Gasterosteus aculeatus

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Épinoche à trois épines

En saison de reproduction, le ventre du mâle prend une teinte rouge ou orangée caractéristique.
Détail de la tête : la gorge devient rouge et les iris deviennent verts ou bleu-vert et iridescents.

L'épinoche à trois épines (Gasterosteus aculeatus), à ne pas confondre avec l'épinochette, est un petit poisson de la famille des Gasterosteidae. Il était très commun dans l'hémisphère nord et est en voie de régression, sans être encore considéré comme menacé par l'UICN en raison de bonnes capacités estimées de résilience écologique. De petite taille et bardé d'épines, il n'est pas considéré comme une espèce d'intérêt halieutique ou commercial, mais il est arrivé que ce poisson ait été intégré en Scandinavie parmi les poissons transformés en farine de poisson[1] et huile de poisson[1].
Il est couramment utilisé comme un animal de laboratoire, particulièrement pour des études sur les comportements[2].

Noms communs[modifier | modifier le code]

Épinoche, Épinoche à trois épines, Étrangle-chat, estrang-la-gat, peispicant, épine, épinglet, crève-valet, écharde, quatre-épées, tronncut...

Distribution[modifier | modifier le code]

Ce poisson peuple ou peuplait jusqu'aux années 1970 toute la zone circum-polaire de l'Arctique et des régions tempérées de l'hémisphère nord, ainsi que le sud de la mer Noire, de l'Italie et même le nord de l'Afrique.
Il était très abondant en Europe : des pays baltes, du sud de la Suède et de l'Islande jusqu'au Portugal, en Espagne, en Italie et au nord de la Grèce. Il se trouve aussi en Roumanie.
En France, cette espèce se rencontre surtout dans la moitié nord et dans les bassins de la Garonne et du Rhône.

Habitat[modifier | modifier le code]

C'est un poisson assez ubiquiste qui peut fréquenter de nombreux habitats.

L'épinoche à deux épines est benthopélagique et anadrome ; on le trouve dans des eaux saumâtres (estuaires, lagunes), marines (près du littoral uniquement), et dans les eaux douces intérieures ; dans ce dernier cas, ce poisson peut vivre et se reproduire dans les ruisseaux et petites rivières à courant modéré, dans des eaux éventuellement isolées (étangs et mares prairiales) et dans les fossés. Mais il semble préférer des eaux propres (non polluées par les insecticides en particulier) et non-acides (pH de 6.0 à 8.0, 7.0 idéalement pour la reproduction), d'une température de °C à 20 °C (jusqu'à 26 °C dans le sud de son aire de répartition), et d'un degré de dureté variant de 4°d GH à 20°d GH (15 °d GH semblant un optimum pour la reproduction)[3].
En mer, on l'a trouvé jusqu'à une profondeur de – 100 m[4]. L’épinoche à 3 épines apprécie les zones riches en végétation aquatique, mais peut aussi vivre sur des fonds vaseux ou sableux.

Description[modifier | modifier le code]

Corps fusiforme et latéralement comprimé. Les écailles sont remplacées par une peau couvrant des plaques osseuses le long de la ligne latérale. Les formes anadromes sont entièrement caparaçonnées de plaques osseuses (37 au maximum sur les côtés) avec un renforcement sur chaque côté du pédoncule caudal. La ligne latérale est garnie de pores microscopiques.

Le dos est brun verdâtre iridescent alors que les flancs et le ventre sont argentés bleutés. Avec l'âge et selon la saison, des marbrures et plus ou moins sombres ornent le dos et les côtés.

L'évolution a doté ce poisson de nombreux aiguillons défensifs :
- la nageoire dorsale (composée de 10 à 14 rayons) est précédée (côté tête) de un à quatre aiguillons espacés très durs. Chaque épine dorsale est séparée des autres et des rayons de la nageoire dorsale, chacune ayant une petite membrane réduite sur la partie postérieure;
- les nageoires ventrales ne sont constituées que d’un seul aiguillon;
- la nageoire anale et transformée en une épine défensive, légèrement recourbée;
- la nageoire caudale (à 12 rayons) est arrondie, sans piquants.

La colonne vertébrale est composée de 29 à 33 vertèbres.

Les lames des branchies sont longues et minces (on en compte 17 à 25 sur le premier arc pour les épinoches vivant en eau douce et une ou deux de plus chez les formes anadromes).

D'environ 4 à 8 centimètres en eau douce, elles sont exceptionnellement jusqu'à 11 cm sur les littoraux[5].

Nourriture[modifier | modifier le code]

Vers, petits crustacés, larves et adultes d'insectes aquatiques, insectes aériens noyés, alevins (jeunes poissons) ou petits poissons.
Il a été signalé des cas de cannibalisme (adultes mangeant des alevins ou œufs)[2].

Coloration[modifier | modifier le code]

Le corps est argenté et le dos verdâtre. Le ventre est habituellement jaune, blanc ou gris. Les formes d’eau douce sont habituellement plutôt brun tacheté ou verdâtre; alors que les formes anadromes vont du vert au gris bleuté noir. Quelques sous-populations isolées sont uniformément noires. Les rayons pectoraux sont souvent ornées de points noirs.
Hormis pour les populations uniformément noires, le mâle a le ventre et la gorge qui deviennent rouge "corail" ou orange vif en période de reproduction.

Reproduction[modifier | modifier le code]

D'avril à juin, c'est une espèce ariadnophile.
Ce poisson a la particularité de pondre ses œufs dans un nid construit par le mâle à partir de matériel végétal aggloméré par des fils visqueux qu'il secrète[6]. Le mâle y assure la garde des œufs et des larves. Ce poisson peut se reproduire deux fois dans l'année.
Son taux de reproduction, dans de bonnes conditions, lui permet de doubler le nombre d'individus d'un petit noyau de population en moins de 15 mois(K=0.6-1.8; tm=1; tmax=4; Fec=80), mais certains chercheurs suspectent que comme de nombreux autres poissons, il puisse être victime de perturbateurs endocriniens (voir § ci-dessous).

Les jeunes peuvent se déplacer autour d’algues dérivantes ou objets couverts d’algues à la dérive et ainsi coloniser de nouveaux milieu, au gré des inondations ou via les petites rivières et/ou réseaux de fossés.

Éthologie et reproduction[modifier | modifier le code]

Il a récemment été démontré que chez cette espèce, les mâles les plus colorés et les plus assidus auprès des femelles n'étaient pas les plus aptes à fertiliser, puis couver les œufs pondus dans le nid par la femelle. Il semblerait que ce soit à cause de la défaillance en énergie consécutive à leur intense cour nuptiale. En revanche, les mâles moins ardents prennent beaucoup plus efficacement soin des œufs, assurant ainsi mieux la descendance de l'espèce. Ceci suggère qu'au regard de la sélection naturelle, la nature est capable de développer et gérer un compromis entre l'investissement dans la parade nuptiale et les soins paternels [7].

État des populations et menaces[modifier | modifier le code]

Il a assez peu de prédateurs à l'état adulte, et l'espèce semble avoir génétiquement adapté son 'armure' à ses prédateurs en réponse à la pression de sélection[8],[9], ce qui peut poser problème dans les situations où un prédateur invasif apparait rapidement (ex brochet introduit en Alaska[10],[11]). Les œufs et les alevins peuvent être mangés par de nombreuses espèces, dont larves de libellules[12] ou divers poissons dont la truite qui pourrait menacer certaines populations relictuelles[13]. Bien que ce poisson était autrefois considéré comme très résistant et très abondant, il est en forte régression et a même disparu d'une partie de son aire de répartition.

Parmi les causes suspectées, outre la pollution générale de l'environnement, et la destruction ou dégradation des zones humides par le drainage et les pesticides (insecticides notamment), des chercheurs étudient[14] les perturbateurs endocriniens qui peuvent affecter le sexe-ratio, la fertilité et le taux de reproduction de nombreux poissons (et probablement d'autres organismes aquatiques ; gastéropodes, moules..). C'est le cas notamment des perchlorates qui peuvent transformer des femelles en hermaphrodites vrais[15],[16], avec aussi des effets comportementaux et sur la nage [17]. Ceci a demandé la mise au point de méthodes analytiques adaptées aux perchlorate dans les tissus de poissons[18]. L'épinoche est considérée comme l'un des bons modèles pour l'étude (là où elle est présente) de la présence de perturbateurs endocriniens (PE) et de certains stress (stress oxydant, exposition aux pesticides..)[19],[20],[21]. Divers biomarqueurs d'exposition sont pour cela utilisés ; analysés dans le muscle ou le foie, en complément de l'observation au microscope d'éventuelles anomalies des gonades (indices d'intersexuation tels que tissus testiculaires apparaissant sur les ovaires ou inversement).

À l'inverse, le long des côtes suédoises, l'épinoche prolifère au détriment de poissons plus gros (perches et brochets) qui sont habituellement les prédateurs des épinoches adultes. Avec l'élévation de la population d'épinoches, les brouteurs et le zooplancton disparait au profit d'algues filamenteuses et finalement, c'est tout l'écosystème qui s'appauvrit[22].

Utilisation comme poisson-modèle[modifier | modifier le code]

Cette espèce facile à élever et au comportement sexuel et territorial marqué est utilisée comme espèce modèle en écotoxicologie. Elle a été utilisée pour étudier la cinétique environnementale du mercure en Alaska[23]. Elle présente certaines caractéristiques intéressantes pour la bioindication[24]

Pour mieux comprendre cette espèce, on étudie aussi les phénomènes de spéciation[25], sa dynamique de populations[26] et sous-populations, son histoires ou ses préférences biogéographiques[27] ainsi que ses caractères morphogénétiques[28] et les relations de populations exclusivement dulcaquicoles récemment dérivées d'un ancêtre putatif anadrome[29],[30],[31].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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Vidéographie[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Banister, K. (1986) Gasterosteidae. p. 640-643. In P.J.P. Whitehead, M.-L. Bauchot, J.-C. Hureau, J. Nielsen and E. Tortonese (eds.) Fishes of the north-eastern Atlantic and the Mediterranean. volume 2. UNESCO, Paris.
  • Maitland P.S. (1977) Les poissons des lacs et rivières d'Europe en couleurs. Elsevier, Paris, Bruxelles, 255 p.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Ref. 28219, 28964 de fish base
  2. a et b (Ref. 1998 citée par Fishbase)
  3. Fish aquabase
  4. Fishbase (rubrique environnement)
  5. Ref. 35388 de Fishbase (consultée le 2008 05 25)
  6. Ref. 41678 de fish base, consulté le 2008 05 25
  7. von Hippel, F.A. (2000), Vigorously courting male sticklebacks are poor fathers. Acta Ethologica 2:83-89.
  8. Lescak, E.A. 2010. Selection for threespine stickleback armor phenotypes in Wallace Lake, Alaska. M.S Thesis. Anchorage, Alaska: University of Alaska Anchorage, 65 pp.
  9. Marchinko, K.B. 2009. Predation’s role in repeated phenotypic and genetic divergence of armor in threespine stickleback. Evolution 63: 127–138.
  10. Haught, S. & von Hippel, F.A. (2011). Invasive pike establishment in Cook Inlet Basin lakes, Alaska: diet, native fish abundance and lake environment. Biological Invasions 13(9):2103-2114.
  11. Patankar, R., von Hippel, F.A. & Bell, M.A. (2006). Extinction of a weakly-armoured threespine stickleback (Gasterosteus aculeatus) population in Prator Lake, Alaska. Ecology of Freshwater Fish 15:482-487.
  12. Lescak, E.A., von Hippel, F.A., Lohman, B.K. & Sherbick, M.L. (in press). Predation of threespine stickleback by dragonfly naiads. Ecology of Freshwater Fish.
  13. Lescak, E.A. & von Hippel, F.A. (2011). Selective predation of threespine stickleback by rainbow trout. Ecology of Freshwater Fish 20(2):308-314.
  14. Exemple : Étude in situ de la réponse d’une batterie de biomarqueurs chez l’épinoche a trois épines
  15. Bernhardt, RR, von Hippel, FA & O'Hara, TM (2011). Chronic perchlorate exposure causes morphological abnormalities in developing stickleback (L'exposition au perchlorate chronique provoque des anomalies morphologiques lors du développement de l'épinoche) ; Environmental Toxicology and Chemistry 30(6):1468-1478
  16. Bernhardt, R.R., von Hippel, F.A. & Cresko, W.A. (2006). Perchlorate induces hermaphroditism in threespine stickleback. Environmental Toxicology and Chemistry 25(8):2087-2096.
  17. Bernhardt, R.R. & von Hippel, F.A. (2008). Chronic perchlorate exposure impairs stickleback reproductive behaviour and swimming performance. Behaviour 145:527-559
  18. Dodds, E.D., Kennish, J.M., von Hippel, F.A., Bernhardt, R. & Hines, M. (2004). Quantitative analysis of perchlorate in extracts of whole fish homogenates by ion chromatography: Comparison of suppressed conductivity detection and electrospray ionization mass spectrometry. Analytical and Bioanalytical Chemistry 379:881-887.
  19. Katsiadaki, I., Scott, A.P., Mayer, I. 2002. The potential of the three-spined stickleback (Gasterosteus aculeatus L.) as a combined biomarker for oestrogens and androgens in European waters. Marine Environmental Research 54 : 725-728.
  20. Katsiadaki, I., Scott, A.P., Hurst, M.R., Matthiessen, P., Mayer, I. 2002. Detection of environmental androgens : a novel method based on enzyme-linked immunosorbent assay of spiggin, the stickleback (Gasterostus aculeatus) glue protein. Environmental Toxicology and Chemistry 21 : 1946-1954.
  21. Katsiadaki, I., Morris, S., Squires, C., Hurst, M.R., James, J.D., Scott, A.P. 2006. A sensitive, in vivo test for the detection of environmental anti-androgens, using the three-spined stickleback (Gasterosteus aculeatus). Environmental Health Perspectives 114 : 115-121
  22. Alexandra Pihen, « L'incroyable Histoire du petit poisson qui a mangé les gros », Science et vie,‎ , p. 89-91.
  23. (en) Kenney, L.A., von Hippel, F.A., Willacker, J.J. & O’Hara, T.M. (in press). Mercury concentrations of a resident freshwater forage fish at Adak Island, Aleutian archipelago, Alaska. Environmental Toxicology and Chemistry
  24. (en) Willacker, J.J., von Hippel, F.A., Wilton, P.R. & Walton, K.M. (2010). Classification of threespine stickleback along the benthic-limnetic axis. Biological Journal of the Linnean Society 101:595-608.
  25. (en) Gelmond, O., von Hippel, F.A. & Christy, M.S. (2009). Rapid ecological speciation in three-spined stickleback from Middleton Island, Alaska: The roles of selection and geographic isolation. Journal of Fish Biology 75:2037-2051.
  26. (en) von Hippel, F.A. (2008). Conservation of threespine and ninespine stickleback radiations in the Cook Inlet Basin, Alaska. Behaviour 145:693-724.
  27. (en) Weigner, H.L. & von Hippel, F.A. (2010). Biogeography and ecological succession in freshwater fish assemblages of the Bering Glacier region, Alaska. In Payne, J., Josberger, E. & Shuchman, B. (eds.): Bering Glacier: Interdisciplinary Studies of Earth’s Largest Temperate Surging Glacier. The Geological Society of America.
  28. (en) Kimmel, C.B., Cresko, W.A., Phillips, P.C., Ullmann, B., Currey, M., von Hippel, F.A., Kristjánsson, B.K., Gelmond, O. & McGuigan, K. (2012). Independent axes of genetic variation and parallel evolutionary divergence of opercle bone shape in threespine stickleback. Evolution 66-2:419-434. doi:10.1111/j.1558-5646.2011.01441.x
  29. (en) Furin, C.G., von Hippel, F.A. & Bell, M.A. (in press). Partial reproductive isolation of a recently derived resident-freshwater population of threespine stickleback (Gasterosteus aculeatus) from its putative anadromous ancestor. Evolution.
  30. (en) Karve, A.D., von Hippel, F.A. & Bell, M.A. (2008). Isolation between sympatric anadromous and resident threespine stickleback species in Mud Lake, Alaska. Environmental Biology of Fishes 81:287-296.
  31. (en) von Hippel, F.A. & Weigner, H. (2004). Sympatric anadromous-resident pairs of threespine stickleback species in young lakes and streams at Bering Glacier, Alaska. Behaviour 141(11-12):1441-1464