Mangbetu (peuple)

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Mangbetu
Description de cette image, également commentée ci-après
La reine Nenzima par Herbert Lang (1913).

Populations importantes par région
République démocratique du Congo 40 000 (1998)[1]
Autres
Langues kingbetu
Religions christianisme, religions traditionnelles
Ethnies liées Bangalas, Zandé

Les Mangbetu sont une population d'Afrique centrale vivant au nord-est de la République démocratique du Congo.

Ethnonymie[modifier | modifier le code]

Selon les sources et le contexte, on observe de multiples formes : Amangbetu, Guruguru, Kingbetu, Mambetto, Manbetu, Mangbétou, Mangbettu, Mangbetus, Mombettu, Mombouttou, Mombuttu, Monbattu, Monbuttoo, Monbuttu, Namangbetu, Nemangbetu, Ngbetu[2].

L'ethnonyme peut parfois désigner un large ensemble de clans – les Makere – réunissant plus d'un million d'individus. Au sens strict, le clan Mangbetu compte quelques dizaines de milliers de personnes seulement[3], 40 000 selon une estimation de Jean-Baptiste Bacquart en 1998[1].

Ethnographie[modifier | modifier le code]

Les Mangbetu, et tout particulièrement les têtes allongées des femmes, obtenues en déformant le crâne des enfants dès le plus jeune âge, ont très tôt fasciné explorateurs et écrivains, comme Georg August Schweinfurth (1836-1925), mais également artistes et photographes[4], tels que l'Autrichien Richard Buchta (1845-1894), le Russe Alexandre Iacovleff (1887-1938), les Allemands Herbert Lang (1879-1957) et Ernst Heims (1886-1922), le Français Émile Bayard (1837-1891), le Polonais Casimir Zagourski (1883-1944) ou l'Américain Paul Travis (en) (1891-1975).

Une des caractéristiques de ce peuple décrite par Schweinfurth est un nombre important d'individus blonds - environ 1/20e de la population. Pour ceux-là, les cheveux sont crépus mais blonds pâles cendrés, la peau est très claire, ils ont une mauvaise vision et des signes marqués d'albinisme[5],[6].

En parallèle, l'intérêt porté par les autorités coloniales aux réalisations artistiques des Mangbetu a entraîné une production plus grande de certains objets, par exemple les harpes coudées[7].

Langues[modifier | modifier le code]

Ils parlent des langues nilo-sahariennes, le mangbetu (ou kingbetu) et ses différents dialectes (makere, malele, meje, popoi et mangbetu proprement dit), dont le nombre total de locuteurs a été estimé à 660 000 en 1996[8][Quoi ?].

Histoire et société[modifier | modifier le code]

Les Mangbetu s'installent au XVIIIe siècle sur la rivière Bomokandi au nord-est de l'actuelle République démocratique du Congo, dans une région couverte de forêt dense. Leur royaume est alors florissant[9].

À cette époque, leur structure sociale est assez semblable à celle des autres populations forestières : les hommes chassent et pêchent, les femmes cultivent le manioc. Le pouvoir suprême est détenu par un roi, dont les fils gouvernent les différentes provinces, subdivisées en districts et villages[1].

Leur territoire n'est plus aussi vaste et ne dépasse pas 140 kilomètres de l'est à l'ouest et 100 kilomètres du sud au nord[10].

Ils cultivent des végétaux variés, élèvent poules, petits chiens et cochons et complémentent l'apport nutritionnel en viande avec la chasse, des razzias de bestiaux chez leurs voisins, et l'anthropophagie[11].

Anthropophagie[modifier | modifier le code]

Ils appréciaient la chair humaine[12] (plus que leurs voisins[13] du nord-ouest[14] les Niams-Niams, que les Mombouttous appellent les Babounghéras[15]) et à l'époque du voyage de Schweinfurth montent couramment des opérations guerrières pour s'en procurer, principalement dans le sud qui est habité par des tribus que les Mombouttous méprisent pour leurs hiérarchies sociales moins élaborées. Les corps sont boucanés sur place, les prisonniers sont réservés pour plus tard. La graisse humaine est fréquemment utilisée en cuisine, des parties de corps sont parfois fumées[14]. Le roi Mounza avait la réputation - fausse ou vraie - de faire tuer un enfant par jour pour sa consommation[11].

Art[modifier | modifier le code]

L'art mangbetu, tel qu'il est visible dans les musées et les galeries d'art en Occident, est principalement un art de cour, montré lors de cérémonies célébrant le roi et sa famille, et non lors de rites secrets : c'est pourquoi les masques sont pratiquement absents et les statues peu nombreuses[1].

Cet art se manifeste sous de multiples facettes : architecture, mobilier, armes, outils, instruments de musique, parures et décorations corporelles[9].

Arts corporels[modifier | modifier le code]

Épingles à chapeaux et à cheveux en usage chez les Mangbetu et les Zandé (maquette)[16].
Crâne déformé de Mombouttou

Dès la naissance et jusqu'à l'âge de quatre ans environ[17], la tête des enfants était comprimée à l'aide de cordelettes de raphia. Par la suite les femmes épaississaient leur chevelure à l'aide d'une sorte d'armature rigide, prolongeant ainsi l'effet d'élongation du crâne, déjà souligné par l'étirement des paupières et le relèvement des sourcils[9]. La coiffure est maintenue par une grande variété d'épingles, en bois, en ivoire, en fer, en cuivre[18].
Cette coutume a été conservée jusqu'à une époque assez récente[19].

Outre ces coiffures raffinées, les femmes portent également des peintures et scarifications corporelles[20].

Traditionnellement, elles utilisaient également un accessoire vestimentaire attaché à la ceinture, le nebkwe (ou negbe, negba), une « sorte de petit bouclier ovale en vannerie qui sert à couvrir partiellement le bas des reins[17]», alliant décence, esthétique et commodité, notamment lorsqu'il s'agit de s'asseoir sur un tabouret[21]. Ces cache-fesses sont fabriqués à partir de feuilles de bananier ou de sycomore pliées et liées entre elles, décorées de compositions graphiques élaborées[22].

Instruments de musique[modifier | modifier le code]

Cors[modifier | modifier le code]

Les cors – connus localement sous les noms de nambrose (namburuse) ou nekpanzi – étaient des attributs essentiels de la cour des Mangbetu, fabriqués sur l'ordre exclusif du chef, dont ils symbolisaient la puissance et l'autorité. En ivoire, ils étaient taillés par un forgeron à partir d'une défense d'éléphant, d'abord à la hache, puis à l'herminette, un couteau à long manche et à lame étroite permettant d'affiner les détails. Avec un bord inférieur très fin, l'instrument était doté d'une embouchure latérale en relief et d'une tête décorative sculptée. Plus de deux mois de travail étaient nécessaires pour la réalisation d'un tel cor[23].

L'explorateur allemand Georg Schweinfurth, qui se rendit chez le roi Mbunza en 1870, témoigne de l'effort physique et de la précision nécessaires pour maîtriser la polyphonie des grands cors de cour :

« C'étaient, dans leur genre, des artistes fort habiles, tellement maîtres de leur instrument, sachant donner à leurs sons une telle étendue, une telle flexibilité, qu'après les avoir fait retentir, à l'égal des rugissements d'un lion ou des cris d'un éléphant en fureur, ils les modulaient jusqu'à les rendre comparables aux soupirs de la brise ou au doux chuchotement d'une voix amoureuse. L'un de ces virtuoses, dont la corne d'ivoire était si lourde qu'il pouvait à peine la maintenir dans une position horizontale, exécuta sur cette énorme trompe des trémolos et des trilles avec autant de précision et de délicatesse que s'il eût joué de la flûte[24]. »

Harpes[modifier | modifier le code]

Proches des Zandé, avec lesquels ils ont été en guerre depuis le XVIIIe siècle, les Mangbetu ont adopté leurs harpes coudées à cinq cordes : selon Éric de Dampierre[26], aucune harpe mangbetu n'est répertoriée avant 1891. L'extrémité du manche du nedumu mangbetu serait plus souvent sculpté en forme de tête humaine (anthropomorphe). Les chevilles sont placées à droite (du point de vue du musicien) et non à gauche. La caisse de résonance est recouverte d'une peau tannée d'animal (antilope, serpent, pangolin) et comporte deux trous[7].

Tambours[modifier | modifier le code]

Le tambour à fente joue un rôle central dans la société mangbetu. Depuis le choix de l'arbre dans la forêt jusqu'à la livraison de l'instrument terminé, la facture d'un tambour destiné au chef fait l'objet d'une attention particulière. Associant technique rigoureuse et aspects spirituels, le tambour doit passer du « végétal » à l'« animal » pour pouvoir véritablement « parler[29] ».
Les tambours sont parfois décorés de clous en cuivre[1].

Objets quotidiens[modifier | modifier le code]

Outre les instruments de musique, un grand nombre d'objets usuels sont ornés de représentations figurées : pipes, couteaux à lame courbe, boîtes à miel. Certaines céramiques grises sont ornées de têtes[1].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f [Bacquart] Jean-Baptiste Bacquart (trad. de l'anglais), L'Art tribal d'Afrique noire, Thames & Hudson, (1re éd. 1998 en anglais) (ISBN 978-2878113549), p. 140.
  2. « Mangbetu (peuple d'Afrique) », sur data.bnf.fr, BnF (consulté en ).
  3. Deprêtre 2007.
  4. Lynne Thornton, Les Africanistes, peintres voyageurs, 1860-1960, ACV, Courbevoie, 1990, p. 138 (ISBN 2-86770-045-0)
  5. Verneau 1927, p. 290.
  6. Schweinfurth 1874, p. 239-240.
  7. a et b « Harpes Zande et Mangbetu », sur detoursdesmondes.typepad.com, Détours des Mondes, (consulté en ).
  8. Ethnologue [mdj].
  9. a b et c [Kerchache et al. 2008] Jacques Kerchache, Jean-Louis Paudrat, Lucien Stéphan et Françoise Stoullig-Marin, « Mangbetu », dans L'Art africain, Paris, Citadelles & Mazenod, 2008 (édition revue et augmentée) (ISBN 978-2-85088-441-2), p. 548-549.
  10. « Mangbetu », sur universalis.fr, Encyclopædia Universalis (consulté en ).
  11. a et b Verneau 1927, p. 288.
  12. Allovio 2000, p. 53 et suiv..
  13. Schweinfurth 1874, p. 2.
  14. a et b Schweinfurth 1874, p. 238.
  15. Schweinfurth 1874, p. 210.
  16. Musée des Confluences
  17. a et b « Mangbetu » par De Boe.
  18. Burssens & Guisson 1992, p. 28.
  19. [Arnaud & Lecomte 2006] Gérald Arnaud et Henri Lecomte, « Musiques professionnelles et villageoises des Mangbetu », dans Musiques de toutes les Afriques, Paris, Fayard, , sur _ _ _ (ISBN 2-213-62549-2), p. 265-270.
  20. « Les Mangbetu et les Zande », sur museedelhistoire.ca, Musée canadien de l'histoire (consulté en ).
  21. (en) Merlyn Severn, Congo Pilgrim, Museum Press, London, 1954, p. 170
  22. « Formes et matières d'Afrique », sur africa.ubangi.collection.overblog.com (consulté en ). []
  23. « Cor Mangbetu », Musée des Instruments de musique de Bruxelles [1]
  24. Schweinfurth 1874, p. 230.
  25. a b c et d Tropenmuseum
  26. Éric de Dampierre, Une esthétique perdue : Harpes et harpistes du Haut-Oubangui, Paris, Presses de l'École normale supérieure, , 240 p., sur _ _ _ (ISBN 2-7288-0206-8). Cité dans « Harpes Zande et Mangbetu », detoursdesmondes.
  27. Metropolitan Museum of Art
  28. Museum Rietberg
  29. [Bariaux & Demolin 1995] Daniel Bariaux et Didier Demolin, « Naissance de la voix d'un tambour à fente chez les Mangbetu : du geste de l'artisan à celui du musicien et du danseur », Cahiers de musiques traditionnelles, Ateliers d'ethnomusicologie, vol. 8,‎ , p. 105-114 (lire en ligne [sur journals.openedition.org], consulté en ).
  30. a b et c Brooklyn Museum
  31. Musée royal de l'Afrique centrale
  32. a et b Musée américain d'histoire naturelle

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • [Allovio 2000] (it) Stefano Allovio, « Storia e identità dei gruppi mangbetu (Congo nord-orientale) », Africa, vol. 55, no 1,‎ , p. 53-71 (résumé, présentation en ligne).
  • [Baumann 1927] (de) Hermann Baumann, « Die materielle Kultur d. Azande u. Mangbetu », Baessler-Archiv, no 11,‎ .
  • [Burssens & Guisson 1992] Herman Burssens et Alain Guisson, Mangbetu : art de cour africain de collections privées belges, Kredietbank, , 92 p..
  • [Denis 1961] Paul Denis, Histoire des Mangbetu et des Matshaga jusqu'à l'arrivée des Belges, Musée royal de l'Afrique centrale, , 167 p..
  • [Gennaro 1980] Joseph Di Gennaro, Voici les Mangbetu : enquête sur l'acculturation du message évangélique dans la tradition des "Mangbetu", Bruxelles, M.C. Rungu, , 89 p., sur _ _ _.
  • [Hubbard 1975] Maryinez Hubbard, À la recherche des Mangbetu, Haut-Zaïre, Centre d'étude et de documentation africaines, coll. « Cahiers du CEDAF » (no 4), , 74 p..
  • [Keim 1983] (en) Curtis A. Keim, « Long-Distance Trade and the Mangbetu », Journal of African History, vol. 24, no 1,‎ , p. 1-22 (résumé, présentation en ligne).
  • [McKee 1995] (en) Robert Guy McKee, Meje-Mangbetu (northeastern Zaire) death compensations as intergroup rites of passage : a structural, cultural and linguistic study (thèse de doctorat en Anthropologie), University of Rochester, , 609 p..
  • [Schildkrout et al. 1989] (en) E. Schildkrout, J. Hellman et Curtis Keim, « Mangbetu Pottery : Tradition and Innovation in Northeast Zaire », African arts, vol. 22, no 2,‎ , p. 38-47.
  • [Schildkrout 2000] Enid Schildkrout, « L'art Mangbetu : L'invention d'une tradition », dans D. Taffin (dir.), Du Musée colonial au musée des cultures du monde, Paris, Maisonneuve et Larose, , p. 109-125.
  • [Schweinfurth 1874] Georg A. Schweinfurth, « Au cœur de l'Afrique. Trois ans de voyages et d'aventures dans les régions inexplorées de l'Afrique centrale », dans Le Tour du monde, vol. 28, , sur gallica (lire en ligne), p. 209-256 (passage sur les Mimbouttous : p. 225-243 ; réédité sous le titre Au pays des Mombouttous, Paris, Ed. Mille et une nuits, , 126 p. (ISBN 2-8420-5836-4). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • [Overbergh & Jonghe 1909] Cyrille van Overbergh et Édouard de Jonghe, Les Mangbetu (Congo belge), A. de Wit, , 594 p..
  • [Verneau 1927] René Verneau, « À propos de la déformation artificielle du crâne chez les Mombouttous de l'Ouellé », Bulletin du Muséum national d'histoire naturelle, no 4,‎ , p. 287-294 (lire en ligne [sur archive.org]). Document utilisé pour la rédaction de l’article

Discographie[modifier | modifier le code]

  • (en) On the Edge of the Ituri Forest, Northeastern Belgian Congo : Budu, Mbuti, Mangbele, Nande, Bira, Sharp Wood Productions, 1998 (enregistrement 1952)
  • (en) Forest Music, Northern Belgian Congo, Sharp Wood Productions, 2001 (enregistrement 1952)
  • Mangbetu : Zaïre, Haut-Uele, Fonti Musicali, 1992 (enregistrement 1984-1988)
  • Anthologie de la musique congolaise – RDC, vol. 3 : Musiques du pays des Mangbetu (enregistrements entre 1984 et 1990), Musée royal de l'Afrique centrale/Fonti musicali (CD + livret)

Filmographie[modifier | modifier le code]

  • Guido Piacenza, « Viaggo in Congo » [« Voyage au Congo »], film documentaire italien muet (une séquence consacrée aux Mangbetu), (consulté en ).
  • 60 ans après Stanley, film documentaire de Robert Alvarez, Belgique/Zaïre, 1953, 50 min (une séquence consacrée aux Mangbetu)
  • Mangbetu de Gérard De Boe, Film Archives, 1954, 30 min [présentation en ligne] : film documentaire belge en noir et blanc.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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