Aller au contenu

Utilisateur:Westeros117/Brouillon

Une page de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

La censure et les bibliothèques au Québec[modifier | modifier le code]

L'Église tente d'établir un contrôle des collections des bibliothèques dès leur naissance au Québec. La première bibliothèque publique sous souscription, la Bibliothèque de Québec fondée en 1779 par le gouverneur Haldimand[1], voit rapidement son soutien retiré par l'Église lorsque son bibliothécaire fait l'acquisition de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ainsi que de 40 tomes de Voltaire[2]. Malgré tout, la censure cléricale au XVIIIe siècle n'est pas encore organisée. Le faible taux d'alphabétisation de la population québécoise ne pose pas encore un enjeu majeur pour la diffusion d'idées contraires à l'Église et celle-ci n'interviendra pas de manière soutenue avant le siècle suivant[3].

Au milieu du XIXe siècle, Mgr Bourget mène une guerre idéologique contre l'Institut canadien de Montréal, qui répand des idées libérales et modernes dans la population canadienne-française notamment grâce au prêt de livres de sa bibliothèque. Ce conflit culminera en 1880 avec la fermeture de l'Institut suite à l'excommunication de ses membres et la mise à l'index de ses annuaires de 1868 et 1869[4]. Sa bibliothèque sera vendue en 1885 à l'Institut Fraser[5].

En réponse à la prolifération des bibliothèques publiques vers la fin du XIXe siècle et suite à l'adoption d'une loi autorisant les villes à se doter d'une bibliothèque publique par le gouvernement Mercier en 1890, le clergé vise à proposer des solutions encadrantes. D'une part, la promotion de bibliothèques paroissiales en fait partie[6] afin de prescrire de « bonnes lectures » à la population[7]. D'autre part, ces bibliothèques se voient imposées la possession d'un exemplaire de l'Index librorum prohibitorum[8] afin d'en faire l'application. Finalement, la plupart des bibliothèques possèderont une section isolée appelée Enfer pour y conserver les livres mis à l'Index jusqu'à sa disparition en 1966[7].

La censure et l'Index connaissent un ralentissement pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Après celle-ci, la maison Fides, fondée par le père Paul-Aimé Martin en 1937, contribue de manière significative à la normalisation de la pratique censoriale au Québec[9]. Ce dernier fonde également l'École de bibliothécaires en 1937 et l’Association catholique des bibliothèques d’institutions en plus d'entretenir des liens avec l’Association canadienne des bibliothécaires de langue française (ACBLF)[9]. Ces institutions sont parmi les premiers regroupements professionnels de bibliothécaire de langue française en Amérique du Nord et leurs liens étroits avec le clergé font en sorte que le discours des bibliothécaires est essentiellement sur la moralité des lectures jusque dans les années 1960[9]. La formation de l'École de bibliothécaires se fait dans un contexte d'éducation catholique et offre donc des cours sur l'Index et les bibliothèques paroissiales, entre autre[10]. La maison Fides fournit des outils bibliographiques aux bibliothécaires et aux lecteurs sous forme de fiches de catalogage permettant de classer les livres selon leur degré de moralité. Ces fiches paraissent dans le bulletin Mes fiches et peuvent identifier, par exemple, les ouvrages « mauvais » ou « dangereux » selon la norme catholique[7]. À ce bulletin s'ajoute les revues Lectures et Revue des bibliothèques qui servent de véhicule de promotion pour les bibliothèques paroissiales et contribuent à renforcer le rôle confessionnal désiré par le clergé pour les bibliothèques[11].

Les années 1950-1960 verront le clergé multiplier les attaques et les justifications pour le contrôle des lectures. Le congrès de l'ACBLF en 1951 est marqué par l'intervention de hauts responsables religieux. L'archevêque de Montréal, Mgr Léger rappelle que l'Index est encore en vigueur et que les chrétiens sont soumis « au jugement normatif de l'Église »[12]. Le Bill of Rights de l'American Library Association, fondé sur des valeurs libérales et visant à respecter la liberté du lecteur, est également critiqué durant une allocution du sulpicien Édouard Gagnon[13]. Inquiet des critiques envers l'Église pour son exercice de censure, Mgr Chartier s'exprime devant l'ACBLF en 1953 pour rappeler aux bibliothécaires leur devoir moral et social de contrôler les lectures[14].

La fin de l'Index en 1966 coïncide avec l'effritement du pouvoir du clergé au Québec. La censure devient donc de nature judiciaire et politique à partir de ce moment[15]. Quelques cas sont recensés durant les années qui ont mené à et pendant la Crise d'octobre 70, soit l'interdiction par la Sûreté du Québec aux bibliothèques de prêter des ouvrages portant sur le maniement d'armes à feu et l'intervention de la Gendarmerie royale du Canada pour obtenir de l'information sur des journaux et périodiques « séditieux »[16].

Aujourd'hui, la Fédération canadienne des associations de bibliothèques produit des rapports annuels sur les plaintes liées à la liberté intellectuelle depuis 2006 qui sont disponibles sur son site web. En 2021, 73 plaintes officielles pour demande de retrait d'œuvres ont été reçues par l'ensemble des bibliothèques publiques du Canada. Du nombre, seulement une vingtaine ont entraîné une action concrète se soldant soit par le retrait du document, soit par sa reclassification[17].

  1. Éric Leroux, « Brève chronologie de l’histoire des bibliothèques et de la bibliothéconomie au Québec : des débuts aux années 1960 », Documentation et bibliothèques, vol. 54, no 2,‎ , p. 199–201 (ISSN 0315-2340 et 2291-8949, DOI 10.7202/1029335ar, lire en ligne, consulté le )
  2. Maurice Lemire (dir.), La vie littéraire au Québec, t. I, Québec, Presses de l'Université Laval, , 498 p. (ISBN 2763772595), p. 260
  3. Sophie Montreuil (dir.), Isabelle Crevier (dir.), Pierre Hébert et Marcel Lajeunesse, , Saint-Nicolas, Presses de l'Université Laval et Bibliothèque nationale du Québec, 2005, 182 p. (ISBN 2-7637-8223-X), « Censure et bibliothèques au Québec », p. 102-103
  4. Pierre Hébert, « La censure religieuse au Québec : deux ou trois choses que je sais d’elle… », Québec français, no 120,‎ , p. 74–76 (ISSN 0316-2052 et 1923-5119, lire en ligne, consulté le )
  5. Sophie Montreuil (dir.), Isabelle Crevier (dir.), Pierre Hébert et Marcel Lajeunesse, , Saint-Nicolas, Presses de l'Université Laval et Bibliothèque nationale du Québec, 2005, 182 p. (ISBN 2-7637-8223-X), « Censure et bibliothèques au Québec », op cit., p. 103
  6. Sophie Montreuil (dir.), Isabelle Crevier (dir.), Pierre Hébert et Marcel Lajeunesse, , Saint-Nicolas, Presses de l'Université Laval et Bibliothèque nationale du Québec, 2005, 182 p. (ISBN 2-7637-8223-X), « Censure et bibliothèques au Québec », op cit., p. 104
  7. a b et c Marcel Lajeunesse, « La censure : De proscriptive à prescriptive, de cléricale à judiciaire ou politique », Argus, vol. 43, no 3,‎ , p. 21-25 (lire en ligne Accès limité [PDF])
  8. Pierre Hébert, Kenneth Landry et Yves Lever, Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma, Fides, (ISBN 2-7621-2636-3 et 978-2-7621-2636-5, OCLC 63468049, lire en ligne), p. 664
  9. a b et c Marcel Lajeunesse, « Le Bulletin de l’Association canadienne des bibliothécaires de langue française (ACBLF) (1955-1972) et la bibliothéconomie québécoise », Documentation et bibliothèques, vol. 64, no 3,‎ , p. 5–12 (ISSN 0315-2340 et 2291-8949, DOI 10.7202/1061708ar, lire en ligne, consulté le )
  10. Théophile Bertrand, « Dixième anniversaire de fondation de l’École de bibliothécaires. », Lectures,‎ , p. 217
  11. Sophie Montreuil (dir.), Isabelle Crevier (dir.), Pierre Hébert et Marcel Lajeunesse, , Saint-Nicolas, Presses de l'Université Laval et Bibliothèque nationale du Québec, 2005, 182 p. (ISBN 2-7637-8223-X), « Censure et bibliothèques au Québec », op cit., p. 104
  12. Léger, Paul-Émile, « Allocution de Son Excellence Monseigneur Paul-Émile-Léger », dans Association canadienne des bibliothécaires de langue française, Rapport des travaux du septième congrès annuel tenu à Montréal, les 6, 7 et 8 octobre 1951, Montréal, A.C.B.F, 1951, p. 2-4.
  13. Gagnon, Édouard, « Conscience professionnelle », dans Association canadiennes des bibliothécaires de langue française, Rapport des travaux du septième congrès annuel tenu à Montréal, les 6, 7 et 8 octobre 1951, Montréal, A.C.B.F., 1951, p. 36.
  14. Chartier, Émile, « Un devoir moral et social », Lectures, vol 9, № 5, janvier 1953, p. 195.
  15. Sophie Montreuil (dir.), Isabelle Crevier (dir.), Pierre Hébert et Marcel Lajeunesse, , Saint-Nicolas, Presses de l'Université Laval et Bibliothèque nationale du Québec, 2005, 182 p. (ISBN 2-7637-8223-X), « Censure et bibliothèques au Québec », op cit., p. 106
  16. Georges Cartier, « Un droit censuré à l'information », Argus, vol. 4, no 5,‎ , p. 95-97 (lire en ligne Accès libre [PDF])
  17. Fédération canadienne des associations de bibliothèques, « Enquête sur les contestations sur la liberté intellectuelle de la FCAB-CFLA : Rapport de 2021 » Accès libre [PDF], (consulté le )