Poésie sonore

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La poésie sonore est une discipline poétique du XXe siècle. Le terme a été utilisé la première fois en 1958, dans un texte signé de Jacques Villeglé et François Dufrêne, à propos d'Henri Chopin[1]. Henri Chopin, exposant en 1967 ce qu'est la poésie sonore, a expliqué qu'il est possible de la diviser en deux groupes : ceux qui sont dans la « préfération simple de la voix » et ceux qui usent « des ressources du magnétophone »[2].

Origines

Dès le début du XXe siècle, avant la naissance de la poésie sonore proprement dite, apparaissent des pratiques qui s'échappent du livre et revendiquent une forme d'oralité.

Bien qu'il soit parfois affirmé que les racines de la poésie sonore se trouvent dans les traditions orales, l'écriture de textes purement sonores qui réduisent les rôles de la signification et de la structure est un phénomène du XXe siècle. Parmi les premiers exemples figurent les recherches de Verbalizzazioni Astratte[3] des futuristes, tel Zang Tumb Tumb de F. T. Marinetti en 1914, ou encore les expériences de poésie phonétique[4], tel le morceau récité par Hugo Ball lors d'une lecture au Cabaret Voltaire en 1915 :

« J'ai créé une nouvelle espèce de vers, des 'vers sans mots', ou poèmes sonores... J'ai récité ceci :
gadji beri bimba
glandridi lauli lonni cadori... »
(Albright, 2004)

Ursonate (1921-32, Primal Sonata) de Kurt Schwitters est un des premiers exemples particulièrement connu.

En 1926, Michel Seuphor invente la « musique verbale » et quatre ans plus tard, il accompagne la poésie phonétique avec le Russolophone de Luigi Russolo.

Développement du milieu du XXe siècle

Mais c'est avec les années 1950, que vont se développer en France deux recherches fondamentales au niveau de la poésie sonore. D'une part il y aura une approche liée aux technologies et à l'enregistrement et au travail sur bande. Cette démarche a été permise par l'apparition progressive des bandes magnétiques, notamment des Revox. Les deux représentants français de cette poésie sonore sont surtout Bernard Heidsieck[5] et Henri Chopin[6]. C'est en ce sens, que la poésie sonore est souvent rattachée, non pas à la seule oralité, mais au travail lié à la technique, comme le précise Paul Zumthor : « La poésie sonore, on le sait, fait un large usage des médias électroniques. Un lien étroit, presque génétique l'attache aux techniques »[7]

Parallèlement, il y aura une démarche ne travaillant qu'avec la voix et la lecture, plus proche du corps et de son intensité première. C'est dans cette optique que se situe le lettrisme (1946) d'Isidore Isou, un système poético-musical basé sur l'ensemble des phonèmes de notre alphabet, auxquels s'ajouteront des « lettres nouvelles », a-alphabétiques, qui catégorisent différents sons produits par le corps humain (claquements de langue, sifflements, applaudissements...), indiqués par des chiffres sur les partitions lettristes. Outre Isou, une nouvelle génération de poètes voit le jour autour de lui, parmi lesquels Gabriel Pomerand, Maurice Lemaître, François Dufrêne, ou encore Gil J Wolman, créateur des fameux mégapneumes ou « poésie du souffle. » François Dufrêne[8] en est l'un des représentants les plus marquants de la poésie sonore, depuis ses premiers poèmes lettriste (le célèbre J'interroge et j'invective, présent sur la bande-son du film Traité de bave et d'éternité d'Isou) jusqu'à l'invention de ses Crirythmes ultralettristes, improvisations phonétiques enregistrées sur bandes magnétiques. En parallèle, Bob Cobbing (en)[9] développe en Angleterre dans les années 1950[10] ses Sound poetries. Pierre et Ilse Garnier parlent eux de poésie phonique vite renommée phonétique et créent plusieurs pièces à partir de 1962.

La voie qui sera plus rattachée à la poésie sonore sera bien, au vu des références, celle qui est liée aux technologies. La poésie sonore s'ouvrant alors au domaine de la performance audio et visuelle, comme cela peut apparaître avec Giovanni Fontana (it)[11] et sa poesia pre-testuale qui allie performance (recherche sur l'espace), son et vidéo.

Toutefois, comme l'exprime Richard Kostelanetz, toutes ces recherches reposent sur « le langage, dont le principal moyen de cohérence est le son, plutôt que la syntaxe ou la sémantique[12] ». Christian Prigent et Julien Blaine en seront les premiers héritiers.

Fin XXe siècle-début XXIe siècle

Alors qu'en France, grâce à l'effort des éditions Al Dante, est redécouvert la tradition de la poésie sonore par l'édition en texte et CD des poésies de Bernard Heidsieck[13] et la réédition de la première revue, d'Henri Chopin, une nouvelle génération d'artistes élargit considérablement le champ d'action possible par :

  • l'utilisation des nouvelles technologies avec des logiciels comme Max/MSP ou Pure Data tel Joachim Montessuis
  • des créations utilisant le sample, travaillant tout à la fois sur des énoncés préconstitués, et sur la superposition des voix comme Jean-Pierre Bobillot, Anne-James Chaton.
  • des créations principalement scéniques et performatives, n'utilisant que la voix sur de simples effets d'amplification, associées ou non à un travail musical, bruitiste et gestuel, comme chez Pierre Guéry, Vincent Tholomé et Sébastien Lespinasse
  • des créations refusant la scène ou ne la refusant pas, et utilisant exclusivement le disque et la radio comme Christophe Fiat avec ses fictions légendaires (Batman, New York 2001), le disque, le travail de bandes et d'empilement sonore multipliant le sens comme chez Thomas Braichet (Conte de F_, éd. POL, 2007) ou la voix « motlécularisée » et en fusion dans son univers électro de Jacques Sivan et son complice Cédric Pigot (Om Anaksial, postf. de B. Heidsieck, éd. Al Dante, 2011) mais aussi le disque et le concert-performance (où le chant se mixe à la poésie sonore pure et inversement) pour l'opéra-rock de Sylvain Courtoux, Vie et mort d'un poète de merde (éd. Al Dante, 2010) ou bien encore pour Gérard Ansaloni dans Le Banquet (éd. Saravah, 1995) et La Mort de la Vierge (éd. Saravah, 2002).

Bibliographie

Analyses
  • Henri Chopin, Poésie sonore internationale, Jean-Michel Place, 1979.
  • Vincent Barras et Nicholas Zurbrugg, Poésies sonores, Contrechamps, 1993.
  • Jean-Pierre Bobillot, Bernard Heidsieck, Jean-Michel Place, 1996.
  • Jacques Donguy, Poésies expérimentales-Zone numérique (1953-2007), Les presses du réel, 2007.
  • Jean-Pierre Bobillot, Poésie sonore. Éléments de typologie historique, Le Clou dans le fer, 2009.
Anthologies
  • Doc(k)s (son), série n°3, n°17-20 + 2CD, Akenaton, 1998.
  • Homo sonorus, an international anthology of sound poetry, de Dmitry Bulatov + 2 CD, éditions The National Center for Contemporary Art, 2001.

Notes et références

  1. Revue grâmmeS n°2, juin 1958.
  2. Lettre au musicien aphone revue OU, novembre 1967
  3. Terme présent chez Giacomo Balla.
  4. Expression de Raoul Hausmann.
  5. Page ubu.com de Bernard Heidsieck
  6. Page ubu.com de Henri Chopin
  7. Paul Zumthor, Oralités—Polyphonix, éditions Inter, Québec, 1992. Voir aussi Jacques Donguy, Poésies Expérimentales—Zones numériques (1953-2007) : « Peut-être faudrait-il utiliser ce terme de poésie sonore dans un sens restrictif, et c'est notre opinion personnelle, pour la poésie qui utilise la bande magnétique et toutes les possibilités de montage, superposition et transformation de la voix en studio de musique électronique ». Nombreux sont les auteurs à préciser cette relation synergique entre le médium et la poésie pour la poésie sonore.
  8. Page ubu.com de François Dufrêne
  9. Page ubu.com de Bob Cobbing
  10. Bob Cobbings appelle sound poetry ses premières lectures qui ne sont pas liées à la technique. C'est en 1964, qu'il utilisera le magnétophone.
  11. Page ubu.com de Giovanni Fontana
  12. Richard Kostelanetz, Text-Sound Texts, 1980.
  13. De La Chaussée d'Antin à Vaduz

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes