Affaire des piastres

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Billet de 1 piastre indochinoise, série 1949.

L'affaire des piastres, trafic de piastres ou scandale des piastres est un scandale financier et politique de la Quatrième République né dans le contexte de la guerre d'Indochine. Après avoir contribué à diminuer le soutien à la guerre, il tourne court avec l'accession à l'indépendance des pays de l'Indochine et le climat politique et social qui s'ensuit, peu propice aux débats sur la période coloniale.

Le trafic (1948-1953)[modifier | modifier le code]

La piastre indochinoise est l’unité monétaire de l’Indochine française, fabriquée sous l'autorité de la Banque de l'Indochine. Son cours est administrativement lié au franc français suivant une parité fixe, à la façon du franc CFP ou du franc CFA.

Le taux de change pour les transferts Indochine-France est fixé à 17 francs en 1945, alors que sa valeur sur les marchés asiatiques est de 10 francs ou moins. Pour bénéficier de ce taux avantageux et subventionné, il fallait transférer en France les piastres achetées aux cours locaux, justifier le transfert et obtenir l’aval de l’Office indochinois des changes (OIC). La différence, payée par le Trésor (donc le contribuable français), s’éleve à environ 8,50 francs selon Jacques Despuech, auteur du premier livre sur l’affaire en 1953 et journaliste de La Nation française (1955-1967), un hebdomadaire royaliste. La situation troublée de l’époque ne facilitant pas les contrôles de l’OIC, un trafic par le biais d'importations fictives ou de médiocre valeur, fausses factures ou surfacturations, impliquant Français et Vietnamiens, se met en place à partir de 1948.

Révélation et fin[modifier | modifier le code]

L’affaire est mise au jour en 1950, mais ne suscite qu’un intérêt limité chez les parlementaires, jusqu’en 1952-1953 quand on se rend compte que le Viet Minh en profite également pour se fournir en armes.

François-Jean Armorin, journaliste et correspondant de guerre, se rend sur place pour enquêter et a identifié Mathieu Franchini, parrain du milieu corse, comme foyer du trafic. Armorin est mort des suites de l'écrasement le 12 juin 1950 (en) de son vol retour de Saïgon pour Paris. Le quotidien Franc-Tireur avec qui il collabore pour cette enquête publie ses articles, ainsi que ceux du journaliste Trèno, du Canard enchaîné, accusant Mathieu Franchini d'être à l'origine du crash[1],[2],[3]. Mais l'enquête ne trouve aucun élément matériel corroborant cette affirmation et conclut qu'il s'est probablement agi d'une erreur de pilotage, lors de l'atterrissage à Bahreïn effectué dans de mauvaises conditions météorologiques[4]. Henri Maux, inspecteur général des travaux publics et spécialiste des questions d'outre-mer du gouvernement, décède aussi sur ce même vol.

D'un autre côté, la dévaluation de la piastre aurait aussi entamé les disponibilités des soldats du corps expéditionnaire qui se battent sur place et qui peuvent par transfert de fonds reconstituer un capital pour eux et leur famille. Donc les militaires y sont opposés et les gouvernements successifs n'osent pas y toucher pour ne pas porter atteinte au moral des troupes[5],[6].

Le tumulte causé par ces révélations contraigne le gouvernement français à réduire la parité de la piastre de 17 à 10 francs mettant un terme au trafic.

Selon Bernard B. Fall, ce trafic est l’une des sources de profit dans le cadre d’une colonisation dont le bilan général se révèle très négatif pour le budget national français.

Les archives militaires, desquelles l'accès a été rendu enfin possible, évoquées dans son documentaire par Fabien Béziat, révèlent qu'outre les opportunistes et le Việt Minh communiste, le grand banditisme ainsi que le R.P.F. du général de Gaulle profitèrent largement de ce financement occulte.

Les accords de Genève mettant fin à l'Indochine française mettent un point final à l'affaire en .

En littérature[modifier | modifier le code]

Il est fait allusion à l'affaire des piastres dans le roman Le Grand monde (2022) de Pierre Lemaitre[7].

Il en est également fait mention dans le roman de la série San Antonio, À tue...et à toi de Frédéric Dard, paru aux éditions Fleuve Noir en 1956, 1972, 1976, 1993, 1999.

Enfin, Jean-Charles Kraehn et Patrick Jusseaume évoquent cette affaire dans le tome 9 de la bande dessinée Tramp, intitulé Le trésor du Tonkin, au début de l'album dans une conversation entre deux protagonistes.

Documentaire[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. L'incroyable histoire du Canard enchaîné, Didier Convard et Pascal Magnat, Les Arènes, 2018, Paris.
  2. https://uiat.org/data/upload/1304/TU_avril22_388.pdf
  3. « Un journal du monde  » blog archive  » 8 mai 1945 au 23 janvier 1946.… », sur unjournaldumonde.org (consulté le ).
  4. http://www.bea.aero/docspa/1950/f-de500612/pdf/f-de500612.pdf Le rapport d'accident du DC-4
  5. Raymond Mondon, Rapport sur le trafic des piastres indochinoises Assemblée nationale, 1954 p. 2153
  6. http://saigon-vietnam.fr/indochine_5.php
  7. "Le Grand Monde" : Pierre Lemaitre s'attaque aux Trente Glorieuses dans une fresque familiale époustouflante, sur francetvinfo.fr, 24 janvier 2022.
  8. « Notre critique du documentaire Mort pour la piastre sur France 5: secret d’État en Indochine », sur LEFIGARO, (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Paul Mus, Viêt Nam. Sociologie d’une guerre, Seuil, Paris, 1952.
  • Jacques Despuech, Le trafic des piastres, Deux rives, 1953.
  • Yves Gras, Histoire de la Guerre d’Indochine, Plon, Paris, 1979.
  • Jules Roy, La bataille de Dien Bien Phu, Julliard, 1963 ; Albin Michel, 1989.
  • Douglas Porch, Histoire des services secrets français, T.2 De la guerre d'Indochine au Rainbow Warrior, Albin Michel, 1997, (ISBN 2-226-09505-5).
  • Lucien Bodard, La guerre d'Indochine. L'enlisement, l'humiliation, l'aventure, Grasset, 1 500 p., Paris, 1997.
  • Hugues Tertrais, La piastre et le fusil, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2002.
  • Marianne, numéro du .
  • Daniel Leplat, « La France et les banques face au trafic des piastres (1945-1954) » dans Fraude, contrebande de l'Antiquité à nos jours, Librairie Droz, 2007.
  • Résumé sur les relations entre l'histoire d'Air France puis l'Indochine avec Mathieu Franchini sur : https://www.entreprises-coloniales.fr/inde-indochine/Air_France-Indochine.pdf, 10 octobre 2023.

Émission sur le sujet[modifier | modifier le code]

Affaires sensibles du 7 novembre 2022 : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-lundi-07-novembre-2022-8157253.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]