Conflits entre la régence d'Alger et les dynasties chérifiennes

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Les conflits entre la régence d'Alger et les dynasties chérifiennes ou conflits algéro-chérifiens[1] ou guerres algéro-marocaines[2]'[3] sont, dans le cadre des conflits opposant le Maroc à l'Empire ottoman et ses dépendances[1], une série de confrontations entre d'une part la régence d'Alger et ses alliés — les sultanats locaux ou confédérations tribales — et de lautre part les dynasties chérifiennes des Saadiens puis des Alaouites, régnant sur le Maroc à partir du XVIe siècle.

Les origines de ces conflits sont multiples et imbriquées. L'entreprise d'établissement étatique de la régence d'Alger au Maghreb central autour d'Alger comme nouveau centre politique de premier plan et son intégration à l'Empire ottoman se fait aux dépens des Zianides de Tlemcen à l'ouest. Ces derniers en conflits récurrents au début du XVIe siècle avec la régence d'une part et les Espagnols d'autre part finissent par voir leur domaine intégré à la régence. Leur affaiblissement attise les convoitises saadiennes et leur prétention sur l'ouest algérien.

Si la régence d'Alger confirme son contrôle sur Tlemcen et l'Oranie elle n'a pas les moyens de lancer de longues campagnes dans les confins sahariens qu'elle délègue à diverses confédérations tribales comme les Ouled Sidi Cheikh. Les Saadiens bloqués au nord par l'Empire Espagnol et la Régence d'Alger trouvent alors un débouché sud-saharien pour l'extension de leur Empire.

Ces conflits et les accords qui en découlent préfigurent les frontières et les délimitations entre les États-nations modernes du Maghreb.

L'établissement de la régence d'Alger (XVIe siècle)[modifier | modifier le code]

Effondrement des zianides de Tlemcen[modifier | modifier le code]

L'affaiblissement des zianides de Tlemcen, jouant sur leur alliances entre l'Espagne, les Turcs d'Alger et les Wattassides pour se maintenir ouvre une période de vide politique dans l'ouest algérien[1]. La fondation de la régence d’Alger (1512-1529) puis son intégration dans l’Empire ottoman va se faire aux dépens des Zianides à l'ouest et des Hafsides à l'est[4]. La régence d'Alger, dirigée par l'élément turc exogène de sa milice, va étendre son influence à l'ouest par le jeu des alliances maraboutiques et des confréries. Cependant l’avènement des dynasties chérifiennes à Fès, avec les Saadiens en 1550 bouleverse ce jeu d'alliances. En effet, la régence d'Alger ne peut compter sur l'appui maraboutique contre des souverains revendiquant une origine chérifienne (c'est-à-dire descendant de Mahomet). Il s'engage donc des négociations, concernant les territoires anciennement sous suzeraineté zianide, qui n'aboutissent pas[1].

Tentatives saadiennes en Oranie[modifier | modifier le code]

En 1545, les Saadiens s'allient aux Espagnols. L'armée chérifienne prend Tlemcen sans combats en 1550 et décide de marcher sur Alger. Les beylerbeys de la régence d'Alger et le sultan des Beni Abbès concluent alors le pacte d'Aguemoun Ath Khiar[5]. Ils reprennent la ville de Tlemcen et l'Oranie en 1551[6] ; la victoire est exploitée politiquement par les Turcs d'Alger et jouera un rôle dans la formation de l'Algérie (préfigurant ses frontières)[5]. Ce conflit ouvre une période d'hostilité algéro-chérifienne qui ne cessera qu'en 1585 avec l'intervention du sultan ottoman[1]. Dès lors durant un siècle environ la frontière de la Moulouya sera respectée[4].

D'autre part la chute des Zianides de Tlemcen ouvre la voie aux conquêtes sahariennes des Saadiens soucieux de contrôler les axes transsahariens laissés vacants. La régence ne peut s'engager dans des expéditions sahariennes lointaines, il est cependant fait mention de l'envoi d'une troupe d'Alger dans le Gourara vers la fin du XVIe siècle à la demande des ksouriens face aux rezzous venus du Tafilalt[7]. Le Touat et le Gourara sont alors soumis à une tentation de repli local et sont indépendants de fait[8].

Les incursions alaouites au beylik de l'Ouest et au Sahara[modifier | modifier le code]

Avec l’avènement de la dynastie alaouite, les hostilités avec la régence d'Alger vont reprendre. Moulay Ismaïl entreprend un projet de conquête de l'Oranie en 1690-1691 et se rend maitre de la Tafna. Mais finalement battu par le dey Hadj Chabane[9], il se voit imposer un traité où il reconnait les droits de l'État d'Alger à la Moulouya[4].

Un prince alaouite, Moulay Zidan, gouverneur de Taza, lance une offensive sur le beylik de l'ouest, prend Mascara et pille le palais du bey. Moulay Ismaïl, le sultan, destitue alors Moulay Zidan et, les hostilités étant ouvertes, franchit également la frontière algérienne et affronte l'armée du dey d'Alger dans la vallée du Chelif en 1701[10]. L'armée de Moulay Ismaïl est défaite par les Algériens[11] et, selon une correspondance entre le dey Moustapha et le grand écrivain Hussein Agha, ses pertes s'élèvent à 3 000 hommes dont 50 caïds[11]. La régence d'Alger occupée par le siège d'Oran aux mains des Espagnols, ne poursuit pas les hostilités, même si les relations restent très tendues. Les années suivantes Moulay Ismaïl mène des incursions sahariennes vers Ain Madhi et Laghouat sans réussir à s'y implanter durablement[10]. À la suite de ces expéditions, le dey d'Alger, Moustapha II écrit alors à Moulay Ismaïl au sujet du rattachement des Algériens et de leur territoire au pouvoir de la régence d'Alger[12].

À la fin du XVIIIe siècle, le sultan Moulay Sliman organise une expédition sur Oujda qui, selon le chroniqueur marocain Abou al Kacem ben Ahmed Az Ziani, fait alors partie du territoire soumis aux Turcs d'Alger. Le bey d'Oran n'oppose aucune résistance, et désormais avec la prise de la ville en 1795, c'est l'oued Kiss qui sert définitivement de délimitation entre les deux territoires en lieu et place de la Moulouya[4]. Le sultan alaouite Moulay Sliman faisait aussi la conquête de Figuig pour une brève période en 1805[13].

Au sud ouest la régence s'appuie sur la grande confédération tribale des Ouled Sidi Cheikh, ralliés à la régence d'Alger vers la fin du XVIIe siècle pour exercer un contrôle sur ses confins sahariens[14].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e Boyer 1966, p. 11–49
  2. Ismet Terki Hassaine, « Oran au xviiie siècle : du désarroi à la clairvoyance politique de l’Espagne », Insaniyat / إنسانيات. Revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales, nos 23-24,‎ , p. 197–222 (ISSN 1111-2050, DOI 10.4000/insaniyat.5625, lire en ligne, consulté le ) :

    « Une circonstance inattendue, la guerre algéro-marocaine de 1701, a contribué à un rapprochement entre la régence d’Alger et l’Espagne, qui s’est traduite par la signature d’une trêve, qui était sur le point de se concrétiser sur le terrain, du côté d’Oran, entre les deux belligérants. »

  3. Moulay Belhamissi, Marine et marins d'Alger, 1518-1830, Bibliothèque nationale d'Algérie, (ISBN 978-9961-901-06-9, lire en ligne) :

    « En 1690, Cha'ban Dey s'etait vu offrir des sommes considerables en contrepartie d'une declaration de guerre a la France. Et comme celui-ci refusait, les Anglo-Hollandais tramerent une serie de complots pour activer sa chute Ils furent à l'origine de la guerre algero-marocaine de 1692 »

  4. a b c et d Chenntouf et UNESCO 1999, p. 191-206
  5. a et b Encyclopédie berbère 2005, p. 4112
  6. Féraud 1872, p. 219.
  7. Bellil 2001, p. 17.
  8. Bellil 1999, p. 125.
  9. Chems-Eddine Chitour 2004, p. 224.
  10. a et b Michel Abitbol 2014, Chapitre : Le siècle de Moulay Isma'il (1672-1727)
  11. a et b Guy Turbet-Delof 1973, p. 163
  12. Jillali El Adnani 2007, p. 41.
  13. Auguste Cour, L'établissement des dynasties des Chérifs au Maroc et leur rivalité avec les Turcs de la Régence d'Alger, 1509-1830, Editions Bouchène, (ISBN 978-2-35676-097-5)
  14. Mahfoud Kaddache 2003, p. 427.

Sources[modifier | modifier le code]

  • Michel Abitbol, Histoire du Maroc, EDI8, , 631 p. (ISBN 978-2-262-03816-8, lire en ligne)
  • Jillali El Adnani, La Tijâniyya, 1781-1881 : les origines d'une confrérie religieuse au Maghreb, Marsam Editions, , 247 p. (ISBN 978-9954-21-084-0, lire en ligne), p. 41
  • Rachid Bellil, Les oasis du Gourara (Sahara algérien), Peeters Publishers, (ISBN 978-90-429-0721-8, lire en ligne)
  • Rachid Bellil, Les Oasis Du Gourara (Sahara Algerien) II. Fondation Des Ksour Ms17, Peeters, , 276 p. (ISBN 978-90-429-0924-3, lire en ligne)
  • Pierre Boyer, « Contribution à l'étude de la politique religieuse des Turcs dans la Régence d'Alger (XVIe – XIXe siècles) », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, vol. 1,‎ (DOI 10.3406/remmm.1966.910, lire en ligne, consulté le )
  • Tayeb Chenntouf, UNESCO, « La dynamique de la frontière au Maghreb. », Des frontières en Afrique du XIIe au XXe siècle (Histoire et Perception),‎ (lire en ligne)
  • Chems-Eddine Chitour, Algérie : le passé revisité : une brève histoire de l'Algérie, Casbah Editions, (lire en ligne)
  • Laurent-Charles Féraud, Histoire Des Villes de la Province de Constantine : Sétif, Bordj-Bou-Arreridj, Msila, Boussaâda, vol. 5, Constantine, Arnolet, (réimpr. 2011), 456 p. (ISBN 978-2-296-54115-3, lire en ligne), p. 219
  • Mouloud Gaïd, L'Algérie sous les Turcs, Maison tunisienne de l'édition, (lire en ligne)
  • Mahfoud Kaddache, L'Algérie des Algériens : de la Préhistoire à 1954, Paris, Paris-Méditerranée, , 785 p. (ISBN 2-84272-166-7)
  • Guy Turbet-Delof, La presse périodique française et l'Afrique barbaresque au XVIIe siècle (1611-1715)., Librairie Droz, , 189 p. (ISBN 978-2-600-03532-3, lire en ligne), p. 163
  • Encyclopédie berbère, Aix-en-Provence, Éditions Peeters, (ISBN 2-7449-0538-0, lire en ligne), « Kalaa des Beni Abbès », p. 4112
  • Auguste Cour, L'établissement des dynasties des Chérifs au Maroc et leur rivalité avec les Turcs de la Régence d'Alger : 1509-1830, Editions Bouchène, , 188 p. (ISBN 978-2-912946-78-2, lire en ligne)

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]