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Stockage chimique de l'énergie solaire

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Le stockage chimique de l'énergie solaire recouvre un ensemble de techniques capables d'emmagasiner l'énergie du rayonnement solaire à travers une réaction chimique. Le principe est semblable à celui de la photosynthèse chez les plantes — qui emmagasine l'énergie du rayonnement solaire dans les liaisons chimiques de glucides à partir d'eau et de dioxyde de carbone — mais sans impliquer d'êtres vivants, ce qui lui vaut de recouvrir en partie le concept de photosynthèse artificielle[1], cependant mieux illustré par les cellules solaires à pigment photosensible (DSSC)[2].

Principe de la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau.

Une approche séduisante consiste à utiliser le rayonnement solaire focalisé de manière analogue aux panneaux photovoltaïques à concentration ou aux centrales solaires à concentration afin de disposer de l'énergie nécessaire au craquage de l'eau H2O en ses constituants hydrogène H2 et oxygène O2 en présence d'un catalyseur métallique tel que le zinc (craquage de l'eau par photocatalyse, usage de divers catalyseurs d'oxydation de l'eau), ou pour réaliser l'électrolyse de l'eau, par exemple dans un électrolyseur à oxyde solide[3] (SOEC, tel qu'en zircone stabilisée à l'oxyde d'yttrium[4], YSZ) ou à membrane électrolytique polymère[5],[6] (PEM, par exemple en Nafion[7]). On implémente cela généralement à travers un processus en deux étapes afin que l'hydrogène et l'oxygène ne soient pas produits dans la même chambre, ce qui créerait un risque d'explosion, comme dans le cas d'une électrolyse simple[8].

Une approche complémentaire consiste à faire réagir l'hydrogène issu du craquage ou de l'électrolyse de l'eau avec du dioxyde de carbone CO2 pour obtenir du méthane CH4 par réaction de Sabatier selon un processus appelé méthanation[9]. L'avantage de cette méthode est qu'il existe des infrastructures établies pour le transport et la combustion du méthane afin de produire de l'électricité, ce qui manque encore pour l'hydrogène. L'inconvénient principal à ces deux approches est commun à la plupart des méthodes de stockage d'énergie : l'ajout d'une étape supplémentaire entre l'absorption de l'énergie et la production d'électricité réduit sensiblement l'efficacité globale du processus.

D'un point de vue chimique, la dimérisation de l'anthracène en dianthracène[10] a été étudiée dès 1909 comme moyen de stockage de l'énergie solaire, de même que la photodimérisation de la série des naphtalènes[11]. Une tentative d'emmagasinner l'énergie solaire en mettant à profit la conversion norbornadiène    quadricyclane a par la suite échoué dans les années 1970 et 1980 par manque de rentabilité économique[12]. Des structures à base de ruthénium ont également été étudiées[13] mais se sont heurtées au fait que le ruthénium est un élément du groupe du platine qui compte parmi les matières premières critiques.

Principes

La photodimérisation[14] est la formation induite par la lumière de dimères d'un composé chimique, tandis que la photoisomérisation[15] est la formation induite par la lumière d'isomères des molécules constituant la substance éclairée. Alors que la photodimérisation stocke l'énergie du rayonnement solaire en établissant de nouvelles liaisons chimiques, la photoisomérisation procède en réorganisant les liaisons chimiques existantes en une conformation moléculaire métastable ayant une énergie plus élevée.

La mise en œuvre de ces réactions nécessite de trouver le meilleur compromis entre la stabilité de l'isomère énergétique d'une part et la quantité d'énergie nécessaire pour inverser la réaction d'autre part. L'énergie emmagasinée se trouve dans la tension de cycle de l'isomère énergétique : plus les liaisons sont tendues, plus elles peuvent stocker d'énergie, mais moins la molécule est stable. L'énergie d'activation, notée Ea, permet de quantifier la facilité avec laquelle l'isomère énergétique peut libérer de l'énergie : si cette énergie d'activation est trop faible, la molécule aura tendance à s'isomériser facilement et ne sera pas efficace pour conserver durablement l'énergie emmagasinée ; si au contraire l'énergie d'activation est trop élevée, elle devient susceptible d'affecter l'efficacité énergétique du cycle de charge entre les deux isomères. Un système d'isomères pertinent pour ce genre d'applications doit permettre l'équilibre optimal entre l'efficacité énergétique du système d'isomères, l'absorption du rayonnement solaire par l'isomère de basse énergie, la stabilité de l'isomère énergétique, et le nombre de cycles de charge réalisables sans dégradation des isomères du système.

Diverses cétones, azépines et norbornadiènes, entre autres composés, tels que l'azobenzène[16],[17] et ses dérivés[18], ont été étudiés en tant que système d'isomères potentiel pour le stockage de l'énergie solaire[11]. Le couple norbornadiène-quadricyclane, souvent abrégé NBD-QC, ainsi ses dérivés ont été largement étudiés dans cette application. Le norbornadiène s'isomérise en quadricyclane sous l'effet d'un rayonnement ultraviolet, la tension de cycle du quadricyclane pouvant emmagasiner 89 kJ/mol, valeur qui peut être plus que doublée à l'aide de dérivés oligomériques[19].

Perspectives

La recherche sur les systèmes azobenzène trans-cis et norbornadiène-quadricyclane a été abandonnée dans les années 1980 car peu pratique en raison de problèmes de dégradation et d'instabilité, de densité d'énergie insuffisante et de coût trop élevé. Cependant, l'accroissement continue de la puissance de calcul a relancé la recherche de matériaux pour les applications de stockage chimique de l'énergie solaire. Ainsi, une équipe du MIT a conçu en 2011 un tel système de stockage constitué d'azobenzène sur substrat de nanotubes de carbone à l'aide d'analyses par la théorie de la fonctionnelle de la densité dépendante du temps (en), qui modélise les systèmes au niveau des atomes. Les nanotubes de carbone permettent d'ajuster les interactions entre chromophores voisins, ce qui offre la possibilité d'affiner les propriétés des systèmes de stockage en optimisant par exemple la quantité d'énergie emmagasinée[13], avec en 2014 des valeurs atteignant 120 kJ/mol[20]. Les trans-azobenzènes ont l'avantage d'absorber les longueurs d'onde parmi les plus abondantes du rayonnement solaire pour donner des cis-azobenzènes ayant une énergie plus élevé d'environ 0,6 eV[21]. Plusieurs options permettent de libérer l'énergie ainsi emmagasinée en déclenchant l'isomérisation de la forme (Z) (cis, haute énergie) à (E) (trans, basse énergie) : le chauffage, qui n'est pas rentable ; l'emploi de catalyseurs, qui abaisse l'énergie d'activation Ea ; l'emploi d'un rayonnement, qui permet d'agir sur le système à la manière d'un interrupteur[22].

Notes et références

  1. (en) Ann Magnuson, Magnus Anderlund, Olof Johansson, Peter Lindblad, Reiner Lomoth, Tomas Polivka, Sascha Ott, Karin Stensjö, Stenbjörn Styring, Villy Sundström et Leif Hammarström, « Biomimetic and Microbial Approaches to Solar Fuel Generation », Accounts of Chemical Research, vol. 42, no 12,‎ , p. 1899-1909 (PMID 19757805, DOI 10.1021/ar900127h, lire en ligne).
  2. (en) Md. K. Nazeeruddin, Etienne Baranoff et Michael Grätzel, « Dye-sensitized solar cells: A brief overview », Solar Energy, vol. 85, no 6,‎ , p. 1172-1178 (DOI 10.1016/j.solener.2011.01.018, Bibcode 2011SoEn...85.1172N, lire en ligne).
  3. (en) A. Hauch, R. Küngas, P. Blennow, A. B. Hansen, J. B. Hansen, B. V. Mathiesen et M. B. Mogensen, « Recent advances in solid oxide cell technology for electrolysis », Science, vol. 370, no 6513,‎ , article no eaba6118 (PMID 33033189, DOI 10.1126/science.aba6118, lire en ligne).
  4. (en) Bo Yu, Wenqiang Zhang, Jingming Xu, Jing Chen, Xing Luo et Kabelac Stephan, « Preparation and electrochemical behavior of dense YSZ film for SOEC », International Journal of Hydrogen Energy, vol. 37, no 17,‎ , p. 12074-12080 (DOI 10.1016/j.ijhydene.2012.05.063, lire en ligne).
  5. (en) « Hydrogen Production: Electrolysis », sur https://www.energy.gov/, DOE, Hydrogen and Fuel Cell Technologies Office (consulté le ).
  6. (en) S. Shiva Kumar et V. Himabindu, « Hydrogen production by PEM water electrolysis – A review », Materials Science for Energy Technologies, vol. 2, no 3,‎ , p. 442-454 (DOI 10.1016/j.mset.2019.03.002, lire en ligne Accès libre).
  7. (en) Hiroshi Ito, Tetsuhiko Maeda, Akihiro Nakano et Hiroyasu Takenaka, « Properties of Nafion membranes under PEM water electrolysis conditions », International Journal of Hydrogen Energy, vol. 36, no 17,‎ , p. 10527-10540 (DOI 10.1016/j.ijhydene.2011.05.127, lire en ligne).
  8. (en) A. V. Postnikov, I. V. Uvarov, M. V. Lokhanin et V. B. Svetovoy, « Highly energetic phenomena in water electrolysis », Scientific Reports, vol. 6,‎ , article no 39381 (PMID 27982103, PMCID 5159792, DOI 10.1038/srep39381, Bibcode 2016NatSR...639381P, arXiv 1701.03927, lire en ligne Accès libre).
  9. (en) Ulrich Ulmer, Thomas Dingle, Paul N. Duchesne, Robert H. Morris, Alexandra Tavasoli, Thomas Wood et Geoffrey A. Ozin, « Fundamentals and applications of photocatalytic CO2 methanation », Nature Communications, vol. 10, no 1,‎ , article no 3169 (PMID 31320620, PMCID 6639413, DOI 10.1038/s41467-019-10996-2, Bibcode 2019NatCo..10.3169U, lire en ligne Accès libre).
  10. (en) « Anthracene photodimer », sur https://webbook.nist.gov/, NIST (consulté le ).
  11. a et b (en) James Bolton, (1977). Solar Power and Fuels, Academic Press, 1977, p. 235-237. (ISBN 978-0-12-112350-5)
  12. (en) Constantine Philippopoulos, Dimitrios Economou, Constantine Economou et John Marangozis, « Norbornadiene-quadricyclane system in the photochemical conversion and storage of solar energy », Industrial & Engineering Chemistry Process Design and Development, vol. 22, no 4,‎ , p. 627-633 (DOI 10.1021/i300012a021, lire en ligne).
  13. a et b (en) Alexie M. Kolpak et Jeffrey C. Grossman, « Azobenzene-Functionalized Carbon Nanotubes As High-Energy Density Solar Thermal Fuels », Nano Letters, vol. 11, no 8,‎ , p. 3156-3162 (PMID 21688811, DOI 10.1021/nl201357n, Bibcode 2011NanoL..11.3156K, lire en ligne Accès libre).
  14. (en) Gary W. Breton et Xoua Vang, « Photodimerization of Anthracene », Journal of Chemical Education, vol. 75, no 1,‎ , p. 81 (DOI 10.1021/ed075p81, Bibcode 1998JChEd..75...81B, lire en ligne).
  15. (en) Luis R. Canas et David B. Greenberg, « Determination of the energy storage efficiency of the photoisomerization of norbornadiene to quadricyclane as a potential means for the trapping of solar energy », Solar Energy, vol. 34, no 1,‎ , p. 93-99 (DOI 10.1016/0038-092X(85)90096-9, Bibcode 1985SoEn...34...93C, lire en ligne).
  16. (en) Thomas Schultz, Jason Quenneville, Benjamin Levine, Alessandro Toniolo, Todd J. Martínez, Stefan Lochbrunner, Michael Schmitt, James P. Shaffer, Marek Z. Zgierski et Albert Stolow, « Mechanism and Dynamics of Azobenzene Photoisomerization », Journal of the American Chemical Society, vol. 125, no 27,‎ , p. 8098-8099 (PMID 12837068, DOI 10.1021/ja021363x, lire en ligne).
  17. (en) J. Fregoni, G. Granucci, E. Coccia, M. Persico et S. Corni, « Manipulating azobenzene photoisomerization through strong light–molecule coupling », Nature Communications, vol. 9, no 1,‎ , article no 4688 (PMID 30409994, PMCID 6224570, DOI 10.1038/s41467-018-06971-y, Bibcode 2018NatCo...9.4688F, arXiv 1811.07648, lire en ligne Accès libre).
  18. (en) H. M. Dhammika Bandara et Shawn C. Burdette, « Photoisomerization in different classes of azobenzene », Chemical Society Reviews, vol. 41, no 5,‎ , p. 1809-1825 (PMID 22008710, DOI 10.1039/c1cs15179g, lire en ligne).
  19. (en) Jessica Orrego-Hernández, Ambra Dreos et Kasper Moth-Poulsen, « Engineering of Norbornadiene/Quadricyclane Photoswitches for Molecular Solar Thermal Energy Storage Applications », Accounts of Chemical Research, vol. 53, no 8,‎ , p. 1478-1487 (PMID 32662627, PMCID 7467572, DOI 10.1021/acs.accounts.0c00235, lire en ligne).
  20. (en) Timothy J. Kucharski, Nicola Ferralis, Alexie M. Kolpak, Jennie O. Zheng, Daniel G. Nocera et Jeffrey C. Grossman, « Templated assembly of photoswitches significantly increases the energy-storage capacity of solar thermal fuels », Nature Chemistry, vol. 6, no 5,‎ , p. 441-447 (PMID 24755597, DOI 10.1038/nchem.1918, Bibcode 2014NatCh...6..441K, lire en ligne Accès libre).
  21. (en) E. Durgun et Jeffrey C. Grossman, « Photoswitchable Molecular Rings for Solar-Thermal Energy Storage », The Journal of Physical Chemistry Letters, vol. 4, no 6,‎ , p. 854-860 (PMID 26291346, DOI 10.1021/jz301877n, lire en ligne).
  22. (en) Alexis Goulet-Hanssens, Clemens Rietze, Evgenii Titov, Leonora Abdullahu, Lutz Grubert, Peter Saalfrank et Stefan Hecht, « Hole Catalysis as a General Mechanism for Efficient and Wavelength-Independent ZE Azobenzene Isomerization », Chem, vol. 4, no 7,‎ , p. 1740-1755 (DOI 10.1016/j.chempr.2018.06.002, lire en ligne Accès libre).

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