Utilisateur:Philobule/Brouillon/Projet 6

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[PROJET PALETTE SIMONE WEIL]


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Créer de nouveaux articles sur les notions spécifiques de la philosophie de Weil. — Attention (philosophie) : Descartes, Simone Weil. — Philosophie du travail. — Action (Simone Weil) : article distinct de celui déjà existant « Action (philosophie) », renvoi à l'article spécifique à Weil.

Notions de force et de justice.

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Mouvements[modifier | modifier le code]




Multiples talents


— Georgina : « Tu crains ça, toi, la maladie de la vache folle ? » — Bertha : « Bien sûr que non, puisque je suis un lapin. » — Camélia, pour elle-même : « Comme c'est étrange, des vaches qui parlent ! »




[PROJET WIKIVERSITÉ - Leçons sur le Discours de la méthode de Descartes]

Raison et vérité[modifier | modifier le code]

La conception cartésienne de la philosophie[modifier | modifier le code]

Avant de plonger dans l'étude du Discours de la méthode, un détour par la « Lettre-préface » des Principes de la philosophie permet de comprendre, au préalable, la conception cartésienne de la philosophie. Il faut toutefois garder à l'esprit que dix ans séparent la « Lettre-préface », publiée en 1647 à l'occasion de la traduction française des Principes, de la publication du Discours de la méthode ; Descartes s'est imposé entre-temps comme une figure qu'on ne peut plus ignorer. Dans la « Lettre-préface », il jette un regard rétrospectif sur son parcours philosophique, tout en se projetant dans l'avenir. Les Principes ont en effet été écrits avec une double intention : d'abord, proposer « une somme de philosophie » (« Lettre à Huygens », 31 janvier 1642, AT, t. III, p. 523 ; « Lettre à Mersenne », 22 décembre 1641, AT, t. III, p. 465), autrement dit un exposé complet de sa philosophie ; ensuite, diffuser le cartésianisme dans les institutions d'enseignement, en fournissant un « manuel » ou un « cours de philosophie » (« Lettre à Mersenne », 11 novembre 1640, AT, t. III, p. 233) visant à remplacer ceux qui y sont utilisés.

Certes, il portait déjà un coup d'œil au passé en 1637 dans le Discours, puisqu'il y parle, sur le mode de l'autobiographie, de ses années d'études et d'apprentissage, mais il n'offrait alors qu'un aperçu, une vision sommaire de sa philosophie, et non une somme, et cela à un moment où sa réputation n'était pas encore assurée. Quoi qu'il en soit, la vision que Descartes se fait de la philosophie est essentiellement la même dans le Discours et les Principes, comme le confirme l'image de l'arbre par laquelle il représente les domaines de la philosophie, assignant à chacun sa place spécifique : « toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j'entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse » (AT, t. IX, p. 14). Ainsi, ce qui a changé, c'est qu'il a désormais une idée claire et précise des parties de la philosophie et de la façon dont elles s'organisent entre elles ; les domaines, quant à eux, restent les mêmes. Dans le Discours, il traitait en effet de ces mêmes domaines, dans un ordre linéaire, non encore hiérarchisé : les sciences en général dans la première partie, la méthode dans la seconde, la morale dans la troisième, la métaphysique dans la quatrième, la physique, la médecine et la mécanique dans la cinquième, enfin les applications techniques de la science dans la sixième.

Descartes, souhaitant « expliquer ce que c'est que la philosophie », affirme « que ce mot philosophie signifie l'étude de la sagesse ». Or, il ajoute que « par la sagesse on n'entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l'homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé, et l'invention de tous les arts » (« Lettre-préface » des Principes de la philosophie, AT, t. IX, p. 2). L'homme qui posséderait la totalité de savoir, y compris technique, serait parfaitement sage — si une telle chose était possible ! Or, Descartes reconnaît en toute humilité qu'« il n'y a véritablement que Dieu seul qui soit parfaitement sage, c'est-à-dire qui ait l'entière connaissance de la vérité de toute chose, mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison de ce qu'ils ont plus ou moins de connaissance des vérités les plus importantes » (« Lettre-préface », AT, t. IX, p. 3). Ainsi, bien avant Hegel, Descartes vise une connaissance totale ; mais, contrairement à la dialectique hégélienne, la méthode cartésienne ne confine pas à un savoir abstrait ou théorique ; cette connaissance, essentiellement pratique tout en s'appuyant sur les sciences, rassemblerait tout ce qui peut être utile à tous les aspects de la vie humaine.


Ce qui est fondamental ici pour Descartes, comme ce le sera pour la Modernité en général — le principe essentiel de la modernité étant la liberté, en tant que faculté de s'autodéterminer, autrement dit l'autonomie —, c'est ce que nous pouvons savoir par nous-mêmes en tant qu'êtres humains, en nous servant de notre raison, et non pas ce que l'Église enseigne ou demande de croire.

(toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches les sciences). Il croit fermement dans les capacités de la raison humaine. Il espère pouvoir utiliser la nature grâce aux applications techniques de la science; plutôt que de se soumettre à ses lois, comme les philosophes anciens pensaient devoir le faire, il veut percer ses mécanismes afin de les mettre au service de l'homme. Nous sommes encore aujourd'hui profondément cartésiens lorsque nous tentons de maîtriser les forces de la nature et de nous en servir, lorsque nous inventons toutes sortes de technologies dans l'intention de nous faciliter la vie (alors que ce n'est pas toujours le cas).

L'universalité de la raison[modifier | modifier le code]

L'égalité des esprits quant à la possibilité d'user d'une méthode ou démarche rigoureuse

L'idée d'une méthode[modifier | modifier le code]

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Descartes et la tradition[modifier | modifier le code]

Pendant les longs siècles que dura le Moyen Âge, les théologiens et les philosophes s'appuyèrent sur l'œuvre d'Aristote, interprétée à la lumière de la religion chrétienne, dont les dogmes avaient été formalisés par Paul de Tarse, un romain converti au christianisme, et les Pères de l'Église, des penseurs qui défendaient et prolongeaient la vision paulinienne d'un christianisme érigé sur des principes imposés comme des certitudes et désormais tenus pour indiscutables. Il était alors impossible de penser en dehors de cette tradition, appelée la « scolastique » (du latin schola, « école », issu lui-même du grec ancien σχολή / skolê, « repos, temps libre, loisir consacré à l'étude »). La principale caractéristique d'un courant de pensée dogmatique comme la scolastique est d'être entièrement fondé sur la tradition, c'est-à-dire sur la transmission des dogmes, considérés comme des connaissances absolues, à travers les siècles.

L'originalité de Descartes est d'avoir substitué à l'autorité de la tradition, particulièrement imposante à son époque, celle de la raison; l'enseignement reçu au Collège de La Flèche, qui s'appuie encore sur la scolastique, prouve la persistance de cette dernière, et cela bien que l'héritage de la philosophie d'Aristote avait déjà commencé à s'affaiblir à la Renaissance, au profit de celle de Platon. On peut parler non seulement d'originalité, mais de radicalité, et même d'« un projet révolutionnaire ». Il entreprend de rejeter tout ce qui ne saura résister à un examen scrupuleux en mettant en œuvre la méthode du doute radical et universel. Cette méthode inédite comprend plusieurs étapes de façon à ce que rien ne puisse lui échapper, même les certitudes dont on pourrait être absolument convaincu. Descartes veut remédier à l'incertitude de tout savoir qui n'a pas été examiné à fond afin d'« établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » (Méditations, GF 2009, p. 79). Or cela n'est possible que s'il parvient à trouver un fondement indubitable à la connaissance. La nécessité de repartir à zéro se justifie par le fait que toute personne, dès son enfance, est contrainte de croire à ce qu'elle a appris avant d'être capable d'en éprouver par elle-même la vérité, puisqu'elle n'a pas encore formé son jugement. Son esprit se trouve ainsi rempli d'une foule de préjugés et d'erreurs, faute de savoir faire usage de sa raison. Il est donc nécessaire de se débarrasser, au moment opportun, de ses opinions, afin de découvrir la vérité par soi-même. C'est pourquoi, constate Descartes, il faut « commencer tout de nouveau dès les fondements » (p. 79).

Pour mettre au jour la vérité, il convient d'abord de trouver un moyen de se délivrer de tout ce qui empêcherait de la discerner : les opinions confortées par l'habitude, les valeurs transmises par l'éducation qu'on a reçue, les croyances véhiculées par la tradition et que l'on a acceptées sans s'interroger. Ce moyen, c'est le doute. La méthode du doute à l'aide de laquelle nos idées seront mises à l'épreuve a une double fonction : nous débarrasser de ce sur quoi nous n'avons pas réfléchi et nous mettre en face de l'indubitable (ce dont il sera impossible de douter). Le doute cartésien n'est donc pas un doute sceptique : il n'est pas une hésitation ou une incertitude, mais ce qui nous en délivre. Le doute sceptique consiste à rejeter une idée comme incertaine en maintenant le doute à son égard. À la différence de celui-ci, le doute méthodique de Descartes ne vise pas à suspendre à jamais le jugement et à rester dans le doute, il ne voit dans cette suspension qu'un moment, un geste provisoire tendu vers la certitude absolue : il s'agit de douter momentanément de tout, une fois pour toutes, afin d'abolir définitivement ce qui est douteux et ne plus avoir à douter. Il est libre et volontaire, alors que le scepticisme naît le plus souvent de lui-même, indépendamment de la volonté de celui qui doute.

En fait, ce que Descartes veut par-dessus tout, c'est la certitude, c'est-à-dire une connaissance qui soit véritablement fondée. Pour fonder la connaissance, il est persuadé qu'il faut commencer par rejeter la tradition. Là encore, il s'agit d'une attitude toute contraire à celle des Anciens, qui ne croient pas que les vérités de la science soient nécessairement très utiles à la vie, ni que la fidélité aux traditions soit une attitude condamnable, signe de soumission ou d'absence de réflexion.

Mais qu'est-ce que la tradition ? La tradition, c'est la transmission historique des connaissances, la passation des connaissances d'une personne ou d'une génération à une autre, à partir de l'instruction, à travers le temps. (On peut penser au fameux portrait de Descartes foulant au pied les livres d'Aristote.) Pourquoi cette rupture avec la tradition ? N'y a-t-il pas du vrai dans ce que disent les savants ? Ce que Descartes reproche à la tradition, ce n'est pas qu'elle soit nécessairement fausse, mais le fait même qu'elle soit reçue. Recevoir la tradition, c'est l'intégrer sans avoir à réfléchir à ce qu'on reçoit. Les mêmes connaissances se sont transmises durant tout le Moyen-Âge et ont été acceptées telles quelles — en grande partie parce qu'elles étaient fondées sur des vérités révélées, sur des dogmes religieux que l'on croyait impossibles à remettre en cause. Un savoir s'est donc constitué à travers les âges, par accumulation, au gré du hasard, sans ordre (que l'on pense aux Essais de Montaigne, précisément écrits de cette façon). Or, selon Descartes il n'y a pas de connaissance certaine possible à partir du hasard et du désordre; surtout, il n'y a pas de connaissance certaine possible en l'absence de réflexion. Comment être certain de ce que l'on sait si l'on n'y réfléchit pas, si on ne l'examine pas, méthodiquement, et jusqu'en ses fondements ? Descartes introduit cette nécessité d'examiner ce qui est reçu, et ce à l'aide d'une méthode. Descartes rejette donc la tradition parce qu'elle est dépourvue de réflexion; plus que le contenu particulier des opinions reçues, c'est le fait même qu'elles soient reçues, sans réflexion, qui lui paraît les invalider. La philosophie de Descartes naît donc d'une rupture, non avec telle ou telle tradition, mais avec la tradition en tant que telle. (Cette opposition à la tradition est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Descartes écrit le Discours de la méthode en français, langue populaire, plutôt qu'en latin, langue traditionnellement utilisée pour la transmission du savoir.)

Nul sophisme ici : il ne s'agit pas d'un appel à la nouveauté ; ce n'est pas un combat au nom de la modernité, simplement pour avoir l'air nouveau ou moderne, mais , car la nouveauté se définit toujours par rapport au passé et, donc, à la tradition. C'est un combat pour la vérité, qui est toujours « plus ancienne que toute tradition » (Pimbé, p. 11). De ce point de vue, on pourrait dire que le Discours montre ce que signifie parvenir à la maturité intellectuelle. Enfant, on reçoit sans réfléchir ce que disent les parents. Mais vient un temps où l'on doit acquérir son indépendance. Le Discours est l'ouvrage offensif, critique, d'un jeune esprit conscient de ses capacités et sûr de sa force, impertinent, hautain par moments, qui s'est révolté un jour pour dire sans haine mais implacablement qu'il rejetait ses maîtres et le savoir qu'ils lui avaient transmis, et pour imposer son désir de tout recommencer à zéro par lui-même. Descartes avait été déçu de l'enseignement donné au collège jésuite de La Flèche précisément parce que, comme Montaigne avant lui au collège de Guyenne, il a eu le sentiment pendant ses études qu'au lieu de pouvoir réfléchir par lui-même, il devait répéter ce qu'on lui enseignait. Dans le Discours de la méthode, Descartes invite ses lecteurs à le suivre, non pour qu'ils assimilent et répètent un savoir acquis sans réflexion, mais pour qu'ils fassent par eux-mêmes l'expérience de la pensée, et pour les pousser à avoir l'audace de penser par eux-mêmes. C'est à cette indépendance, ou plus exactement cette autonomie, que Descartes les convie. Et c'est cette science certaine qui fait fi de toute tradition que Descartes expose dans le Discours de la méthode.

L'autorité de la raison et la méthode[modifier | modifier le code]

Qu'est-ce donc qui pourra garantir ainsi la certitude de la connaissance ? C'est la raison, et plus justement le bon usage de la raison, « car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien » (AT, t. VI, p. 2), ainsi que le précise Descartes. Descartes formule ainsi le sens de son projet philosophique dans la deuxième partie du Discours de la méthode : « pour toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d'entreprendre, une bonne fois, de les en ôter, afin d'y en remettre par après, ou d'autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison » (p. 43-44).

Il s'agit désormais d'« ajuster les opinions au niveau de la raison » : la raison, présente en chacun, doit être la nouvelle autorité en matière de vérité. Plus question de se soumettre à l'autorité d'Aristote, ou des autres philosophes de l'Antiquité, du Moyen-Âge ou de la Renaissance, ou de la Bible. L'autorité en matière de connaissance est maintenant intériorisée, elle en chaque être humain; il n'est plus question de s'en remettre à quiconque. De là vient l'autonomie de l'être humain : c'est ce que Kant appelle, dans le court texte Qu'est-ce que les Lumières ?, la sortie de l'homme de l'état de tutelle ou de minorité dont il est lui-même responsable. Lorsqu'un homme manque de résolution, de courage, explique Kant en reprenant le geste philosophique de Descartes, il se laisse diriger par autrui au lieu de se servir de sa propre raison. Descartes voit dans la raison la capacité de juger par soi-même; la raison sera donc juge d'elle-même, celle qui évalue son pouvoir et ses limites, et celle qui est évaluée. La raison est pour Descartes la faculté de juger; elle est la pensée en tant qu'elle se prononce sur tout objet qui se présente. En matière de connaissance, elle est la puissance non seulement de juger, mais de bien juger : de distinguer le vrai du faux, de discerner la vérité de la fausseté d'un savoir. Le pouvoir de déterminer ce qu'est une connaissance vraie, Descartes l'accorde à la raison, présente en chacun. L'homme se définit par la raison.

La méthode et les mathématiques[modifier | modifier le code]

Ce pouvoir de juger qui réside en la raison, pouvoir que nous possédons tous, doit être mobilisé. Mais encore faut-il s'assurer que ce pouvoir soit bien utilisé. C'est une chose de posséder un pouvoir; c'en est une autre de bien l'utiliser. Il faudra, pour assurer sa juste utilisation, nous munir d'une méthode; c'est là l'objectif central du Discours. Mais d'où Descartes va-t-il la tirer, puisqu'il rejette toute la tradition ? Sa méthode, il va la tirer de la seule science qui lui ait apporté satisfaction pendant ses études, la seule qui à son avis soit certaine : les mathématiques. La méthode cartésienne prend modèle sur les mathématiques (mais pas les mathématiques en tant que nombres et calculs). Pour dégager une méthode des mathématiques, il faut faire abstraction des objets mathématiques eux-mêmes (nombres, figures…). On obtient alors l'ordre (l'organisation des pensées) et la mesure (l'attribution d'un nombre, d'une quantité). La méthode s'inspirera de ces caractéristiques propres aux mathématiques. Apparaîtra ensuite une mathématique universelle, qui consiste en l'étude des « divers rapports ou proportions » qui peuvent se trouver entre des objets quelconques. Une fois découverts ces rapports, on peut déduire de ces objets d'autres objets, et ainsi encore, dans des séries, dans ce que Descartes appelle des chaînes de raisons. Ainsi, on peut parvenir, partant des objets connus, à ceux qui ne le sont pas encore, aussi éloignés soient-ils. Il n'y a rien de difficile dans une telle connaissance, il n'y a que du simple et du complexe, et tout ce qu'il faut, c'est le temps nécessaire pour atteindre le complexe à partir du simple et le respect de la méthode. Descartes ne conçoit pas de limite à la connaissance ainsi comprise, en dehors des limitations de notre esprit lui-même.

Doute et cogito[modifier | modifier le code]

Descartes reconnaît à la raison l'autorité en matière de connaissance, moyennant une méthode. Mais pour garantir la certitude de la connaissance, la certitude absolue, cela ne suffit pas. Que manque-t-il alors ? Voici : la garantie qu'on a bien raison d'accorder toute cette autorité à la raison. Qu'est-ce qui autorise Descartes à accorder à la raison un tel pouvoir ? Peut-être Descartes se méprend-il en attribuant à notre capacité de juger un quelconque pouvoir en matière de vérité et de fausseté. Qu'est-ce qui me garantit qu'en utilisant ma raison, je ne suis pas dans l'erreur alors que je crois être dans la vérité ? Pour être rigoureux, pour être absolument certain de la véracité de nos connaissances, il faut encore trouver un fondement à l'autorité de la raison. Et ce travail ne peut être fait que par la plus haute de nos facultés : la raison elle-même. La raison elle-même devra s'interroger sur ce qui l'investit d'une telle autorité en matière de connaissance. Comment cette tâche singulière s'accomplira-t-elle ? C'est ce qui est décrit dans la quatrième partie du Discours de la méthode, où Descartes expose le fondement suprême de sa méthode et donc de toute science, fondement qu'il avait aperçu en songe. Il expose sa métaphysique, c'est-à-dire la connaissance de ce qui est immatériel, purement pensé, et qui fonde toute autre connaissance. Pour Descartes, ces objets immatériels sont Dieu, notre âme et nos idées. Dans l'examen d'elle-même, la raison quitte le domaine des sens et plonge en elle-même, dans le domaine de l'immatériel. Cette démarche aura des retombées absolument décisives pour l'être humain et son rapport à la nature.

Étudions maintenant l'extrait du Discours où Descartes expose sa métaphysique (texte 5 du recueil : « la première certitude »). Ces développements sont denses; Descartes expose le fruit de ses recherches de façon extrêmement ramassée. Nous allons prendre le temps de bien les déployer pour qu'ils soient bien compris, parfois en faisant référence à un autre de ses ouvrages centraux : les Méditations métaphysiques. Ce que veut Descartes : que nous fassions chacun pour soi l'expérience qu'il est sur le point d'exposer. Faute de quoi nous ne serons pas convaincu de la première certitude qu'il a découverte, nous ne la comprendrons pas. Descartes commence par exprimer une hésitation : « Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j'y ai faites; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu'elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde » (p. 11, par. 1, lignes 1-2). Descartes vient d'exposer sa méthode pour la constitution d'une science certaine. À l'époque où il vit, les sciences prennent leur essor, et la méthode a des chances raisonnables de trouver des gens qui y soient intéressés. Mais il en va autrement pour le fondement de cette méthode. Les réflexions solitaires et exigeantes qui y ont mené et que Descartes est sur le point d'exposer sont si « métaphysiques » qu'elles ne plairont peut-être pas à tout le monde. « Métaphysique », adjectif, prend un sens moins spécifique que quand on parle de « la métaphysique ». Le terme signifie ici simplement : « abstrait ». Il ne faut pas oublier que le Discours de la méthode s'adresse à un large public, et pas seulement à une communauté de savants. C'est d'ailleurs une autre des raisons pour lesquelles Descartes choisit de publier en français, langue populaire, plutôt qu'en latin. Ces bonnes gens du peuple ne sont peut être pas intéressées à se creuser les méninges pour comprendre les propos abstraits de Descartes. Mais celui-ci est bien obligé d'en parler, puisqu'il y a là les fondements même de sa fameuse méthode. Et pourtant, Descartes considère que les questions qu'il est sur le point d'examiner, il faut se les avoir posées au moins une fois dans sa vie. Dieu existe-t-il ? Que suis-je, moi qui cherche la vérité ? Comment reconnaître la vérité d'une proposition (d'une pensée) ? Ne sont-ce pas là, en effet, des questions tout à fait fondamentales ? Pourtant, il ne s'agit pas de questions existentielles comme chez Montaigne et les Anciens : Quel est le sens de la vie ? Comment doit-on vivre ? Doit-on craindre la mort ? Les questions que pose Descartes sont métaphysiques : elles portent sur des objets de l'esprit (objets métaphysiques, donc abstraits, immatériels) tels que Dieu, l'âme, la liberté, la vérité.

Descartes commence à exposer sa démarche en faisant remarquer que lorsqu'on agit, nous sommes plus souvent qu'autrement contraints de suivre des règles, même si celles-ci nous semblent fort incertaines. Lorsque je dois résoudre un dilemme moral ou existentiel (par exemple faire un choix de carrière), je ne suis peut-être pas certain de faire exactement ce qui convient, mais je dois quand même agir. Quand on recherche la vérité cependant, quand on se retire de l'action et qu'on se met à réfléchir, il en va tout autrement : on n'a pas à accepter la moindre opinion qui semble incertaine.

Descartes se mettra donc à douter de tout ce qui est le moindrement incertain. La démarche du doute prend ici un sens bien précis, qu'il faut éclaircir avant d'aller plus loin. Le doute cartésien est 1) méthodique, 2) provisoire (et donc non sceptique) et 3) hyperbolique. 1) Quand on dit qu'on doute, familièrement, on veut dire qu'on hésite. « Je doute de l'honnêteté de cette personne » signifie : « Je ne suis pas certaine que cette personne soit bien honnête ». Le doute cartésien n'a pas ce sens que nous prêtons familièrement au mot, il n'exprime pas une hésitation; au contraire, il est ce qui nous permet de sortir de l'incertitude. Il est le moyen que se donne Descartes pour trouver la certitude. Une fois que j'aurai mis en doute tout ce dont je peux douter, que restera-t-il ? « Je pensai qu'il fallait [...] que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fut entièrement indubitable » (p. 11, par 1, lignes 7-9). Le doute est élevé en méthode par Descartes, une méthode qui justement permet de sortir de l'hésitation. On parlera d'un doute méthodique, parce qu'il est un moyen systématique, rigoureux, pour atteindre la certitude. 2) Parce qu'il est un moyen pour atteindre la certitude, le doute sera donc provisoire : il ne sera utilisé que jusqu'à ce qu'il s'abolisse lui-même, devant la certitude une fois trouvée. Le doute cartésien, étant méthodique et provisoire, se distingue en cela du doute sceptique. Un sceptique, c'est quelqu'un qui suspend son jugement, qui s'abstient de se prononcer sur quoi que ce soit parce qu'il n'est sûr de rien, parce qu'il doute de tout. Le doute sceptique est ainsi la suspension du jugement. Avec le doute sceptique, tout demeure incertain. Le jugement est pour ainsi dire suspendu dans le vide, ou s'il s'exerce (cela est immanquable), il considère que tout ce qu'il avance est incertain. Montaigne peut être considéré comme un sceptique : il avait fait graver un médaillon avec sa devise : « Que sais-je ? », qui résume bien le scepticisme philosophique, cette attitude de remise en question de toute certitude ou de tout prétendu savoir. Mais le doute cartésien n'a pas pour effet de tout faire sombrer dans une incertitude définitive. Bien au contraire : il vise à nous délivrer de l'incertitude. Il s'agit de douter une fois pour toutes, afin de ne plus jamais avoir à douter par la suite. 3) S'il n'est pas sceptique, pour être efficace, il devra cependant être hyperbolique, volontairement exagéré. Descartes rejettera tout ce qui lui donne la moindre raison de douter, sans distinguer les opinions qui, sans être entièrement indubitables, ne semblent pourtant pas être fausses, et les opinions manifestement fausses. Ce qui paraîtra seulement douteux sera considéré comme faux. En plus, le moindre doute sur un énoncé l'amène à rejeter tous les éléments du domaine du savoir auquel cet énoncé appartient.

La démarche du doute cartésien est une entreprise périlleuse, en tout cas pour ceux qui voudront bien s'impliquer sérieusement dans le cheminement de Descartes (ceux qui n'en feront pas l'effort ne risquent rien, cela est certain). Sur l'exercice du doute, Descartes émet un avertissement qu'il ne faut pas passer sous silence. Le doute tel qu'il est poussé à l'extrême au moment fondateur de la philosophie (ici, au début de la 4e partie du Discours) est une opération délicate, voire dangereuse; ce n'est pas un exercice pour les esprits faibles ou paresseux. Descartes donne deux exemples de personnes à qui le doute n'est pas destiné : ceux qui font preuve de précipitation, qui jugent trop vite, qui n'auront donc pas la patience de laisser le doute porter ses fruits, et accepteront en conséquence à nouveau des conclusions erronées ou seulement probables. Ce n'est pas encore bien dangereux; seulement, ces esprits n'auront pas progressé d'un poil, en dépit de tout le travail. Il y a ensuite les esprits fragiles peu habitués à la spéculation, qui risquent, ceux-là, de ne pas trouver de point d'ancrage solide, de ne pas arriver à trouver la certitude absolue à laquelle veut nous conduire Descartes, et de continuer à douter, sans pouvoir s'orienter dans le monde. Il est très difficile de vivre dans de telles conditions.

Descartes, donc, rejettera tout ce qui lui donne la moindre raison de douter, sans distinguer les opinions qui, sans être entièrement indubitables, ne semblent pourtant pas être fausses, et les opinions manifestement fausses. Mais quelle entreprise cela aurait été si Descartes avait décidé d'examiner une à une toutes ses opinions pour déterminer celles qui sont incertaines : le Discours de la méthode compterait certainement suffisamment de tomes pour remplir une bonne partie des rayons de la bibliothèque du Collège. Non; Descartes ne procède pas à l'examen impossible du contenu de ses opinions. Il va plutôt examiner d'où il les tient, par quelle faculté il les a acquises, et si la confiance qu'il accordait à cette instance est justifiée. Il va examiner le principe, l'origine de ses opinions. La moindre raison de douter lui fera alors répudier la confiance qu'il accordait à cette instance, et avec elle, toutes les opinions qu'elle lui a permis d'accumuler. Car quand on ruine le fondement, il n'est pas nécessaire de démolir pierre par pierre l'édifice : il s'écroule tout d'un coup.

Les illusions des sens (1re raison de douter)[modifier | modifier le code]

« Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer » (p. 11, par 1, lignes 10-11). Voici le premier des principes qui ont fondé jusqu'alors les opinions de Descartes : le témoignage des sens (ce qu'on peut apprendre par les sens). Quand on est engagé dans une réflexion qui vise à trouver la certitude, on est naturellement porté à remettre en question tout ce que nous apprennent nos sens. Pourquoi ? Parce que les sens, externes ou internes, nous donnent parfois des informations erronées ou contradictoires : que le soleil mesure quelques centimètres, que l'eau du bain est brûlante quand je rentre d'une journée de ski, que tous les chats sont gris parce que je les vois tels la nuit, que ma jambe me fait mal alors qu'elle vient de m'être amputée, que j'ai des fourmis dans les doigts… La tromperie des sens est bien évidente, et tout de même assez fréquente. Toutes les opinions que Descartes tient de ses sens sont donc rejetées d'un seul coup, parce que, recherchant la certitude absolue, il ne peut se fier à ce qui l'a déjà trompé, ne serait-ce qu'une seule fois. Le doute méthodique s'applique d'abord au témoignage des sens sur la nature des objets. Descartes rejette la prétention des sens à nous révéler la nature des objets qu'ils nous font percevoir, comment sont ces objets, leurs caractéristiques. Le fondement de la certitude absolue ne réside pas dans ce que nous apprennent nos sens. Par le doute sur le témoignage des sens, l'esprit est détourné du monde matériel, perçu par les sens. Ce faisant, nous sommes libérés des préjugés de notre enfance, une époque où notre âme, absorbée par nos besoins biologiques, juge que les choses sont en elles-mêmes telles que les perceptions de nos sens nous les représentent.

Les erreurs de la raison (2e raison de douter)[modifier | modifier le code]

Si nos sens nous trompent, et qu'on ne peut s'y fier pour nous instruire sur la nature des objets, la raison, elle, n'est-elle pas propre à nous livrer une connaissance certaine, et particulièrement en mathématiques ? Si je réfléchis et que je considère, en utilisant ma raison, que le soleil est éloigné de la terre et que c'est pour cela qu'il m'apparaît mesurer quelques centimètres, n'aurai-je pas là une connaissance certaine ? Cette connaissance : le soleil mesure bien plus que quelques centimètres, n'est-elle pas certaine ? Et ne puis-je donc me référer à ma raison pour trouver la certitude ? La connaissance donnée en exemple est bel et bien certaine, mais il y a d'autres occasions en lesquelles les gens se servent de leur raison et lors desquelles ils font des erreurs, des paralogismes, dit Descartes, et cela, même en mathématiques, la plus certaine de toutes les sciences, de l'avis de Descartes (ex. de raisonnement erroné : la science n'a jamais prouvé l'existence de l'âme; donc, l'âme n'existe pas). Descartes remarque que l'on se trompe parfois dans nos raisonnements, dans l'usage que l'on fait de notre raison. Ce « parfois » lui suffit pour l'amener à rejeter en bloc toutes les connaissances qu'il pourrait atteindre par la raison. Donc, en vertu du doute qui est hyperbolique, exagéré, toutes les connaissances rationnelles, et pas seulement quelques unes, sont rejetées : « parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstration » (p. 11, par 1, lignes 11-14).

La possibilité du rêve (3e raison de douter)[modifier | modifier le code]

Les témoignages des sens ont été rejetés, parce qu'ils sont incapables de nous révéler comment sont les objets et ce qu'ils sont. Ensuite, les connaissances rationnelles, comprenant les mathématiques, ont été rejetées aussi parce qu'elle sont incertaines. Que reste-t-il alors ? Ma croyance qu'il existe des objets; qu'il y a bien un monde et des choses en ce monde. Je peux bien douter que les objets sont effectivement tels que je les perçois, mais c'est une autre chose de douter que ces objets existent réellement. Je peux bien douter de la perception que me donnent mes sens de mon corps (certaines personnes se trouvent plus laides ou plus belles qu'elles ne le sont, d'autres plus grosses ou plus maigres, ou plus musclées), mais puis-je vraiment douter que ce nez que je vois comme étant trop grand existe bel et bien ? C'est une chose de douter de nos perceptions, c'en est une autre de douter qu'elles sont produites par quelque chose, qui existe... Cette affirmation : il existe des objets, n'est-elle pas vraie, n'est-elle pas certaine ? Mais il nous arrive de rêver, et de nous représenter en rêve les mêmes choses que nous percevons par nos sens. Descartes radicalise le doute : il est légitime de douter même de l'existence des choses que nous percevons, indépendamment de la façon dont nous les percevons, parce qu'il nous arrive de rêver à ces mêmes choses, et que ces choses que l'on perçoit en rêve ne sont pas réelles : « considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes » (p. 12, par. 1, lignes 1-3).

Mais quoi : je fais pourtant bien la différence entre les moments où je suis endormi et ceux où je suis éveillé ! Je sais qu'en ce moment, je ne suis pas en train de rêver que je suis en train d'enseigner, mais que je le fais en effet. Mais qu'est-ce qui me permet, en fait, de savoir que je dors ou que je suis éveillé ? Sur quoi se fonde cette différence, que je crois faire aisément entre le sommeil et la veille ? Sur le fait que ce que je perçois quand je suis éveillé est plus clair ? Mais pourtant, si j'y pense sérieusement, je m'aperçois qu'il m'est déjà arrivé de percevoir en songe des choses de façon aussi claire que lorsque je suis éveillé. Il m'arrive de faire des rêves lucides, absolument réalistes. À quel titre puis-je affirmer avec une absolue certitude que je ne dors pas, en ce moment même ? Je dois douter du fait que je sois effectivement éveillée, et donc douter même de l'existence des choses perçues…

Tout s'écroule autour de nous : le monde entier, les perceptions qu'on en a, de même que son existence. Même l'usage que l'on pourrait faire de notre raison pour nous orienter dans cette démarche est source de méfiance. Que faire ? Vers quoi nous tourner ? Maintenant que toutes nos opinions ont été mises en doute, que reste-t-il ? Où est cette certitude que Descartes espérait trouver par la mise en œuvre de son doute méthodique ?

Le cogito[modifier | modifier le code]

Descartes remarque alors : « Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose » (p. 12, par. 1, lignes 4-5). Pour douter comme on vient de le faire, il faut bien qu'il y ait quelqu'un ou quelque chose ! Il faut bien qu'il y ait une origine au doute, à cette pensée que tout est faux. Or pour penser, il faut être, exister. Je me rends compte que si je doute, ou en d'autres mots si je pense (car douter, c'est une forme de pensée), c'est bien que j'existe. Descartes prononce donc sa célèbre formule : « je pense, donc je suis ». On pourra bien douter de tout, de tout absolument, jamais on ne pourra douter que l'on est, tant que nous penserons. Cette pensée (le doute) est même ce qui vient prouver que je suis, car c'est grâce à elle que je suis ramené à mon existence, alors que je rejette par ailleurs tout le reste. On pourra bien faire des erreurs de raisonnement, jamais on ne pourra douter de la certitude absolue que représente l'énoncé « je pense donc je suis ».

Il ne s'agit pas d'un raisonnement, en dépit de sa forme. Il ne s'agit pas d'une déduction logique : Descartes aurait, en raisonnant, constaté que l'être est impliqué dans le fait de penser (pour penser, il faut être), et aurait donc déduit l'être de la pensée. Il ne s'agit pas d'un raisonnement, mais bien d'une intuition. Avez-vous besoin de raisonner pour réaliser que vous existez nécessairement quand vous pensez ? Je fais l'expérience de mon existence par le fait que je pense; mon existence m'apparaît, intuitivement, comme allant de pair avec ma pensée, et ce, nécessairement. Il s'agit donc d'une certitude qui échappe à toutes les raisons de douter, y compris celle qui met en cause l'usage de la raison elle-même. Il s'agit du principe premier que cherchait Descartes, celui qui servira de fondement à tout le reste : « remarquant que cette vérité : je pense donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais » (p. 12, par. 1, lignes 5-8).

Cette formule : « je pense, donc je suis » est le cogito, mot latin signifiant « je pense ». L'existence se concentre en un point unique : la pensée. À cette étape du Discours, il n'y a d'existence que pensée. Toute autre existence (d'objets, d'animaux, de corps) est rejetée comme étant douteuse. La réalité se referme sur un point minuscule : le sujet. Le sujet, c'est le « je » qui affirme penser. C'est ce simple point de référence, dépourvu de tout sauf de l'être, grâce à une pensée. (On peut faire ici une analogie avec la partie de la phrase que l'on appelle aussi « sujet ». Dans une phrase, le sujet est cette particule « dénudée », à laquelle il faut attribuer un adjectif, un verbe, un complément. Le sujet est ce qui manque de tout, sauf de l'être.)

Le cogito étant la première vérité que cherchait Descartes, celle-ci devant être le fondement de tout le reste, toute autre vérité découlera de celle-ci. Toute connaissance à laquelle on pourra arriver ensuite découlera du sujet, sera issue du sujet. Le sujet imposera ses règles à la connaissance. Le sujet, le moi, est la condition de toute expérience possible. Descartes a donc découvert que l'existence d'un sujet est indubitable. Maintenant, Descartes va se demander : quelle est la nature véritable du sujet ? Je sais que je suis, mais je ne sais pas encore ce que je suis. Que suis-je donc ? Voilà que va s'expliciter le noyau de la conception cartésienne de l'être humain.

Lorsque je fais l'expérience du cogito pour moi même, je me rends compte d'abord que je peux très bien douter avoir un corps, et même douter que le monde existe, mais je ne peux pas douter pour autant que j'existe, moi. Bien au contraire : plutôt que de rendre douteuse ma propre existence, douter comme je le fais ne fait que confirmer celle-ci — car, comme on l'a vu, douter, c'est penser, et pour penser, il faut être. Pas de pensée sans un être quelconque qui en soit à l'origine. Au contraire, comme mon être n'est prouvé que par ma pensée alors que tout le reste a sombré dans le doute, si je cessais de penser, je n'aurais plus aucune raison de croire que je sois. Conclusion : je ne suis pas un corps, même si je crois que ce corps fait partie de ce que je suis. Plutôt, je suis « une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser » (p. 12, par. 2, ligne 7). Une substance est « une chose qui existe en telle façon qu'elle n'a besoin que d'elle-même pour exister » (Principes de la philosophie, I, art. 51). Dans les Méditations métaphysiques, Descartes dira : je suis une chose qui pense. Moi qui pense, je ne dépends, pour être, d'aucune chose matérielle. Conséquence : l'âme (car c'est l'âme, ou l'esprit, qui pense; l'âme est un autre nom pour « substance pensante ») est entièrement distincte du corps — si seulement celui-ci existe, même si je crois bien qu'il existe; son existence est une opinion ici, et reste à être prouvée. (À cause de cette distinction de l'âme d'avec le corps, Descartes conçoit qu'il est très possible que l'âme survive après la mort, indépendamment du corps.) Quoi qu'il en soit, l'âme est certainement plus facile à connaître que le corps, puisque c'est l'évidence de l'existence de celle-ci qui m'apparaît en premier alors que tout a été mis en doute, y compris l'existence du corps. En outre, comme elle est le point de départ de toute autre connaissance, en tant que certitude première, la connaissance de l'âme est la condition de celle du corps. L'âme est donc plus aisée à connaître que le corps, c'est-à-dire plus directement connue : je m'atteins moi-même, ma propre existence, sans intermédiaire, par la pensée.

Pour Descartes, l'être humain n'est donc pas d'abord et avant tout un corps, comme le voudraient les thèses matérialistes dominant actuellement (la médecine occidentale actuelle). Selon celles-ci, l'être humain serait un arrangement de cellules, certaines cérébrales, qui nous permettent de penser — et de tomber dans l'illusion cartésienne que nous sommes essentiellement une soi-disant « âme ». Selon Descartes, il en va tout autrement. Parce que la pensée est une substance, parce qu'elle se tient en elle-même sans avoir besoin de quoi que ce soit d'autre pour exister, c'est donc qu'elle constitue l'âme de ce que nous sommes. Nous sommes, fondamentalement, pensée. L'être humain est une substance pensante, distincte de tout ce qui est matériel. Ce qui ne signifie pas que nous ne sommes que cela. On découvrira plus tard que nous sommes en fait l'union d'une substance pensante et d'un corps, que Descartes conçoit comme une machine. Mais la pensée gardera toujours la priorité sur le corps, puisque ce n'est que par celle-ci que la connaissance du corps pourra être atteinte. (D'ailleurs, la preuve de l'existence de la matière chez Descartes, d'une substance autre que pensante, est très problématique.) Je suis, sinon exclusivement, du moins principalement une substance pensante, une âme. (Dieu est pure substance pensante, l'homme est une union des substances pensante et étendue, c'est-à-dire âme et corps, alors que toute la nature, y compris les animaux, n'est que substance étendue ou matière.)

Voilà donc acquise la toute première certitude, propre à nous mener à d'autres connaissances certaines. Pour qu'elle puisse servir à atteindre d'autres connaissance, Descartes entreprend d'examiner ce qui fait d'elle, justement, une connaissance qui soit certaine. « Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine; car puisque je venais d'en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude » (p. 12, par. 3, lignes 1-3).

Qu'est-ce qui rend la proposition « je pense donc je suis » absolument certaine, indubitable ? C'est le fait qu'elle s'impose à moi. C'est le fait qu'il m'apparaît très clairement que pour penser, il faut être, et que si je pense, c'est donc que je suis. Il suffit pour moi d'être un instant attentif pour bien voir que si je pense, c'est que je suis. Cette vérité est donc d'une clarté exemplaire. En outre, cette idée ne se confond avec aucune autre; l'idée de la substance pensante a été atteinte alors que toutes les autres idées ont été mises hors-jeu par le doute. Cette idée est simple, distincte. Le cogito est vrai et certain parce que je le conçois clairement et distinctement. (Une idée est claire lorsqu'elle est présente à mon esprit et s'impose à lui quand je lui suis attentif; une idée est distincte lorsqu'elle est tellement précise et différente de toutes les autres que je peux la différencier de toutes celles qui se présentent en même temps qu'elle.) Voilà le critère de la vérité dont se servira Descartes pour évoluer vers d'autres connaissances (notamment la preuve de l'existence de Dieu) : la clarté et la distinction. Ainsi, « les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies » (p. 12, par. 3, lignes 1-3).

Alors que Descartes distingue rigoureusement l'âme du corps, et définit l'homme d'abord comme âme, ou chose pensante, Montaigne recommandait au contraire de ne pas les séparer, de les maintenir dans la jouissance de la vie, et de ne pas trop se préoccuper de science, mais de limiter l'usage de la raison à sa portée morale, à la conduite de la vie. Descartes se tournera au contraire vers la science et ses applications techniques.

L'existence de Dieu et du monde[modifier | modifier le code]

Descartes trouve d'abord le fondement de la méthode, ce sur quoi s'appuie « la science admirable » qu'il avait rêvé constituer : le cogito, lequel démontre du coup l'autorité de la raison. Il trouve ensuite la garantie de la certitude de la connaissance dans l'existence de Dieu, démontrée par l'idée claire et distincte de l'infini, la seule que je ne peux avoir inventée moi-même et qui m'oblige à conclure à l'existence de cet Être infini qui l'a mise en moi.

Dieu garantit en effet l'usage de la raison dans son domaine propre, celui de la science, et l'usage des sens, en ce qui concerne leur utilité pour la vie. Les idées conçues par la raison sont vraies et certaines lorsqu'elles sont claires et distinctes; celles de la perception ou de l'imagination, influencées par les sens, sont nécessairement obscures et confuses. Je n'ai donc pas à craindre que le monde ou mon propre corps ne soient que des inventions de mon esprit et n'existent pas, puisque Dieu, étant infiniment bon et parfait, a créé l'homme de telle sorte que ce dernier puisse connaître véritablement le monde et qu'il ne soit pas trompé lorsque ses sens lui indiquent la présence et la nature de ce qu'ils perçoivent.

Descartes et la révolution scientifique[modifier | modifier le code]

Descartes place ainsi l'être humain au centre de la connaissance. Ce n'est plus Dieu qui occupe le centre de l'univers, c'est l'homme en tant que sujet connaissant ; non que l'homme prenne la place du Créateur, mais Dieu devient un être tout à fait extérieur au monde matériel qu'Il a créé et où les êtres humains peuvent désormais s'estimer « comme maîtres et possesseurs de la nature ».

Cette conception nouvelle, au tournant de la Renaissance et de la Modernité, témoigne de changements profonds. Le lien instauré par Descartes et les scientifiques de cette époque (Copernic, Kepler, Galilée, Newton) avec la nature n'est plus le même que dans l'Antiquité et le Moyen Âge : la nature cesse d'être vue comme un univers mystérieux rempli de forces et de qualités occultes ; elle n'est plus directement donnée, elle n'apparaît plus simplement à l'être humain telle qu'elle est, elle est désormais étudiée et élucidée. Les forces ou les éléments que l'on découvre en elle s'expliquent par des causes matérielles ou physiques que la raison peut comprendre. La raison n'a plus le même usage non plus : elle sert à découvrir les lois de la nature plutôt qu'à contempler le monde (dans une recherche active plutôt qu'une attitude passive) ; elle cherche à trouver les causes mécaniques qui expliquent les phénomènes naturels, et par le fait même à formuler les lois physiques auxquelles ils obéissent. Ces lois n'ont plus rien à voir avec les « règles de la nature » selon Montaigne ou les Anciens, qui proposent plutôt de suivre la nature telle qu'elle est (et non de l'analyser et de la transformer) et de respecter les limites de la condition humaine.

Les lois de la nature (selon la science moderne)[modifier | modifier le code]

Les astronomes modernes remplacent le système géocentrique d'Aristote et Ptolémée par le système héliocentrique. De même, les diverses branches des mathématiques (calcul différentiel et intégral, géométrie analytique, algèbre linéaire et vectorielle) se développent, ainsi que la physique (lois du mouvement des planètes selon Kepler, loi de la chute des corps selon Galilée, lois d'attraction des corps et de gravitation des planètes selon Newton). La révolution scientifique réside dans la mathématisation du monde (les chiffres n'ont plus une signification mystique ou symbolique : 3 = trinité ; 4 = évangiles ; 7 = sphères célestes ; etc.). Galilée, par exemple, construit une expérience scientifique en faisant rouler des billes sur un plan incliné afin d'en mesurer l'accélération. Les lois de la nature se traduisent dans le langage des mathématiques : elles sont des principes universels exprimant sous forme d'équations mathématiques les relations entre des grandeurs physiques (voilà le projet cartésien d'une mathématique universelle, d'un calcul des proportions entre les objets). C'est ainsi que toute la science raisonne et fonctionne de nos jours : loi de Lavoisier sur la conservation de la matière, loi de Mariotte sur la variation de la densité des gaz en fonction de la pression, lois de Joule sur la quantité de chaleur dégagée par le courant électrique, lois d'Einstein sur la relativité de l'espace et du temps.

Descartes participe à cette transformation, à ces changements, en apportant sa contribution à la nouvelle physique quantitative et à sa conception mécaniste de la nature, dans laquelle la réalité est réduite à des objets connaissables. Cette nouvelle physique n'essaie pas de deviner ou d'imaginer pourquoi chaque chose est faite et comment elle est faite, mais vise à expliquer les phénomènes naturels en les rapportant à leurs causes mécaniques, les seules au fond qui peuvent être connues avec certitude. Descartes entreprend de construire cette toute nouvelle science physique. Il s'agit en effet d'une construction, et non de spéculations ou de conjectures, comme c'était le cas chez Aristote et dans la philosophie médiévale. Descartes est persuadé que la physique héritée d'Aristote n'est pas une science, parce qu'elle ne permet pas une connaissance certaine et assurée : elle prête aux choses des qualités (comme le chaud et le froid, le sec et l'humide, le lourd et le léger) qui ne relèvent pas des choses elles-mêmes mais plutôt d'une capacité de l'homme, soit celle qu'a le sujet humain de sentir ou de percevoir. Aristote attribue même aux choses une sorte d'intention : les objets « aspirent » au repos, « tendent » à tomber vers le bas, et plus rapidement selon leur lourdeur, etc. En somme, la physique d'Aristote (et donc de toute la philosophie du Moyen Âge, qui s'en inspire) spiritualise la réalité matérielle en confondant ce qui est subjectif et ce qui est objectif, alors que Descartes prend bien soin de séparer les deux en isolant le sujet humain connaissant dans l'expérience du cogito (comme substance pensante) et en distinguant clairement du sujet pensant la matière (la substance étendue). Ainsi la physique quantitative est fondée sur la méthode, sur l'ordre et la mesure, et donc sur des lois que la raison peut déduire et appliquer à des objets mesurables. Cette physique remplace désormais la physique qualitative d'Aristote, qui ne retenait des objets que leurs qualités sensibles, non leur essence quantifiable, calculable.

Enfin, il faut noter que la science moderne est une entreprise commune, un ouvrage collectif : un scientifique ne peut tout accomplir dans sa vie; les savants doivent se relayer pour faire progresser la science, qui est l'œuvre de toute la communauté scientifique (texte 7, dernières lignes).

Les animaux-machines[modifier | modifier le code]

La physique de Descartes, conformément à son fondement métaphysique, pousse à l'extrême cette tendance mécaniste, objectivante, de la science occidentale : tous les phénomènes doivent être explicables par des causes naturelles. Paradoxalement toutefois, la mesure et le calcul n'auront presque aucune place dans la science cartésienne, qui s'en tient à concevoir par quel mécanisme tel ou tel phénomène pourrait être produit. En ce sens, la machine est le modèle de la connaissance claire et distincte dans l'explication des mouvements des corps, qu'ils soient matériels ou vivants. Une machine est sans mystère : son mécanisme se laisse comprendre au savant qui en décompose les parties et les mouvements. Or Descartes soutient que tout est machine dans le monde matériel : toutes les fonctions animales s'expliquent de cette façon, le même mécanisme règne partout (exemple de l'expérience de Claude Bernard sur les lapins). La biologie, le monde du vivant, n'est qu'une partie de la physique : conformément au dualisme cartésien, ce qui n'est pas spirituel ne peut être que mécanique (modèle de l'horloge pour le monde et le corps).

Le comportement humain est toutefois irréductible à la machine. Si le corps animal est une machine, c'est également le cas du corps humain. Sauf que l'homme est composé d'un corps et d'une âme, de sorte qu'il doit y avoir dans son comportement une dimension non mécanique qui témoigne de cette union. Dans le cas de l'animal, estime Descartes, il serait impossible de distinguer le vrai animal, l'être vivant, d'une machine imitant parfaitement son comportement. Mais dans le cas d'une machine imitant parfaitement le comportement humain, il y aurait toujours quelque chose qui la dénoncerait comme une machine. Par exemple, la machine réagirait toujours de la même façon aux mêmes signaux, alors que la parole humaine compose les signes, les arrange de façon nouvelle et diverse, imprévisible même, répondant au sens qui est compris. Les pensées ou les paroles peuvent être stupides ou inadéquates, elles témoignent quand même de la présence d'une âme, c'est-à-dire de la raison en nous, ainsi que du langage, qui permet d'exprimer la pensée. Les êtres humains agissent donc « par connaissance », comme dit Descartes, c'est-à-dire en sachant ce qu'ils font, alors que les animaux ne le font pas. Contre Montaigne, Descartes affirme donc que si les animaux font mieux que nous, cela ne prouve nullement qu'ils ont de l'esprit, mais qu'ils n'en ont pas : ils agissent mécaniquement, sans savoir ce qu'ils font, comme des machines réagissant toujours de la même façon aux mêmes signaux. Et ce qu'ils font moins bien que nous prouve non qu'ils ont moins de raison, mais qu'ils n'en ont pas du tout. Entre les hommes et les animaux, il y a une différence de nature et non de degré, car il n'y a pas d'âmes supérieures ou inférieures, il y a âme ou non. L'âme consiste seulement à penser ; or soit il y a pensée, soit elle n'est pas du tout.

Descartes et la technique[modifier | modifier le code]

Descartes commence par faire part de ses hésitations à publier ses travaux, se rappelant sans doute la condamnation de Galilée ; mais il considère important que le public soit au courant de ses recherches, spécialement en physique : « sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes » (lignes 9-14). La suite est particulièrement significative du point de vue de la technique : « car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique » (lignes 14-16). Descartes parle ici des applications techniques de la science.

Qui dit machine dit machination, ruse. Toute machine est un stratagème ingénieux pour atteindre un but par un ensemble de moyens dont aucun ne comporte en lui l'intention de ce but, et qui ne sont que roues, poulies, courroies, pistons, etc. Les forces naturelles utilisées dans une machine sont ainsi détournées à notre profit tout en restant elles-mêmes, produisant un effet nouveau à leur insu, pourrait-on dire. Or, si tout est mécanisme dans la nature, si nous épuisons son essence en découvrant comment elle fonctionne, aucun scrupule ne doit nous empêcher d'opérer ce détournement, qui nous profite sans la modifier en rien. Ainsi, « connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (lignes 16-20). Nous ne sommes justement pas les maîtres et possesseurs de la nature, mais nous pouvons agir « comme » si nous l'étions, en dirigeant ses forces vers des effets qu'elles auraient pu produire. L'univers physique demeurera ce qu'il est : ce qui se conserve en lui, c'est-à-dire la quantité de mouvement, produit de la quantité de matière par la vitesse, reste intact lorsqu'on se borne à changer la direction du mouvement. C'est ainsi que la libre volonté humaine peut s'insérer dans le monde matériel pour y agir : en connaissant les lois de la nature, on peut se servir de la nature à des fins que celle-ci n'avait pas prévues. La technique peut donc être définie comme l'ensemble des moyens (des mécanismes) par lesquels l'homme exerce une emprise sur la nature en détournant ses forces pour son usage, à son profit.

[Descartes a cru que l'on pourrait se servir des forces de la nature sans modifier celle-ci en rien. Mais l'utilisation des ressources de la nature par l'homme a produit ce que Sartre appellera une contrefinalité : une fin non voulue, qui est ici la pollution et la destruction d'une partie de la nature.]

Mais à quoi va nous servir de nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature » ? L'objectif de ce détournement technologique n'est pas seulement, ajoute Descartes, « l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent », mais principalement « la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher » (lignes 20-26). La priorité affirmée de la sagesse sur la productivité permet de nuancer l'idée selon laquelle Descartes est le père de la technologie moderne. Mais surtout, l'importance accordée à la médecine montre que Descartes inclut, dans le détournement des forces naturelles, l'action de l'âme sur le corps, rendue possible, elle aussi, parce que la conservation de la quantité de mouvement laisse indéterminée la direction de ce mouvement.

L'âme, dans l'action volontaire, modifie librement la direction du mouvement du corps. L'être humain véritable consiste en une union étroite des deux substances : pensée et étendue. Aussi pouvons-nous nous demander si, comme le suggère la citation qui précède, la médecine et la morale peuvent participer, au même titre que la mécanique, de cette technologie directement issue de la physique. Cela fait partie, incontestablement, du projet de Descartes. Or la découverte métaphysique de l'être humain comme union de deux substances, et de cette union comme d'un domaine de vérité spécifique, implique que le sens du projet va se trouver modifié par les conditions que sa réalisation lui impose. La raison ne peut pas maîtriser totalement les passions, comme un mécanisme détournerait parfaitement les forces de la nature, mais elle peut tout de même y tendre.

Alors que selon Montaigne et les Anciens l'homme ne doit pas se séparer de la nature mais vivre en accord avec elle, alors qu'il doit s'efforcer d'unir la raison et la nature, l'esprit et le corps, puisque Dieu a fait la nature et l'homme ainsi, Descartes distingue rigoureusement le corps, substance étendue comme tous les autres objets matériels, de l'âme, substance pensante. Il faut distinguer notamment les pensées que l'âme forme par elle-même ou qu'elle possède déjà en elle, de celles qu'elle acquiert par son union avec le corps. Les idées de faim ou de soif, de douleur ou de plaisir, des couleurs, des saveurs ou des odeurs, ne surgissent que parce que l'âme est unie au corps, et qu'elle saisit soit les sensations internes du corps, soit les perceptions qui viennent de l'extérieur, des autres corps ou des objets matériels. On peut donc s'exercer à observer ce qui agite l'âme, comme si on assistait à un spectacle, puisque l'âme est par ailleurs distincte du corps et autonome. On retrouve ici, de nouveau, cette idée de l'autonomie de l'esprit humain, qui constitue l'essentiel de la révolution cartésienne.





Si l'on veut être exact et précis, je dirai alors que ce n'est pas une affaire de perception, mais de conformité à la réalité : une plante qui a la forme d'un arbre n'est pas un arbre, elle n'en a que l'apparence. Sans être monospécifique, le ravenale ne comporte que quelques variétés ; de ce point de vue, il est vrai qu'il représente un genre. Toutefois, un arbre est une plante ligneuse comportant un tronc fait de bois et d'écorce, alors que le ravenale est une plante herbacée dotée d'un stipe ou faux tronc, comme les palmiers, genre (ou famille) auquel il s'apparente. Aussi, la tige n'est pas ramifiée : elle est surmontée de feuilles et ne possède pas de branches, contrairement à un arbre. En toute rigueur, d'un point de vue scientifique (botanique) et logique (classification), le ravenale, de même que le dragonnier, ne sont donc pas des arbres. La liste de 2022 ne comptait d'ailleurs aucun type de palmier, car elle respectait ces critères. Cela étant dit, « il n'existe pas de définition universelle de l'arbre, tant ce concept recouvre une grande variété de formations et d'espèces » ; aussi, leurs gènes montrent que plantes herbacées et arbres ont une origine commune. Enfin, si l'on veut inclure les palmiers dans la liste des totems, il faudrait le spécifier clairement.




LE MONDE EST UNE ILLUSION. LA VIE N'EST QU'UN RÊVE. ALORS IL NE FAUT PAS SE PRENDRE TROP AU SÉRIEUX. L'ESPRIT QUI EST EN SOI ET L'ESPRIT QUI EST EN TOUT ÊTRE EST UN SEUL ET MÊME ESPRIT. FAIRE DU MAL À AUTRUI, C'EST DONC SE FAIRE DU MAL. FAIRE LE BIEN, C'EST-À-DIRE ÊTRE BON, BIENVEILLANT, ATTENTIONNÉ, EST TOUT CE QUI IMPORTE EN CE MONDE. AIMER EST LA SEULE ET UNIQUE MANIÈRE D'ÊTRE POUR ÊTRE EN PAIX. CAR SEUL L'ESPRIT EST RÉEL. OR, CE QUI EST RÉEL, ÉTANT SPIRITUEL, UN ET UNI, NE PEUT ÊTRE MENACÉ OU DÉTRUIT. ET RIEN D'IRRÉEL, C'EST-À-DIRE DE MATÉRIEL, N'EXISTE. EN CELA RÉSIDE LA PAIX DE DIEU QUI DÉPASSE TOUTE COMPRÉHENSION. QUE L'ESPRIT SOIT EN PAIX.