Tarification sociale de l'eau

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La tarification sociale de l'eau (ressource vitale) est une tarification plafonnée applicable à une partie du service public ou d'une délégation de service public concernant les « tarifications de l'eau et/ou de l'assainissement ainsi que des systèmes d'aides au paiement de la facture d'eau »[1].

Là où l'eau potable manque, sa fourniture est un service dont le coût tend à augmenter[2]. Cette augmentation de coût peut être atténuée ou compensée par une tarification dite sociale ; cette dernière vise un accès meilleur et « effectif de tous »[3], y compris les plus démunis à ce services, car considéré comme « service public essentiel »[4] en réponse à un droit à l'eau potable basique et pour tous[5], alors que dans les années 1990-2000 le nombre d'impayés et de coupures d'eau à la suite de l'incapacité de payer les factures avait beaucoup augmenté en France[6], comme dans d'autres pays européens[7], et de l'OCDE[8]amenant les anglophones à créer l'expression de Water poverty [9]

Ce droit est reconnu en France, confirmé par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) votée en 2006 [10]. Elle n'exclut pas un mécanisme de privatisation de la ressource, contrairement à un modèle ancien qui considérait l'eau ou les eaux superficielles courantes (ainsi que l'air) comme un bien commun, accessible à tous. Il peut s'inscrire dans les approches de gouvernance soutenable, et comme l'un des volets sociaux d'une fiscalité environnementale[11].

Enjeux[modifier | modifier le code]

Ils sont sociaux, sanitaires et économiques, car la vie sans eau n’est pas possible. On a en outre constaté des formes d’exclusion[12] et de pauvreté nouvelles ou ressurgissant dans les pays riches (émergence des sans domiciles fixes (SDF), réfugiés ou migrants, pauvreté des jeunes, des mères isolées, de familles monoparentales, victimes d’une précarisation de l’emploi, etc.)[4]

C’est une mesure de protection et de justice sociale qui vise à s’assurer que l'eau potable reste accessible à tous à un prix abordable, parfois classée comme mesure de soutien du revenu et souvent comme mesures tarifaires

Moyens possibles[modifier | modifier le code]

Elle peut éventuellement être financée par un système de péréquation ou d’écotaxe. À partir d’un minimum vital, éventuellement gratuit, le prix de l’eau augmente et ceux qui en consomment le plus contribuent à financer le coût de l’accès au minimum pour tous. Selon les cas, il peut y avoir une aide au revenu ou au règlement des « dettes d’eau »[13], une fourniture de bons d'eau, des promotions tarifaires ou des réductions de prix, etc.)[14].

Un exemple d'aide au revenu pour les usagers pauvres est celui appliqué dans l'approvisionnement et l'assainissement de l'eau au Chili ; il s’agit d’une tarification progressive par tranches, le prix étant par litre plus élevé pour ceux qui en consomment le plus [14].
Des exemples de tarification progressive par tranches avec une gratuité pour la première tranche (correspondant théoriquement au besoin vital) existent aussi ou sont expérimentés (ex : en Belgique (Flandre), en Afrique du Sud).

Le prix de l’eau peut aussi être différentié selon les usages qu’on fait de l’eau.

Une autre possibilité est « l'interfinancement » qui passe par des tarifs différents selon les différents quartiers, pratiqués en Colombie ou d’une manière proche au niveau national au Portugal (après qu’une enquête faite par le régulateur économique de l'eau portugais) il a été montré que 10,5% de la population a payé plus de 3% de son revenu pour accéder aux services d'eau potable et de traitement des eaux usées. Le régulateur a alors décidé de faire preuve de souplesse concernant les augmentations tarifaires et les solutions tarifaires dans les municipalités où l'accès à l’eau pour les plus pauvres était problématique[15].

En France[modifier | modifier le code]

Expérimentation pour une tarification sociale de l’eau[modifier | modifier le code]

En France, l’article 1er de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) affirme que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous »[16]. Toutefois, la tarification de l’eau et de l’assainissement reste strictement encadrée. Jusqu’en , le prix du service public d’eau et d’assainissement devait être identique pour tous les usagers et le budget des services publics compétents équilibré[17].

L’eau et d’assainissement ne relevant pas d’une compétence nationale mais d’une compétence des collectivités territoriales, il a été jugé préférable de laisser une large place à la subsidiarité et donc de mettre en place une expérimentation pour identifier des solutions adaptées aux différentes situations. Une expérimentation visant à « favoriser l'accès à l'eau et de mettre en œuvre une tarification sociale de l'eau » a donc été instaurée dans le cadre de la loi no 2013-312 du visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite loi (dite loi « Brottes »)[18] . Ceci devait permettre d’identifier les solutions les plus pertinentes afin de les proposer à toutes les collectivités de France.

À la suite de la réception des candidatures, le Gouvernement a publié la liste des 50 collectivités autorisées à participer à l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau[19],[20]. Ces collectivités sont issues de 11 des 13 régions métropolitaines et 3 des 5 départements d’outre-mer (Guyane, Martinique, La Réunion). Elles sont de toute taille et représentent 11 millions d’habitants, depuis une petite commune de 4 500 habitants à un grand syndicat mixte représentant 4,6 millions de personnes.

Cinq ans après la promulgation de la loi « Brottes », la période d’expérimentation devait s’achever le , mais seule la moitié des collectivités expérimentatrices avait eu suffisamment de temps pour mettre en place des mesures en faveur de l’accès à l’eau. Il n’était donc pas possible de conclure sur les solutions les plus adaptées. L’expérimentation a donc été prorogée pour les 50 collectivités participantes jusqu’au [21].

En 2019, 33 dispositifs différents ont été expérimentés[22]. Ces dispositifs étaient composés de mesures variées et complémentaires, adaptées au contexte territorial. Parmi les mesures mises en place par les collectivités pour favoriser l’accès à l’eau on compte notamment :

  • des aides forfaitaires (allocation eau, chèque eau) ;
  • des tarifications sociales de l’eau (modulation de l’abonnement, modulation du prix de l’eau) ;
  • des aides pour résorber les impayés ;
  • des mesures d’accompagnement (appui aux démarches administratives, conseils pour économiser l’eau).

Le bilan de ces 5 années d’expérimentation est très positif. Si les collectivités participantes ont relevé parfois des difficultés pour identifier les bénéficiaires, l’expérimentation leur a permis de répondre à un réel enjeu, de rencontrer et de tisser de nouveaux liens avec des partenaires du territoire et mieux connaître la population. Ceci confirmait l’importance de laisser aux collectivités la possibilité de mettre en œuvre les mesures de leur son choix pour répondre aux enjeux locaux d’accès à l’eau.

Ouverture de la tarification sociale de l’eau[modifier | modifier le code]

Faisant suite à cette expérimentation, la mesure 17 de la première séquence des Assises de l’eau[23] ouvre le principe d’une tarification sociale de l’eau pour toutes les collectivités volontaires.

C’est pour répondre à cet engagement que l’article 15 de la loi no 2019-1461 du relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique permet à tous les services publics d’eau et d’assainissement de mettre en œuvre des mesures sociales visant à rendre effectif le droit d’accéder à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions économiquement acceptables par tous[24].

Cet article prévoit notamment pour tous les services publics d’eau et d’assainissement, la possibilité de :

  • définir de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer ;
  • attribuer des aides financières en faveur de l’accès à l’eau et d’accompagner les bénéficiaires ;
  • contribuer au fonds de solidarité pour le logement jusqu’à 2 % des montants hors taxes des redevances d'eau ou d'assainissement perçues ;
  • mettre en place une tarification incitative aux économies d'eau.

Respectant le principe de subsidiarité, les collectivités qui participaient à l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau peuvent poursuivre leur dispositif et toutes les autres collectivités de France peuvent mettre en place les mesures en faveur de l’accès à l’eau de leur choix.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Environnement magazine (2015) « Un décret publié le 5 août complète la liste des collectivités qui pourront expérimenter la tarification sociale de l'eau jusqu'en 2018 ». publié 01 09 2015
  2. Rey-Brahmi, P. (2014). Gestion de services. Vers une tarification sociale de l'eau. Hydroplus, (221), 16-17.
  3. Smets, H. (2004). Un Droit Effectif a L'eau Potable. Environmental Policy and Law, 34(4/5), 175-184.
  4. a et b Tabi marie-Tsanga (2009). Les services publics d'eau face à la vulnérabilité sociale des populations : vers un nouveau modèle de management des services publics essentiels ? ; Flux 2009/2 (no 76-77).
  5. Smets H (2001) Mise en œuvre du droit a l’eau potable dans les pays de l’OCDE
  6. Smets H (2007), La prise en charge des dettes d’eau des usagers démunis en France, Académie de l’Eau.
  7. Bronos S., 2007, « Access to water services for the urban poor in Europe : characterising and considering vulnerable groups in French and English publics policies », Thesis of Master of Science of Cranfield University, Joint research unit Cemagref-Engees in Public Services Management.
  8. OCDE (2003), « Problèmes sociaux liés à la distribution et à la tarification de l’eau », Éditions OCDE
  9. Fitch, M., Price H. (2002), Water poverty in England and Wales. Chartered Institute of Environmental Health.
  10. SMETS, H. (2010). Renforcer la tarification sociale de l'eau. TSM. Techniques sciences méthodes, génie urbain génie rural, (1-2), 8-9.(résumé)
  11. de Wouters, P., & De Vlaminck, A. Les aspects sociaux de la fiscalité environnementale
  12. Lenoir R., 1974, « Les Exclus, un Français sur dix », Paris, Le Seuil.
  13. Smets H., 2007, La prise en charge des dettes d’eau des usagers démunis en France, Académie de l’Eau
  14. a et b OECD:Social issues in the provision and pricing of water services, 2003, consulté21-01-2010
  15. OECD:Managing Water for All:An OECD perspective on pricing and financing, Chapter 3:The Central Role of Tariffs, p. 73-94, 2009
  16. « Legifrance - Le service public de l'accès au droit | Legifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  17. « Legifrance - Le service public de l'accès au droit | Legifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  18. LOI n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, (lire en ligne)
  19. Décret n° 2015-416 du 14 avril 2015 fixant la liste des collectivités territoriales et de leurs groupements retenus pour participer à l'expérimentation en vue de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en œuvre une tarification sociale de l'eau, (lire en ligne)
  20. Décret n° 2015-962 du 31 juillet 2015 modifiant et complétant la liste des collectivités territoriales et de leurs groupements retenus pour participer à l'expérimentation en vue de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en œuvre une tarification sociale de l'eau fixée par le décret n° 2015-416 du 14 avril 2015, (lire en ligne)
  21. LOI n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, (lire en ligne)
  22. « Bilan 2019 de l'expérimentation pour une tarification sociale de l'eau », sur Ministère de la Transition écologique et solidaire (consulté le )
  23. « Dossier de presse - Conclusion de la 1ère séquence des Assises de l'eau », sur Ministère de la Transition écologique et solidaire (consulté le )
  24. LOI n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, (lire en ligne)

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Billet P (2008), « La tarification « sociale » de l’eau. Perspectives offertes par la LEMA du  », séminaire scientifique et technique de l’ENGEES du .
  • Reynaud A (2007), Social policies and private sector participation in water supply — the case of France, report for the United Nations Research Institute for Social development.
  • Smets H (2009). l'eau potable à un prix abordable. Paris: Johanet.
  • Smets H (2004). La solidarité pour l'eau potable: aspects économiques. L'Harmattan.
  • Smets H (2000). De l’eau potable pour les pauvres. Environmental Policy and Law, 30(3), 125-140.
  • Thomas A & Nauges C (2008). Instruments économiques de gestion de la ressource en eau. INRA Sciences sociales.
  • Tsanga Tabi M (2011). Chapitre 7. L'irruption du social dans le management des réseaux d'eau: organisation de la solidarité et nouvelles frontières du service public d'eau. Indisciplines, (1), 135-152 (résumé).
  • Tsanga Tabi M & Le Palabe E (2007), « La politique publique de maintien à l’eau des publics défavorisés en France : état des lieux de la mise en place des dispositifs sur le territoire national » le 4 pages, édition Cemagref.
  • Tsanga Tabi M (2004), Quelle prise en compte du développement durable dans l’évaluation de la performance des services publics d’eau potable ? Premiers éléments de réflexion à partir de l’analyse de trois cas de collectivités, Rapport au Ministère de l’Environnement et du Développement Durable.