Délit d'initié

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Le délit d'initié est un délit boursier que commet une personne qui vend ou achète des valeurs mobilières en se basant sur des informations dont ne disposent pas les autres ; l'utilisation ou la communication d'éléments privilégiés peuvent permettre des gains illicites lors de transactions boursières, qui sont interdits par la règlementation de contrôle des marchés financiers.

On dit d'une personne qu'elle est initiée soit en vertu de ses fonctions de direction d'une entreprise cotée en bourse, soit parce que, dans l'exercice de ses fonctions, elle est amenée à détenir des informations privilégiées.

Le code des marchés financiers[1] réglemente le délit d'initié en disposant que l'initié qui aura réalisé ou permis de réaliser sur le marché boursier, directement ou par personne interposée, une opération avant que le public ait connaissance des informations privilégiées, commet un délit.

Le délit d'initié fait partie des situations couvertes par la Directive européenne sur les abus de marché. Aux États-Unis, l'une des plus grosses sanctions a été prononcée contre Michael Milken après la crise des caisses d'épargne américaines.

Histoire

L'une des plus anciennes affaires de délit d'initié se produit au moment du naufrage du Titanic en raison de l'entrée en bourse de la société Marconi, qui s'effectue dans des conditions controversées, qui s'ajoutent à une polémique financière. L'entrée en Bourse a lieu à 3,5 sterling l'action, 3 fois ce qui avait été proposé dix jours plus tôt, le naufrage du Titanic s'étant produit entre-temps. L'action grimpe immédiatement à 4 sterling dès les premiers échanges[2], avant de retomber quelques semaines plus tard à seulement 2 sterling[3]. Plusieurs courtiers sont soupçonnés de manipulation de cours[4]. On découvre que Rufus Isaacs, ministre de la justice du gouvernement d'Herbert Asquith, a revendu 7000 actions à un prix deux fois supérieur à celui auquel il les avait achetées deux jours plus tôt. Il est le frère de Godfrey Isaacs, directeur général de Marconi, nommé sans aucune expérience dans la télégraphie, avant d'emporter un contrat public la première station de radio d’État en Angleterre.

Notion d'initié et d'information privilégiée

La notion d'initié

Les initiés directs

La doctrine les qualifie d'initiés de droit, internes ou par nature. Ce sont en fait les dirigeants sociaux, le président, les directeurs généraux, les membres du directoire ou toute personne ayant la qualité d'administrateur ou membre du conseil de surveillance. Ils sont frappés par la loi d'interdiction d'opérer sur le marché boursier en raison des fonctions qu'ils exercent où il y a une présomption d'initiation irréfragable concernant les titres des sociétés qu'ils dirigent et concernant les titres d'autres entreprises appelées à traiter avec la société qu'ils dirigent.

Les initiés indirects

Est réputé initié quiconque dispose d'information privilégiée dans le cadre de l'exercice de sa profession. L'initié ne voit peser sur lui aucune présomption irréfragable ou simple : il faut démontrer sa qualité d'initié indirect, le juge répressif devra constater que l'information privilégiée a été acquise à titre professionnel.

En conséquence, ils peuvent appartenir à la société sans rentrer dans la liste limitative des dirigeants, comme un directeur financier, ou un directeur administratif, ou encore être étrangers à la société mais entretenir avec celle-ci des relations professionnelles. On peut citer :

  • le liquidateur ;
  • certains employés de banque ou de société de bourse ;
  • des partenaires contractuels ;
  • des avocats d'affaire qui interviennent dans la négociation de contrats ;
  • le cas du directeur d'un cabinet d'un ministre.

Toutes ces personnes subissent l'obligation de s'abstenir de toute opération sur le marché dès qu'elles ont eu accès à une information privilégiée.

En effet la loi du 15 novembre 2001[5] a inséré dans l'article L 465-1 du code monétaire et financier un nouvel alinéa 3 qui vise une nouvelle catégorie puisqu'elle vise toute personne autre que celle visée dans les deux précédents alinéas[6]. Ce nouvel alinéa vise toutes les personnes possédant en connaissance de cause des informations privilégiées.

De manière similaire le règlement général de l'autorité des marchés financiers prévoit dans son article L 622-2 que les obligations d'abstention s'appliquent à toute personne détenant une information privilégiée et qui sait ou aurait dû savoir de par sa position qu'il s'agit d'une information privilégiée. Toute personne possédant des informations privilégiées peut avoir la qualité d'initié et être auteur du délit.

Cette extension s'inscrit dans un contexte autour de la source financière du terrorisme. Elle était prévue pour un temps limité. Elle a été pérennisée par la loi du 18 mars 2003[7] pour la sécurité intérieure. Par ailleurs, cette extension est conforme à une directive européenne. Les personnes morales peuvent être pénalement responsables dans le cas du délit d’initié[8].

L'information privilégiée

Cette notion se décompose en deux éléments :

  • il faut une information ;
  • il faut que l'information soit privilégiée.

L'information

L'information doit porter sur les perspectives d'évolutions ou sur la situation d'un émetteur de titre, sur les perspectives de valeurs mobilières ou sur un contrat négociable. En principe, dans le cadre d'une information protégée ce sont tous les éléments d'ordre interne qui touchent les éléments de la société. Ce sont par exemple les résultats commerciaux ou financiers de cette société, la perspective d'une banqueroute ou d'une faillite frauduleuse ou au contraire d'un enrichissement certain.

Mais aussi des événements extérieurs à la société mais susceptibles d'avoir une incidence sur les cours des titres émis sur la société. c'est par exemple des négociations internationales.

En France, le législateur n'a pas précisé la qualité de l'information mais la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que l'information doit avoir certaine qualité, elle doit être précise, particulière et certaine.

Des qualités qui distinguent cette information des simples rumeurs qui circulent dans les milieux d'affaires ou boursiers. Voici quelques exemple d'information précise :
- connaître le montant exact des pertes qui seront annoncées ou au contraire connaître le montant exact des dividendes versés au actionnaires ;
- la connaissance que l'on a de la signature d'un contrat ;
- connaissance de restructuration ;
- connaissance de l'acquisition ;
- la participation dans d'autres sociétés.
- des renseignements obtenus grâce à la communication frauduleuse d'un secret de fabrique[9]

A contrario, ne constitue pas d'informations précises le fait de faire l’état de bruits alarmants portant sur les prochaines difficultés de la société.

La cour de cassation a précisé ce qu'elle entendait par « information » : il faut des renseignements précis pouvant être immédiatement exploités sur le marché.

Le Privilège

Elle doit être privilégiée, c'est une situation d'inégalité. Le privilège consiste à détenir des informations déterminantes avant que le grand public en ait connaissance. Le privilège réside dans l'antériorité de la connaissance et par le nombre de ceux qui partagent l'information.

Autrement dit, l'information reste privilégiée même si le nombre des initiés augmentent, dès lors que la grande partie des épargnants ou investisseurs ne disposent pas de cette information.

Les éléments constitutifs de l'infraction

En effet, l'initiation, l'information, le privilège ne sont que des éléments préalables qui rendent le délit d'initié possible mais ne le réalisent pas en lui-même.

L'infraction ne va se matérialiser que par la réalisation d'une opération boursière. S'agissant des auteurs de l'infraction, la loi prévoit large pour fermer à l'initié une échappatoire trop facile. La loi incrimine les opérations faites par les initiés eux-mêmes mais aussi celles réalisées pour leur compte par des personnes interposées.

Dans les deux cas, qu'il agisse directement ou indirectement, l'initié reste l'auteur principal du délit. Dans cet esprit d'extension de la répression, la loi a été plus loin car elle a incriminé des comportements parallèles c'est-à-dire la communication à des tiers d'information privilégiée même sans la réalisation d'opération. C'est donc un délit distinct : c'est le délit de communication privilégiée, article L 465-1 alinéa 2, également appelé délit de bavardage intempestif ou dîner en ville[10].

Ce délit a été introduit par la loi du 2 août 1989[11]. Les personnes susceptibles de commettre ce délit sont les mêmes que celles pouvant commettre le délit d'initié. L'élément matériel du délit est différent pour ce qui est de la communication illicite d'information privilégiée.

Cependant, il faut préserver la communication dans les sociétés. En conséquence, ne tombent pas sous le coup de l'interdiction légale toutes les communications d'informations faites dans un cadre purement professionnel, comme à l'occasion d'une réunion des dirigeants de différentes sociétés en cours de négociation.

Le législateur a entendu punir les divulgations dépassant le cercle restreint des initiés. Les peines pour ce délit de communication illicite sont d'un an d’emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Ce délit de communication est moins sévèrement sanctionné que le délit d'initié proprement dit.

La responsabilité des personnes morales est possible[8]. Il s'agit d'un délit intentionnel, la mauvaise foi est requise. La mauvaise foi est déduite de la profession et fonction exercée par l'auteur de la communication des informations privilégiées.

Répression du délit d'initié

Les sanctions encourues

L'infraction est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende d’un million cinq cent mille euros calculée à partir du profit réalisé par l’initié et elle peut porter sur un chiffre décuple du montant de profit éventuellement réalisé. La tentative n'est pas incriminée. En revanche la complicité est punissable.

Enfin on a utilisé le recel du délit d'initié, il est punissable pour les tiers qui ont bénéficié d'une information privilégiée et la mise à profit. Ce système a perdu aujourd'hui de son intérêt du fait de l'introduction de l'alinéa 3 de l'article L 465-1 qui permet d’étendre le champ des poursuites aux tiers[12].

Les personnes morales peuvent se rendre coupables du délit d'initié, elles encourent alors une amende quintuplée, elles encourent des peines complémentaires mentionnées à l'article 131-39 du code pénal. Le tribunal peut prononcer la dissolution de la personne morale si elle est créée spécialement pour commettre ce délit d'initié. Les personnes morales peuvent être frappées d'une interdiction d'exercer l'activité à l'occasion où l'infraction a été commise.

La compétence des juridictions répressives

C'est le tribunal de grande instance de Paris qui reçoit compétence pour la poursuite, l'instruction et le jugement des délits en question.

D'une part, s'agissant de la compétence des juridictions française, la question s'est trouvée soulevée à l'occasion de l'affaire Péchiney[13] qui invoquait l'incompétence des juridictions françaises au motif que les opérations incriminées avaient été réalisées à la bourse de New York et portaient sur les titres d'une société de droit américain. Cette argumentation a été écartée par la Cour de cassation.

La cour de cassation fait observer que l'article L 465-1 du code monétaire et financier n'exige pas que l'opération incriminée ait été réalisée sur le marché boursier français et porte sur des titres cotés en France.

La cour de cassation[13] ajoute d'autre part que suivant le code de procédure pénale, c'est l'article 693 qui était applicable à l'époque des faits, dont les dispositions sont reprises à l'article 113-2 du code pénal. Ce texte donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de toutes infractions dont un acte caractérisant un de ses éléments constitutifs a été accompli en France. C'était le cas dans l'affaire Péchiney, bien que réalisé sur une place boursière étrangère, elle l'avait été sur la base d'informations obtenues illégitimement en France.

Exemples d'affaires concernant le délit d'initié

  • Jeffrey Skilling, ex-PDG de l'entreprise Enron (courtier en énergie), a été condamné le lundi 23 octobre 2006 à 24 ans et 4 mois de prison pour ce type de fraude. "L'initié" ayant en effet encouragé ses salariés à acheter des actions Enron (vendant les siennes au même moment), avant l'annonce quinze jours plus tard d'un bilan catastrophique de son entreprise, faisant chuter inexorablement le cours de l'action et engendrant d'énormes pertes pour les petits actionnaires. Cette affaire entrainera le vote aux États-Unis de la loi Sarbanes-Oxley imposant aux PDG d'entreprises de certifier personnellement la validité des comptes financiers de leur entreprise et leur concordance avec les résultats d'exploitation.
  • Autre exemple célèbre, en France : l'affaire Pechiney-Triangle

Notes et références

  1. Par exemple, en France, l'article L 465-1 du code monétaire et financier Lire en ligne sur Légifrance.
  2. "Carson: The Man Who Divided Ireland" par Geoffrey Lewis, page 118
  3. "The Marconi affair", par A.N. Field
  4. "History Of The Marconi Company 1874-1965", par W. J. Baker, page 147
  5. Loi 2001-1062 relative à la sécurité quotidienne Lire en ligne sur Légifrance
  6. article L 465-1 du code monétaire et financier alinéa 3 Lire en ligne sur Légifrance.
  7. Loi 2003-209 sur la sécurité intérieur Lire en ligne sur Légifrance.
  8. a et b article L 465-3 du code monétaire et financier Lire en ligne sur Légifrance.
  9. Délit d'initié, recel d'initié et informations, Actualité jurisprudentielle ; Répertoire de jurisprudence, Cassation, chambre criminelle, 1995-10-26, Pourvoi N° 94-83.780.
  10. article L 465-2 du code monétaire et financier Lire en ligne sur Légifrance.
  11. Loi n°89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier Lire en ligne sur Légifrance
  12. article L 465-3 du code monétaire et financier Lire en ligne sur Légifrance.
  13. a et b Cass. Crim. 3 novembre 1992 bulletin 92 no 352

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Film

Bibliographie