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Lac Kivu

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Lac Kivu
Image illustrative de l’article Lac Kivu
Lac Kivu
Administration
Pays Drapeau de la république démocratique du Congo République démocratique du Congo,
Drapeau du Rwanda Rwanda
Fait partie de Grands Lacs d'AfriqueVoir et modifier les données sur Wikidata
Géographie
Coordonnées 2° 03′ 44″ S, 29° 07′ 24″ E
Superficie 2 700 km2
Longueur 89 km
Largeur 48 km
Altitude 1 463 m
Profondeur 485 m
Volume 500 km3
Hydrographie
Bassin versant 7 000 km2
Alimentation Karundura (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Émissaire(s) Rusizi
Géolocalisation sur la carte : République démocratique du Congo
(Voir situation sur carte : République démocratique du Congo)
Lac Kivu
Géolocalisation sur la carte : Rwanda
(Voir situation sur carte : Rwanda)
Lac Kivu

Le lac Kivu (2 700 km2), situé à la frontière de la république démocratique du Congo et du Rwanda, est l'un des Grands Lacs d'Afrique et le plus dangereux des trois lacs méromictiques du continent, car contenant de grandes quantités de gaz toxique, asphyxiant et à effet de serre (sulfure d'hydrogène, gaz carbonique et méthane) susceptibles de brutalement dégazer en cas de tremblement de terre[1].

Son exutoire, la rivière Rusizi, alimente au sud le lac Tanganyika. Le lac a une altitude de 1 460 m au-dessus du niveau de la mer. On y trouve Idjwi, la deuxième plus grande île à l'intérieur du continent africain avec une longueur de 40 km et une superficie de 285 km2. Au fond du lac, environ 500 m de sédiments recouvrent le socle cristallin précambrien. Au nord du lac, des anomalies magnétiques sont dues à d'anciens épanchements volcaniques[2]. La salinité approche 4 ‰ au fond du lac.

Le premier Européen y ayant accédé fut un Allemand, le comte Gustav Adolf von Götzen, en 1894. Les villes congolaises de Goma et Bukavu sont voisines du lac. Au Rwanda, ce sont Gisenyi, Kibuye et Cyangugu. Il a gagné une triste notoriété lors du génocide des Tutsi au Rwanda de 1994, de nombreuses victimes y ayant été jetées.

Origine

L'origine du lac Kivu est différente de celle des autres lacs de l'Est congolais qui sont pour la plupart d'origine tectonique (rift est-africain). Sa configuration morphologique ressemble à celle d'un lac de barrage naturel, avec ses nombreuses baies et îles, ces dernières disparaissant vers le nord.

Ce sont les volcans des montagnes des Virunga qui ont barré l'écoulement sud-nord d'un réseau hydrographique qui prenait ses sources sur le plateau des Bafulero, près du mont Mulhi[3].

Ce lac est caractérisé par une forte stratification thermique[4] et chimique : du dioxyde de carbone, du sulfure d'hydrogène et du méthane sont assez fortement « piégés » dans les eaux profondes, mais pourraient épisodiquement être brutalement libérés avec des risques graves pour la population et la faune[5].

Légende

Selon une légende de la région « des Grands Lacs », l'origine du lac Kivu serait fait de cyprine de la reine du pays des Milles Collines. Cette reine aurait choisi un garde royal comme amant, et celui-ci, anxieux, aurait tremblé et n'aurait pas réussi à la pénétrer. Son pénis tremblant, frottant contre le clitoris de la reine, lui aurait donné tant de plaisir qu'elle éjacula, et donna ainsi naissance au lac Kivu. Il est ainsi le symbole de l'orgasme intense et de l'éjaculation féminine[6].

Méthane

Dans les années 1950/1960, des chercheurs belges ont montré que ce lac recelait du méthane[7] et du dioxyde de carbone (d'origine magmatique[8]).

La genèse de ce méthane et l'explication de son accumulation ont été longtemps discutées[9] ; on a notamment pensé qu'il était d'origine volcanique et/ou issu de matière organique en décomposition, et on cherche à mieux comprendre le fonctionnement des puits de méthane (dans les couches supérieures oxygénées du lac, certaines bactéries méthanotrophes[10] dégradent le méthane avant qu'il ne gagne l'atmosphère)[11] du lac.

Puis, les données apportées par deux expéditions conduites sur le lac, de même qu'une réévaluation des données acquises antérieurement, ont conclu que l'essentiel de ce méthane est biogénique (produit par la décomposition de résidus organiques grâce à l’action de bactéries et micro-organismes) et récent. Il aurait été formé par des organismes autrefois classés comme « bactéries méthanogènes » et aujourd'hui reclassés parmi les archées, un groupe de procaryotes distinct des bactéries et vivant dans les eaux anoxiques profondes, appartenant au groupe peu connu des crenarchae[12]).

Ces bactéries auraient synthétisé du méthane à partir de dioxyde de carbone et d'hydrogène (qui sont eux tous abiogéniques)[13].

On a ensuite supposé qu'une petite partie du méthane serait thermocatalytique, le reste étant issu d'une transformation du dioxyde de carbone en méthane par des bactéries méthanogènes[8].

Ici, à la différence du lac Nyos, c'est le méthane qui est la premières source de risque, car bien moins soluble que le dioxyde de carbone, et donc beaucoup plus proche du bouillonnement[1].

Gisement exploitable ?

Le lac vu de l'espace.

On a récemment démontré qu'ici en profondeur (à partir d'une profondeur d'environ 300 m), en raison du système local de convection/diffusion particulier (superpositions de cellules de convection conservant une certaine stabilité[2],[14]), caractérisé par un mélange turbulent diapycnal faible et un transport vertical par diffusion dominé par un phénomène de double diffusion (à partir de 120 m en )[15] (conséquence d'un gradient élevé de salinité, et donc de densité et d'entrées de sources subaquatiques à différentes profondeurs, également responsables d'une teneur anormale de l'eau en zinc[2]), que contrairement aux systèmes connus de double diffusion naturelle ou étudiés en laboratoire, le dioxyde de carbone et le CH4 dissous, contribuent de manière significative à la stratification en couches, avec des équilibres inhabituels entre l'effet stabilisateur de sels dissous et l'effet déstabilisateur de la température.

Des couches mixtes épaisses de 0,48 m en moyenne semblent néanmoins être en état de convection active, « l'épaisseur moyenne des interfaces (0,18 m) étant étonnamment constante et indépendante de la stratification à grande échelle. Les flux thermiques verticaux sont en bonne corrélation avec les mesures de température à travers les interfaces »[15].

Des changements sont observés dans le lac (réchauffement des eaux profondes, renforcement de la chimiocline principale qui évoque un débit accru des sources subaquatiques, ce qui pourrait expliquer de récents changements dans le cycle des éléments nutritifs et la production de méthane du lac[15].

Le gisement potentiellement exploitable de méthane du lac a été estimé à plus de 50[13] (à pression et température ambiante) à 57 milliards de mètres cubes[3]. Le , la République démocratique du Congo et le Rwanda ont signé un accord pour qu'une équipe de scientifiques étudie la faisabilité de l'exploitation du gisement. Ainsi, à condition qu'il n'y ait pas de perturbation de l'effet de chimiocline par l'exploitation, on espère à la fois pouvoir réduire le risque d'explosion et/ou d'asphyxie par remontée d'une grande bulle de méthane, au profit d'une production de carburant et/ou électricité[16].

En 2021, le projet KivuWatt extrait du méthane du lac pour générer 26 mégawatts (MW) d'électricité. Un contrat vise à atteindre 100 MW. Et des options sont étudiées pour vendre le dioxyde de carbone du lac comme produit commercial[1].

Risques naturels (ou anthropiques) liés au méthane

Une cheminée d'extraction du méthane sur le lac Kivu.

Le niveau précis de risque fait encore l'objet d'analyse[17] et de discussion, mais le lac Kivu est l'un des trois lacs identifiés dans le monde entier susceptibles d'éruptions limniques graves (lac méromictique) ; les deux autres étant les lacs Nyos et Monoun au Cameroun.

En 2005, des géologues et géochimistes ont estimé que certains changements récents de comportement du lac sont des indices de risque accru d'une éruption incontrôlable de gaz et que « La libération d'une fraction de ces gaz, qui pourrait être déclenchée par une éruption de magma dans le lac, aurait des conséquences catastrophiques pour les deux millions de personnes vivant sur ses rives »[5].

Les premières évaluations de risques et de sécurité étaient basées sur l'hypothèse que les concentrations de gaz dissous dans les eaux profondes sont dans un état d'équilibre correspondant à un temps de séjour de 400 ans environ, avec un transport turbulent considéré comme principale voie de remontée verticale du dioxyde de carbone et du méthane[5]. Or des mesures récentes et la réanalyse des processus de transport vertical ont radicalement modifié cette hypothèse : l'échange turbulent vertical apparait en fait comme étant faible et négligeable (comme le montrent un ensemble spectaculaire de plusieurs centaines de couches de diffusion double)[5]. Le temps moyen de séjour ne serait pas de 400 mais de 800–1 000 ans, alors que les enregistrements disponibles montrent une tendance récente à un accroissement de la production de méthane dans les sédiments du lac (+ 15 % en trente ans selon une étude récente, qui admet une augmentation des sources ou causes anthropiques, mais invite à ne pas exclure l'hypothèse d'une augmentation géogène de H2 et CH4[11]), conduisant à une accumulation de gaz. Or plus l'eau profonde sera saturée en gaz, moins l'apport de chaleur nécessaire au déclenchement d'une libération « catastrophique » de gaz dévastateur sera important[5]. S'il n'y a pas d'erreur dans la production actuelle de CH4 telle qu'estimée en 2005, la saturation en CH4 de l'eau profonde pourrait être atteinte avant 2100[5]. Le réchauffement climatique pourrait être source anthropique d'aggravation de ce risque (réchauffement de surface de 0,58 °C en trente ans ; mais qui pourrait aussi être attribuée à la variabilité climatique)[18]. Une entrée d'une petite quantité de lave dans le lac n'aurait pas d'effet grave selon une étude faite entre 2002 et 2004 à la suite de l'entrée d'environ 106 m3 de lave dans le lac Kivu après l'éruption du volcan Nyiragongo en [18].

Ce lac abriterait 300 kilomètres cubes de dioxyde de carbone et 60 kilomètres cubes de méthane, pouvant remonter par des cheminées volcaniques, ce qui représente plus de 300 fois la quantité de gaz contenue dans le lac Nyos qui lors de son éruption avait fait 1 700 morts[19].

Galerie

Faune

Petits poissons séchés (sambaza) du lac Kivu (Rwanda).

Notes et références

  1. a b et c (en) « Seed-inspired vehicles and a deadly lake — the week in infographics », Nature,‎ , d41586–021–02600-9 (ISSN 0028-0836 et 1476-4687, DOI 10.1038/d41586-021-02600-9, lire en ligne, consulté le )
  2. a b et c [PDF] Degens, E. T., von Herzen, R. P., Wong, H. K., Deuser, W. G., & Jannasch, H. W. (1973). Lake Kivu: structure, chemistry and biology of an East African rift lake ; Geologische Rundschau, 62(1), 245-277, 33 p.
  3. a et b « Hydrologie des lacs congolais »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?).
  4. Damas, H. (1937), La stratification thermique et chimique des lacs Kivu, Édouard et Ndalaga (Congo Belge), Verh. Int. Ver. Limnol. , 8 (3), 51–68.
  5. a b c d e et f Schmid, M., Halbwachs, M., Wehrli, B., & Wüest, A. (2005). Weak mixing in Lake Kivu: new insights indicate increasing risk of uncontrolled gas eruption. Geochemistry, Geophysics, Geosystems, 6(7) (AGU).
  6. Phillipe Brenot et Laetitia Coryn, L'incroyable histoire du sexe, Livre II - de l'Afrique à l'Asie, Les Arènes BD, 127 p., p.65
  7. Kufferath, J. (1960). Le méthane du lac Kivu. Les Naturalistes belges, 41, 418.
  8. a et b Klaus Tietze, Mebus Geyh, Helmut Müller, Lothar Schröder, Wolfgang Stahl, Hermann Wehner, « The genesis of the methane in Lake Kivu (Central Africa) », Geologische Rundschau, vol. 69, no 2,‎ , p. 452-472 (présentation en ligne).
  9. Schoell, M., K. Tietze, and S. M. Schoberth (1988), Origin of methane in Lake Kivu (East-Central Africa), Chem. Geol. , 71 , 257–265.
  10. Bastviken, D., Ejlertsson, J., Sundh, I., & Tranvik, L. (2003). Methane as a source of carbon and energy for lake pelagic food webs. Ecology, 84(4), 969-981.
  11. a et b Pasche, N., Schmid, M., Vazquez, F., Schubert, C. J., Wüest, A., Kessler, J. D., ... & Bürgmann, H. (2011). Methane sources and sinks in Lake Kivu. Journal of Geophysical Research: Biogeosciences (2005–2012), 116(G3) (PDF, 16 pages).
  12. Marc Llirós & al (2010), Vertical Distribution of Ammonia-Oxidizing Crenarchaeota and Methanogens in the Epipelagic Waters of Lake Kivu (Rwanda-Democratic Republic of the Congo) Appl. Environ. Microbiol. 2010-10-15 : 6853-6863.
  13. a et b W. G. Deuser, E. T. Degens, G. R. Harvey, M. Rubin, « Methane in Lake Kivu: New Data Bearing on Its Origin », Science, vol. 181, no 4094,‎ , p. 51-54 (présentation en ligne).
  14. Kelley, D. E. (1990), Fluxes through diffusive staircases: A new formulation, J. Geophys. Res. , 95 (C3), 3365– 3371.
  15. a b et c Schmid, M., Busbridge, M., & Wüest, A. (2010). Double-diffusive convection in Lake Kivu. Limnology and oceanography, 55(1), 225-238 (résumé).
  16. Claire Remington, Climate & Energy Intern at Worldwatch Institute (2013), Project KivuWatt Generates Electricity from Rwanda’s Explosive Lake Kivu, Re-Volt, .
  17. Schmid, M., K. Tietze, M. Halbwachs, A. Lorke, D. McGinnis, and A. Wüest (2004), How hazardous is the gas accumulation in Lake Kivu ? Arguments for a risk assessment in light of the Nyiragongo Volcano eruption of 2002, Acta Vulcanol., 14/15, 115–121.
  18. a et b Lorke, A., K. Tietze, M. Halbwachs, et A. Wüest (2004), Response of Lake Kivu stratification to lava inflow and climate warming, Limnol. Oceanogr, 49 (3), 778–783.
  19. « Afrique centrale. Le lac Kivu menace ses riverains », Courrier international,‎ (lire en ligne).
  20. (en) Hugo Sarmento, Phytoplankton Ecology of Lake Kivu (Eastern Africa) (résumé).
  21. (en) Hugo Sarmento, Phytoplankton Ecology of Lake Kivu (Eastern Africa) (résumé).
  22. (en) (fr) Hugo Sarmento et al., Species diversity of pelagic algae in Lake Kivu (East Africa) (résumé).
  23. (en) (fr) Mwapu Isumbisho, Écologie du Zooplancton du Lac Kivu (Afrique de l’Est) (résumé).
  24. (en) Mwapu Isumbisho et al., Zooplankton of Lake Kivu, East Africa, half a century after the Tanganyika sardine introduction (résumé).

Voir aussi

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Bibliographie

  • Jean-Claude Klotchkoff (et al.), « Lac Kivu », in Le Rwanda aujourd'hui, éditions du Jaguar, Paris, 2008 (2e éd.), p. 120-125 (ISBN 978-2-86950-422-6).
  • Egide Devroey et R. Vanderlinden, Le lac Kivu, G. van Campenhout, 1939, 75 p.
  • U. Rahm et A. Christiaensen, Les mammifères de la région occidentale du lac Kivu, musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1963, 83 p.
  • (en) A Geophysical Study of Lake Kivu, East Africa Geophys. J. Int. 1974-06-01 : 371-389.
  • (en) H. W. Jannasch, Methane oxidation in Lake Kivu (central Africa). Limnology and oceanography, 860-864, 1975 (extrait).
  • (en) F. C. Newman, Temperature steps in Lake Kivu : A bottom heated saline lake, J. Phys. Oceanogr, 6 , 157–163, 1976.
  • (en) H. Sarmento, M. Isumbisho et J. P. Descy, Phytoplankton ecology of Lake Kivu (eastern Africa). Journal of Plankton Research, 28(9), 815-829, 2006.

Articles connexes