Ralliement (catholicisme en France)

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Le « Toast d’Alger » en 1890 et le Ralliement, caricature parue dans Le Grelot en 1892.

Le Ralliement désigne l'attitude d'une partie des catholiques français qui, à la suite de l'encyclique Au milieu des sollicitudes du pape Léon XIII, adhèrent à la Troisième République après le . « L'émergence d'une République plus modérée invite à l'apaisement et au ralliement des catholiques. En autorisant une certaine ouverture, les autorités romaines et épiscopales contribuent à multiplier les initiatives pour tenter l'expérience d'une droite catholique conservatrice, renonçant à la monarchie et acceptant les institutions républicaines[1] ».

Cette politique de rapprochement avec les républicains laïcs, suscite une grande espérance dans les milieux ralliés, démocrates chrétiens et libéraux, mais se brise avec l'affaire Dreyfus à la fin du XIXe siècle, jusqu'à la loi de séparation des Églises et de l'État en 1905 qui entraîne une réconciliation inattendue entre les extrémistes des deux camps[2].

La politique de Ralliement et le « Toast d'Alger » du cardinal Lavigerie

Alors que le cardinal Lavigerie, archevêque d'Alger reçoit le 12 novembre 1890 à sa table, dans sa résidence archiépiscopale de saint-Eugène (commune de la wilaya d'Alger), les officiers supérieurs de l'escadre française de la Méditerranée, il lève son verre (d'où le nom de « Toast d'Alger » donné à ces propos) devant l'amiral Duperré, commandant de la flotte, et déclare haut et fort[3] :

« Quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme d'un gouvernement n'a rien de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées, lorsqu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de sacrifier pour l'amour de la patrie. […] C'est ce que j'enseigne autour de moi, c'est ce que je souhaite de voir imiter en France par tout notre clergé, et en parlant ainsi, je suis certain de n'être démenti par aucune voix autorisée. »

Cette déclaration est une préparation à l'Encyclique Au milieu des sollicitudes de Léon XIII[4],[5]. Le pape souhaite en effet en finir avec le conflit entre l'Église catholique et les dirigeants laïcs de la Troisième République, qui divise la France et empêche les catholiques de participer à la vie politique de leur pays. Il s'agit aussi pour le souverain pontife d'un enjeu ecclésiologique majeur : affirmer la monarchie pontificale et son pouvoir spirituel à travers l'instrumentalisation du discours officiel des autorités ecclésiastiques qui encourage le Ralliement des catholiques français à la Troisième République, et souhaite ainsi répondre à une logique de conciliation entre nationalisme et ultramontanisme après que le Saint-Siège ait perdu en 1870 les États pontificaux et son pouvoir temporel[6]. Le pape charge donc le cardinal d'amorcer ce mariage de raison avec les républicains modérés, avant lui-même d'officialiser cette politique dite du « Ralliement » dans son Encyclique[4],[5].

Une comparaison attentive de cette déclaration — très médiatisée — avec l'Encyclique Au milieu des sollicitudes (publiée un an et demi plus tard), montre des différences très nettes, principalement en ce qui concerne la lutte à laquelle le Pape Léon XIII appelait les catholiques français contre la législation antireligieuse - sujet que n'avait pas abordé le cardinal d'Alger[Interprétation personnelle ?].

Réactions

Le pape précise dans son encyclique que la reconnaissance de la forme du gouvernement, qu'il réclame de la part des catholiques — en France comme dans tous les pays — ne signifie pas l’acceptation de la législation hostile au catholicisme[7]. Le Pape réclame en revanche la cessation d'une opposition systématique des catholiques français à la forme républicaine du gouvernement, pour s'efforcer désormais de peser de tout leur poids dans les institutions afin de faire modifier les lois de laïcisation[8]

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Bien que les évêques français, à l'unanimité, aient signé une lettre d'approbation au Souverain Pontife[9], l'autorité du pape est violemment contestée par un certain nombre de catholiques.

Le premier contestataire semble être Emile Ollivier, ancien ministre de Napoléon III, qui, dans Le Figaro du 10 mai 1892, suppose une opposition entre l'Encyclique Au milieu des sollicitudes et le Syllabus du Pape Pie IX. Réfuté par l'Osservatore Romano, l'organe officieux du Vatican, Emile Ollivier, laissant percer une répulsion certaine pour l’ancien ordre social catholique, persistait :

« Que de Rome on prescrive au clergé d’en haut et d’en bas de devenir républicain dans l’intérêt de la religion, rien de plus naturel. Qu’on veuille, au contraire, détruire ou enchaîner le libre arbitre politique du laïque, c’est un des procédés théocratiques du moyen âge contre lesquels toutes les sociétés se sont insurgées. Quoiqu’en dise [l’Osservatore romano], un pontife d’une âme aussi haute et d’un esprit aussi perspicace que Léon XIII, ne saurait, en ces jours de démocratie, rêver le retour au sentiers périlleux sur lesquels, en temps plus propice, trébuchèrent [sic] Grégoire VII et Boniface VIII. »[10]

Quelques semaines plus tard, le duc Sosthène II de La Rochefoucauld-Bisaccia, chef des députés monarchistes à l'Assemblée Nationale, reprend la même attitude et signe une "Déclaration de la Droite Royaliste"[11] dans laquelle il affirme : En présence des divergences de sentiments que des manifestations récentes ont révélées parmi les catholiques, les membres de la Droite royaliste se croient tenus de dire comment ils comprennent leur devoir de catholiques et de citoyens. Comme catholiques, ils s'inclinent avec respect devant l'autorité infaillible du Saint-Père en matière de foi. Comme citoyens, ils revendiquent le droit qu'ont tous les peuples de se prononcer en liberté sur toutes les questions qui intéressent l'avenir et la grandeur de leur pays. La forme du gouvernement est par excellence une de ces questions. C'est en France, entre Français, qu'elle doit être résolue.

Le duc d'Orléans (prétendant orléaniste) s'associe à cette déclaration criant à l'ingérence du Pape dans les affaires temporelle d'une nation. Cette Déclaration empreinte de gallicanisme est saluée par une bonne partie de la presse anticléricale :

Le Voltaire : « Dans leur colère, ces catholiques trop soumis jusqu’alors, ont traité le Pape d’étranger. Ils lui ont dit qu’il n’avait rien à faire dans les affaires intérieures de la France, ce qui est absolument juste. »

Le Siècle : « La thèse de la droite royaliste est absolument fondée. Le pape est un souverain étranger et sauf en matière de dogme religieux, il n’a aucune qualité pour intervenir dans les affaires de la France. C’est la doctrine nationale depuis des siècles, la doctrine de saint Louis, de François Ier, de Louis XIV, la doctrine de Richelieu et de Bossuet. Et nous ne pouvons que féliciter les monarchistes de lui rendre hommage… Ces querelles du parti clérical […] nous touchent fort peu, mais notre devoir était de constater de quel côté étaient la logique, la tradition et la fidélité aux principes. Nous devons reconnaître que jusqu’ici elles sont du côté de la droite royaliste… »

La Justice : « Si cela peut faire plaisir à M. de la Rochefoucauld de savoir ce que nous pensons de son : zut ! nous lui dirons tout de suite qu’il a bien fait de prier très respectueusement Léon XIII de ne pas s’occuper de ce qui ne le regarde pas. »

L’Intransigeant du communard Rochefort : « Opposer à la parole, jadis sacro-sainte, du pape, la Constitution, […] n’est-ce point signifier à l’hôte du Vatican qu’au-dessus de lui, au-dessus de ses conseils, au-dessus de ses objurgations, au-dessus de ses ordres, même quand il se fait le partisan intéressé de la République, plane la loi civile, c’est-à-dire la société laïque ? Une pareille victoire, à l’actif de cette dernière, mérite bien d’être enregistrée. »

Le Journal des Débats : « L’ingérence de l’Eglise dans le domaine civil et politique n’a jamais été condamnée avec plus de force. C’est un résultat qui n’est pas indifférent, des derniers actes de la cour de Rome, d’avoir amené les membres de la droite royaliste à confesser ces vérités qu’ils avaient trop longtemps méconnues. »

Enfin, la Petite République Française : « Les principes que nous avons toujours défendus ici, les théories libérales, nous obligent à constater qu’en cette querelle entre les royalistes français et le pape, les royalistes ont parfaitement raison de ne pas se courber docilement devant les volontés de Léon XIII. En somme, les royalistes dans leur déclaration invoquent des maximes que nous avons mainte fois développées. […] La conduite de Léon XIII démontre surabondamment son projet de grouper les catholiques français en un parti compact, autonome et discipliné, dont il guiderait à son gré les manœuvres. Rien de plus dangereux pour la République qu’un tel parti. Mieux vaut mille fois l’opposition réactionnaire avec ses dissensions qui la paralysent. »

Un certain nombre de catholiques et quelques membres du clergé refusent ainsi de se conformer aux conseils du Pape — comme le comte de Douville-Maillefeu ou le comte de Bernis.

Au contraire, d'autres affirment suivre les directives pontificales, comme le comte Albert de Mun et Jacques Piou, chefs de la droite constitutionnelle au Parlement, sans qu'il soit possible de discerner s'il s'agit d'un ralliement à la forme républicaine du gouvernement ou à la législation anticléricale qui prétend s'identifier à la République.

Cette double attitude empêche l'accomplissement des desseins du Pape. La physionomie du paysage politique français ne se modifiera donc pas ou peu. De 1872 à 1905, dans un pays dont les électeurs sont baptisés à plus de 90%, le taux de participation aux élections reste stable à 75%, avec une légère baisse en 1893. En revanche, la multiplicité des partis conservateurs permet aux libéraux et même aux anticléricaux de remporter la majorité à presque toutes les élections. En 1893, l'ancien bras droit de Gambetta, Eugène Spuller, tentera de faire prendre corps à son fameux « esprit nouveau », main tendue des républicains modérés aux catholiques libéraux, mais sans succès : il est contraint de remettre sa démission de ministre des cultes dès le 30 mai 1893, après moins de 6 mois passé à ce ministère.

Notes et références

  1. Bruno Dumons, Le catholicisme en chantiers. France, XIXe-XXe siècles, Presses universitaires de Rennes, , p. 30
  2. Bruno Dumons, Le catholicisme en chantiers. France, XIXe-XXe siècles, Presses universitaires de Rennes, , p. 31
  3. Xavier de Montclos, Le Toast d'Alger. Documents 1890-1891, De Boccard, , p. 68
  4. a et b Jeannine Verdès-Leroux, L'Algérie et la France, Robert Laffont, , p. 519
  5. a et b Xavier de Montclos, Le Toast d'Alger. Documents 1890-1891, De Boccard, , p. 10-11
  6. Bernard Barbiche, « Fille aînée de l'Église », dans Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Fayard, , p. 676-677
  7. "Dieu seul peut mesurer l'abîme de maux où elle [la France] s'enfoncerait, si cette législation, loin de s'améliorer, s'obstinait dans une telle déviation qui aboutirait à arracher de l'esprit et du cœur des Français la religion qui les a faits si grands". Encyclique Au milieu des sollicitudes
  8. Nous avons formulé la distinction entre le pouvoir politique et la législation, et Nous avons montré que l’acceptation de l’un n’impliquait nullement l’acceptation de l’autre ; dans les points où le législateur, oublieux de sa mission, se mettait en opposition avec la loi de Dieu et de l’Église. Lettre Notre Consolation du 3 mai 1892
  9. "Notre consolation a été grande en recevant la Lettre par laquelle vous adhériez, d’un concert unanime, avec tout l’épiscopat français, à Notre Encyclique Au milieu des sollicitudes, et Nous rendiez grâces de l’avoir publiée, protestant avec les plus nobles accents de l’union intime qui relie les évêques de France et en particulier les cardinaux de la Sainte Église au Siège de Pierre". Premier paragraphe de la Lettre Notre Consolation du Pape Léon XIII
  10. Le Figaro du 21/05/1892
  11. Le Figaro du 10/06/1892

Voir aussi

Bibliographie

  • Bruno Dumons, Catholiques en politique. Un siècle de Ralliement, Paris, DDB, 1993.
  • Martin Dumont, Le Saint-Siège et l'organisation politique des catholiques français aux lendemains du Ralliement. 1890-1902, Paris, Honoré Champion, 2012.
  • Édouard Lecanuet, L'Église de France sous la IIIe République, vol. II, III, IV, Paris, 1930.
  • Roberto de Mattei, Le ralliement de Léon XIII : l'échec d'un projet pastoral, Paris, Cerf, 2016.
  • Jean-Marie Mayeur, Des partis catholiques à la démocratie chrétienne (XIXe – XXe siècles), Paris, Armand Colin, 1980.
  • Jean-Marie Mayeur, Catholicisme social et démocratie chrétienne. Principes romains, expériences françaises, Paris, Éditions du Cerf, 1986.
  • Xavier de Montclos, Le toast d'Alger, documents, 1890-1891, Paris, De Boccard, 1966.
  • Fernand Mourret, Les Directives politiques, intellectuelles et sociales de Léon XIII, Paris, 1920.
  • Philippe Prévost, L'Église et le ralliement. Histoire d'une crise (1892-2000), Paris, Centre d'études contemporaines, 2001.

Articles connexes