Utilisateur:Vajrallan/Non-dualité

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Deux perspectives,
un même objet.

La non-dualité désigne à la fois l'unité fondamentale qui, selon certaines écoles spirituelles, sous-tendrait la diversité apparente, la multiplicité des formes du monde, ainsi que les approches philosophiques ou pratiques qui conduiraient à en réaliser la nature.

Au sens strict, la non-dualité est l'identité essentielle de nombreuses distinctions ou oppositions, reconnues comme valides ou utilitaires dans une première approche pratique, mais cependant redéfinies comme n'étant que différents aspects d'une même réalité.

Ainsi, au plus simple, le chaud et le froid, le lourd et le léger, sont distingués puis opposés relativement aux perceptions humaines, et même à celles de chaque individu, mais il n'y a ici de différence que quantitative, et non qualitative, en température et en masse.

Paradoxes[modifier | modifier le code]

Ce terme est peu utilisé tel quel en science, et même en philosophie, mais les questions qui y sont soulevées par les diverses dualités ont d'importantes conséquences épistémologiques.

Ainsi, la théorie de la relativité, la physique quantique et

de récents changements de paradigme ont aboli des dualités qu'on avait cru jusque là fondées sur les faits eux-mêmes, plutôt que sur la représentation que l'on s'en fait. Par exemple, et assez curieusement, on appele dualité onde-particule leur non-dualité, la dualité résiduelle consistant en ce que les particules manifestent l'un ou l'autre aspect à l'échelle macroscopique. On en est même venu à comprendre qu'elles n'était ni l'une ni l'autre.



Par un détour inattendu, ce « ni l'un ni l'autre » de la dualité onde-particule correspond à un aspect important la non-dualité en spiritualité, où l'usage de ce terme est nettement plus important.

Spiritualité et religion[modifier | modifier le code]

En de nombreuses traditions de l'hindouisme, du bouddhisme et du taoïsme, la compréhension intuitive de la non-dualité se veut l'aboutissement du parcours spirituel, de sorte qu'elle en est souvent le plus subtil et insaisissable enseignement, permettant de réaliser sa vraie nature par un compréhension intime de l'unité foncière.

Cependant, plus profondément, et malgré un certain flottement des divers textes, même l'unité du monisme se veut transcendée dans la non-dualité, d'où la préférence pour ce terme. L'un, le deux, le multiple y sont un complet non-lieu, une vue de l'esprit en regard de l'essence de réel.

« De l'Esprit-Un émerge la dualité, mais ne t'attache même pas à cet un.» [1]
Seng Ts'an, Troisième patriarche du Zen
« Celui qui conçoit l'Essence de l'esprit comme unité ou multiplicité tourne le dos à la lumière et s'engage dans l'obscurité du devenir. » [2]

Au plan du vécu, celui ou celle qui a pleinement pénétré et absorbé le principe de non-dualité se trouverait libéré de l'acceptation et du rejet, de l'attirance et de l'aversion, de l'attente et de la déception, et « par-delà bien et mal [3] ». L'ensemble de sa conduite manifesterait une entière confiance envers tout ce qui survient, en tant que manifestation appropriée de l'inconcevable nature ultime, manifestation pertinente à sa situation:

«[...]» [4]


Taoïsme[modifier | modifier le code]

Dans le Taoïsme, l'alternance constante du principe « féminin », réceptif, terrestre et souple : Yin, et du principe « masculin », créatif, lumineux et ferme : Yáng, manifeste et déploie l'unité ultime appelée T'ai chi (Faîte suprême), ou Dào. Pour les taoïstes, la dualité et la multiplicité sont des reflets, des expressions spécifiques de cette unité implicite. L'humain, empêtré dans le jeu antinomiste des paires duelles, ne voit pas qu'elles sont la manifestation de ce seul et même principe, ne parvient pas à en réaliser le sens et l'origine, puis à suivre la voie naturelle du « non-agir » (wu wei,無為), qui signifie la fin de l'attachement, des passions, de l'image de soi, et finalement, l'harmonisation avec la « vertu efficiente » (De ) et spontanée (ziran, 自然) du Dào ().

Ici aussi le Dào est même au-delà de l'unité qu'il produit ou engendre:

« Le Tao engendra l'Un ; l'Un engendra le Deux ; le Deux engendra le Trois ; le Trois engendra les dix milles êtres. »

En contre-partie le chapitre 40 du même ouvrage


Bouddhisme[modifier | modifier le code]

Dans les traditions spécifiquement non-dualistes du bouddhisme, c'est-à-dire le zen, le dzogchen, le mahāmudrā, le madhyamaka, il est également question du «non-agir» de la nature non-duelle. On y parle d' intégrer à la conscience ordinaire « la spontanéité tout-accomplissante » et « auto-libératrice » de la nature-de-bouddha, au-delà de toute conception dualisante.

Des notions telles que non-effort, non-soi, non-méditation, non-pensée, etc. se réfèrent toutes à une transcendance, une mise hors-jeu de la dualité intrinsèque que « pose en s'opposant » n'importe quel concept: agir, avoir, être, le moi, le vrai, le bien...

Longchenpa (1308-1363), un des plus célèbres érudits et yogis tibétains, qui a rassemblé et coordonné les enseignements nyingmapas, parlant plus pécisément de rigpa, s'exprime ainsi:

« Face à des objets sans finalité s'élèvent des perceptions sans réalité.
Dès que la conscience sans attachement se libère non-duellement,
Les phénomènes mentaux sont la symphonie de l'esprit. [...]
Ceux qui souhaitent se libérer entrent calmement dans le non-agir,
Où l'esprit demeure dans sa condition naturelle sans artifices. »[6]

De façon générale, le bouddhisme mahāyāna expose la non-dualité du samsara et du nirvāna, de la forme et de la vacuité, de l'objet et du sujet, etc. Par exemple, dans Le soutra du parfait Éveil, ch.36, attribué à Bouddha:

« Il n'y a ni identité ni différence, ni asservissement ni libération. Maintenant vous savez que tous les être sensibles sont originellement de parfaits Éveillés; que samsara et nirvana sont comme le rêve de la nuit dernière. Nobles fils, puisqu'ils sont comme les rêves de la nuit dernière, vous devriez savoir que samsara et nirvana n'ont ni avènement ni cessation. ni allée ni venue. Dans cette réalisation il n'y a ni gain ni perte, ni adoption ni rejet. Dans celui qui réalise il n'y a pas "s'efforcer", "laisser-aller", "arrêter les pensées" ou "éliminer les passions". Dans cette réalisation il n'y a ni sujet ni objet, et ultimement ni Réalisation ni Réalisé. La nature [ultime] de tous les phénomènes est égale et indestructible.»[7]

Les grands sutras et tantras du mahāyāna et du vajrayāna sont imprégnés de la conception non-dualiste. Elle se mêle étroitement à d'autres concept-clés de ces traditions, particulièrement la śūnyatā (vacuité), le tathātā (ainséité) et le dharmakāya (corps du réel), notions dont l'exposition dépasse le cadre de cet article. En voici cependant quelques exemples, dont celle-ci tirée du lankāvatārasūtra:

« Il ne faut pas concevoir de dualité
Entre naître et ne pas naître,
Avoir une essence et ne pas en avoir,
Être et non-être, car tout cela est vide [ śūnya ].

[...] La réalisation de la nature de son propre esprit
Guarantit l'abolition du dualisme.
Cette abolition est l'effet d'une realisation,
Et non la destruction d'idées fictives[8]. »

Hindouisme[modifier | modifier le code]

Dans l'hindouisme le Brahman, l'âme universelle, est pleinement identifié à l'Ātman, l'âme individuelle. C'est là l'enseignement principal de l'advaïta vedanta, advaïta signifiant non-deux. Pour cette tradition tout est une seule et même réalité, les distinctions entre individualité et âme universelle, entre objet et sujet résultent de l'ignorance de la vraie nature de l'univers et de la vie, qui transcende le temps et l'espace. Dans cet état d'ignorance, l'individu resterait prisonnier des illusions du monde, la māyā, et n'échapperait pas aux réincarnations successives, fruit de son karma. C'est une conception similaire à celles du bouddhisme et du taoïsme.

En occident[modifier | modifier le code]

La non-dualité n'est pas absente des philosophies occidentales, mais il semble qu'elle ne fut pas aussi clairement énoncée, la non-dualité proclamant l'identité de l'homme et de Dieu, ce qui a pu être considéré blasphématoire par les églises dominantes. L'expérience mystique aboutissant naturellement à l'effacement de toutes les dualités, toutes les séparations, certains mystiques chrétiens ont exprimé cette non-dualité de façon assez claire, dont Jean de La Croix et Maître Eckhart

« Dans cette divinité où l'Être est au-delà de Dieu, et au-delà de la différenciation, là, j'étais moi-même, je me voulais moi-même, je me connaissais moi-même, pour créer l'homme que je suis. Ainsi je suis cause de moi-même selon mon essence, qui est éternelle, et non selon mon devenir qui est temporel. C'est pourquoi je suis non-né et par là je suis au-delà de la mort. Selon mon être non-né, j'ai été éternellement, je suis maintenant et demeurerai éternellement. Ce que je suis selon ma naissance mourra et s'anéantira de par son aspect temporel. Mais dans ma naissance éternelle, toutes les choses naissent et je suis cause de moi-même et de toutes choses. » [9].

Leurs témoignages se rapprochent par exemple de ceux du moine zen Hakuin, évoquant l'esprit de non-naissance, ou encore de la description du quatrième état de conscience, turiya, de la tradition hindoue, ou l'expérience de disparition de l'ego.

En philosophie[modifier | modifier le code]

Le seul philosophe clairement non dualiste est Spinoza selon lequel la raison permet de comprendre par intuition qu'il n'existe qu'une seule substance. La matière et la pensée ne seraient donc que deux manières pour cette unique substance d'appraître, lorsque l'esprit cherche à concevoir la réalité. Toute la sagesse consisterait à comprendre que tout ce qui survient est l'expression nécessaire de cette unique substance qu'il appelle indistinctement Dieu ou la nature. Cette compréhension génère à la fois amour et liberté.


Âme, amour et ego[modifier | modifier le code]

Le concept de non-dualité fait référence à l'effacement total de l'ego qui laisserait place à l'amour inconditionnel, à la fusion complète avec le tout (ou le rien, selon les traditions). L'ego est ce qui pousserait les êtres humains à occulter le Soi par l'identification au corps, à l'histoire personnelle. Par opposition, l'âme serait cette énergie d'amour infinie présente en tout homme qui lui permet de vivre sa divinité et de conscientiser des dimensions invisibles et abstraites du monde. C'est dans cette opposition égo/âme que réside la dualité. Transcender cette dualité permet d'accéder au bonheur et à l'amour de soi inconditionnel[10].

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Philip Kapleau, Question zen. Traduction de Vincent Bardet. Éditions du Seuil, collection Points Sagesse, Paris, 1992. 383 p./ p.241 (ISBN 2-02-014596-0)
  2. Saraha, L'essence lumineuse de l'esprit. (skt.:Dohākosha: trésor de chants spirituels) Traduit et présenté par Erik Sablé. Éditions Dervy, Paris, 2005. 95 p./ p.47 (ISBN 2-84454-353-7)
  3. Titre d'un livre de Friedrich Nietzsche
  4. ...
  5. Voir les nombreux liens à l'article Dao De Jing,
  6. Longchenpa, la liberté naturelle de l'esprit Présentation et préface de Philippe Cornu, préface de Sogyal Rinpoché. Éditions du Seuil, coll. « Points. Sagesses » n° 66, Paris, 1994. 395 p./p.214-15 (ISBN 2-02-020704-4)
  7. Traduction du contributeur. Version anglaise en ligne, différente du texte publié par le même traducteur: [1]: "There is neither sameness nor difference, neither bondage nor freedom. Now you know for the first time that all sentient beings are originally perfect buddhas; that saṃsāra and nirvana are like last night's dream. Good sons, since they are like last night's dream, you should know that saṃsāra and nirvana have neither arising nor ceasing, neither coming nor going. In the actualization of this there is neither gain nor loss, neither grasping nor releasing. In the one who realizes, there is no 'naturalism,' 'stopping,' 'contrivance,' or 'annihilation.' In this actualization there is neither subject nor object, and ultimately neither actualization nor actualized one. The nature of all dharmas is equal and indestructible." Notez que la traduction a été établie de façon à intégrer les copieux commentaires du texte: The Sutra of Perfect Enlightment. Commentaire du moine coréen Kihwa (1376-1437), Traduit en anglais par A. Charles Muller. State University of New York Press, Albany (NY), 1999. 329 p./ p.116. (ISBN 0-7914-4101-6)
  8. Soûtra de l'Entrée à Lankâ, Lankāvatārasūtra. Traduit de la version chinoise de Shikshânanda, par Patrick Carré. Librairie Arthème Fayard, coll. Trésors du bouddhisme, 2006. 381 p./ p.307. (ISBN 2-213-62958-7)
  9. Extrait en ligne, sur le site de Daniel Odier
  10. Traverser l'EGO pour gagner l'amour, Gilles Deschênes, Edition de Mortagne

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Soûtra de la liberté inconcevable : Les enseignements de Vimalakîrti. [Sansk.: Vimalakīrti Nirdesha Sūtra] . Édition chinoise de Kumarājīva (344-413).Traduction fr.de Patrick Carré. Librairie Arthème Fayard, Paris, 2000. 224p. (ISBN 2-213-60646-3)
  • Introduction aux pratiques de la non-dualité. Édition chinoise de Kumarājīva (344-413), commentaire de ses disciples: Sengzhao et Daosheng. Traduction fr.de Patrick Carré. Librairie Arthème Fayard, Paris, 2004. 506p. (ISBN 2-213-61680-9)
  • Douglas Harding, Vivre sans tête [« On having no head »], Le Courrier Du Livre, , 128 p. (ISBN 2-7029-0067-4)

liens externes[modifier | modifier le code]

Catégorie:Spiritualité