant actuel qui tend à lui faire jouer un rôle jusque ici exclusivement réservé aux femmes.[5]»

Ensuite, l'auteur se questionne sur la forme à donner à ces cours, à savoir s'ils devraient être mixtes et facultatifs, comme le demandent les boycotteuses, ou intégrés à la scolarité obligatoire, comme c'est le cas dans le canton de Neuchâtel. Il souligne également que le Grand Conseil bernois examinera deux interventions parlementaires sur le même sujet lors de la session d'hiver. De nombreux autres médias prendront contact avec les concernées[2]. En ce qui concerne les professeurs directement concernés par l'action des jeunes femmes, ces derniers réagissent plutôt favorablement à ce mouvement de protestation. En effet, dès le mois de mars 1979, le syndicat des services publics (SSP-VPOD), déclare publiquement par le biais d'une publication dans Le Journal du Jura, son soutien à cette cause.

« [...] son soutien total à la pétition lancée par un groupe de gymnasiennes et apprenties pour demander la suppression du caractère obligatoire du cours ménager à la fin de la scolarité pour les jeunes filles et son remplacement par un cours mixte et facultatif, ainsi que le paiement du salaire et la protection contre le licenciement pour les apprenties obligées de suivre actuellement le cours. [6]»

Il ajoute soutenir également « l'action de boycott de cours, lancée cette année, pour appuyer ces revendications ». Il a bel et bien constaté que « le problème posé soulève une série de questions fondamentales liées à la fonction de l'institution scolaire dans la transmission de la division traditionnelle des rôles entre hommes et femmes dans la société actuelle »[2].

Le syndicat SSP souligne également qu'un groupe de travail étudie la question de l'existence et de la pérennité de cours distincts réservés soit aux garçons, soit aux filles. Cependant, il tient à souligner que « l'institution d'un cours ménager mixte et facultatif ne doit pas porter atteinte à la sécurité de l'emploi des enseignantes qui donnent cours et qui sont souvent considérées en marge du corps enseignant et traitées comme telles »[2].

Lors des entretiens réalisés à l'été 2005 avec six enseignantes d'école ménagère qui avaient donné des cours à l'époque, il est apparu que la plupart d'entre elles soutenaient l'initiative des boycotteuses. Cependant, il restait encore des enseignantes très attachées aux traditions, manifestant ainsi un certain conservatisme. L'une d'elles estimait que « ces jeunes filles voulaient certainement plus de vacances et que c'était pour cela qu'elles avaient mené une telle campagne »[2].

Il semble donc que le corps enseignant exprimait des inquiétudes quant à une éventuelle perte d'emplois, mais seulement une minorité s'opposait concrètement à cette action de boycott[2].

La réponse du gouvernement bernois[modifier | modifier le code]

Le Conseil-exécutif du canton de Berne publie sa réponse à la pétition déposée par le comité biennois. Il s'étonne du fait que deux textes différents de la pétition lui aient été remis et souligne que des efforts sont faits pour améliorer le cours. Il rappelle aussi que boycotter le cours est contraire à la loi. En réaction, le comité publie un communiqué dans lequel il regrette que le gouvernement ne se soit pas prononcé sur la revendication d'avoir un cours mixte et facultatif[7]. Le Conseil-exécutif inflige une amende aux membres du comité. Elles refusent de la payer tout en sachant qu'elles s'exposent à un procès[8].

Lien avec les autres luttes et comité de soutien[modifier | modifier le code]

Le 8 mars 1980, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, les boycotteuses publient un communiqué pour placer leur combat dans le contexte plus large de toutes les discriminations visant les femmes et faire le lien avec les autres luttes[9]. Après un premier interrogatoire au tribunal, le groupe annonce la création d'un comité de soutien. Il est composé de plusieurs organisations et de deux conseillères nationales: Amélia Christinat et Ruth Mascarin[10].

Le procès[modifier | modifier le code]

Deux jours avant leur procès, les boycotteuses organisent une conférence de presse. De nombreux médias suisses et internationaux y participent[11]. Le lendemain, elles manifestent dans la rue « armées de casseroles, de balais, de plumeaux, vêtues d'un tablier de cuisine et d'un foulard »[12].

Le procès se déroule le 28 août 1980, en présence de plusieurs centaines de spectatrices et spectateurs. Sur les dix jeunes femmes qui ont boycotté le cours, sept seulement ont été dénoncées, dont trois sont absentes le jour du procès. Elles sont donc quatre à se présenter au tribunal. Leur avocate réclame l'acquittement, en s'appuyant sur l'article de la Constitution qui stipule que tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Malgré cela, leur amende de 90 francs est confirmée par le tribunal, à laquelle sont ajoutés 100 francs pour chacune des prévenues[13].

Quelques jours plus tard, le groupe publie un communiqué pour expliquer qu'il renonce à déposer un recours contre la décision du tribunal pour concentrer ses efforts sur la suite du combat[14].

Retour au boycott, qui s'étend au niveau national[modifier | modifier le code]

Lors de la rentrée de septembre 1980, un deuxième groupe de jeunes femmes prend la suite du mouvement afin de poursuivre la lutte pour le cours mixte et facultatif. Le même mois, l'Association suisse pour le suffrage féminin paye l'amande et les frais de justice des premières boycotteuses, en plus du soutien financier bienvenu le mouvement gagne par là le soutien et la reconnaissance d'organisations et de personnalités institutionnalisées reconnues.

Le mouvement s'étend au canton du Jura, où des étudiantes du lycée cantonal de Porrentruy refusent à leur tour de fréquenter le cours ménager obligatoire. Aidées par des juristes, ces dernières lancent une pétition et adressent leurs doléances au Bureau de la condition féminine.


Le 21 février 1981, soutenu par les Biennoises un comité d'action contre les cours ménagers se forme en réponse à l'emprisonnement d'Agnès Montavon, une jeune femme n'ayant pas terminé l'école complémentaire ménagère dont l'histoire sera largement médiatisée dans toute la Suisse suite à lettre ouverte qu'elle publie dans le quotidien le Pays :

« […] j'ai été condamnée à 223 francs d'amende pour n'avoir pas pu terminer régulièrement l'École complémentaire ménagère.

[…]

Je me permets donc d'écrire ces quelques lignes pour suggérer aux filles concernées par ce problème de se retrouver samedi 21 février, à 14 heures, au Restaurant du Soleil, à Porrentruy.

Ensemble, nous pourrons peut-être aider les Autorités compétentes à trouver une solution digne d'un État prétendument progressiste… »

«Maintenant, […], je n'ose plus traverser la rue de mon village. Ma photo a paru dans plusieurs journaux, et les gens me reconnaissent.

Même à Delémont, où je recherche du travail, je suis ‹la boycotteuse›: j'ai beau avoir un diplôme de vendeuse, un magasin qui en cherchait une ne m'a plus donné de nouvelles depuis que j'ai donné mon nom… »[15]

Jurassiennes et Biennoises annoncent le maintient du boycott et demandent la suppression de toute sanction. Le 12 mars 1981 entre en vigueur une ordonnance relative à l'enseignement de l'économie familiale post-scolaire, proposée par le Bureau de la condition féminine. Marie-Josèphe Lachat explique :

« Deux solutions pourront résoudre dans la pratique les cas des jeunes filles qui n'auront pas suivi, à l'âge de 20 ans, les cours ménagers : soit une prolongation de délai pour les suivre, soit l'octroi de dispenses ‹pour des motifs particuliers› par l'inspectrice d'économie familiale». «dans la pratique cela signifie que la liste des absences non justifiées à ces cours ne sera plus directement transmise de la commission au juge, appliquant la loi, condamne à une amende et, si besoin est, é sa conversion en arrêts, mais sera d'abord ‹visée› par l'inspectrice qui aura elle-même la compétence d'accorder une dispense, ou un délai ».[16]


Entre 1980 et 1982 d'autres villes et cantons sont touchés par le boycott et des comités en ville de Berne et dans le canton de Zürich entament des démarches légales.

Nouveau procès dans un contexte changeant[modifier | modifier le code]

Vers des cours mixtes et facultatifs[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Raphaèle Tschoumy, « La «grève des casseroles» à Bienne: un pas historique pour l’égalité », Le Temps,‎ publié le 10 juin 2021 et modifié le 10 juin 2023. (lire en ligne Accès libre)
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v w x y z aa et ab Maïté Girardin, La grève des casseroles, Bienne, Intervalles, , 93 p., p. 41-53
  3. Caroline Strasser, « Non au cours ménager obligatoire », Jura du Jura,‎ , p. 47
  4. Caroline Strasser, Catherine Zulauf, « Épopée d'un boycottage », Nouvelles Annales Biennoises,‎ , p. 148
  5. non signé, « Enseignement contesté mais utile... », Le Journal du Jura,‎
  6. Groupe enseignants VPOD, « Communiqué du groupe enseignants VPOD », Le Journal du Jura,‎
  7. « Pétition contre le cours ménager obligatoire. Le gouvernement répond. », Journal du Jura,‎ (www.e-newspaperarchives.ch/?a=d&d=JDJ19791121-01.2.28.4)
  8. Maïté Girardin, La Grève des casseroles, Bienne, Intervalles, , 93 p., p. 57
  9. Probst, Marie-Corinne et Strasser Caroline (au nom du groupe), « Cours ménagers obligatoires. "Manif" à...Lucerne! », Journal du Jura,‎ (www.e-newspaperarchives.ch/?a=d&d=JDJ19800308-01.2.11.4)
  10. Maïté Girardin, La Grève des casseroles, Bienne, Intervalles, , 93 p., p. 58
  11. Maïté Girardin, La Grève des casseroles, Bienne, Intervalles, , 93 p., p. 59
  12. « Manif à Bienne. Contre les cours ménagers. », La Suisse,‎
  13. Charles Wisard, « "Rebelles" condamnées! », La Suisse,‎
  14. « Boycott des cours ménagers. Le groupe n'entend pas renoncer! », Journal du Jura,‎ (www.e-newspaperarchives.ch/?a=d&d=JDJ19800910-01.2.11.6)
  15. MONTAVION Agnès, « À propos de l'École complémentaire ménagère », Le Pays,‎
  16. CHAPONNIÈRE Corinne, « L'affaire des cours ménagers. Les Ajoulotes: Oui, mais… », Femmes suisses,‎

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