Paradoxe des anniversaires

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Le paradoxe des anniversaires résulte de l'estimation probabiliste du nombre de personnes que l'on doit réunir pour avoir au moins une chance sur deux que deux personnes de ce groupe aient leur anniversaire le même jour. Il se trouve que ce nombre est 23[1], ce qui choque un peu l'intuition. À partir d'un groupe de 57 personnes, la probabilité est supérieure à 99 %.

Il s'agit d'un paradoxe non pas dans le sens de contradiction logique, mais dans le sens où c'est une vérité mathématique qui contredit l'intuition : la plupart des gens estiment que cette probabilité est très inférieure à 50 %.

Cette étude est due à Richard von Mises.

Comprendre le problème

Par souci de simplicité, tout l'article est rédigé en supposant que toutes les années sont non bissextiles. Prendre en compte le changerait peu les résultats, mais rendrait les calculs très délicats.

Signification intuitive

Le problème des anniversaires revient à choisir un nombre n d'éléments dans un ensemble qui en comprend N, sans retrait ; c'est-à-dire sans retirer les éléments choisis, si bien que certains peuvent être identiques. Le paradoxe des anniversaires est bien un cas de ce type, car chacun a une date d'anniversaire plus ou moins aléatoire, et il n'y a pas a priori de raison autre que la probabilité pour que deux dates soient identiques ou différentes.

Imaginez par exemple qu'au cours d'une soirée réunissant n personnes, des petits papiers, sur lesquels sont notés les nombres de 1 à N, soient placés dans une corbeille. Chacun à son tour tire un papier, lit le nombre qu'il porte, puis le replace dans la corbeille. Quelles sont les chances pour que 2 nombres tirés au moins soient identiques ? ou au contraire pour que tous soient différents ?

Pour calculer la probabilité numérique, il est plus simple de compter les chances que tous les nombres soient différents. Le point-clé non évident qui induit notre intuition en erreur, concerne au contraire les chances que 2 nombres au moins soient identiques. Au bout du compte, les deux approches sont bien sûr équivalentes.

Si l'on considère un nombre tiré donné, quelles sont ses chances d'être identique à un autre ? Il peut être égal à n'importe quel autre ; en revanche, le nombre total de possibilités restreint ses chances : on a donc intuitivement une chance proportionnelle à n/N. Mais cette chance-là s'applique à tous les nombres tirés, si bien qu'à la fin, la chance qu'un nombre tiré quelconque soit identique à n'importe quel autre nombre tiré est dans une proportion de n2/N. C'est là que notre intuition est trompée.

C'est là une grossière approximation valable seulement si n est bien plus petit que N. (Lorsque n grandit, ce raisonnement devient faux car un nombre de plus en plus grand de cas est compté plusieurs fois.) Mais cela donne néanmoins une idée des chances réelles et du point où notre appréciation intuitive est erronée : on s'attend à ce que la probabilité de coïncidence soit en rapport de n/N ; et donc « logiquement » qu'une probabilité de coïncidence de 50 % soit grosso modo atteinte lorsque n est environ égal à N/2.

Cela revient à dire que l’on confond la question posée : les chances de n’importe quel élément choisi d’être identique à n’importe quel autre, avec une autre question proche : les chances de n’importe quel élément choisi d’être identique à un autre élément donné. Dans le cas des anniversaires, on tend à évaluer intuitivement la probabilité pour que la date d’anniversaire de quiconque soit la même qu’une date d’anniversaire donnée (par exemple, la mienne) ; au lieu de la probabilité pour que la date d’anniversaire de quiconque soit la même que celle de n’importe qui d’autre.

Reste à savoir pourquoi notre intuition est ainsi trompée, c’est-à-dire pourquoi elle ne semble pas spontanément capable d’aborder correctement un problème de ce type. C’est une question pour les sciences cognitives.

Cas des anniversaires

La clé consiste à se demander quelles sont les chances qu'aucune paire de personnes soit née le même jour. Pour chaque personne ajoutée dans la pièce, le nombre de dates non déjà prises diminue. La première personne a donc 365 choix, la deuxième 364, la troisième 363, la quatrième 362, et ainsi de suite.

Le problème consiste à se demander si une quelconque paire d'individus dans la pièce a la même date d'anniversaire.

Dans un groupe de vingt-trois personnes, il y a 23 × 22 ÷ 2 = 253 paires possibles, ce qui représente plus de la moitié du nombre de jours contenu dans une année. À partir de 28, le nombre de paires excède le nombre de jours (28 × 27 ÷ 2 = 378 paires possibles), ce qui ne signifie évidemment pas qu'il est impossible de trouver un groupe de 28 personnes dont l'anniversaire est différent. En effet, le nombre de paires donne une intuition du problème mais n'explique pas la probabilité associée car cela reviendrait à additionner les probabilités d'évènements qui ne sont pas disjoints.

Démonstration

Nous donnons une preuve pour le cas d'origine, avec des jours d'anniversaires, mais cela se transpose simplement au cas de la généralisation énoncée.

Le plus simple pour obtenir le résultat annoncé est de calculer la probabilité que chaque personne ait un jour anniversaire différent de celui des autres : le contraire de ce que l’on cherche. On va procéder par dénombrement, c'est-à-dire, que nous allons compter le nombre de cas où n personnes ont des jours d'anniversaires différents et nous diviserons par le nombre de possibilités. Il y a personnes, pour chacune il y a 365 jours possibles, donc au total si on ne se fixe aucune contrainte, il y a 365n possibilités. Si maintenant on veut des jours différents, nous obtenons un arrangement de parmi 365, soit : .

On a donc

On peut également le voir comme une multiplication de probabilités d'événements indépendants :

Or, l'événement « un jour anniversaire différent par personne » est le complémentaire de « au moins deux identiques ». Par conséquent la probabilité recherchée est .

En faisant l'application numérique, on trouve 50,73 % pour vingt-trois personnes.

Probabilité de coïncidence de 2 anniversaires en fonction du nombre de personnes.
n p(n)
5 2,71 %
10 11,69 %
15 25,29 %
20 41,14 %
23 50,73 %
25 56,87 %
30 70,63 %
40 89,12 %
50 97,04 %
60 99,41 %
80 99,99 %
100 99,99997 %
200 99,9999999999999999999999999998 %
300
350
> 365 100 % (par le principe des tiroirs)
Probabilité de non-coïncidence de 2 anniversaires en fonction du nombre de personnes.

Généralisation

Ce paradoxe des anniversaires se généralise à la situation plus abstraite que l'on peut énoncer sous la forme :

Soit E un ensemble fini. La probabilité que, parmi n éléments de E, chaque élément étant tiré uniformément dans tout l'ensemble E, deux éléments au moins soient identiques vaut :

où la notation désigne le nombre d'éléments de l'ensemble .

Une valeur approchée est donnée par

et une valeur de en fonction de par

Paires trompeuses

Lorsqu'on effectue le calcul par intuition, en comptant le nombre de paires, on omet le fait que les évènements ne sont pas disjoints.

Prenons l'exemple pour trois personnes (Alain, Bernard et Charles). En les prenant deux à deux, la probabilité d'avoir la même date d'anniversaire est 1/365. Et donc pour les trois paires, on aurait 3/365. Cependant, en faisant ce calcul, on oublie que l'anniversaire des trois personnes peut avoir lieu le même jour. Définissons trois évènements :

  • A : Alain et Bernard ont leur date d'anniversaire en commun
  • B : Bernard et Charles ont leur date d'anniversaire en commun
  • C : Charles et Alain ont leur date d'anniversaire en commun.

Et donc, . Ce que nous cherchons c'est la probabilité d'avoir l'évènement A ou B ou C, soit . En utilisant le formalisme repris dans les axiomes des probabilités.

Comme les éléments sont indépendants deux à deux (le fait que Charles ait son anniversaire le même jour que Bernard n'a pas d'influence sur le fait qu'il ait aussi son anniversaire en même temps qu'Alain) donc

Par contre, on peut réécrire . Or ici, et ne sont pas indépendants, si Bernard et Charles ont leur anniversaire en même temps et Charles et Alain aussi, alors forcément Alain et Bernard aussi, donc .

En résumé, on aura . Ce qui correspond bien au résultat précédent.

Étendre ce raisonnement à un plus grand nombre de personnes devient rapidement très compliqué. Cependant, on comprend mieux pourquoi il ne suffit pas d'avoir 23 personnes pour être certain d'avoir un anniversaire commun.

Approximation

p(n)

La probabilité peut se réécrire sous la forme :

Or, on a le développement limité pour x voisin de 0. Cela conduit à l'approximation :

Or, la somme des entiers de 0 à vaut , ce qui donne finalement :

En revenant à  :

n(p)

L'approximation de permet d'obtenir simplement une approximation du nombre de personnes nécessaire pour avoir une probabilité donnée d'avoir au moins deux personnes avec le même jour d'anniversaire. On obtient ainsi :

Quelques valeurs numériques

Le tableau ci-dessous indique, pour une probabilité , l'approximation , puis, sur la même ligne, l'approximation de la probabilité pour l'entier inférieur ou égal à (noté ) et celle de probabilité pour l'entier supérieur ou égal à (noté ). Normalement, la probabilité fixée au départ doit être comprise entre ces deux valeurs. Les entrées ne vérifiant pas cette condition sont signalées en couleur.

0,01
2,70864
2 0,00274 3
0,00820
0,05 6,11916 6 0,04046 7 0,05624
0,1
8,77002
8 0,07434 9
0,09462
0,2
12,76302
12 0,16702 13
0,19441
0,3 16,13607 16 0,28360 17 0,31501
0,5 22,49439 22 0,47570 23 0,50730
0,7 29,64625 29 0,68097 30 0,70632
0,8 34,27666 34 0,79532 35 0,81438
0,9 40,99862 40 0,89123 41 0,90315
0,95 46,76414 46 0,94825 47 0,95477
0,99
57,98081
57
0,99012
58 0,99166

Lien avec la loi de Rayleigh

Dans l'expression :

on reconnaît la fonction de répartition de la loi de Rayleigh :

En effet, vu dans le cadre plus général des problèmes d'allocation, le calcul ci-dessus s'interprète comme la convergence d'une fonction de répartition vers une autre, traduisant la convergence en loi d'une suite de variables aléatoires : considérons m boîtes numérotées de 1 à m, m étant, pour l'instant, fixé. Supposons qu'on y alloue des boules, chaque boule étant placée dans une des m boîtes de manière équiprobable, indépendamment des allocations précédentes, et cela indéfiniment. Si m=365, ceci est la situation du problème des anniversaires pour un groupe de personnes qui s'agrandit régulièrement. Notons le rang de la première boule qui est allouée dans une boite contenant déjà une autre boule, ce qui correspondrait au rang de la première personne, arrivant dans le groupe, dont la date anniversaire est déjà celle d'un autre membre du groupe (avant son arrivée tous les membres du groupe ont des dates d'anniversaires différentes, après son arrivée ce n'est plus le cas). Alors

Et l'approximation ci-dessus peut donc s'écrire :

Cela traduit le fait que la suite de variables aléatoires converge en loi vers la loi de Rayleigh, et, par là même, cela révèle un paradoxe, pour le sens commun : on s'attend probablement à ce que soit du même ordre de grandeur que m, alors que cette convergence en loi révèle que est du même ordre de grandeur que Le phénomène de répétition des anniversaires a donc lieu plus tôt, pour un groupe plus petit qu'on ne s'y attendrait.

Cas non uniforme

Dans le calcul précédent, l'équirépartition des jours de naissance dans l'année a été supposée implicitement. Que se passe-t-il si on ne la suppose plus ? La réponse est que cela augmente les chances de réussir le pari que deux personnes soient nées le même jour, ce qui renforce encore le paradoxe.

Applications

Dans Le Trésor des Paradoxes (Éd Belin, 2007), les auteurs notent que l’informaticien américain Robert Mac Eliece a établi l'intérêt du paradoxe des anniversaires en informatique, pour s’assurer de la fiabilité des mémoires d’ordinateur, grâce à des codes détecteurs d’erreurs, fondés notamment sur les travaux de Richard Hamming aux laboratoires Bell. La stratégie des codes détecteurs d’erreurs s’avère, du point de vue statistique, similaire au paradoxe des anniversaires. Le paradoxe des anniversaires est utilisé en cryptographie pour élaborer des attaques sur les fonctions de hachage. Une des contraintes imposées sur ces fonctions, pour une utilisation cryptographique, est de produire peu de collisions, autrement dit, de rarement prendre la même valeur sur des entrées différentes.

Le paradoxe des anniversaires donne une borne sur le nombre moyen d'éléments nécessaires pour avoir une collision avec une probabilité , à savoir essentiellement la racine carrée du nombre de valeurs possibles pour la fonction de hachage, sous l'hypothèse que cette fonction est uniformement distribuée sur ses valeurs d'arrivée.

Plus concrètement, si une fonction de hachage a une sortie de N bits alors l'ensemble d'arrivée possède éléments et il faut environ hachés d'éléments distincts pour produire une collision avec 50 % de chance ; les sorties de la fonction pouvant être comparées à des personnes avec des anniversaires se répartissant sur valeurs.

Application pratique de l'attaque des anniversaires

Supposons que Martine souhaite forcer Daniel à signer un contrat très défavorable, contrat devant être validé par son empreinte (valeur hashée), celle-ci garantissant que le contrat n'a pas pu être modifié après signature.

Elle prépare un contrat équitable, et un contrat défavorable. Elle génère ensuite automatiquement des variantes de chacun des contrats avec des changements cosmétiques (ajouts d'espaces, utilisation de synonymes, ré-ordonnancement des paragraphes, etc). Elle calcule l’empreinte de chaque contrat en recherchant des paires de mêmes empreintes (avec et sans modifications). Dès qu’une collision a été trouvée, elle donne le contrat équitable correspondant à Daniel qui le vérifie, le signe, calcule l'empreinte et l'attache au contrat.

Martine fait de même avec le contrat défavorable, et le présente à Daniel. S'il conteste les termes du contrat qu'il a signé, l'empreinte prouve qu'il est impossible qu'il ait pu être modifié[2]. Il lui sera tout de même possible d'opposer le contrat original à Martine ce qui devrait conduire à la nullité du contrat.

Lien avec l'identification par l'ADN

Dans le domaine judiciaire, les probabilités d'identification fournies par la technique d'empreinte génétique sont souvent mal comprises[3]. Ainsi, si la probabilité que deux individus partagent neuf locus est environ d'une sur 13 milliards on peut s'attendre à ce que dans une base de données de 65 000 personnes, environ 116 paires d'individus aient en commun 9 des 13 locus utilisés à des fins d'identification[3].

Anecdote

Dans Le Livre qui rend fou[4], Raymond Smullyan raconte qu'il a fait établir la formule à ses 19 élèves. Il conclut après application numérique qu'il y a nettement moins d'une chance sur deux (un peu moins de 38 %) pour que deux élèves aient leur anniversaire le même jour. Un élève lui répond qu'il parie que c'est tout de même le cas. Le professeur fait l'appel en demandant aux élèves de donner leur date de naissance, et éclate de rire avant la fin, suivi de toute la classe, en se souvenant que deux de ses élèves sont jumeaux.

Notes et références

  1. Ross 2014, p. 37.
  2. « Attaque « des anniversaires » »
  3. a et b Leila Schneps et Coralie Colmez (trad. de l'anglais par Coralie Colmez), Les maths au tribunal : les erreurs de calcul font les erreurs judiciaires [« Math on Trial. How Numbers Get Used and Abused in the Courtroom »], Seuil, coll. « Science ouverte », 280 p. (ISBN 978-2-02-110439-4), chap. 5 (« L'affaire Diana Sylvester : analyse d'un cold hit »).
  4. Smullyan 1982, p. 6.

Annexes

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Bibliographie

Articles connexes