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La Peste

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La Peste
Image illustrative de l’article La Peste

Auteur Albert Camus
Pays Drapeau de la France France
Genre Récit
Éditeur Gallimard
Date de parution juin 1947
Type de média Livre
Nombre de pages 336
ISBN 978-2-07-036042-0
Chronologie

La Peste est un roman d’Albert Camus publié en 1947. Le roman a reçu le prix des Critiques la même année. Il appartient au "Cycle de la révolte" rassemblant trois œuvres de Camus, La Peste, L'Homme révolté et Les Justes qui ont permis en partie à son auteur de recevoir le prix Nobel de littérature en 1957.

Conception et historique du roman

L’histoire se déroule dans les années 1940, à Oran durant la période de l’Algérie française. Le roman raconte sous forme de chronique la vie quotidienne des habitants pendant une épidémie de peste qui frappe la ville et la coupe du monde extérieur. Camus semble s'être inspiré (et documenté) d'une épidémie de peste bubonique survenue à Oran en 1945, succédant à une épidémie plus sérieuse qui avait eu lieu à Alger en 1944. Son projet est néanmoins antérieur à ces épidémies, puisqu'il y réfléchit depuis avril 1941, comme en témoignent ses Carnets, où il parle de « la peste libératrice » et note quelques idées [1]. Le , il informe André Malraux qu'il est occupé à l'écriture d'« un roman sur la peste ». Il ajoute : « Dit comme cela, c'est bizarre, [...] mais ce sujet me paraît si “naturel”[2] ».

La Peste est un succès éditorial dès sa sortie en France et à l’étranger. Traduit dans une dizaine de langues, le roman est le troisième plus grand succès des éditions Gallimard, après Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry et L'Étranger d'Albert Camus[3].

En 2020, avec la pandémie de covid-19, le livre connaît un regain d'intérêt, notamment en France et en Italie[4].

Résumé

Le récit se divise en cinq parties, qui rappellent les cinq actes de la tragédie classique[5].

D'abord, un puis plusieurs rats meurent dans les bâtiments et dans la rue. Le concierge de l’immeuble du docteur Rieux est victime d’une étrange maladie dont il meurt en dépit des soins du médecin. Grand, employé de mairie, vient voir le docteur Rieux pour lui signaler que les rats meurent en très grand nombre. À la fin de la première partie, les autorités, après bien des hésitations, se décident à fermer la ville et à l’isoler pour empêcher la propagation de la maladie, qui a toutes les apparences de la peste. Le journaliste Rambert fait tout pour regagner Paris où se trouve sa compagne. Le malheur des habitants d’Oran semble réjouir Cottard, qui en profite pour se livrer à des activités de trafic lucratives. Grand essaie d'écrire un livre. Le père Paneloux voit dans l’épidémie un châtiment divin. Avec l'arrivée de l’été, les morts se multiplient dans la ville mais les habitants s'habituent aux ravages de l’épidémie. À l’approche de l’automne, Rambert rejoint Rieux et Tarrou dans leur lutte acharnée contre la peste. Plus tard, on assiste à l’agonie d'un jeune enfant, une mort et une souffrance atroce qui provoquent chez Paneloux une prise de conscience et de foi plus forte que jamais. Tarrou et Rieux, qui luttent ensemble et sans relâche contre l’épidémie, décident de se reposer un peu et célèbrent leur amitié dans un bain de mer.

En janvier, la peste régresse et le sérum développé par Castel se met curieusement à gagner une efficacité qu'il n'avait pas jusqu'alors. Tarrou, soigné par Rieux, est l'une des dernières victimes de la peste ; il meurt après avoir longtemps lutté. Cottard, lui, devient fou et se met à tirer sur les passants depuis son appartement ; il est arrêté puis incarcéré. Ce même jour, Rieux apprend que sa femme, partie se faire soigner hors d'Oran avant l'épidémie de peste, est décédée de la tuberculose. Lui qui a combattu la peste pendant presque une année, semble avoir tout perdu et apparaît à la fin comme un personnage lucide, conscient de tout le mal que la peste a causé.

Les personnages

Personnages principaux

Extrait de la fin du roman, en anglais, gravé sur une plaque (Library walk, New York)
  • Bernard Rieux, médecin : on apprend à la fin de l’œuvre qu'il est le narrateur de la chronique. Il l'a rédigée « pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser »[6].
  • Père Paneloux, prêtre
  • Tarrou, visiteur étranger
  • Joseph Grand, employé municipal
  • Othon, juge d’instruction
  • Rambert, journaliste parisien

Autres personnages

  • Cottard : homme dont Joseph Grand a empêché le suicide et qui est le seul à tirer avantage de la peste ; il est arrêté par les forces de l'ordre à la fin du récit à la suite d'une crise de démence. Il représente symboliquement le collaborateur et ses vices.
  • M. Michel : concierge de l’immeuble de Rieux, le premier cas recensé de la peste.
  • Castel : confrère de Rieux qui tente de développer un vaccin contre la maladie.
  • Mercier : directeur du service communal.
  • Richard : médecin connu dans la ville. Il meurt vers la fin du récit.
  • Mme Rieux (mère) : mère du docteur Rieux. Elle est venue tenir la maison de son fils quand la femme de celui-ci est partie à la montagne pour se soigner.
  • Mme Rieux (épouse) : épouse de Rieux. Elle part se faire soigner d'une grave maladie au début du roman. On apprend sa mort dans la cinquième partie.
  • enfants : les enfants du juge Othon sont présentés comme des « caniches », le garçon ayant droit à quelques lignes, puis à une longue scène décrivant sa mort. À part une phrase sur des enfants lançant des pétards, c'est le seul usage qui est fait des enfants dans le livre, ce qui contraste beaucoup avec les longs développements sur les souffrances endurées par les amants séparés.

Un récit allégorique ?

La Peste de Camus semble être une allégorie de l’Occupation des nazis en France. Néanmoins, il ne s’agit pas de représenter de manière réaliste la période marquée par le régime de Vichy mais davantage le point de vue qu’a eu Camus et qui l’a marqué durant cette époque.  

Les indices de l'allégorie

Dès l'épigraphe, tiré de Robinson Crusoé de Daniel Defoe (auteur du Journal de l'année de la peste), Camus invite le lecteur à assimiler l'épidémie de peste du roman à plusieurs analogies : « Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d’emprisonnement par une autre que de représenter n’importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n’existe pas[7] ». D'après l'incipit, les faits se déroulent en l’an 194. : une date renvoyant à la période 1940-1945, c’est-à-dire au régime de Vichy. La situation fait alors penser aux conditions de l’Occupation qui s’intensifient à mesure que l’invasion prend de l’ampleur, comme c’est le cas dans La Peste : au départ, la peste est vue comme une maladie qui ne fera pas long feu, une similitude avec le début de la seconde Guerre mondiale, négligée au départ. Puis, plus on avance dans l'histoire, plus les événements deviennent alarmants et obligent à la mise en place d’un couvre-feu obligatoire et d’une quarantaine sans aucune communication avec l'extérieur.

Les limites de l'analogie

L'analogie entre le nazisme et La Peste a été sujette à de nombreuses critiques. C’est notamment le cas de Jean-Paul Sartre dénonce celui qui ose « faire tenir le rôle des Allemands par des microbes sans que nul s’avisât de la mystification[8] ». En effet, l’analogie n’est pas pertinente car comparer les nazis aux microbes de la peste revient à faire d’eux des êtres dépourvus de conscience, minuscules, et qui ne pensent pas.

En réalité, quand Sartre blâme l’assimilation des Allemands à des microbes, il opère, comme l’explique Michel Murat, un paralogisme, un raisonnement absent du roman : « Le récit n’est pas protégé de l’arbitraire de l’interprétation car les analogies partielles ne sont pas dépendantes de la structure globale, n’entrent pas en contradiction. Mais au niveau global, des variations minimes peuvent entraîner des divergences importantes[9] ». L’allégorie ne saurait s’appliquer à tous les éléments du texte et si Camus se focalise sur les « victimes saines » de la peste plus que sur la maladie elle-même ou sur la communauté contagieuse, c’est justement parce qu’il ne souhaite pas rendre son récit réversible.

D’ailleurs, d’après le projet de Camus, les formations sanitaires ne représentent nullement la Résistance. Comme le rappelle Michel Murat, alors que les formations sanitaires sont une organisation civile et légale, la Résistance fut armée et clandestine. Par conséquent, il faut renoncer à l’équivalence terme à terme. Ne prétendant nullement à une représentation exhaustive de l’événement, le roman se propose surtout d’offrir « un équivalent de l’espace mental de la France occupée[9]».

Un roman de la Shoah ?

En outre, certains critiques[Qui ?] ont perçu dans La Peste des échos à la Shoah. Lorsqu’on apprend à la fin du roman que le narrateur anonyme n’était autre que Rieux, ce dernier nous explique qu’il "voulait rédiger le récit (...) pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner (...) pour laisser du moins un souvenir”. En voulant laisser une trace des événements passés à Oran, Camus compare[réf. nécessaire] Rieux à ceux qui, après la guerre, ont offert leurs témoignages au public en souvenir des crimes de la Seconde Guerre mondiale tels Primo Levi dans Si c’est un homme.

Si l’allusion aux fours crématoires rappelle la Shoah, ces fours sont employés comme mesure prophylactique par les bénévoles des services sanitaires. Aussi Dominique Rabaté considère-t-il cet indice comme un signe ambigu : « Ce décodage se complique dès lors que les fours de la Peste servent, à l’intérieur de la diégèse, à des mesures sanitaires indispensables. Certes la critique de la machine bureaucratique mise en place contre le fléau est perceptible, mais l’incinération des cadavres est dictée par la simple raison et des impératifs de prophylaxie. L’image reste donc pour le moins ambiguë[10]. »Camus connaissait l’existence des camps avant 1947 : Jeanyves Guérin signale qu’il avait lu L’Univers concentrationnaire de David Rousset en 1946[10]. Mais on peut se demander s’il a voulu exprimer en creux l’indicible de la Shoah. Même si ses Carnets mentionnent la déportation, Camus s’interdit de parler d’une expérience dont les seuls témoins autorisés sont les victimes : « Ce qui me ferme la bouche, c’est que je n’ai pas été déporté. Mais je sais quel cri j’étouffe en disant ceci[[11] ».

Adaptations

En 1963, le roman inspira à Roberto Gerhard (1896-1970), exilé de Barcelone, pour fuir la Dictature franquiste en Catalogne et installé en Angleterre, un poème symphonique, intitulé The Plague, incluant de longs passages de La Peste, traduits en anglais.

Le roman a fait l'objet de plusieurs adaptations au cinéma, dont une en 1992 sous le titre La Peste, par le réalisateur argentin Luis Puenzo, et une autre en 2010 sous le titre La Cité, par le réalisateur québécois Kim Nguyen.

Il a également été joué au théâtre, sous le titre La Peste, par Francis Huster dans les années 2011-2012. En 2021, il est adapté en manga en 4 tomes, par Ryota Kurumado.

Notes et références

  1. Albert Camus, Carnets, Mai 1935-février 1942, Paris, Gallimard, , 234 p. (ISBN 978-2-07-045404-4), p.204-205.
  2. Albert Camus et André Malraux, Albert Camus, André Malraux, Correspondance 1941-1959, Paris, Gallimard, , 152 p. (ISBN 978-2-07-014690-1), p.42.
  3. Lisbeth Koutchoumoff Arman, « Camus, le virus et nous [la peste est une bactérie, le titre fait référence au coronavirus de 2020] », Le temps,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  4. Le Point.fr, « Coronavirus : l'épidémie fait exploser les ventes de « La Peste » de Camus », sur Le Point,
  5. Yves Ansel, « "La Peste," des "Carnets" au roman », Littérature, no 128,‎ , p. 46–64 (ISSN 0047-4800, lire en ligne, consulté le )
  6. Albert Camus, La peste (livre numérique), Gallimard, Paris, , 314 p. (ISBN 2-291-08655-3 et 9782291086550, OCLC 1143616862, BNF 32939582, présentation en ligne), p. 312.
  7. « Albert Camus, La Peste », sur www.etudes-litteraires.com
  8. Jean-Paul Sartre, « « Réponse à Albert Camus » », Les Temps modernes, n°82,‎ août 1952.
  9. a et b Murat Michel, « « La peste comme analogie », Colloque « Albert Camus : littérature, morale, philosophie », ENS ULM »,
  10. a et b Jeanyves Guérin, Albert Camus : Littérature et politique, Paris, Honoré Champion, , 400 p. (ISBN 9782745325020), p. 176.
  11. Albert Camus, Carnets 1935-1948, Oeuvres Complètes, II, Paris, Pléiade, p. 1107

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