Aller au contenu

Sonnets pour la Belle matineuse

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Sonnets pour
la Belle matineuse
Image illustrative de l’article Sonnets pour la Belle matineuse
La Belle matineuse de Vincent Voiture
(édition originale de 1650)

Auteur Divers
Pays Drapeau du Royaume de France Royaume de France
Drapeau de l'Espagne Monarchie espagnole
États pontificaux
Genre Sonnet
Version originale
Langue Français, Italien, Espagnol

Le thème de la Belle matineuse a été développé en sonnets par des poètes italiens et français du XVIe siècle et du XVIIe siècle. L'exemple le plus célèbre est proposé par Vincent Voiture en 1635, entraînant une mode dans les milieux précieux autour de ce thème.

En 1635, Vincent Voiture adresse une lettre à une jeune demoiselle, à Blois, qui s'ouvre sur le sonnet intitulé La Belle matineuse et se poursuit ainsi : « Après quatorze vers, vous me permettrez bien de mettre quatorze lignes de prose, et de vous dire, en un langage qui a accoutumé d'être plus véritable que celui-là, que je me meurs pour vous[1] ».

Le sonnet de Voiture « déclencha une compétition, où s'illustrèrent notamment Malleville et Tristan L'Hermite[2] ».

La Belle matineuse

[modifier | modifier le code]
Portrait de Voiture par Philippe de Champaigne.
Musée d'art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand.

Des portes du matin l'Amante de Céphale,
Ses roses épandait dans le milieu des airs,
Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
Ces traits d’or et d’azur qu’en naissant elle étale,

Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut, et brilla de tant d'attraits divers,
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'Univers
Et remplissait de feux la rive Orientale.

Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux
Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l'Olympe se dore.

L'Onde, la terre et l'air s'allumaient alentour
Mais auprès de Philis on le prit pour l'Aurore,
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour[3].

Autres sonnets

[modifier | modifier le code]

Le silence régnait sur la terre et sur l'onde,
L'air devenait serein et l'Olympe vermeil,
Et l'amoureux Zéphir affranchi du sommeil
Ressuscitait les fleurs d'une haleine féconde.

L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde
Et semait de rubis le chemin du Soleil ;
Enfin ce dieu venait au plus grand appareil
Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde,

Quand la jeune Philis au visage riant,
Sortant de son palais plus clair que l'Orient,
Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.

Sacré flambeau du jour, n'en soyez point jaloux !
Vous parûtes alors aussi peu devant elle
Que les feux de la nuit avaient fait devant vous[4].

Tristan L'Hermite

[modifier | modifier le code]

Tristan L'Hermite publie son sonnet dans La Lyre, sous le titre Imitation d'Annibal Caro :

L'amante de Céphale entr'ouvrait la barrière
Par où le dieu du jour monte sur l'horizon ;
Et, pour illuminer la plus belle saison,
Déjà le clair flambeau commençait sa carrière.

Quand la nymphe qui tient mon âme prisonnière
Et de qui les appas sont sans comparaison,
En un pompeux habit sortant de sa maison,
À cet astre brillant opposa sa lumière.

Le soleil, s'arrêtant devant cette beauté,
Se trouva tout confus de voir que sa clarté
Cédait au vif éclat de l'objet que j'adore ;

Et, tandis que de honte il était tout vermeil
En versant quelques larmes, il passa pour l'aurore ;
Et Philis, en riant, passa pour le soleil[5].

Émile Faguet juge cette Belle matineuse « nullement inférieure à celles de Malleville et Voiture ; mais, soucieux de renouveler le sujet, il a donné comme pendant ou comme réplique à la belle du matin une autre version que l'on pourra appeler, si l'on veut, la Belle crépusculaire[6] » :

Sur la fin de son cours le Soleil sommeillait
Et déjà ses coursiers abordaient la marine,
Quand Élise passa dans un char qui brillait
De la seule splendeur de sa beauté divine.

Mille appas éclatants qui font un nouveau jour
Et qui sont couronnés d'une grâce immortelle,
Les rayons de la gloire et les feux de l'amour
Éblouissaient la vue et brûlaient avec elle.

Je regardais coucher le bel astre des cieux,
Lorsque ce grand éclat me vint frapper les yeux,
Et de cet accident ma raison fut surprise.

Mon désordre fut grand, je ne le cèle pas.
Voyant baisser le jour et rencontrant Élise,
Je crus que le Soleil revenait sur ses pas[6].

Testu de Belval

[modifier | modifier le code]

Antécédents

[modifier | modifier le code]

Le thème de La Belle matineuse avait été traité, avant Vincent Voiture et Annibal Caro, notamment par Ronsard et Du Bellay[7], à l'imitation d'un sonnet d'Antonio Francesco Raineri (it)[8].

Annibal Caro

[modifier | modifier le code]

Eran l'aer tranquillo e l'onde chiare.
Sospirava Faviano e fuggia Clori.
L'alma Ciprigna innanzi a i primi albori
Ridendo empiea d'amor la Terra e'l Mare.

La ruggiadosa Aurora in ciel più rare
Facea le stelle ; e di più bei colori
Sparse le nubi e i monti ; uscià già fuori
Febo, qual più lucente in Delfo appare.

Quando altra Aurora in più vezzaso hostello
Aperse, e lampieggió sereno e puro
Il sol che sol m'abbaglia e me disface.

Volsimi ; e'n contro a lei mi parve oscuro
(Santi lumi del ciel, con vostre pace),
L'Oriente, che dianzi era si bello.

L'air était calme et l'onde claire.
Le Zéphyr soupirait et fuyait Chloris.
L'alme Cypris riant aux premières lueurs
Emplissait d'amour la Terre et la Mer.

L'Aurore couverte de rosée raréfiait les étoiles
Dans le ciel, et des plus belles couleurs nimbait
Les nuages et les monts. Déjà sortait Phébus,
Tel qu'il apparaît à Delphes dans son plus bel éclat.

C'est alors qu'une autre Aurore apparut
D'un plus charmant palais, et brilla, pur et serein,
Le soleil qui seul m'éblouit et me fait fondre.

Je me retournai ; à côté de lui me parut obscur
(Saintes étoiles du ciel, pardonnez-moi),
L'Orient qui tout à l'heure était si beau[9].

Antonio Raineri

[modifier | modifier le code]

Eran tranquillo il mar ; le selve e i prati
Scuoprian le pompe sue, frondi al cielo
Et la notte sen gla squarciando il velo,
Et spronando i cavai foschi e alati.

Scuotea l'aurora da capegli aurati
Perle d'un vivo trasparente gielo ;
Et gia ruotava il Dio, che nacque in Delo,
Raggi da i liti Eoi ricchi odorati.

Quand'ecco d'Occidente un più bel Sole
Spuntogli incontro serenando il giorno,
Et impallidio l'Orientale imago.

Velocissime luci eterne e sole,
Con vostra pace, il moi bel viso adorno
Parve albor più di voi lucente e vago.

Tranquille était la mer ; les forêts et les prés
Découvraient leurs splendeurs, feuilles, feuillages au ciel ;
Et la nuit allait déjà déchirant son voile,
Éperonnant ses chevaux sombres et ailés.

L'Aurore secouait, de ses cheveux dorés,
Des perles d'une vive et transparente glace ;
Et déjà le Dieu qui naquit à Délos tournait
Ses rayons des rives parfumées de l'Orient.

Quand voici que d'Occident un plus beau Soleil
Se leva face à lui, éclaircissant le jour,
Et fit pâlir l'astre de l'Orient.

Ô vous, lumières à la course éternelle, et toi Soleil,
N'en prenez pas ombrage, ce merveilleux visage
Que j'adore parut plus que vous lumineux et charmant[10].

Berardino Rota

[modifier | modifier le code]

Tras la bermeja Aurora el Sol dorado
Por las puertas salía del Oriente,
Ella de flores la rosada frente,
Él de encendidos rayos coronado.

Sembraban su contento o su cuidado,
Cuál con voz dulce, cuál con voz doliente,
Las tiernas aves con la luz presente
En el fresco aire y en el verde prado,

Cuando salió bastante a dar Leonora
Cuerpo a los vientos y a las piedras alma,
Cantando de su rico albergue, y luego

Ni oí las aves más, ni vi la Aurora;
Porque al salir, o todo quedó en calma,
O yo — que es lo más cierto — sordo y ciego.

À la suite de l'Aurore vermeille,
Le Soleil doré sortait des portes de l'Orient,
Elle son front couronné de fleurs
Et lui de rayons de flammes.

Ils épanchaient leur joue ou leur tristesse,
Les uns d'une voix douce, les autres d'une voix plaintive,
Les tendres oiseaux, avec la lumière présente
Dans l'air frais et dans la verte prairie,

Quand sortit en chantant, de son riche palais, Léonore
Capable à elle seule de donner un corps aux vents
Et aux pierres une âme ; alors

Je n'entendis plus les oiseaux ni ne vis plus l'Aurore,
Car, quand elle sortit, ou tout devint calme,
Ou moi — c'est le plus sûr — je devins sourd et aveugle[11].

Ronsard illustre le thème dans ses Amours de Cassandre (sonnet LXXVIII) :

De ses cheveux la roussoyante Aurore
Éparsement les Indes remplissait,
Et jà le ciel à longs traits rougissait
De maint émail qui le matin décore,
  
Quand elle vit la Nymphe que j'adore
Tresser son chef, dont l'or, qui jaunissait,
Le crêpe honneur du sien éblouissait,
Voire elle-même et tout le ciel encore.
  
Lors ses cheveux vergogneuse arracha,
Si qu'en pleurant sa face elle cacha,
Tant la beauté des beautés lui ennuie :
  
Et ses soupirs parmi l'air se suivants,
Trois jours entiers enfantèrent des vents,
Sa honte un feu, et ses yeux une pluie.

Du Bellay en donne une version dans L'Olive (sonnet LXXXIII) :

Déjà la nuit en son parc amassait
Un grand troupeau d'étoiles vagabondes,
Et, pour entrer aux cavernes profondes,
Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;

Déjà le ciel aux Indes rougissait,
Et l'aube encor de ses tresses tant blondes
Faisant grêler mille perlettes rondes,
De ses trésors les prés enrichissait :

Quand d'occident, comme une étoile vive,
Je vis sortir dessus ta verte rive,
Ô fleuve mien ! une nymphe en riant.

Alors, voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d'un double teint colore
Et l'Angevin et l'indique orient.

Olivier de Magny

[modifier | modifier le code]

Olivier de Magny a varié sur le thème de la Belle matineuse dans trois sonnets (XXXII à XXXIV de ses Cent-deux sonnets des Amours, publiés en 1553), « de façon banale » selon Henri Weber[12] :

Quand du haut ciel ma Dame descendit
Sous la faveur d'une étoile amiable,
Et que depuis l'éternel immuable
Dedans ce corps excellent la rendit,

Saturne alors ne régnait (comme on dit)
Ni du dieu Mars la lumière admirable,
Ni celle-là de Mercure au semblable ;
Une plus claire apparaître entendit.

C'était Vénus qui flamboyait à l'heure
Sur l'horizon, par quoi l'archer sans yeux
Dessus les siens voulut prendre demeure.

Doncques celui qui ne voudra qu'il tire,
Encontre soi, s'il demande son mieux,
De son regard promptement se retire[13].

Bachet de Méziriac

[modifier | modifier le code]

Abraham de Vermeil

[modifier | modifier le code]

Le sonnet d'Abraham de Vermeil, recueilli dans une anthologie (la Seconde Partie des muses ralliées, en 1600), est une illustration baroque du thème de « la Belle matineuse : le poète imagine une compétition entre le Soleil et la femme aimée, dont cette dernière sort victorieuse[14] » :

Un jour mon beau soleil mirait sa tresse blonde
Aux rais du grand Soleil qui n'a point de pareil :
Le grand Soleil aussi mirait son teint vermeil
Aux Rais de mon Soleil que nul rai ne seconde :

Mon Soleil au Soleil était Soleil et onde :
Le grand Soleil étoit son onde et son Soleil :
Le Soleil se disait le Soleil nompareil :
Mon Soleil se disait le seul Soleil du monde :

Soleils ardant, laissez ces bruits contentieux,
L'un est Soleil en terre et l'autre luit aux Cieux :
L'un est Soleil des corps, l'autre Soleil de l'âme :

Mais si vous débattez, Soleils, qui de vous deux
Est Soleil plus luisant et plus puissant de feux,
Soleil tes jours sont nuits comparés à ma Dame[15].

Gilles Ménage a consacré au thème de La Belle matineuse « une docte dissertation, en 1652, où il fait remonter l'origine du thème à Catulle[16] ».

Bibliographie

[modifier | modifier le code]

Anthologies

[modifier | modifier le code]

Éditions modernes

[modifier | modifier le code]
  • Tristan L'Hermite et Jean-Pierre Chauveau (introduction et notes), La Lyre (texte original de 1641), Paris-Genève, Librairie Droz, coll. « Textes littéraires français » (no 243), , LXXVII-327 p. (ISBN 2-600-02517-0)
  • Olivier de Magny et Mark S. Whitney (édition critique), Poésies, Paris-Genève, Librairie Droz, coll. « Textes littéraires français » (no 164), , 144 p.
  • Abraham de Vermeil et Henri Lafay (édition critique), Poésies, Paris-Genève, Librairie Droz, coll. « Textes littéraires français » (no 229), , 187 p.
  • Vincent Voiture et Henri Lafay (édition critique), Poésies, t. I, Paris, Didier, coll. « Société des textes français modernes », , 372 p.

Ouvrages généraux

[modifier | modifier le code]

Monographies

[modifier | modifier le code]

Références

[modifier | modifier le code]
  1. Lafay 1971, p. 70.
  2. Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 890.
  3. Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 1063-1064.
  4. Rollin 2006, p. 164.
  5. Chauveau 1977, p. 150.
  6. a et b Faguet 1905, p. 78.
  7. Rollin 2006, p. 163.
  8. Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 1488.
  9. Rollin 2006, p. 166.
  10. Rollin 2006, p. 165-166.
  11. Rollin 2006, p. 165.
  12. Weber 1956, p. 306.
  13. Whitney 1970, p. 59.
  14. Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 1440.
  15. Lafay 1976, p. 42.
  16. Chauveau 1977, p. 151.