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Utilisateur:L32020-LucasElise/Brouillon

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Le procès des parlementaires, procès de Tananarive, ou encore procès des trois députés, est un procès intenté par la France contre trois députés de la colonie malgache, Jacques Rabemananjara, Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy.

Dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale, Madagascar voit naître des sociétés et organisations politiques opposées au gouvernement colonial, dont notamment le MDRM, parti politique d’où sont issus les trois députés. Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, une insurrection éclate contre le gouvernement français. Elle fait près de 40 000 morts, et entraîne une importante répression. Le MDRM, accusé d’être le déclencheur de l’insurrection, en est la principale cible.

Les trois députés, y compris Joseph Raseta qui était à Paris au moment des faits, sont arrêtés malgré leur immunité parlementaire. Leur procès s’ouvre à Antananarivo en 1948. La défense souligne que les aveux ont été obtenus sous la torture, et que des témoins ont été exécutés avant l’ouverture du procès.

Le procès aboutit à la condamnation à mort des trois députés. Ils sont finalement graciés puis déportés en Corse jusqu’en 1956, et autorisés à rentrer à Madagascar à la veille de l’indépendance de 1960.

Le procès de Tananarive est le seul exemple de condamnation de députés français. Il passe relativement inaperçu en France et dans les milieux colonialistes. A Madagascar, il participe à creuser l’écart entre le gouvernement français et ses opposants.

Contexte[modifier | modifier le code]

De la France métropolitaine[modifier | modifier le code]

En 1947, l’Empire colonial français sort de la Seconde Guerre mondiale. Le débarquement allié en Afrique du Nord a mis en lumière le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes de la Charte de l’Atlantique [1]. Ajouté au contexte de la Libération, à laquelle les troupes coloniales participent, cela entraîne une intensification de revendications d’indépendance ou de plus grandes autonomies des colonies françaises [1], qui existaient avant la guerre (en 1929 à Tananarive, en Afrique occidentale, en Afrique équatoriale)[1] .

La métropole française estime cependant comme tabou l’idée d’indépendance, comme l’explicite les gaullistes à l’occasion de la Conférence de Brazzaville [1]. La métropole effectue des réformes de son système colonial (le Ministère des colonies prend le nom de Ministère de la France d’outre-mer, l’Empire prend celui de l’Union française, le statut de l’indigénat est supprimé, le travail forcé est aboli, des organes représentatifs, sans pouvoir politique réel, sont concédés)[2]. La métropole veut garder sa présence dans ses colonies. Les mesures ne sont généralement pas effectives immédiatement, faute de moyens : la suppression de l’indigénat, par exemple, se heurte à l’absence de corps judiciaire pouvant le remplacer, et voit se mettre en place des juges d’instructions improvisés[2].

La confrontation de ce tabou et de ces revendications d’indépendance créent des heurts, à l’occasion desquels la métropole use de méthodes de tradition fasciste (création de Gestapo, utilisation de la torture à une grande échelle), bien qu’elle se soit revendiquée combattante des régimes fascistes durant la Seconde Guerre mondiale [1]. Ce paradoxe lui est reproché [3]. Des massacres prennent également place, comme celui de Thiaroye au Sénégal en décembre 1944 et ceux dits du Constantinois, en mai et juin 1945[4]. L’Algérie connaît également des massacres et des répressions judiciaires au printemps 1945. En septembre 1945, la colonie du Cameroun connaît une tentative de coup d’état contre le gouvernement français. Des partis locaux naissent progressivement dans les colonies, souvent en réaction à des élections considérées truquées par la métropole[5].

L’opinion publique française est de manière générale défavorable aux revendications d’indépendance, qui se heurtent à un espoir d’une nouvelle Union Française, plus solide. Les intérêts financiers que présentent les colonies apparaissent cruciaux, de même que la volonté d’empêcher un remplacement de l’influence française par des influences anglo-saxonnes. Il existe également une grande peur de l’islam, et de la violence qu’entraînent les insurrections. L’opinion publique française est généralement peu informée. Une partie de cette opinion est cependant anticolonialiste, notamment chez les communistes. Des voix s’élèvent également contre les répressions françaises dans les colonies.

De Madagascar[modifier | modifier le code]

Ces derniers s’opposent ainsi à une opinion publique en partie anticolonialiste, dans un contexte général de progression des organisations politiques locales des colonies africaines [6]. Le 22 février 1946, le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM) est créé, et devient leur principal adversaire[7]. Les trois députés malgaches à l’Assemblée demandent en mai 1946 l’indépendance « dans le cadre de l’Union française », dans les mêmes termes déjà utilisés par deux députés malgaches un an plus tôt, puis dans les accords d’indépendance du Vietnam[7]. Ils rédigent un projet de loi, mais ce dernier n’est ni publié, ni diffusé[7]. Ils recommencent en septembre 1946[7]

Le ministre des Colonies Marius Moutet envoie un gouverneur général à Madagascar, qui se dit choqué des manifestations de rue indépendantistes de Tananarive[8]. Il s’attache à réprimer les opposants au système colonial, notamment au sein du MDRM, dont l'un des dirigeants, Monja Jaona, est arrêté puis condamné [8]. La voie pacifique apparaît alors de moins en moins plausible pour les militants indépendantistes[8], et le député Joseph Raseta crée sa société secrète radicale, la Jeunesse Nationaliste (« Jina »)[9]. La répression coloniale se poursuit, avec également des propagandes de division entre les différents partis politiques et les différentes ethnies malgaches[8].

Le MDRM continue cependant d’accumuler les succès politiques, et, le 30 mars 1947, gagne les trois sièges des élections législatives : Jacques Rabemananjara, Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy deviennent députés. Jacques Rabemananjara est un poète et militant, Joseph Raseta a été le compagnon de lutte de Joseph Ravoahangy dans l’entre-deux-guerres, et Joseph Ravoahangy est un vieux militant[8].

Origines du procès[modifier | modifier le code]

L'insurrection de 1947[modifier | modifier le code]

A la fin du mois de mars 1947, les députés Ravoahangy et Rabemananjara sont à Madagascar, en campagne pour les élections des conseillers de la République. Le troisième député, Joseph Raseta, est resté à Paris. Le 27 mars, une réunion de dix-sept députés provinciaux a eu lieu. À l’issue de celle-ci, un télégramme est rédigé par le MDRM. Il appelle les partisans au calme, et est envoyé dans tous les districts [10]. Il n’a cependant d’effet que dans ceux de la côte Est, et constitue la preuve principale avancée par la défense, la police estimant qu’il est un signal caché de la rébellion.

Dans la nuit du samedi 29 mars au dimanche 30 mars 1947, une insurrection éclate à Madagascar. Les services de renseignement étant déjà au courant, l’insurrection échoue à Fianarantsoa et Diego, ainsi qu’à Tananarive faute d’hommes en nombre suffisant [8]. Elle progresse ainsi surtout sur les côtes, où sont situées les plantations coloniales [8]. Les insurgés attaquent notamment un camp militaire abritant des tirailleurs sénégalais se préparant à aller aider au Vietnam[11]. Face à leur riposte, les insurgés se répandent dans les campagnes et entraînent avec eux les villageois[11]. Le dimanche 30 mars au matin, les tirailleurs massacrent la ville de Moramanga[11]. Avant que la riposte de Moramanga soit connue du public, la radio officielle déclare que le MDRM est l’investigateur de l’insurrection [10].Me Ravailler, l’avocat de la défense, considérera dans sa plaidoirie que la justice s’est “égarée” sur cette fausse piste dès le début, faussant ainsi le procès.

La répression[modifier | modifier le code]

Le gouvernement de Paul Ramadier est mis au courant de l’insurrection, et des troupes, notamment de tirailleurs sénégalais, sont envoyées pour mater la révolte [11]. Dès le 30 mars, la riposte coloniale se met en place, les policiers opérant en ville et les militaires à la campagne[11].

Dans les campagnes, l’aviation intervient rapidement, et des insurgés sont jetés depuis les airs dans les villages pour intimider les villageois[11]. Des villages sont pillés et brûlés, et des suspects sont tués avant d’être jugés[11]. Des exécutions massives sont mises en place, comme à la gare de Moramanga dès mai 1947 et à Mananjary, ainsi que des présupposés meurtres militaires cachés[11]. En termes de bilan humain, un des généraux parle, en décembre 1948, de 90 000 morts[11]. Pour les historiens, ce nombre atteint au moins les 40 000 morts[11].

Dans les villes, les élus du MDRM sont les premières cibles de la répression policière[11]. Ces élus n’ont pas participé à l’insurrection, et pour certains, la condamnent [11], mais ils en sont considérés comme les déclencheurs par les colonisateurs, notamment sur la base du télégramme envoyé aux membres de leur parti, perçu comme disant l’inverse de ce qu’il dit officiellement[11]. Les principaux acteurs de la répression sont Marcel Baron, le chef de la sûreté, et Vergoz, le juge d’instruction[12]. Dès le 31 mars, un premier militant du MDRM est appréhendé : Stanislas Rakotonirina. Il est envoyé chez Baron pour avouer que Rabemananjara a donné l’ordre d’insurrection[12]. Il y est victime de torture, puis est condamné à mort dans un simulacre de tribunal militaire[12].

Lorsque les inculpés tentent de revenir sur leurs aveux faits sous la torture, ils sont renvoyés chez Baron pour y être à nouveau torturés. Madagascar est fermée aux journalistes considérés comme n’étant pas “sûrs”, et Paris nie tous les faits [12]. La répression s’abat sur toutes les personnes suspectées d’avoir un lien avec l’insurrection, mais pas sur celles qui y ont effectivement pris part [12]. Ce “rétablissement de l’ordre” se poursuit jusqu’à l’automne 1948, et atteint son apogée lorsque deux des trois députés sont condamnés à mort, à l’issue de leur procès [12].

L'arrestation des députés[modifier | modifier le code]

Tous les élus du MDRM présents à Tananarive sont progressivement arrêtés. Les trois députés, y compris Raseta qui est toujours à Paris, sont censés avoir l’immunité parlementaire. Ils sont cependant également arrêtés, dans le cadre d’une accusation de “flagrant délit prolongé”. Le gouvernement français demande leur levée d’immunité parlementaire [12]. Le 4 juin 1947, l’Assemblée autorise les poursuites contre Raseta. Le 1er août 1947, elle les autorise contre Ravoahangy et Rabemananjara [13]. Ils sont torturés dans les mêmes conditions que les autres inculpés [12].

Lorsque la radio officielle déclare que le MDRM est responsable, les colons demandent aussitôt à ce que les députés soient pendus. Le Haut-Commissaire les fait arrêter, tout en considérant qu’il les protège [10]. La Sûreté monte au même moment le dossier contre la réunion du 27 mars, qui aurait un caractère séditieux. Il s’agissait en fait de justifier leur arrestation et leur “flagrant délit”.[10]. A la veille de l’ouverture du procès, les principaux témoins, Samuel Rakotondrabé et Samuel Ratsizafy sont exécutés, sur ordre du Haut-Commissaire M. de Chevigné. Ils auraient eu des témoignages décisifs, mais qui n’allaient pas dans le sens de l’accusation [14]. Ces exécutions seront avancées par la défense comme des preuves de la partIalité du procès. Le lieutenant Albert Randriamaromanana, qui est le seul à avoir assumé son rôle dans l’insurrection, est également prématurément exécuté[15]

Le « procès des parlementaires »[modifier | modifier le code]

Un grand procès colonial[modifier | modifier le code]

Le gouvernement colonial organise de juillet à octobre 1948 un grand procès public à Tananarive, dans le palais d'Andafiavaratra, résidence du premier ministre. 77 membres du MDRM sont jugés, bien qu’une partie des accusés ne soit pas impliquée dans la révolte. Parmi ces membres se trouvent les trois députés et les trois conseillers de la République Jules Ranaivo, Justin Bezara ou Ramamonjy Raherivelo. Le procès des parlementaires est une partie de ce grand procès[10].

Robert Boudry, un des témoins, décrit la grande salle du palais comme une « pauvre bâtisse de pierres et de mauvaises briques aménagée pour la circonstance »[10]. La salle de débat, qui peut accueillir jusqu’à 200 personnes, accueille de nombreux journalistes et avocats. Le tribunal siégeant n’était pas une cour d’assises, qui aurait été assistée d’un jury, mais une Cour criminelle, composée de trois magistrats : le Président, un juré français, et un juré né d’un Malgache et d’une Française[10].

Les accusations[modifier | modifier le code]

Ravoahangy est accusé par le témoignage de Ravelonahina de s’être rendu à Moramanga dans la nuit du 24 au 25 mars[10]. Il y aurait organisé l’attaque[10]. Cette accusation s’appuie sur des détails précis : Ravelonahina l’aurait emmené dans sa propre voiture, pour laquelle il aurait emprunté des pneus[10]. Ils auraient voyagé avec son fils, Rokotondrabé, et Joël Sylvain[10]. Ce dernier est déjà condamné à mort mais figure encore parmis les accusés au procès[10]. L’entrevue aurait eu lieu dans une cave[10].

Le procureur général retient contre Raseta la découverte d’un code secret dans des papiers saisis chez lui au cours d’une perquisition[10]. Cette dernière avait eu lieu un mois après le début de la rébellion[10]. Le code secret impliquerait la collusion de Raseta avec le Royaume-Uni[10]. Le secrétaire de Raseta serait également impliqué dans la rédaction de ce code[10]. Il paraît comme invraisemblable à la défense que Raseta, alors en France, n’ait pas soit mieux caché le document, soit n’ait pas écrit pour le faire disparaître[10]. Il aurait également pu, s’il avait été coupable, selon la défense, s’enfuir à l’étranger, puisqu’il était libre en France[10].

Raseta est également accusé d’être le chef suprême des Jeunesses nationalistes (Jina)[10]. Cette accusation s’appuie sur un serment prononcé par les membres des sociétés secrètes, ces derniers croyant effectivement que Raseta était leur chef[10]. Pour la défense, cela ne prouve pas qu’il l’ait réellement été, de la même manière que l’existence des « soldats de Ravoahangy » ne prouve pas l’implication de ce dernier[10]. De telles entreprises avaient effectivement besoin d’emblèmes, et la popularité des deux députés permettaient de les désigner d’office, même à leur insu[10].

Les inculpés ne sont jamais accusés de complot ou de rébellion, mais plutôt de violences, de meurtres isolés. Les motivations politiques d’ensemble ne sont pas prises en compte[14]

Dix-sept conseillers provinciaux qui ont assisté à la réunion du 27 mars sont accusés de son caractère séditieux[10]. Ils se trouvent de façon fortuite à Tananarive, convoqués par leurs collègues européens[10]. Plusieurs d’entre eux ne se connaissaient pas, et n’avaient jamais rencontré Rakoto[10].

La seule preuve de l’accusation est le télégramme envoyé à la veille de l’insurrection , et qui, selon les juges, est le déclencheur de la révolte[10]. La défense estime le procès faussé d’emblée[10]. L’accusation du MDRM par la radio officielle est considérée par la défense comme une fausse piste[10]. De plus, l’exécution des principaux témoins sont vues comme des preuves de la partialité du procès par la défense[10].

Au total, le procès dure quinze mois, et les débats publics durent deux mois [10].

Le déroulé du procès[modifier | modifier le code]

L’accusation s’appuie majoritairement sur les déclarations de ses témoins, et sur les aveux arrachés sous la torture des accusés[10]. Une première partie du procès est centrée sur le potentiel caractère séditieux de la réunion du 27 mars[10]. L’accusation souhaite prouver que c’est bien le MDRM qui est responsable de la révolte et ne cherche pas d’autres coupables potentiels[10]. Cela n’éclaire pas vraiment sur le déroulé des évènements, et c’est finalement la défense qui marque des points[10]. Les accusés dénoncent les tortures qu’ils ont subies, et se rétractent concernant leurs aveux, qu’ils disent par ailleurs se ressembler étrangement[10]. Des carnets d’hôpitaux sont produits, et le journal Le Monde reconnaît la réalité des tortures[10].

L’accusation craint que ces déclarations contre leurs méthodes n’influencent le tribunal[10]. Une seconde instruction menée par le juge Vergoz s’effectue donc en séance, avec l’audition de témoins[10]. Ces derniers ont été arrêtés par la police dans les forêts ou dans les rues de Tananarive, et leurs témoignages ne sont entendus qu’à titre informatif[10]. Parmi eux se trouve Razafindeabé, le commandant de l’attaque de Moramanga, caché depuis dans une forêt et qui vient se rendre[10]. Le Ministère public demande un supplément d’information[10]. La défense réclame elle d’une part l'extension de l’enquête, et d’autre part la jonction au procès principal de toutes les affaires secondaires en instance devant les juridictions provinciales[10] .

Le tribunal accepte les demandes de l’accusation, et rejette toutes celles de la défense[10]. En réaction, les accusés décident de ne plus répondre aux questions du Président[10]. Les avocats de la défense, estimant que la Cour est partiale, se retirent[10]. Ils avaient néanmoins ce projet dès l’exécution de Rakotondrabé[10]. Ils prennent ainsi l’avion pour Paris, et laissent leurs confrères locaux suivre le procès[10].

Les avocats de la défense partis, l’accusation se trouve plus libre de diriger le procès[10]. Le chef de la Sûreté Maurice Baron et le juge Vergoz nient ainsi toutes les accusations à leur encontre[10]. Les accusés cessent de parler jusqu’à la fin du procès, et la défense n’intervient plus[10]. Lorsque Ravoahangy est accusé par Ravelonahina d’avoir organisé l’insurrection de Moramanga, il ne répond pas, bien que son épouse du député démente cette accusation dans une lettre[10]. Il faut au moins trois heures de route pour se rendre à Moramanga, et, Ravoahangy et Ravelonahina étant ennemis, il semble douteux que le premier se soit confié au second[10]. Selon Robert Baudry, Ravelonahina est « sûr de lui » et « dépose avec complaisance »[10]. Sa déposition est d’une importance capitale pour l’accusation[10]. Elle est lue en sa présence à l’audience[10]. Elle se dresse contre Joseph Raseta et surtout Ravoahangy[10]. Le Président relève la « haine » qu’elle contient[10]. Ravelonahina compromet surtout le compromet surtout le Parti démocratique de Madagascar, mais estime que tous les partis sont de mèche et accuse également le Parti nationaliste malgache, le MDRM ou les Jina[10].

Cependant, cette déposition est nuancée par Walter Gaye, un colon de Tuléar[10]. Ce dernier a déposé en faveur de Joseph Raseta juste avant Ravelonahina[10]. En l’entendant témoigner, Gaye déclare que Ravelonahina est son ancien clerc[10]. Il demande au Président une confrontation avec lui[10]. Dans cette confrontation, il déclare que Ravelonahina lui a avoué en 1931 s’être mis au service de la Sûreté[10]. Cette déclaration n’est pas ajoutée au dossier[10]. Gaye déclare également qu’il a rencontré en septembre 1946 à Tuléar, Ravelonahina, au cours d’une réunion organisée par des Malgaches et qui visait à entreprendre une lutte contre Joseph Raseta et Ravoahangy, qu’il accusait de trahison pour s’être ralliés à l’Union française[10]. Cette déposition est l’une des dernières du procès[10].

À la dernière audience, Ravoahangy est interrogé une dernière fois, en dernier, par le président Laget[10]. Il accepte qu’un avocat parle de « généralités » sans présenter de défense individuelle[10]. Cette décision constitue un coup de théâtre, puisque d’une part, elle retire aux accusés une partie des avantages acquis grâce à leur mutisme, et d’autre part, elle permet à Maître Ravailler d’accuser le directeur de la Sûreté, Baron, de mensonge[10]. Ce dernier avait nié les tortures[10]. Maître Ravailler peut ainsi détruire la thèse de l’accusation concernant le caractère séditieux de la réunion du 27 mars[10]. La plaidoirie de la partie civile est composée essentiellement de citations, tirées des discours et des écrits des accusés[10].

En définitive, le procès est rapidement devenu un procès politique, voire, selon la défense, un procès pour un délit d’opinion. Robert Boudry considère qu’il « fallut transporter sur son véritable terrain, qui est le social et le politique, un procès dans lequel le gouvernement et l’opinion colonialiste s’obstinaient à ne voir qu’un procès de droit commun pour complicité d’assassinat »[10]. La question de l’insurrection se transforme en question sur les possibilités de revendications malgaches, et sur leur émancipation de la tutelle colonialiste[10]. Le procès a part ailleurs été ralenti par des crises ministérielles en France[10].

Les condamnations[modifier | modifier le code]

Le verdict est rendu le 2 octobre 1949[10]. Il condamne à mort Ravoahangy, Joseph Raseta et quatre autres membres du MDRM. Le procureur général réclamait dix condamnations à mort[10].

Les historiens doutent que la peine de mort ait d’emblée été envisagée. L’objectif était plus probablement une mise à mort sociale des députés, rendue possible grâce aux aveux et dénonciations mutuelles obtenus. Ils pouvaient ainsi perdre leur immense popularité, y compris auprès des autres membres de la MDRM, pour lesquels ils devenaient des traîtres. Cela fonctionne effectivement : Rabemananjara et Ravoahangy, par exemple, ne reprennent leurs carrières politiques que sous le Président Tsiranana[16].

Les dix-sept conseillers provinciaux qui ont assisté à la réunion du 27 mars sont acquittés[10]. Ces acquittements montreraient la volonté du tribunal de distinguer les Malgaches, et de faire preuve de clémence envers ceux qui auraient pu être trompés[10].

Au nom de cette clémence, il leur fut demandé de signer une lettre de démission[10].

Condamnés à mort[modifier | modifier le code]

Le rétablissement de l’ordre à Madagascar par le gouvernement colonial atteint son apogée à la condamnation à mort des deux députés[17]. Une des surprises est la condamnation à mort des députés Joseph Raseta et Ravoahangy dont les circonscriptions ne se sont pas soulevées, alors que Rabemananjara, dont la circonscription, elle, s’est soulevée, y échappe[10]. De plus, Raseta et Ravoahangy n’ont contre eux que des présomptions sur leurs intentions concernant le télégramme du 27 mars, auxquelles ils n’ont pas répondu[10].

Aux yeux de la défense, la question de l’intérêt que pouvaient avoir le MDRM et les députés à provoquer une insurrection subsiste[10]. L’aspect violent apparaît comme peu bénéfique[10]. Raseta et Ravoahangy ne pouvaient vraisemblablement pas croire qu’un putsch avait des chances de réussir, d’autant que les Malgaches n’avaient ni armes, ni industries, ni armées[10]. La période du contexte de l’insurrection irait également dans ce sens : la conjecture internationale ne s’y prêterait pas, et le MDRM était sur le point de remporter une quatrième élection consécutive[10]. De plus, le Congrès du MDRM devait s’ouvrir huit jours plus tard[10]. Enfin, le parti et les députés ont toujours agi de manière légale[10]. À l’inverse, la défense considère que leurs ennemis pouvaient eux tirer avantage de cette violence[10]. En juillet 1949, les peines de mort sont annulées, et sont remplacées par des peines de prison à perpétuité.

Graciés[modifier | modifier le code]

Des débats sur la levée des immunités parlementaires commencent à naître. L’Assemblée peut faire un choix entre préciser la portée de ces levées, ou ajourner la discussion jusqu’à ce que la Cour de Cassation se prononce sur le pourvoi des élus malgaches condamnés à mort. Selon la presse quotidienne, le gouvernement est intervenu dans ce vote, lui qui s’abstient traditionnellement [13]. De plus, les secrétaires communistes auraient refusé de prendre en compte certaines voix de ministres , ce qui a pour conséquence de faire pencher la balance vers un ajournement. Le Président Herriot refuse de proclamer un scrutin qu’il considère comme « truqué », et prononce une motion de blâme contre ces secrétaires communistes. Les élus socialistes ne votent pas le paragraphe, mis en place par le groupe socialiste, qui approuve l’attitude du président, et celui-ci menace de démissionner [13]. La demande de recours en cassation finit par être rejetée par la Cour de Cassation. Pour la défense, il reste encore la perspective d’un droit de grâce, ou d’une révision du procès[13]. Les députés sont tout d'abord graciés puis déportés en Corse jusqu'en 1956. En 1957, ils sont tous libérés, par le biais de remises de peines et d’amnisties [13].

Les conséquences[modifier | modifier le code]

Réactions en métropole[modifier | modifier le code]

Les Français sont plutôt indifférents à cette affaire. Les distances géographique et ethnique peuvent expliquer le fait qu’il n’existe pas de conscience commune que de potentiels innocents sont condamnés [13]. Ceux-ci sont acquittés dans des révisions de procès. Ces révisions naissent bien après les fusillades d’inculpés, et cet ordre apparaît pour les spécialistes comme rendant impossible une santé politique malgache [13]. Paradoxalement, personne en France ne parle de ces acquittements tardifs, alors même que des condamnés à mort attendent la décision du Président de la République sur leur vie. L’opinion pense probablement qu’ils seront de toutes façons graciés [13].

La presse en général fait peu d’allusions à cette affaire, y compris la presse communiste ou syndicaliste. Lorsqu’elle le fait, la gravité de la situation semble mal perçue. Cela s’explique par le manque d’informations en provenance de Madagascar. L’Union CGT des syndicats de Madagascar ne semble elle-même pas plus au courant de la répression que les français. La France fait également face au même moment à la rupture des unions nées pendant la résistance, et donc à des scissions dans les institutions, telles que la CGT, qui auraient pu réagir. De plus, le gouvernement a caché la dimension sanglante de la répression, ce qui empêche toute expression de solidarité[18].

Réaction à Madagascar[modifier | modifier le code]

Le verdict est jugé trop clément par les colonialistes, et trop sévères par les Malgaches les plus modérés. Ces derniers ne croient pas à la culpabilité des accusés , et sont d’une part surpris par les acquittements et d’autre part indignés par les condamnations à mort [10]. Au même moment, une partie de l’élite malgache accède à la vie politique, et donc aux prises de positions, et aux partis politiques. Il n’y en a que trois à l’époque (le MDRM, le Parti Démocratique Malgache, et le Parti des déshérités), qui ont souffert de l’insurrection, bien que le MDRM soit considéré comme le seul l’ayant provoquée[13].

Il n’existe donc pas d’unanimité concernant le procès dans l’opinion publique malgache; Beaucoup considèrent qu’il est légitime et qu’il a été fait dans les règles, avec un président impartial. Il existe une conscience qu’ils pourraient souffrir de son issue, mais l’idée que les condamnés aient effectivement lancé l’insurrection reste plausible, et donc, non contestée. Presque tous admettent que les chefs sont moralement responsables de l’insurrection, puisqu’ils sont responsables de leurs troupes, même si des membres extrémistes ont probablement débordé [13].

Cependant, les révisions prennent énormément de temps, notamment à cause d’un important manque de magistrats pour juger les 10 000 inculpés encore en prison. Un certain malaise naît de ce décalage entre la politisation de l’élite malgache, et le manque d’équipement de l’administration en général. Les Français apparaissent ainsi comme indispensables pour combler ces manques[13].

Pour certains, le procès n’a été qu’une formalité, destinée à confirmer des accusations déjà faites. L’instruction est considérée comme n’étant allée que dans le sens de l’accusation, d’autant que les aveux ont été obtenus sous la torture. Les aspects de la rébellion n’incluant pas le télégramme ou le MDRM sont ainsi considérés comme étant mis de côté. Le régime colonialiste s’en serait ainsi retrouvé justifié[10].

Il existe des théories complotistes, mais la majorité s’accorde à reconnaître au moins des actions localisées qui ont dépassé leur but original. L’influence des députés et le MDRM en auraient été les principales cibles, et des putschs isolés auraient permis de créer un climat adéquat. Les potentiels investigateurs peuvent être nombreux : en plus de la police et des colonialistes, les députés avaient de nombreux ennemis[10].

D’autres enfin sont opposés de manière affirmée au procès et son verdict. Ils craignent également la mise en place d’un régime policier qui ne les protégerait pas[10].

Réactions internationales[modifier | modifier le code]

A Dakar, alors capitale de l’Afrique-Occidentale française, les évènements sont traités par la presse des élites européennes colonialistes comme celles proches des milieux colonisés. L’opinion publique est cependant plus facilement guidée par la presse européenne, qui a les moyens d’être diffusée plus largement et régulièrement. L’accent est globalement mis sur l’aspect militaire de la « révolte malgache ». Des journaux parlent également des massacres de villageois, et du rôle des tirailleurs sénégalais, dont le nom n’est pas à associer au réel territoire sénégalais. Ils publient également des discours ou déclarations de protagonistes du procès des deux parties[19].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e Benot 2003, p. 517.
  2. a et b Benot 2003, p. 522.
  3. Benot 2003, p. 518.
  4. Benot 2003, p. 519.
  5. Benot 2003, p. 521.
  6. Benot 2003, p. 525.
  7. a b c et d Benot 2003, p. 526.
  8. a b c d e f et g Benot 2003, p. 527.
  9. Dignat 2020.
  10. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v w x y z aa ab ac ad ae af ag ah ai aj ak al am an ao ap aq ar as at au av aw ax ay az ba bb bc bd be bf bg bh bi bj bk bl bm bn bo bp bq br bs bt bu bv bw bx by bz ca cb cc cd ce cf cg ch ci cj ck cl cm cn co et cp Boudry 1949.
  11. a b c d e f g h i j k l et m Benot 2003, p. 528.
  12. a b c d e f g et h Benot 2003, p. 529.
  13. a b c d e f g h i j et k Finet 1949.
  14. a et b Raison-Jourde 1997, p. 20.
  15. Tiersonnier 1947, p. 130.
  16. Raison-Jourde 1997, p. 19.
  17. Benot 2003.
  18. Sinno 1997, p. 52.
  19. Faty 1997, p. 141.

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Monographies[modifier | modifier le code]

  • Francis Arzalier et Jean Suret-Canale, Madagascar 1947 : La Tragédie oubliée, Paris, Actes,
  • Patrick Rajoelina, Quarante années de la vie politique de Madagascar, Paris, L'Harmattan,
  • Solofo Randrinania, Société et luttes anticoloniales à Madagascar, Paris, Karthala,
  • Jacques Tronchon, L’insurrection malgache de 1947, Paris, Karthala, (lire en ligne)

Articles et chapitres[modifier | modifier le code]

  • Yves Benot, « La décolonisation de l'Afrique française (1943-1962) », Le livre noir du colonialisme, XVIe-XXIe siècles : de l’extermination à la repentance,‎
  • Raymond Darolle, « Le procès de la rébellion malgache commence cette semaine », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  • Alban Dignat, « 29 mars 1947 Révolte à Madagascar », Hérodote,‎ (lire en ligne)
  • Cheikh Faty Faye, « Magagascar 1947 : les évènements tragiques et leur traitement par la presse à Dakar », Madagascar 1947:la tragédie oubliée,‎ , p. 141
  • Albert Finet, « Le procès de Tananarive. L’avenir de Madagascar – Perspectives », Réforme, no n° 226,‎
  • Jean Fremigacci, « La vérité sur la grande révolte de Madagascar », L'Histoire, no 318,‎ (lire en ligne)
  • Françoise Raison-Jourde, « Le soulèvement de 1947 : Bref état des lieux », Madagascar 1947:la tragédie oubliée,‎ , p. 20
  • Henri Sinno, « Syndicalisme français et mouvement national malgache », Madagascar 1947:la tragédie oubliée,‎ , p. 52
  • Jacques Tiersonnier, « Témoignage sur 1947 », Madagascar 1947: La tragédie oubliée,‎ , p. 130
  • M Vaube, « L’affaire malgache », Revu des troupes coloniales, no 295,‎ , p. 3-15 (lire en ligne)