Loi de Godwin

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Illustration (décrite en anglais) du moment où une discussion enflammée va inévitablement passer le point de non-retour, souvent facilement reconnaissable.

La loi de Godwin est une règle empirique provenant d'un énoncé fait en 1990 par Mike Godwin relatif au réseau Usenet, et popularisée depuis sur Internet : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. » Dans un débat, atteindre le point Godwin revient à signifier à son interlocuteur qu'il vient de se discréditer en vérifiant la loi de Godwin. Par extension, du fait de la polysémie du mot « point » (signifiant à la fois argument et point en anglais), des « points Godwin » sont parfois attribués à cet interlocuteur (on notera que Godwin lui même n'a jamais parlé de "point" proprement dit, cette notion par extension ayant été surtout mise en avant par le Front National en défense face à des accusations récurrentes de national socialisme)[réf. nécessaire].

Au départ relative aux discussions sur des forums virtuels, la loi de Godwin peut s'appliquer à tout type de conversation ou débat ; l'un des interlocuteurs atteint le point Godwin lorsqu'il fait référence à un fait en lien avec l'holocauste ou le nazisme alors que le sujet de départ ne s'y prêtait pas.

Godwin distingue la loi de Godwin de l'erreur logique désignée par la pseudo-locution latine reductio ad Hitlerum, attestée depuis les années 1950, qui est une spécialisation de l’argumentum ad hominem et surtout de l’argumentum ad personam, déjà décrits et attestés depuis plus longtemps encore. La loi de Godwin introduit l'idée selon laquelle un tel argument est inévitable dans un débat qui s'éternise[1].

Concept

Mike Godwin (2010).

Cette « loi » s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle une discussion qui dure peut amener à remplacer des arguments par des analogies extrêmes. L'exemple le plus courant consiste à comparer le thème de la discussion avec une opinion nazie ou à traiter son interlocuteur de nazi. En l'absence de précision de Mike Godwin sur les extensions possibles, on hésite à parler de point Godwin pour une comparaison avec tout régime dictatorial autre que le nazisme.

Si le sujet de la discussion était très éloigné d'un quelconque débat idéologique, une comparaison de ce genre est considérée comme un signe d'échec de la discussion. On estime alors qu'il est temps de clore le débat, dont il ne sortira plus rien de pertinent : on dit que l'on a atteint le « point Godwin » de la discussion[2].

Parfois, ce sera le cas à la suite de l'intervention d'un troll, notamment sous la forme d'un sophisme. Un message de troll ou une suite de tels messages menant à une vérification de la loi de Godwin sont des exemples de thought-terminating cliché.

Les francophones jouent souvent sur deux sens du mot « point » qui peut désigner :

  • soit le moment de la discussion auquel le dérapage survient ; dans ce sens du terme, on atteint le point Godwin ;
  • soit le point en tant que récompense ou mauvais point attribué au participant qui aura permis de vérifier la loi de Godwin en venant mêler Adolf Hitler, le nazisme ou toute idéologie extrémiste à une discussion dont ce n'est pas le sujet ; dans ce sens du terme, on marque ou gagne un point Godwin.

Dans le folklore Usenet, on considère que vérifier la loi de Godwin revient à « perdre » le débat. Cependant, certains considèrent que le fait de clore un débat en invoquant cette loi n'est qu'une façon de fuir la discussion avec ceux qui n'ont pas utilisé ce genre de comparaisons. De ce point de vue, la loi de Godwin peut elle-même être utilisée de manière sophistique. Car s'il est intéressant de remarquer la facilité avec laquelle nous établissons des analogies avec Hitler et les nazis, à cause de l'aspect extrême et donc discriminant de ces évènements, c'est une autre chose d'en déduire que toute analogie de ce genre est nécessairement abusive. D'autres remarquent que cette loi peut être difficile à invoquer dans une discussion, car cela reviendrait à tenter de jeter le discrédit sur l'interlocuteur. Quand on attribue le point à un autre intervenant sur un support texte, on peut simplement lui dire « vous avez gagné un point Godwin », ou bien dessiner un point en art ASCII, comme s'il s'agissait d'un document établi sur papier. Certains contributeurs ajoutent par dérision que ledit point doit être découpé sur l'écran au moyen d'un burin et d'un marteau. En dehors des discussions limitées au texte, la forme ASCII reste usitée, mais d'autres formes sont utilisées, du smiley à la médaille[3].

Le point Godwin

Représentation ASCII d'un point Godwin

Dans les forums Internet

Le point Godwin, qui a originellement le sens de limite dans l'acception anglaise du terme — point de non-retour —, est devenu dans les forums une sorte de mauvaise note, de « mauvais point ». Ainsi, un participant peut donner à un autre un « point » Godwin si celui-ci laisse un message vérifiant la loi de Godwin. Le participant recevant le point est d'ailleurs souvent invité à le découper de l'écran de son ordinateur « à la masse et au burin ».

C'est d’ailleurs des forums Usenet qu’est tirée la fameuse loi, énoncée initialement (en anglais) par le contributeur Usenet qui l’a signée ainsi avec son titre original :

« Godwin's Rule of Nazi Analogies: As a Usenet discussion grows longer, the probability of a comparison involving Nazis or Hitler approaches one. »
Traduction libre : « Loi de Godwin des analogies nazies : plus une discussion Usenet dure longtemps, plus la probabilité d’une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s'approche de un. »

C’est à la suite de cette « loi » que les « points Godwin » ont commencé à être envoyés en retour à certains utilisateurs Usenet tombés à court d’arguments valables et qui ont utilisé hors de propos de telles analogies faciles et extrêmes en croyant que c’était imparable.

Recevoir un point Godwin devrait faire réaliser qu’on a été ridicule dans son argumentation. Pour les autres contributeurs qui assistent à cette « remise de prix » publique, c’est un moyen de reconnaître ceux dont on peut ignorer l’argumentation infondée. Celui qui reçoit ce point au mieux s’arrête de polémiquer car il réalise qu’il est ridicule ou continue sur sa lancée et risque alors de ne plus être entendu du tout. C’est aussi un signal donné aux autres qu’il est inutile et même non souhaitable de continuer à répondre à ses messages sur le sujet disputé.

Mais parfois les conséquences sont plus sérieuses car elles peuvent conduire certains à rejeter en bloc tout ce qu’a pu défendre auparavant le contributeur ainsi « gratifié », y compris des arguments valides qui ont été avancés par d’autres contributeurs mais qui auraient pu (dans le fil des discussions) être empruntés par celui qui a ensuite dépassé le point de non-retour.

Dans tous les cas, c’est assez souvent le signe qu’une discussion n’a que trop duré et qu’il vaut mieux la clore, ou recentrer le sujet ou en changer pour se focaliser sur quelque chose de plus précis et de plus facilement décidable, après avoir fait le tri entre les quelques thèses qui peuvent aboutir à quelque chose. Pour cela, chacun sur le forum est censé se modérer sur le sujet, faire le tri entre ses propres arguments passés et futurs, en faire la synthèse sur ce qui est réellement essentiel en évitant les redites, au risque de se voir décerner lui aussi le fameux « point Godwin ».

Enfin il faut savoir reconnaître dans cette situation que certaines questions sont sans solutions conciliables (notamment les sujets relatifs à la politique ou aux religions) et qu’un compromis minimaliste devrait être recherché admettant la pluralité des points de vue et des solutions. Cela peut donc parfois conduire à abandonner un processus communautaire de prise de décision en faveur des uns et pas des autres, afin de leur laisser plutôt les moyens de continuer séparément leurs discussions selon leurs thèses dans des espaces séparés d’échange et de coopération : dans les forums Usenet, la solution la plus simple est de créer des forums séparés. À la suite de quoi on renverra les questions sur lesquelles les avis divergent à se dérouler ailleurs, dans les espaces appropriés, quelles que soient les thèses défendues par les uns ou par les autres.

Dans les médias

La presse emploie également cette expression. La comparaison, par l'homme politique Yves Leterme, de la Radio-Télévision belge de la Communauté française à la Radio Télévision Libre des Mille Collines – cette dernière ayant encouragé le génocide au Rwanda – a été qualifiée par Jean Quatremer de point Godwin[2] ; l'expression a également été utilisée par Thomas Legrand[4].

En Allemagne, l'humoriste Harald Schmidt a présenté le Nazometer comme instrument de mesure ; dire Autobahn, Volkswagen ou gaz dans une émission télévisée donne ainsi des résultats significatifs.

À l'Assemblée nationale française

En France, Christine Albanel, alors ministre de la Culture et de la Communication, s'est vu en 2009 décerner un point Godwin par plusieurs journaux en ligne (Numerama, Paperblog, etc.)[5],[6], lors de l’examen de la loi "Création et Internet" à l'Assemblée nationale le 12 mars 2009 quand elle a déclaré : « Je suis accablée par toutes les caricatures sur tous les bancs et par l’obstination qui consiste à présenter l’Hadopi comme une sorte d’antenne de la Gestapo, c’est particulièrement ridicule. »

De façon générale, la loi Hadopi a induit plusieurs points Godwin aussi bien du côté de ses défenseurs que par rapport au comportement des pourfendeurs, Maxime le Forestier, Roschdy Zem[3], Christophe Lameignère le président du SNEP[7].

Autre

En France, les comparaisons employées par Philippe Val, Frédéric Lefebvre et Bernard Kouchner ont été qualifiées de point Godwin dans le titre d'un article scandalisé[3] ; dans le cas de Kouchner, les propos évoquaient autant le nazisme que le génocide au Rwanda. Ce fut également le cas pour Christian Estrosi[8] lors du débat sur l'identité nationale en France.

Loi de Godwin généralisée

La loi de Godwin, dont le champ d'application de l’énoncé original est restreint aux discussions sur Usenet, peut se généraliser de la manière suivante  :

« Pour tout groupe, il existe un unique thème tel que pour toute discussion au sein de ce groupe, la probabilité que ce thème soit abordé tend vers 1. »

Des manifestations de cette loi généralisée sont par exemple très nombreuses concernant les thèmes liés aux besoins naturels humains.

Une attitude logique devrait conduire à déterminer assez tôt et séparer ce thème unique pour en faire l’objet principal de discussion d’un groupe séparé, et à l’exclure des discussions du groupe initial, en laissant alors à chacun le droit de se déterminer dans cet autre groupe ou de ne pas y participer, ce qui en revanche n’exclut personne du groupe initial tant que le sujet clairement séparé n’y est plus développé.

Cependant des positions tranchées sur ce thème (comme « j’aime » et « je n’aime pas ») sont souvent inconciliables, même dans un groupe séparé spécifiquement autour de ce thème ; il peut alors être utile de créer plusieurs groupes séparés selon la position tranchée prise par chacun, à moins que certains apprécient justement de débattre sans fin en admettant eux-mêmes d’être contredits très souvent, ce qui est possible en créant également un autre groupe « champ de bataille » non destiné à aboutir à une solution concertée mais séparé aussi des groupes tranchés « j’aime » et « je n’aime pas », et en laissant alors chaque groupe compter ses propres membres partisans sur son propre terrain.

Critiques de la loi de Godwin

Bien que tomber sous le coup de la loi de Godwin soit censé faire perdre de sa crédibilité à la personne qui effectue la comparaison, la loi de Godwin elle-même peut être utilisée de façon abusive comme une source de confusion, une diversion ou même une forme de censure, considérant à tort et de façon fallacieuse l'argument de l'adversaire comme une hyperbole (en l'affublant alors du fameux point Godwin) alors même que la comparaison proposée dans cet argument est en fait appropriée[9].

Une critique similaire de la « loi » (ou « au moins une version déformée qui prétend interdire toutes comparaisons avec les crimes allemands ») a été faite par Glenn Greenwald[10].

L'invocation de la loi de Godwin ou l'attribution d'un point Godwin au cours d'une discussion peut également être considérée comme une forme d'« échappatoire absurde » ou de « tautologie déguisée » du fait que si l'on remplace le nazisme ou Hitler par n'importe quel autre sujet connu des participants à une discussion, alors la « loi » se vérifie quand même pour peu que la discussion se prolonge suffisamment. Aussi, la loi de Godwin « n’a de loi que l’apparence » et l'on peut y voir un excès « qui confond les tentatives de saborder une discussion et les exemples judicieux »[11].

Notes et références

  1. Comment Mike Godwin a créé le plus célèbre des mèmes, sur le site slate.fr du 11 mars 2013
  2. a et b Coulisses de Bruxelles, UE: Yves Leterme pète les plombs (encore), sur le site liberation.fr
  3. a b et c Mad Dog, « le point godwin cette géniale invention du net », sur lepost.fr, (consulté le )
  4. Interview de Pascal Bruckner, France Inter, 4 octobre 2011
  5. Quand Albanel marque un point Godwin, sur le site ecrans.fr
  6. Christine Albanel marque un point Godwin en plein débat sur l'Hadopi, sur le site numerama.com
  7. « Hadopi : 100 points godwin pour le SNEP : Des excuses s’imposent. », sur quechoisir.org, (consulté le )
  8. RichardTrois, « estrosi franchit le point godwin », sur lepost.fr, (consulté le )
  9. (en) David Weigel, « Hands Off Hitler! It's time to repeal Godwin's Law », sur Reason (magazine), (consulté le )
  10. (en) Glenn Greenwald, « The odiousness of the distorted Godwin's Law », sur Salon.com, (consulté le )
  11. « En finir avec le point Godwin », sur La Politeia, (consulté le )

Voir aussi

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Articles connexes

Liens externes