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Utilisateur:Gerard-emile/Brouillon Heidegger et la question de la vérité

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Au (§ 44) de la première section de Être et Temps,(SZ p. 213)[N 1], Martin Heidegger, reprend une interrogation qu'il poursuivra jusqu'en 1930 avec « la conférence sur l'essence de la vérité » au cours de laquelle il entreprend la « Destruction ou Déconstruction » [1]du concept philosophique de Vérité, tel que venu jusqu'à nous à partir de sa première apparition dans la Grèce archaïque. Il apparaît que ce concept traditionnel que l'on définit habituellement comme l'« adéquation entre l'idée et la chose » et qui trouve son application dans le jugement a subi au cours du temps de nombreuses métamorphoses[2]. Dans des analyses célèbres remontant aux premiers pré-socratiques Heidegger, en recherchant la source et les conditions de possibilités[3], exhume le sens originaire du concept de Vérité comme Alètheia, qui n'est pas, à l'inverse de son sens actuel, un concept de relation mais l'expression du surgissement hors du retrait, de l'étant en soi. Ce sens a été perdu avec Platon et Aristote et l'idée de Vérité a subi depuis son origine plusieurs transformations pour aboutir en dernier à la vérité-certitude qui nous procure l'illusion de la calculabilité universelle qui est la vérité de notre temps.

Un des étudiants les plus célèbres de Heidegger, Hans-Georg Gadamer[4] note que pour lui, l'histoire qui compte, n'est plus l'histoire événementielle, mais l'histoire des « époques de la vérité de l'Être ».

La déconstruction du concept traditionnel de Vérité[modifier | modifier le code]

Il s’agira de montrer que cette définition ontologique de la Vérité d'abord par la concordance puis par la rectitude du jugement, est en retrait sur la notion, extrêmement complexe des premiers penseurs de l’Alètheia, essentiellement Parménide, mais aussi du sens courant et populaire (épopée homérique) comme l’expose Marcel Detienne dans son livre[5] et donc que quelque chose de la richesse de ce premier sens s'est perdu au cours de l'histoire, et que ce processus de dégénérescence était déjà bien entamé dans la Grèce classique

les époques de la Vérité[modifier | modifier le code]

La mutation de l'essence de la vérité survenue avec la détermination platonicienne de l'être comme «  idea » fut le premier pas que Heidegger va qualifier de catastrophe qui résulte de la confusion initiale entre l' être et la phusis[6]. Dorénavant l' « idea », sous la forme d'un énoncé propositionnel (les categories), va déterminer la présence. Cette notion de vérité, comme conformité de la pensée à la chose une fois émergée chez Aristote va se prêter historiquement à de nombreuses variations.

Il y eut par la suite la vérité scolastique dans laquelle l'adéquation de l'intellect humain à la chose se fondait sur l'adéquation de la chose à la pensée créatrice de Dieu. Mais la variation décisive pour l'avènement du règne de la Technique se trouve formulée dans les travaux de Descartes avec la prévalence absolue de la vérité certitude qui impose aux choses de se soumettre à la mathesis[7]. Connaître devient le moyen de s'assurer d'un pouvoir sur l'étant.

Les développements ultérieurs de la philosophie moderne conduisent à l'impérialisme de la pensée calculante, si bien qu'entre l' « ego cogito » et la notion nietzschéenne de la volonté de puissance, nouvelle et dernière figure de la vérité de l'être, il n'y a pas de discontinuité fondamentale[7]( voir Heidegger et la question de la technique ). Jean Greisch[8] note que malgré la rupture épochale que l'avènement des philosophies modernes est censée représenter, Heidegger soutient que du point de vue ontologique, elles n'apportent rien de nouveau.

la perception heidegerienne de l'alètheia[modifier | modifier le code]

Dans son entreprise de refondation, Heidegger entreprend de retrouver le sens originaire de l'idée de Vérité, ou Aletheia, tant celle des présocratiques (Parménide, Héraclite, Anaximandre) que celle des poètes comme Homère et Hésiode. Pour un exposé exceptionnel du sens originel et de la complexité de l’Aletheia chez les grecs archaïques, on ne peut que recommander la lecture du livre de Marcel Detienne [5] et celui de Marlène Zarader[9].

On constate que chez les premiers penseurs présocratiques les trois thèmes de Phusis , de Logos et d’ Alètheia, apparaissent comme perpétuellement mise en relation, car ils appartiennent au groupe des « paroles fondamentales » distinguées par Marlène Zarader dans son livre[10],[N 2]. À cette époque de l'histoire de l'Être « Tous ces thèmes primordiaux avec celui de l' Alètheia s'ouvrent les uns sur les autres et en arrive presque à s'identifier entre eux » comme le note Heidegger [11].

À partir de l'étymologie de alètheia, qui signifie littéralement « hors de la léthé », Heidegger va chercher à préserver, dans sa langue, le sens qu'il y perçoit avec le mot Unverborgenheit qui vise à articuler une expérience originaire de la vérité comme sortie de l'étant hors du retrait[12]. Il s'agit bien d'une expérience ontologique (quant à l'être) et non pas d'un simple jeu linguistique qu'autoriserait le « a » privatif d'aléthéia .« aléthéia pensée de façon grecque est régie par la léthé, ne se fonde donc pas sur la construction du mot , mais dans la pensée que pour être ce qu’il est le dévoilement a besoin du voilement »[13]. Ce dont cette expression rend compte chez les premiers penseurs et les poètes (Homère, Hésiode) et jusqu'à Platon c'est donc d'un « Événement », un évènement de sortie qui n'est absolument pas réductible au résultat de cet évènement[N 3].

l'effondrement de l'alèthia[modifier | modifier le code]

La perte de sens, l'oubli de l'être, en tant que décèlement ou épiphanie, qui a eu lieu et à partir duquel la Métaphysique ainsi que l’histoire de l’occident, prendront paradoxalement leur essor, cet évènement Heidegger va le qualifier d'effondrement, voire de catastrophe[12],[14]. En fait l’Idea de Platon n'était déjà plus l'apparaître lui-même dans son processus, mais seulement son résultat, la chose vue qui se fige en objet soit en présence constante en tant qu’ousia. Ici se fait une deuxième mutation de l’essence de la vérité qui va consister à soumettre l’être à la pensée, à la perception, au noein[15].

Heidegger considère que la catastrophe a eu lieu, lorsque les penseurs ne prennent plus en considération l'évènement de l'apparition pour ne plus voir que l'apparu, que l'objet, la chose présente, définitivement renforcé dans la conception romaine puis Scolastique de la Veritas.C'est le tout début d'un processus qui verra le sens profond de la Vérité progressivement se à perdre à jamais pour être remplacé par de simples procédures de vérification.

Depuis le Platon, de l'Allégorie de la caverne[16] qui voit la Vérité à travers l'éblouissement de l'Idée, en passant à sa définition comme forme chez Aristote, puis plus tard l'«adæquatio intellectus» et rei et la Véritas du Moyen Âge, chose étendue dans un espace mathématique chez Descartes, ou le phénomène perçu chez Kant. Il y a depuis compréhension de la Vérité à travers une « correspondance entre l'idée et la chose ». Lorsque cette concordance est fermement établie, la vérité est réputée atteinte.

Un deuxième présupposé tout aussi commun et tout aussi problématique d'origine aristotélicien celui-là, réduit le concept de vérité à sa dimension logique, qui veut qu' « une chose ne puisse en même temps et sous le même rapport être et ne pas être » selon le principe de contradiction[N 4]. La vérité ne saurait être affirmée que d'une chose réellement étante, selon les critères de la logique, alors même que, selon Heidegger, la logique est, elle-même, suspendue à la Vérité de l'Être, enfermant ainsi cette application du principe de contradiction dans un cercle.

ce qui est perdu du premier sens de l'alètheia[modifier | modifier le code]

À l'origine la « Vérité-Alètheia », n'est pas encore un concept, et surtout pas encore un jugement de correspondance, elle s'expose, selon Marcel Détienne, dans une Parole, une Parole « magico-religieuse », dite par les hommes habilités et qui exprime une force en tant que partie prenante de la Phusis, en tant que telle, en tant que puissance de la Phusis, elle est efficace, et a pour fonction de dire et d'agir sur ce qui est[17]. Heidegger reprendra cette idée de solennité et d'accoucheuse de ce qui sans elle serait resté voilé .

À travers l'alètheia, la phusis s'expose selon une double perspective ; selon l'émergence mais aussi selon le couple d'opposés dévoilement-recouvrement, que désigne le terme privatif d aléthéia , ἀλήθεια qui, au sens de « hors retrait » accentue l'idée d'une résistance et d'un combat qu'il a trouvé chez Héraclite ( voir le développement sur Héraclite dans Heidegger et les Présocratiques). De l'dentification progressive de la phusis, que Heidegger conçoit comme étendue à l'ensemble de l'étant avec aléthéia naît l'idée surprenante, que le voilement, la non-vérité, en termes modernes appartient à l'essence même de la phusis , donc à l'essence de l' « être »[18].

Le philosophe Marc Froment-Meurice[19]note que l'idée de sortie hors du retrait ne nous est absolument pas transmise par sa traduction latine Véritas qui recouvre et masque « ce qui est le cœur même de l'alètheia, la préséance du retrait sur toute présence, la vérité devient bloc imperméable là où les grecs éprouvaient tout dans la légéreté de la grâce octroyée, du brouillard qui se dissipe, de la « clairière » ».

Jean Beaufret[20] fait état d'une autre conséquence, moins souvent citée, que met à jour Heidegger, le fait que cette mutation de surface s'accompagne d'une autre mutation toute aussi surprenante, qui fera flores en théologie, celle qui consiste pour Platon à soumettre la Vérité au Bon, à l' Agathe du grec Ἀγαθή, notamment dans la République où le Bien suprême devient l'ultime régulateur, rompant ainsi avec la pensée de Parménide et d'Héraclite.

Enfin ce qui a été laissé en chemin c'est l'idée que la vérité elle-même dans son essence est un combat (voir développement la vérité comme combat dans article Alètheia)

En résumé de cette première section, Heidegger n'a jamais affirmé que notre conception habituelle de la vérité était erronée mais seulement qu'elle était dérivée[21]. Comme toujours chez Heidegger, le fondement d'un phénomène est à rechercher du côté des conditions de possibilité.

Le Dasein est originairement dans la vérité[modifier | modifier le code]

« Dans la question de la vérité, il n'y va pas seulement d'une modification du concept traditionnel de vérité , ni d'un complément apporté à sa représentation courante ,il y va d'une mutation de l'être-homme ».Heidegger Lettre à Richardson[22].

le Dasein comme être découvrant[modifier | modifier le code]

De toute' évidence, le « vrai » ne peut avoir son siège dans le seul jugement. Déjà pour Aristote lui-même, on l'avait bien vite oublié, dans sa Métaphysique, en Theta, chapitre 10, reconnaît que « ce n'est pas la proposition qui est le lieu de la vérité mais tout au contraire la vérité qui est le lieu de la proposition » , comme le rappelle Françoise Dastur reprenant Heidegger[23].

En effet, alors que la sensation des sensibles propres est toujours vraie, le jugement qui fait intervenir la raison peut être faux comme l'avait déjà remarqué Aristote, car il fait intervenir contrairement au sensible un tiers, qui s'il est ignorant ne saisit pas la chose en ce qu'elle est, Françoise Dastur [N 5].

Pour qu'un énoncé soit vrai, il faut d'abord qu'il exprime la chose telle qu'elle est et non pas seulement une représentation de cette chose[24]. Par cette affirmation Heidegger tente de transcender les difficultés soulevées par les théories de la connaissance, car exprimer la chose telle qu'elle est, suppose qu'elle soit déjà là-devant, pas simplement dans sa représentation, Heidegger parle de Vor-stellen, traduit par « Apprésentation », de saisie en chair et en os selon l'expression husserlienne, qui suppose un Dasein toujours déjà auprès des choses (être-au-monde).

La question reste de savoir comment l'accord peut s'effectuer, entre quoi et quoi et comment? Si la représentation n'est plus une étape nécessaire il faut bien supposer que le Dasein « entend », comprend, se saisit, de la chose même directement, que l'énoncé découvre l'étant lui-même non son image, et c'est bien ce que Heidegger tire comme conséquence de la théorie de l'évidence exposée dans « la VI Recherche Logique de Husserl » avec son concept d'intentionnalité[25].

L'énoncé n'exprime plus un état interne d'un sujet ce qui poserait le problème du rapport entre cet état interne et la chose extérieure mais « cela même à propos de quoi il énonce quelque chose »[26]. Christian Dubois a cette formule « l'être-vrai (vérité) de l'énoncé doit nécessairement être entendu comme être découvrant » [27]. Cela n'est possible que si nous nous comportons toujours déjà par rapport aux choses, non pas dans un simple rapport de conscience mais « affectivement », « comme être-au-monde », être par essence découvrant. Ce rapport essentiel qui caractérise l' « être-là » en son existence c'est d'« être-toujours-déjà-auprés-de »[28]. La monstration nous dit Marlène Zarader[24] implique un Verhalten : un comportement ou une « disposibilité accueillante » du Dasein. Heidegger dit expressément « le λόγος est la modalité de l'être du Dasein qui peut découvrir aussi bien que cacher » Être et Temps (SZ p. 226)

Alexander Schnell[29] conclut « la vérité -adéquation s'avère ainsi être dérivée par rapport à une vérité que Heidegger érige en existential de l'être-là et qu'il appelle l'être-dévoilé qui est la traduction de l'alètheia grecque » , ce que formule d'une autre façon Mario Ruggenini[30] « l'énoncé est fondé dans l'être découvrant du Dasein, c'est-à-dire dans son être-ouvert (Erschlossenheit) ».

la dimension de la vérité[modifier | modifier le code]

Pour que l'étant se montre tel qu'il est, il faut ensuite qu'il ait surgi en tant que tel au préalablement pour ainsi dire[31]. Il y a donc, de toute nécessité, une vérité de la chose « apprésentée » qui précède le jugement de vérité et c'est cette vérité de la chose que l'alètheia en son sens originel, s'efforcerait d'exprimer.

Ce retour vers la « chose en tant que telle » n'est pas phénoménologiquement en soi suffisant, car pour être là devant, antérieurement à sa saisie[N 6], il faut qu'elle soit dans une dimension, un lieu qui autorise sa saisie, une dimension que Heidegger a aperçu dans le « hors-retrait » des premiers grecs et qu'il appellera l'ouvert Ein Offenbares, expression qui deviendra Ouverture pour le Dasein, puis plus tard, « clairière », « éclaircie de l'Être », toutes expressions, qui font encore référence au phénomène de la lumière, phènomène qui rappelle l'idée que s'en faisait Platon[N 7].

Comme le souligne le rédacteur du Dictionnaire [32], la pleine entente de l'être de la vérité demande la prise en vue non seulement du hors retrait mais aussi du domaine de l'éclaircie, mais aussi encore du retrait qui en est la source la plus vive[N 8].

Toutefois, rappelle Françoise Dastur, la pensée de l'Idéa ignore tout ce qu'elle doit à la lumière de l'être, elle ne fait l'expérience de cette lumière que dans l'éclairement de l'étant, et jamais de la lumière en tant que telle[33]. Avec l'Ouvert, ou Monde, c'est l'éclaircie elle-même qu'il s'agit de penser , éclaircie immanente qui est la condition de l'être de la chose et de sa vérité.

L'éclosion de l'« être-vrai », implique aussi que l'étant « soit laissé être, l'étant qu'il est » autrement dit, la chose ne peut servir de mesure pour le jugement que si leDasein s'est auparavant rendu libre vis-à-vis d'elle[34]. Cette condition, Heidegger, dans Vom Wesen der Wahrheit ou « Essence de la vérité »[35], l'appelle, Liberté[24],[36].

« L'essence de la vérité repose dans la liberté » Heidegger cité par Alain Boutot[37]

Si l'étant est vrai, en tant qu'il apparaît librement dans l' Ouvert, comme « dévoilé », « alors l'ultime problème et le plus décisif est celui de l'ouverture de l'Ouvert »[38], au-delà du dévoilé il faut penser le « dévoilement » en tant que tel, ou mieux le « désabritement » qui sonne aux oreilles de Heidegger comme un arrachement à la Léthé dans la Grèce archaïque.

La vérité comme combat[modifier | modifier le code]

En traduisant alètheia par Unverborgenheit, dévoilement ou plutôt non-voilement, et non plus simplement par « Vérité », Heidegger s'efforce de faire entendre quelque chose du sens [N 9], de ce vers quoi alètheia faisait signe, même à l'insu des grecs, et à partir duquel ils déployaient leur monde (le monde d'Homère et des premiers penseurs et poètes)[39].

Pour entendre ceci, il faut remonter en deçà de l'événement qui avait conduit à l' implosion du premier sens de l’alètheia, à savoir « le moment où est oublié l'aspect temporel et aventureux de la sortie hors du retrait »[40] et où seul le résultat compte, notamment chez Platon, et où définitivement l’Alètheia, devient simplement, l'étant.

entre le vrai et le faux: l'errance[modifier | modifier le code]

Heidegger distingue de la non vérité , l'errance qui n'est pas l'erreur mais un mode d'être fondamental dans lequel l'être-là oubliant le mystère, c'est-à-dire la prévalence de la dissimulation s'accroche à l'étant rencontré dans la préoccupation quotidienne, l'erreur n'étant que la manière la plus superficielle d'errer[41].

la co-appartenance du voilement et du dévoilement[modifier | modifier le code]

Dans un fragment numéroté 123, Héraclite aurait déclaré« Φύσις κρύπτεσθαι φιλεῖ », soit « la nature aime à se cacher » , sentence trop trivialement traduite à nos oreilles modernes par « Héraclite aurait constaté poétiquement la pénibilité du savoir et de l'apprentissage », alors que pour Heidegger, cette sentence pourrait exprimer, l'essence profonde de alètheia, à savoir que le dévoilement implique nécessairement et simultanément le voilement.

Au-delà de la présence de la λήθη, le « ἀ » privatif fait signe vers la prévalence de l'occultation qui régit entièrement l'essence de l'être[N 10].

le jeu du voilement et du dévoilement[modifier | modifier le code]

« L'oubli de l’être » signifie que l’être se voile, qu’il se tient dans un retrait voilé qui le dérobe à la pensée de l’homme, mais qui peut aussi être considéré comme une retraite protectrice, une mise en attente d’un décèlement[42].

Heidegger s'efforce de nous faire penser ensemble voilement et dévoilement. Pour cela, il s'aide de la traduction allemande, qui l'autorise à interpréter le « se cacher » de la sentence héraclitéenne aussi bien comme un « s'abriter »; la Phusis , aimerait ainsi d'aprés le penseur à s'« abriter » parce que à l'abri du voile, le cèlement, l'occultation, sont pour elle la garantie du « surgissement » et de « l'éclosion »[43],[N 11].

Méditer cette co-appartenance entre «éclosion » et « occultation » n'est pas un jeu dialectique, ni une simple apposition de contraires; mais, comme nous le précise Heidegger, une dynamique propre qui nous force à penser l'occultation et le non-être, comme une part essentielle de la Phusis , (la nuit du jour, la guerre de la paix, la disette de l'abondance ), qui seule lui garantit d'être ce qu'elle est. Dans cette pensée originaire le non-être est constitutif de l'être, et c'est ceci qui est pensé dans la sentence énigmatique héraclitéenne, vue plus haut[44], ainsi que dans le statut du dire et de la parole dans les temps archaïques[45].

Plus énigmatique encore, l'insistance de Heidegger, à présenter l'alètheia, non seulement comme ayant besoin de l'occultation pour briller ( le jour a besoin de la nuit ) ce qu'elle serait si elle était une simple ouverture mais comme dévoilement de l'occultation elle-même[46].

la « Lichtung » comme espace du jeu[modifier | modifier le code]

Ici encore, dans sa compréhension de la Lichtung, traduit ordinairement par « clairière » ou « éclaircie » , Heidegger apparaît extraordinairement novateur . La métaphore de la lumière est banale depuis Platon, pour désigner la condition de possibilité de l'apparaître, Heidegger en use aussi dans ce sens mais, il remarque vite que cette clarté, ce libre rayonnement demande une dimension supérieure, une contrée où elle puisse répandre son rayonnementet où puisse apparaître tout ce qui est. Cette éclaicie, die Lichtung, va être l'ouverture que cette clarté présuppose, « elle dit non seulement, ce qui se dévoile et ce dévoilement même, mais aussi, cet autre qui lui ne se dévoile pas et qui demeure occulté »[47],[48]. Marlène Zarader résume ainsi, en trois points les lignes de forces essentielles pour la compréhension du sens d' Alètheia dans la pensée de Heidegger :

1/-l' ἀλήθεια est pensée comme dévoilement de l'étant et non comme concordance entre idée et chose.

2/-il s'avère que l'étant ne peut se dévoiler qu'en raison d'une dimension qui ne se dévoile pas. L' ἀλήθεια a besoin de la λήθη, ce qui se dérobe qui constitue comme une réserve et est, l' être.

3/-le point essentiel et le plus énigmatique, c'est que cette occultation s'occulte elle-même au regard du Dasein.

L'homme est cet « être-jeté », dans la vérité de l'Être, pour qu'en « eksis tant », l'étant apparaisse comme l'étant qu'il est[49]. L'homme est « projet-jeté » dans l'existence, il lui revient d'y donner sens à la mesure du don qui lui est fait de l'éclaircie Lichtungde l'Être. L'Être, qui est l'éclaircie elle-même, y arrive à l'homme et rend possible l'éclaircie (qui s'appelle ouverture dans Être et Temps) de l'être-le-Là (voir Dasein), de l'y approprier, l'appropriement étant l'autre nom de l'Éreignis dans les Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis), que les lecteurs de 1946 ne pouvaient pas connaitre.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Dubois 2000, p. 67
  2. Dictionnaire Martin Heidegge-Vérité-page 1356
  3. Boutot 1989, p. 45
  4. Gadamer 2002, p. 178-179.
  5. a et b Detienne 1990
  6. Dastur 2007, p. 126
  7. a et b Taminiaux 1983, p. 272
  8. Greisch 1994, p. 97
  9. Zarader 1990, p. 52
  10. Marlène Zarader, Heidegger et les paroles de l'origine, VRIN, 1990, page 19.
  11. Eliane Escoubas dans Jean-François Courtine éd collectif l'Introduction à la métaphysique de Heidegger Études et Commentaires VRIN page 160
  12. a et b Gérard Guest, Paroles des jours, séminaire 15/12/2007 3e séance, vidéo 13
  13. Zarader 1990, p. 63
  14. voir Séminaire du Thor
  15. Dastur 2011, p. 215
  16. Heidegger 2001
  17. Detienne 1990, p. 50-51
  18. Gadamer 2002, p. 125
  19. Froment-Meurice 1996, p. 39
  20. Jean Beaufret Dialogue avec Heidegger Philosophie moderne Tome 2 Arguments Éditions de minuit 1977 pages 196-197
  21. Marlène Zaraderop cité Indroduction Emmanuel Lévinas VRIN 1990
  22. Heidegger Questions III et IV collection Tel Gallimard 1990 page 347
  23. Dastur 1990, p. 24
  24. a b et c Zarader 1990, p. 55
  25. Dubois 2000, p. 68
  26. Schnell 2005, p. 163
  27. Dubois 2000, p. 68
  28. Schnell 2005, p. 163-164
  29. Schnell 2005, p. 164
  30. Ruggenini 1996, p. 154
  31. Zarader 1990, p. 53-54
  32. Dictionnaire Martin Heidegger article Vérité
  33. Dastur 2011, p. 18
  34. Boutot 1989, p. 47
  35. dans: Questions I et II, collection TEL Gallimard 1990
  36. voir précisément le développement de cette idée de liberté comme fondement de la vérité page 56 du précédent ouvrage
  37. Boutot 1989, p. 47
  38. Marlène Zarader op cité 1990 page 60
  39. Marlène Zarader op cité 1990 page 61
  40. Gérard Guest, Paroles des jours, 7e séance, 24,05,2008, vidéo 5, http://parolesdesjours.free.fr/seminaire7.htm
  41. Boutot 1989, p. 50
  42. Alain de Benoist, Jünger, Heidegger et le nihilsme (lire en ligne)
    Texte d’une conférence prononcée à Milan
    .
  43. Marlène Zarader Heidegger et les paroles de l'origine VRIN 1990 page43
  44. Marlène Zaraderop cité 1990 page44-45
  45. Marcel Détienne op cité
  46. Marlène Zaraderop cité 1990 page 64
  47. Marlène Zarader op cité 1990 page 68
  48. voir Séminaire de Gerard Guest Paroles des Jours 31e Conférence du 11/05/2013 vidéo 10 http://parolesdesjours.free.fr/seminaire.htm
  49. Lettre sur l'humanisme 1957, p. 77

Notes[modifier | modifier le code]

  1. les références renvoyant à Être et Temps sont toujours données, sous la forme (SZ p) par rapport à la pagination du texte allemand toujours signalées dans les traductions françaises
  2. Ces paroles fondamentales n'appartiennent pas seulement à ceux qui les prononcèrent. En tant que paroles du commencement, elles ouvrent tous les domaines du questionnement que la philosophie reconnaîtra comme sien : elles disent l’être , la vérité, le destin, le temps. Marlène Zarader, Heidegger et les paroles de l’origine, VRIN, 1990, page 19.
  3. à noter les héllénistes tels Marcel Détienne ont une autre approche de l'alètheia qui sans être absolument contradictoire à celle du philosophe met néanmoins plutôt l'accent sur le caractère religieux et sacramentel de ce qu'il nomme parole de vérité ( voir L'Alètheia dans la Grèce antique
  4. C'est Franz Brentano dans son livre De la diversité des acceptions de l'être d'après Aristote, que Heidegger avait lu dans sa jeunesse qui développera la conception logique de La Vérité en oubliant les passages où Aristote présentant une conception ontologique de la Vérité que Heidegger reprendra et priviligéra voir-Françoise Dastur Heidegger Bibliothèque des Philosophies VRIN 2007 page 127
  5. Françoise Dastur prend l'exemple de l'énoncé « « l'homme est mortel », l'apophansis a recours à l'être-mortel pour faire voir l'homme dont on parle comme mortel. Par cette structure de synthèse qui fait voir l'être-ensemble de l'homme et de la mortalité, le discours apophantique reçoit en même temps la poossibilité du recouvrement »Françoise Dastur Bibliothèque des philosophies VRIN 2007 page77-78
  6. pour que la connaissance puisse se régler sur l'étant (vérité prédicative), il faut que celui-ci se soit déjà manifesté comme tel (vérité ontique). Les grecs ont donné à cet étant ainsi manifeste qu'il concevait comme surgissant et venant au paraître le nom de ἀλήθέϛ d'où l' ἀλήθεια que les romains ont traduit par Véritas qui ne garde plus son caractère essentiel de dévoilé et de dévoilement C'est pourquoi Heidegger a proposé d'abandonner la traduction d'ἀλήθεια par vérité et de la remplacer par Unverborgenheit, dévoilé ou ouvert sans retrait -Marlène Zarader op cité 1990 page 61
  7. C'est pourquoi le sous-titre de son livre sur l'essence de la vérité s'intitule Approche de l'allégorie de la caverne et du Théétète de Platon
  8. Le dictionnaire cite le fragment 123 de Héraclite « Rien n'est plus cher à l'éclosion que le retrait »
  9. l'entente grecque n'est elle-même pas exempte d'ambiguïté entre le sens d'exactitude et celui de non-voilement voir article Vérité dans Le Dictionnaire Martin Heidegger sous la direction de Philippe Arjakosky-François Fédier-Hadrien France-Lanord Cerf 2013
  10. « En d'autres termes, l'affirmation selon laquelle l' ἀλήθεια, pensée de façon grecque, est régie par la λήθη, ne se fonde pas dans la construction du mot, mais dans la pensée que le dévoilement , pour être ce qu'il est, a besoin du voilement » Marlène Zaraderop cité 1990 page63
  11. « c'est parce qu'elle surgit de lui qu'elle incline vers lui, comme vers ce qui seul garantit son surgissement. Il apparaît ainsi que l'émergence « aime », l'occultation, non point comme ce qui la nierait mais comme l'élément où sa propre possibilité d'être se trouve abritée, tenue en réserve, et ainsi préservée » Marlène Zaraderop cité 1990 page43

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Martin Heidegger:
    • Martin Heidegger (trad. Alain Boutot), De l’essence de la vérité. Approche de l’allégorie de la caverne et du Théétète de Platon, Gallimard, coll. « Tel », (ISBN 2070732789)
    • Questions I et II, Paris, Gallimard, coll. « TEL » (trad. Kōstas Axelos, Jean Beaufret, Walter Biemel et al.), 1990, 582 p. (ISBN 2070718522) (OCLC 21386975)
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