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Manuscrit

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Manuscrit médiéval en latin de la Physique d'Aristote.

Un manuscrit (du latin manu scriptus[1]) est, littéralement, un texte « écrit à la main », sur un support souple, que ce soit par son auteur (« manuscrit autographe ») ou par un copiste, avant l'invention de l'imprimerie. Le terme s'applique à différents supports (papyrus, parchemin ou papier) mais ne s'emploie pas pour des supports rigides, comme les tablettes de cire ou les inscriptions épigraphiques ou rupestres. Avant la mise au point et la diffusion de l'imprimerie, à partir du milieu du XVe siècle, tous les livres étaient des manuscrits. Au-delà de cette période, le manuscrit peut être utilisé pour des textes de diffusion restreinte ou pour des documents préparatoires (prise de notes, brouillon, etc.).

Par extension, le terme désigne aujourd'hui le brouillon d'un texte original soumis à un éditeur en vue de sa publication. On désigne parfois ces manuscrits comme des tapuscrits quand il s'agit de documents tapés à l'aide d'une machine à écrire ou d'un ordinateur avec un logiciel de traitement de texte.

Cote d'un manuscrit

Les manuscrits conservés en bibliothèque sont identifiés par une cote, généralement précédée de l'abréviation ms (singulier) ou mss (pluriel). La cote est composée du nom du lieu de conservation, suivi de celui de l'institution qui conserve le document, du fonds où il est conservé quand il y a lieu (fonds français, latin, etc.), et du numéro d'inventaire du manuscrit, qui peut être simple (100) ou complexe (fol-lat-32).

On repère la cote des manuscrits dans les catalogues de leur lieu de conservation (par exemple, dans le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France[2]).

La Bibliothèque nationale de France comporte un département des manuscrits, divisé en deux sections : manuscrits occidentaux et orientaux.

Histoire

Dans les sociétés anciennes, la rédaction d'un manuscrit était confiée à un scribe. Cette fonction était hautement considérée à l'époque de l'Égypte antique et les royaumes de Mésopotamie. Pour devenir scribe, une formation d'une douzaine d'années était nécessaire[3]. Les scribes étaient donc très rares et recherchés. Ils formaient une classe sociale à part sous la protection du dieu Thot[4]. Plusieurs finissaient par occuper de hauts rangs en devenant juges, ambassadeurs ou officiers hauts gradés[5].

Dans les pays européens, la copie des manuscrits est restée une activité hautement spécialisée jusqu'à l'invention de l'imprimerie. Elle a longtemps été le domaine des monastères.

Production des manuscrits médiévaux[6].

Après une forte baisse due à la chute de l'Empire romain et aux invasions barbares, la production de manuscrits a connu une forte croissance au VIIIe siècle (estimée à 311 %), puis au IXe siècle (362 %), et après un fléchissement aux deux siècles suivants, une augmentation au XIIe siècle (263 %) et cette croissance continue aux siècles suivants (voir graphique ci-contre). La France, dont on connaît 15 920 manuscrits durant le VIIIe siècle, en a laissé 74 190 du IXe siècle. Une augmentation est liée à la croissance économique[7] et la création d'un véritable marché, avec des versions illustrées par de riches enluminures.

À partir du XVIIIe siècle, il apparaît des manuscrits autographes. Ils étaient extrêmement rares auparavant, voire inexistants, à part dans le monde du théâtre, où les auteurs établissaient eux-mêmes des copies de leur travail pour la réalisation du spectacle[8].

Avec l'élaboration de la notion et du droit d'auteur, le manuscrit venant de la main de l'auteur lui-même apparaît comme une garantie attestant de sa qualité.

Dans le monde musulman, la tradition manuscrite s'est maintenue bien au-delà du XVe siècle, en raison de l'interdiction en 1485 de l'imprimerie par le sultan Bajazed II, interdiction qui restera en vigueur jusqu'au début du XIXe siècle[9].

Manuscrits médiévaux

Dans l'histoire du livre, le Moyen Âge est une période importante qui s'insère entre deux révolutions techniques, soit le codex au Ier siècle et l'invention de l’imprimerie à caractères mobile par Gutenberg vers 1460[10]. Le codex est formé par l'assemblage de feuilles pliées en deux, assemblées en cahiers reliés par une couture[11]. Il a donné la forme parallélépipédique du livre que l'on connait aujourd'hui[12]. Si on le compare aux traditionnels rouleaux ou volumen, le format du codex est plus économique et compact. Il est possible d'y écrire des deux côtés d'une feuille[13].

Jusqu'au XIe siècle, la production de livres manuscrits était réalisée par des moines copistes[14]. Les ateliers de copies appelés scriptorium étaient presque exclusivement liés à un monastère ou à un ordre religieux[15],[16]. La règle de Saint-Benoît qui imposera aux moines la lecture des livres de la liturgie chrétienne augmenta l'importance du rôle du scriptorium dans la vie quotidienne et intellectuelle des moines[17].

Chaque manuscrit représentait un travail long et fastidieux pouvant s'étaler sur plusieurs mois. La vitesse moyenne des copistes était environ quatre pages par jour[18]. Pour accélérer la production d’un manuscrit, une pratique courante était de diviser chaque manuscrit en cahiers entre plusieurs copistes[19]. Ensuite, le chef de l'atelier assemblait les cahiers en prenant soin de corriger les erreurs[19].

Outre les copistes, la production de manuscrit exigeait la collaboration entre diverses personnes, dont un préparateur de copie qui traçait les lignes sur le parchemin, un rubricateur qui dessinait et peignait les titres des sections ou de chapitres en rouge (rubricator), un correcteur d'épreuve et un relieur[20].

Avant le papier, le parchemin fut le support privilégié par les copistes médiévaux, car la peau des animaux était plus résistante et avait une plus grande durabilité que le papyrus ou le papier. De plus, il était possible de gratter et nettoyer le parchemin pour effacer une erreur ou modifier des sections[21]. Le prix élevé des parchemins fit en sorte qu'on chercha à les réutiliser et la technique du palimpseste fut progressivement mise au point. Un palimpseste pouvait être obtenu en laissant tremper un parchemin toute une nuit dans du lait puis brossé à la pierre ponce pour finalement être blanchi à la craie[22]. Il pouvait ensuite être réutilisé.

Enluminures

Les manuscrits dotés d’enluminure ou de miniatures étaient plus rares. Étant plus coûteux à produire, ils furent par le fait même mieux conservés et devinrent rapidement des objets de collections[23],[24]. Les principales fonctions des enluminures étaient d’embellir et de représenter le contenu du texte pour en éclairer le sens[23],[25]. Les illustrations servaient également à orienter le lecteur en représentant le contenu d'un chapitre ou d'une section à lire, similaire à un index imagé[26]. L'étude des manuscrits inachevés a permis de constater que les espaces prévus pour les enluminures étaient déterminés avant le travail d'écriture du copiste[27].

Conservation et accessibilité des manuscrits

Les bibliothèques, qu’elles soient publiques, nationales ou spécialisées, ainsi que les musées et les centres de documentation ou d’archives sont des endroits où les manuscrits peuvent être conservés. La Bibliothèque de l’Arsenal, qui fait partie de la Bibliothèque nationale de France, a, par exemple, un fond de lettres et de manuscrits très riche[28]. Certains manuscrits étant considérés comme importants pour le patrimoine du pays en question peuvent être rassemblés dans les bibliothèques nationales ou patrimoniales et dans les centres de documentation patrimoniaux.

La conservation des manuscrits doit être prise en charge par des institutions qui connaissent les techniques se rapportant spécifiquement aux manuscrits qu’ils conservent. Le manuscrit pouvant se désagréger rapidement s’il n’est pas conservé correctement, le bibliothécaire ou le spécialiste chargé de sa conservation doit être encore plus vigilant contre l’humidité et la poussière, les deux ennemis principaux des manuscrits[29].

Ce soin de préservation et de conservation des manuscrits entraîne parfois un accès limité, voire une inaccessibilité, au grand public pour la consultation. Certains endroits donnent accès librement aux manuscrits à toute la communauté qu’ils desservent, soit autant aux chercheurs, aux historiens, aux érudits, aux journalistes et aux étudiants qu’aux gens curieux voulant explorer le monde des manuscrits[30]. D’autres font la même chose, mais avec des conditions strictes, par exemple, consultation dans un espace défini de la bibliothèque ou interdiction de manger et de boire. Le Musée britannique fait l’acquisition de manuscrits afin que le public y ait accès, seul endroit en Angleterre où l’accès aux manuscrits est permis pour le grand public[29]. Par contre, d’autres bibliothèques, comme la Bibliothèque nationale de France, ne donnent accès à certains manuscrits qu’à des chercheurs[28] dont, par exemple, les historiens ou ceux dont le sujet d’étude est le manuscrit en tant qu’objet, qui font donc de la génétique des textes.

Des chercheurs utilisant un « modèle d’espèce invisible » ont estimé que 90% des manuscripts de la littérature médiévale ont disparu. À partir des 3.648 exemplaires et de 799 œuvres catalogués dans les bibliothèques, il devait y avoir approximativement 40.614 copies de 1.170 œuvres[31].

Notes et références

  1. Le Petit Larousse illustré 2008, p. 617.
  2. « Description du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France », sur bonnespratiques-ead.net
  3. Marion Lemerle, Le monde des hiéroglyphes, Paris, Circonflexe, , p. 8
  4. Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, Éd. Armand Colin, (ISBN 978-2-200-27751-2), p. 17
  5. Donald Jackson, Histoire de l'écriture, Denoël, (ISBN 2-207-22811-8 et 978-2-207-22811-1, OCLC 300572024, lire en ligne), p. 18
  6. Eltjo Buringh et Jan Luiten van Zanden, « Charting the “Rise of the West”: Manuscripts and Printed Books in Europe, A Long-Term Perspective from the Sixth through Eighteenth Centuries », The Journal of Economic History, vol. 69, no 2, 2009, p. 409-445 (416, table 1).
  7. Baez 2013, p. 438
  8. Chartier Roger, « Qu'est-ce qu'un livre ? Métaphores anciennes, concepts des lumières et réalités numériques », Le Français aujourd'hui, Armand Collin, vol. 178, no 3,‎ , p. 11-26 (ISBN 978-2200927820, DOI 10.3917/lfa.178.0011, lire en ligne)
  9. Toby Huff, Intellectual Curiosity and the Scientific Revolution: A Global Perspective, Cambridge University Press, 2011, p. 306.
  10. Sophie Cassagnes-Brouquet, La passion du livre au Moyen âge, Rennes, Éd. Ouest-France, , 10 p. (ISBN 978-2-7373-6619-2 et 2-7373-6619-4), p. 10
  11. Emmanuèle Baumgartner, Geneviève Hasenohr et Jean Vezin, « MANUSCRITS - Histoire », sur www.universalis-edu.com (consulté le ), p. 3
  12. Sophie Cassagnes-Brouquet, La passion du livre au Moyen Âge, Rennes, Éd. Ouest-France, (ISBN 2-7373-3018-1, 978-2-7373-3018-6 et 978-2-7373-5035-1), p. 10
  13. Harry Gamble, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme : usage et production des textes chrétiens antiques, Labor et Fides, (ISBN 978-2-8309-1464-1 et 2-8309-1464-3), p. 85
  14. Sophie Cassagnes-Brouquet, La passion du livre au Moyen Âge, Rennes, Éd. Ouest-France, , 128 p. (ISBN 978-2-7373-6619-2 et 2-7373-6619-4), p. 19
  15. Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, Paris, Éd. Armand Colin, , 352 p. (ISBN 978-2-200-62288-6 et 2-200-62288-0, OCLC 1193018389), p. 52
  16. Marie-Hélène Tesnière, « BnF - L'aventure du livre », sur classes.bnf.fr (consulté le )
  17. Guinard, Pierre dans Charlotte Henard (dir.), Romain Gaillard, Coline Renaudin et Mélanie Villenet-Hamel, Le métier de bibliothécaire, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, , 29 p. (ISBN 978-2-7654-1578-7 et 2-7654-1578-1), « Histoire des bibliothèques »
  18. Sophie Cassagnes-Brouquet, La passion du livre au Moyen âge, Rennes, Éd. Ouest-France, (ISBN 978-2-7373-6619-2 et 2-7373-6619-4, lire en ligne), p. 13
  19. a et b Jean Vezin, « La répartition du travail dans les « scriptoria » carolingiens », Journal des Savants, vol. 3, no 1,‎ , p. 212 (DOI 10.3406/jds.1973.1285, lire en ligne, consulté le )
  20. Sophie Cassagnes-Brouquet, La passion du livre au Moyen âge, Rennes, Éd. Ouest-France, (ISBN 978-2-7373-6619-2 et 2-7373-6619-4, OCLC 904001865, lire en ligne), p. 19
  21. Alphonse Dain, Les manuscrits, Paris, Société d'édition Les Belles-Lettres, 1975 (3e éd.), p. 129
  22. Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, Paros, Éd. Armand Colin, (ISBN 978-2-200-62288-6 et 2-200-62288-0), p. 52
  23. a et b Sophie Cassagnes-Brouquet, La passion du livre au Moyen âge, Rennes, Éd. Ouest-France, (ISBN 978-2-7373-6619-2 et 2-7373-6619-4), p. 15
  24. Andréi Sterligov et Tamara Voronova, Manuscrits enluminés occidentaux du VIIIe au XVIe siècle, Saint-Pétersbourg, Éd. d'art Aurora, (ISBN 1-85995-236-4 et 978-1-85995-236-8, OCLC 36638623), p. 8
  25. Frédéric Barbier, L'Europe de Gutenberg : le livre et l'invention de la modernité occidentale, XIIIe – XVIe siècle, Paris, Éd. Belin, (ISBN 2-7011-4203-2 et 978-2-7011-4203-6, OCLC 300343629), p. 63
  26. Christopher De Hamel, Une histoire des manuscrits enluminés, Paris, Phaidon, (ISBN 0-7148-9283-1 et 978-0-7148-9283-2), p. 98
  27. Christopher De Hamel, Une histoire des manuscrits enluminés, Paris, Phaidon, (ISBN 0-7148-9283-1 et 978-0-7148-9283-2), p. 96
  28. a et b Villeneuve Paquerette. En flânant au Musée des Lettres et des Manuscrits. In: Vie des arts. 2005, V. 49 no 199. pp. 30–31.
  29. a et b Thompson Edward Maunde. Sur l'arrangement et la conservation des manuscrits. In: Bibliothèque de l'école des chartes, 1887, tome 48, p. 512-520.
  30. Legendre Françoise. Les bibliothèques vers un patrimoine partagé. In: Études normandes, 50e année, no 1, 2001, Patrimoine, Tourisme, Développement, p. 64-67.
  31. (en) Mike Kestemont, Folgert Karsdorp, Elisabeth de Bruijn et Matthew Driscoll, « Forgotten books: The application of unseen species models to the survival of culture », Science, vol. 375, no 6582,‎ , p. 765–769 (ISSN 0036-8075 et 1095-9203, DOI 10.1126/science.abl7655, lire en ligne, consulté le )

Annexes

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Bibliographie

  • (es) Fernando Báez, Los primeros libros de la humanidad : el mundo antes de la imprenta y el libro electrónico, Madrid, Forcola, , 621 p. (ISBN 978-84-15174-75-2).
  • Alain Boureau, Le Feu des manuscrits. Lecteurs et scribes des textes médiévaux, Les Belles Lettres, 2018, 192 p. (ISBN 978-2-2514-4794-0).
  • Jacques Dalarun (dir.), Le Moyen Âge en lumière. Manuscrits enluminés des bibliothèques de France, Paris, Fayard, 2002, 400 p. (ISBN 978-2213613970).
  • Paul Géhin (dir.), Lire le manuscrit médiéval. Observer et décrire, Paris, Armand Colin, 2005, 336 p. (ISBN 978-2-2006-1853-7).
  • Claude Mediavilla, Calligraphie. Du signe calligraphié à la peinture abstraite, Imprimerie nationale, coll. « Art du livre », 1993, 332 p., (ISBN 978-2-1108-1135-6).
  • Mary Lynn Ritzenthaler, Archives & manuscripts, conservation: a manual on physical care and management, États-Unis, Michigan, Society of American Archivists 1983, 2009, 444 p., (ISBN 978-0-9318-2858-4).

Articles connexes

Dans la littérature

Liens externes