Chronophotographie

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Chronophotographie réalisée en 2006.

La chronophotographie (du grec kronos, temps, photos, lumière, et graphein, enregistrer) désigne une technique photographique qui consiste à prendre une succession de photographies, permettant de décomposer chronologiquement les phases d’un mouvement (humain ou animal) ou d’un phénomène physique, trop brefs pour être observés convenablement à l’œil nu. De nos jours, la chronophotographie est toujours utilisée, aussi bien dans les domaines scientifiques que dans la publicité ou la photographie d’art. Le mode de prise de vues en rafale moderne est de la chronophotographie. Sa version ultime, le bullet-time, permet l’immobilisation du sujet au sein d’un décor encore en mouvement.

En 1889, Marey nomme « chronophotographie » une technique de prise de vue instantanée qui s'inspire du revolver astronomique de Jules Janssen (1874), à l'aide d'une nouvelle caméra argentique qu'il développe en collaboration avec son assistant Georges Demenÿ et qu'il nomme « chronophotographe »[1]— le mot « chronophotographie » sera retenu officiellement en 1889 —. Cette technique consiste à prendre en rafale des instantanés sur une même bande de papier sensible, puis de celluloïd inventé en 1885 par John Carbutt, avec un appareil de prise de vues muni d'un seul objectif, afin de pouvoir analyser avec plus de précision les différentes position des corps au cours d'un mouvement. Elle succède au principe de son fusil photographique chargé de petites plaques de verre circulaires qui se présentent successivement derrière l'objectif, dont il avait fait une démonstration à l'Académie des sciences le [2],[3] et à celle des prises de vues instantanés sur une même plaque fixe de verre enduite de gélatinobromure, avec un appareil de prise de vues muni d'un seul objectif[4],[5].

Ce principe, où le support de l’émulsion photosensible se déplace par rapport à l’objectif, ce qui autorise de le classer dans le pré-cinéma, faisait suite à un procédé plus lourd et encombrant d'analyse du mouvement par la méthode photographique, employé en 1878 par Muybridge, qui utilise plusieurs appareils et autant d'objectifs, puis par Louis Aimé Augustin Le Prince ou Albert Londe, basé sur la multiplication des chambres photographiques braquées sur le même sujet et se déclenchant successivement durant un temps très bref proche de la durée réelle du phénomène étudié.

Historique

Théodore Géricault, Le Derby d'Epsom (1821), Paris, musée du Louvre. Représentation erronée du galop équestre.

Le précurseur de la chronophotographie est en 1878 le britannique Eadweard Muybridge, alors célèbre pour ses vues de paysages sauvages de la vallée de Yosemite située dans la Sierra Nevada, à l'est de la Californie, bien qu'encore peu connu du grand public américain. Muybridge s’intéresse aux affirmations controversées d’Étienne-Jules Marey. Le chercheur français est en effet persuadé, de par ses observations multiples, que le cheval au galop n’a jamais les quatre fers en l’air au cours des phases d’extension, ainsi que les artistes le représentent depuis des siècles, mais qu’il conserve au moins un pied en contact avec le sol. Il le démontre par la méthode graphique dont il publie les résultats dans son livre La Machine animale en 1873[6]. Les milieux scientifiques réfutent cette conviction de Marey.

Le milliardaire américain Leland Stanford, grand amateur de sports équestres et lui-même propriétaire de purs-sangs, offre à Muybridge les moyens financiers pour prouver, photographies à l’appui, que Marey a raison. Également joueur, Stanford a parié gros sur le résultat de cette expérience.

Le dispositif est à première vue très simple : Muybridge veut aligner 24 chambres photographiques[7], sur le côté d'une piste où doit s’élancer le cheval au galop. Des ficelles sont tendues perpendiculairement à la trajectoire de la course. « C’est le cheval lui-même qui déclenche successivement les obturateurs en entraînant par son poitrail des ficelles liées aux appareils. Il est arrivé que le cheval emporte avec lui la batterie des précieuses chambres noires, les démolissant, elles et leurs clichés »[8]. En vérité, la mise au point est laborieuse et prend six ans, de 1872 à 1878, mobilisant plusieurs des purs-sangs de Stanford. En effet, les ficelles doivent déclencher à distance l’ouverture de ce qui sert à l’époque d’obturateur, tout en se déconnectant pour éviter l’arrachement. Autre difficulté : chaque poste photographique est confié à un opérateur muni d’un petit laboratoire individuel qui lui permet, juste avant l’expérience, d’enduire de collodion humide, au temps de pose rapide, la plaque de verre qu’il charge prestement dans la chambre. L’expérience peut alors se dérouler. Douze clichés sont ainsi pris en une demi-seconde[9].

En 1878, Eadweard Muybridge réussit enfin à démontrer que le cheval au galop ne quitte complètement le sol que lorsque ses jambes postérieures et ses antérieures sont rassemblées sous lui.

Marey et Muybridge se rencontrent en France pendant l'été 1881, puis les deux chercheurs développent chacun de leur côté des ateliers de chronophotographie et engrangent de nombreuses prises de vues décomposant divers mouvements. Dans son laboratoire photographique à l'hôpital de la Salpêtrière aménagé par le docteur Jean-Martin Charcot, un autre Français, Albert Londe met au point en 1891 un appareil rassemblant en une seule imposante machine douze chambres photographiques dont le déclenchement en cascade peut être plus ou moins rapproché. Il s’agit du premier appareil autonome de chronophotographie qui permet d'opérer devant un fond éclairé, ce qui n'était pas le cas pour le chronophotographe à plaque fixe de Marey. Cependant la multiplicité des points de vue tout comme dans le dispositif de Muybridge démontre la supériorité du chronophotographe de Marey qui, sur la même plaque fixe, obtient une série d'images traduisant la décomposition d'un mouvement.

Ancien collaborateur de Marey à la station physiologique du Parc des Princes dépendant du Collège de France, Gaston Contremoulins met au point un appareil de chrono-microphotographie de grande puissance comportant un dispositif qui, associé au chronophotographe de Marey, permet de prendre des images en mouvement[10].

Étienne-Jules Marey invente en 1882 un fusil photographique, un appareil de chronophotographie portable, qui lui permet d’opérer en pleine nature et de suivre en épaulant le mouvement d’animaux rapides et peu contrôlables, tels les oiseaux. La première version est équipée d’une sorte de barillet chargé, tel un revolver, de petites plaques enduites de produit photosensible qui défilent en une fraction de seconde derrière l’objectif. En 1889, après l’arrivée sur le marché de l’invention de l’Américain John Carbutt, un support souple en celluloïd que commercialise l’industriel américain George Eastman (le futur créateur de la Société Kodak), Marey adapte en bobineau ce support léger qu'il place dans son chronophotographe devenu à pellicule mobile, qui lui permet de saisir des séries plus longues d’instantanés. C'est ainsi qu'il est le premier au monde à faire des films scientifiques[11]. Le même film souple va, aux États-Unis, permettre à Thomas Edison et son collaborateur, William Kennedy Laurie Dickson, de réaliser les premiers films du cinéma. Mais le chercheur français n’est pas intéressé par l’aspect récréatif que pourrait prendre son invention : « Le cinéma ne doit presque rien à l'esprit scientifique […] Il est significatif que Marey ne s'intéressait qu'à l'analyse du mouvement, nullement au processus inverse qui permettait de le recomposer[12] » ; « Les adeptes de la chronophotographie ne recherchent pas le spectaculaire, seule compte pour eux l’expérience scientifique. Ils n’ont ni la prétention ni l’intention de faire de l’art ou du divertissement, ils veulent étudier à loisir les différentes phases de phénomènes trop rapides pour être analysés à l’œil nu[8]. ». Mais le fusil photographique est classé à juste titre dans les appareils du pré-cinéma.

Notes et références

Sur les autres projets Wikimedia :

  1. Chronophotographe à pellicule mobile de 90 mm de large, 1889, Beaune, musée E.J. Marey, sur le site musees-bourgogne.org.
  2. Marey, « Sur la reproduction, par la photographie, des diverses phases des vols d'oiseaux », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, CRAS,‎ , t.94, pp.683-685.
  3. Vol d'une mouette, plaque de fusil photographique, 1882, Beaune, musée E.J. Marey, sur le site musees-bourgogne.org.
  4. Marey, « Analyse du mécanisme de la locomotion au moyen d'images photographiques recueillies sur une même plaque et représentant les phases successives du mouvement », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, CRAS,‎ , pp.14-16.
  5. Chronophotographie sur plaque fixe de Georges Demenÿ, 1890, Beaune, musée E.J. Marey, sur le site musees-bourgogne.org.
  6. Marey Étienne-Jules, La Machine animale, Paris, Librairie Germer Baillière, , 299p. 117 ill..
  7. Muybridge Eadweard James, The attitude of Animals in motion, Londres et Paris, Muybridge Eadweard James, commencé en 1878, achevé en 1879 et publié en 1881, 170 planches photographiques ; collection Musée Marey, Beaune, dépôt du Collège de France en 1978.
  8. a et b Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, coll. « Cinéma », , 588 p. (ISBN 978-2-84736-458-3), p. 14-15
  9. Frizot Michel, La Chronophotographie, Catalogue de l'exposition à la chapelle de l'Oratoire à Beaune, Michel Frizot et l'association des amis de Marey, , 180p., p.49.
  10. Dictionnaire national des contemporains, contenant les notices des membres de l'Institut de France…, (lire en ligne), p. 135.
  11. Marey Étienne-Jules, « Décomposition des phases d'un mouvement au moyen d'images photographiques successives, recueillies sur une bande de papier sensible qui se déroule », CRAS Compte-rendu à l'Académie des sciences,‎ .
  12. André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Les Éditions du Cerf, coll. « 7ème Art », , 372 p. (ISBN 2-204-02419-8), p. 19